Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.289/2004
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1P.289/2004 /col

Arrêt du 4 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Thomas Barth, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

détention préventive,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du 14 mai 2004.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant français et colombien né en 1974, se trouve en
détention préventive à Genève depuis le 11 novembre 2003, sous l'inculpation
de vols et de brigandage. Il lui est en substance reproché d'avoir participé
au vol d'un sac à main, le 28 août 2003, à un vol de matériel dans les locaux
d'une entreprise de livraisons, le 11 septembre 2003 (inculpation intervenue
ultérieurement le 17 février 2004), ainsi qu'au brigandage d'une station
service, le 11 novembre 2003. Il a nié être mêlé au vol du sac à main, et a
reconnu sa participation au vol de matériel et au brigandage, prétendant
toutefois avoir ignoré que ce dernier serait commis au moyen d'une arme
factice.

B.
La détention préventive a été prolongée, et des demandes de mise en liberté
ont été rejetées, par décisions de la Chambre d'accusation genevoise des 18
novembre 2003, 17 février 2004 et 2 avril 2004. La Chambre d'accusation a
retenu l'existence d'un risque de collusion (les déclarations des prévenus
divergeaient), d'un risque de récidive (vu la situation financière précaire
du prévenu, sans travail) et de fuite (l'inculpé ayant son domicile en
France).
Par ordonnance du 14 mai 2004, la Chambre d'accusation a autorisé une
nouvelle prolongation de la détention, et rejeté simultanément une demande de
mise en liberté. Le magistrat instructeur semblait avoir quasiment achevé son
enquête, sous réserve d'un acte d'instruction qu'il n'était pas certain de
pouvoir accomplir. Le risque de récidive était à craindre, en l'absence de
mesures d'encadrement adéquates. Le risque de fuite était évident: le prévenu
avait une double nationalité étrangère et vivait en France avec son épouse de
nationalité française. Le principe de la proportionnalité était respecté.

C.
Par acte du 17 mai 2004, A.________ forme un recours de droit public contre
cette ordonnance. Il requiert l'effet suspensif, en soutenant que
l'incarcération serait actuellement disproportionnée; il demande l'assistance
judiciaire.
La Chambre d'accusation et le Procureur général concluent au rejet du recours
et de la demande d'effet suspensif. Le recourant a répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé contre un arrêt rendu en dernière
instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). Le recourant, personnellement touché
par l'arrêt attaqué, qui refuse sa mise en liberté provisoire et prolonge de
trois mois sa détention préventive, a qualité pour recourir selon l'art. 88
OJ.
Par exception à la nature cassatoire du recours de droit public, le recourant
peut conclure non seulement à l'annulation de l'arrêt cantonal mais aussi à
sa mise en liberté immédiate (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333). En
revanche, il ne peut requérir sa libération au titre de l'effet suspensif. En
effet, les mesures provisionnelles prévues à l'art. 94 OJ ont pour but le
maintien de l'état de fait ou la sauvegarde des intérêts compromis; le
recourant ne saurait en revanche, par ce biais, obtenir prématurément gain de
cause sur le fond.

2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté
personnelle, garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. et par l'art. 5 CEDH, que si
elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit
en l'espèce l'art. 34 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE). Elle
doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270).
Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les
besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
réitération (cf. art. 34 let. b et c CPP/GE). Préalablement à ces conditions,
il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes (art. 5 par.
1 let. c CEDH, art. 34 in initio CPP/GE; ATF 116 Ia 144 consid. 3).
S'agissant d'une restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal
fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de
l'appréciation des preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF
123 I 268 consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une grande
liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3, 112 Ia 162
consid. 3b).

3.
Le recourant conteste l'existence des besoins de l'instruction. Le juge
d'instruction aurait clôturé son enquête le 19 mars 2004, précisant pouvoir
terminer son travail en quelques semaines. Le recourant aurait été entendu
pour la dernière fois le 28 avril 2004, les auditions ultérieures concernant
un autre inculpé. L'acte d'instruction mentionné dans l'ordonnance attaquée
ne le concernerait pas non plus.
Cet argument n'a pas à être examiné car, comme le relève la cour cantonale
dans sa réponse, les besoins de l'instruction ne sont plus invoqués à l'appui
du maintien en détention. L'instruction est, selon la cour cantonale,
"quasiment achevée". Le Procureur général précise pour sa part que le dossier
vient de lui être communiqué, et aucun acte d'instruction particulier n'est
plus mentionné, dont le résultat pourrait être compromis par une mise en
liberté.

4.
Le recourant conteste aussi le risque de récidive. Il relève l'absence
d'antécédent judiciaire, et soutient que la précarité de sa situation
financière l'inciterait à retrouver un travail au plus vite, ce qui ne serait
pas possible tant que dure la détention. Son épouse, qui travaille à Genève,
et ses trois enfants, permettraient de se montrer optimiste quant à sa
réinsertion.

4.1 Selon la jurisprudence, le maintien en détention préventive n'est
admissible que si le pronostic de récidive est très défavorable. La simple
possibilité, hypothétique, de commission de nouvelles infractions de même
nature, ou la vraisemblance que soient commises des infractions mineures,
sont des motifs insuffisants (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62). Autant que
possible, l'autorité doit tenter de substituer à la détention toute autre
mesure moins incisive propre à atteindre le même résultat (ATF 123 I 268
consid. 2c et e p. 270/271 et les arrêts cités).

4.2 En l'occurrence, les infractions pour lesquelles le recourant est
poursuivi n'ont rien de mineures; il s'agit notamment d'une participation à
un brigandage, et d'un vol portant sur plus de 90'000 fr. de matériel. Il ne
s'agit certes pas d'actes nombreux, mais commis sur une période relativement
longue. S'il était remis en liberté, le recourant se retrouverait dans la
même situation, en proie à des difficultés financières et sans emploi, ce qui
peut faire craindre la commission de nouveaux délits. Manifestement, la
présence de trois enfants et d'une épouse travaillant en Suisse n'ont pas
empêché le recourant d'agir. Le risque de réitération apparaît ainsi
suffisamment probable.

5.
Le recourant conteste aussi l'existence du risque de fuite. Il aurait
collaboré tout au long de l'instruction; son épouse travaillant depuis deux
ans à Genève, et la présence de son bien immobilier en France voisine,
permettraient de considérer comme crédible son engagement à se présenter à
tous les stades de la procédure. Le recourant avait proposé le versement
d'une caution de 15'000 fr., mais la Chambre d'accusation n'aurait pas statué
sur ce point, violant ainsi son droit d'être entendu.

5.1 Selon la jurisprudence, le risque de fuite ne peut s'apprécier sur la
seule base de la gravité de l'infraction même si, compte tenu de l'ensemble
des circonstances, la perspective d'une longue peine privative de liberté
permet souvent d'en présumer l'existence (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62); il
doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère
de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le
poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger (ATF 117 Ia 69 consid. 4 et les
arrêts cités).

5.2 En dépit des arguments présentés par le recourant, le risque de fuite
apparaît évident: le recourant est domicilié en France voisine, où il a
acquis un immeuble qu'il habite avec son épouse et ses enfants; il est de
nationalités française et colombienne et ne possède aucun lien, familial,
social ou professionnel à Genève. Le dossier ayant été communiqué au
Procureur général, un renvoi en jugement devrait être prochainement prononcé,
et cette perspective pourrait constituer pour le recourant un motif
supplémentaire de se soustraire à la justice, et trouver refuge en France où
il possède toutes ses attaches et d'où il ne pourrait, vraisemblablement, pas
être extradé (cf. ATF 123 I 31 consid. 3d p. 36-37, selon lequel le risque de
fuite existe également si le pays de refuge autorise l'extradition).

5.3 Le recourant reproche à la Chambre d'accusation d'avoir méconnu son offre
de versement d'une caution. Toutefois, si l'arrêt cantonal est effectivement
muet à ce propos, c'est qu'en raison du risque de récidive avéré, une
libération sous caution ne pouvait de toute façon pas entrer en ligne de
compte.

6.
Le recourant invoque enfin le principe de célérité, en relevant que
l'instruction est terminée à son égard depuis plus de deux mois. Il se plaint
de ce que sa cause soit jointe à celle d'un autre inculpé, soupçonné d'autres
infractions graves auxquelles il serait étranger, et craint de pâtir de la
poursuite de l'instruction à ce sujet. Il soutient par ailleurs que la durée
de la détention préventive déjà subie se rapprocherait de la durée de la
peine susceptible d'être prononcée à son encontre, laquelle pourrait être
assortie d'un sursis.

6.1 Le premier argument tombe à faux dès lors que, selon les indications du
Procureur général, le dossier de la procédure suivie contre le recourant a
été communiqué au Parquet. L'instruction est donc en principe achevée, et le
recourant devrait être renvoyé en jugement "dans un proche avenir".

6.2 L'argument relatif à la durée de la détention préventive n'est pas mieux
fondé: compte tenu des infractions reprochées au recourant, soit un
brigandage aggravé, un vol avec dommage à la propriété, une violation de
domicile et un vol d'usage d'un véhicule, la durée de sa détention préventive
ne paraît pas se rapprocher de celle de la peine encourue. Le principe de la
proportionnalité est respecté, d'autant plus que le renvoi en jugement
pourrait, selon les indications du Ministère public, être prochainement
prononcé.

7.
Le recours de droit public doit par conséquent être rejeté. Le recourant a
demandé l'assistance judiciaire, qu'il a déjà obtenue au niveau cantonal.
Elle peut lui être accordée pour la présente procédure. Me Barth est désigné
comme avocat d'office, et rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il
n'est pas alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Thomas Barth est désigné
comme avocat d'office et une indemnité de 1000 fr. lui est allouée à titre
d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 4 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: