Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.279/2004
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1P.279/2004 /fzc

Arrêt du 11 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral,
Nay, Vice-Président du Tribunal-fédéral, Reeb.
Greffier: M. Kurz.

X. ________,
recourant,
représenté par Me Laurent Schmidt, avocat,

contre

Y.________, Juge au Tribunal cantonal,
Tribunal cantonal du canton du Valais,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
intimée,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour pénale II, Palais de Justice,
1950 Sion 2.

art. 30 al. 1 Cst. et art. 6 par. 1 CEDH (garantie d'un juge indépendant et
impartial),

recours de droit public contre la décision de la Cour pénale II, du 21 avril
2004.

Faits:

A.
Le 19 novembre 2002, X.________ a été renvoyé devant le Juge du district de
Sion pour y répondre d'acte d'ordre sexuel commis le 28 juin 2000 sur
Z.________, née en 1991. Par jugement du 4 février 2003, le Juge a prononcé
l'acquittement du prévenu, considérant, en référence à l'adage "in dubio pro
reo", que la commission d'actes d'ordre sexuel avec un enfant n'était pas
établie.

B.
La partie civile a appelé de ce jugement le 14 mars 2003, en demandant
l'audition de l'auteur du rapport psychologique déposé le 15 mai 2001. Le
Ministère public a formé un appel joint le 27 mars 2003.

Par ordonnance du 9 mars 2004, la Présidente de la Cour pénale II du Tribunal
cantonal a rejeté la requête en complément de preuve; elle a en revanche
ordonné une expertise sur la responsabilité de l'accusé, considérant que la
structure psychologique de ce dernier avait été qualifiée de "très fragile".
Le questionnaire à l'intention de l'expert est ainsi libellé:
"1. Le prévenu était-il, au moment d'agir, atteint d'une maladie mentale, de
faiblesse d'esprit ou d'une grave altération de la conscience? La commission
de ces actes peut-elle être mise en relation avec cet état et la capacité de
cette personne à apprécier le caractère illicite de ses actes ou à se
déterminer d'après cette appréciation était-elle supprimée (art. 10 CPS)?

2. Au moment des actes reprochés, la personne prévenue souffrait-elle d'un
trouble dans sa santé mentale, ou dans sa conscience, ou d'un développement
mental incomplet? Cette atteinte ou ce développement mental incomplet
était-il tel qu'il empêchait cette personne d'apprécier pleinement le
caractère illicite de ses actes ou de se déterminer d'après cette
appréciation (art. 11 CPS)? Si oui, de quelle ampleur estimez-vous cette
diminution de responsabilité (légère, moyenne, grave)?

3. Est-ce que, du point de vue de la psychiatrie forensique, le prévenu
présente un risque élevé de commettre de nouvelles infractions? Une thérapie
peut-elle limiter le risque de commission de nouvelles infractions? Le
prévenu est-il prêt à se soumettre à une thérapie? Une thérapie ordonnée
contre la volonté du prévenu aurait-elle néanmoins des chances de succès?

4. Du point de vue psychiatrique, une mesure au sens des art. 43 ou 44 CPS
est-elle opportune?"
Par lettre du 18 mars 2004, X.________ a demandé la récusation de la
Présidente. Il estimait que la formulation du questionnaire laissait entendre
qu'il était d'ores et déjà tenu pour coupable des faits qui lui étaient
reprochés, sans jamais envisager la possibilité de son innocence. Une
rectification du questionnaire était également requise.
Par décision du 21 avril 2004, la Cour pénale, statuant sans sa Présidente, a
rejeté la demande de récusation. Le questionnaire ne laissait apparaître
aucune prévention: il était repris d'un catalogue de questions pour les
experts psychiatres adopté en 2000 par la Conférence des autorités de
poursuite pénale de Suisse; la culpabilité de l'accusé n'y était évoquée que
comme une hypothèse. L'expert prendrait connaissance du dossier pénal, et en
particulier du jugement d'acquittement. Afin de lever toute ambiguïté, les
questions posées à l'expert seraient précédées du préambule suivant: "dans
l'hypothèse où l'accusé a effectivement commis les actes qui lui sont
reprochés dans l'arrêt de renvoi du 19 novembre 2002...". La demande de
modification du questionnaire devenait ainsi sans objet.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette dernière décision, et de lui octroyer
l'assistance judiciaire.

La Cour cantonale se réfère aux considérants de la décision attaquée, de même
que la Présidente dont la récusation est demandée.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre une décision
rendue en dernière instance cantonale et relative à la récusation d'un
magistrat (art. 86 et 87 al. 1 OJ). L'auteur de la demande de récusation a
qualité, au sens de l'art. 88 OJ, pour contester son rejet.

2.
Le recourant relève que l'autorité intimée a elle-même admis que la
Présidente aurait préjugé du sort de la cause en ne prenant aucune
précaution, dans la rédaction du questionnaire destiné à l'expert, afin de
faire apparaître la culpabilité du recourant comme une simple hypothèse. Le
recourant considère que cette erreur était grave puisqu'elle fait fi des
décisions de refus de suivre, puis d'acquittement rendues en faveur du
recourant; cette erreur pourrait aussi avoir une incidence sur le contenu
même de l'expertise: l'attitude de l'expertisé (dont le psychisme est
qualifié de très fragile) serait différente s'il se sait déjà considéré comme
coupable. Le fait que les questions soient reprises d'un catalogue officiel
n'empêchait pas la magistrate de les adapter en fonction du cas d'espèce.
L'évocation de la "commission des actes", et du risque de commission de
"nouvelles infractions" pouvait légitimement susciter les doutes du recourant
quant à l'impartialité de la Présidente.

2.1 La garantie constitutionnelle du juge naturel (art. 30 al. 1 Cst.) et
l'art. 6 par. 1 CEDH réservent notamment au justiciable le droit à ce que sa
cause soit jugée par un magistrat indépendant et impartial. Ils permettent
d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de
nature à faire naître des doutes sur son impartialité, et tendent à éviter
que des circonstances extérieures ne puissent influer sur le jugement, en
faveur ou en défaveur d'une partie. Cela n'impose pas la récusation seulement
lorsqu'une prévention effective du juge est établie, une telle disposition
interne ne pouvant guère être prouvée; il suffit que les circonstances
donnent l'apparence de prévention et fassent redouter, objectivement, une
attitude partiale du magistrat. L'optique du justiciable joue certes un rôle
dans cette appréciation, mais l'élément déterminant consiste à savoir si ses
appréhensions peuvent passer pour objectivement justifiées (ATF 119 Ia 81
consid. 3 p. 84 et les arrêts cités).

2.2 Le libellé du questionnaire destiné à l'expert peut donner l'impression
d'une certaine ambiguïté. Cette maladresse s'explique toutefois de manière
objective par le fait que les questions ont été directement tirées d'un
formulaire officiel; leur libellé ne procède donc pas d'une appréciation
personnelle du juge sur la culpabilité du recourant. La Présidente a sans
doute considéré que ces questions pouvaient être reprises telles quelles,
sans s'interroger sur la manière dont elles pouvaient être perçues par le
recourant. Il est toutefois évident que la culpabilité du recourant n'y est
évoquée, implicitement, qu'en tant qu'hypothèse, comme dans chaque cas où la
question de la responsabilité pénale de l'accusé est posée avant qu'il ne
soit statué sur sa culpabilité. Cela ressort clairement de la deuxième
question d'expertise où il est fait mention "des actes reprochés" et de "la
personne prévenue". Contrairement à ce que soutient le recourant, la cour
cantonale n'a pas admis qu'il existait un véritable préjugement à son égard:
lorsqu'elle estime que la Présidente "a été amenée à préjuger dans une
certaine mesure les mérites de la cause", l'autorité intimée considère
simplement que la décision d'ordonner une expertise sur la responsabilité de
l'accusé découle d'une certaine appréciation des preuves, fondée sur
l'hypothèse de la culpabilité du recourant. Le recourant admet lui-même que
la formulation du questionnaire repose sur une simple erreur de plume, et non
sur un parti pris qui lui serait défavorable. Dans ces conditions, il n'y a
pas apparence de partialité, et il n'y a pas lieu de douter que l'ajout du
préambule, ordonné par la cour cantonale, permettra d'éviter tout préjudice
liée à la formulation malheureuse des questions. L'expert aura accès au
dossier pénal, et il pourra prendre connaissance des décisions de refus de
suivre, puis d'acquittement, ainsi que des motifs retenus. On ne voit dès
lors pas en quoi le libellé du questionnaire pourrait avoir une influence sur
la manière dont le recourant se présentera à l'expert.

3.
Le recours de droit public doit par conséquent être rejeté. Le recourant a
demandé l'assistance judiciaire, et les conditions en paraissent réalisées.
Me Laurent Schmidt est désigné comme défenseur d'office, rétribué par la
caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.Le recours est rejeté.

2. La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Laurent Schmidt est
désigné comme défenseur d'office, et une indemnité de 1000 fr. lui est
allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal
cantonal du canton du Valais, Cour pénale II.

Lausanne, le 11 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: