Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.255/2004
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1P.255/2004 /svc

Arrêt du 6 juillet 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

S. ________,
recourant, représenté par Me Christophe A. Gal, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale; appréciation des preuves,

recours de droit public contre l'arrêt de la
Chambre pénale, du 22 mars 2004.

Faits:

A.
Par jugement du 16 septembre 2003, le Tribunal de police du canton de Genève
a notamment condamné S.________ à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et
à cinq ans d'expulsion de Suisse, pour abus de confiance. Les faits retenus
sont les suivants. Au mois de juillet 2000, D.________, administrateur de la
fabrique d'horlogerie E.________ SA, avait remis à S.________ trente-six
montres d'une valeur d'environ 14'000 fr. afin qu'il fasse de la promotion
lors d'un voyage en Egypte. Une facture "pro forma" de 3'000 fr. avait été
établie. A son retour en Suisse, S.________ aurait expliqué que les montres
avaient été laissées à la douane égyptienne, les douaniers ayant exigé un
dépôt de près de 5'000 US$; au moment de récupérer les montres, celles-ci
avaient disparu. Selon une enquête effectuée par l'attaché commercial de
l'Ambassade de Suisse au Caire, S.________ avait bien déposé la marchandise à
la douane à son arrivée; le 11 août 2000, il l'avait récupérée avant de
rentrer en Suisse, comme en attestaient un reçu et la copie du registre des
douanes égyptiennes. S.________ prétendait avoir restitué les montres à
D.________, ce dernier ayant tenté une escroquerie à son assurance. Selon le
tribunal, cette thèse n'était pas compatible avec l'assistance que le
plaignant avait requis auprès des autorités diplomatiques; l'établissement
d'une facture "pro forma" était une pratique commerciale courante destinée à
diminuer les frais de douane.

B.
Saisie d'un recours, la Chambre pénale de la Cour de justice a, pour
l'essentiel, confirmé ce jugement par arrêt du 22 mars 2004: la version des
faits donnée au plaignant était entièrement contredite par le résultat de
l'enquête menée par les autorités consulaires suisses; si S.________ avait
restitué les montres, il était surprenant qu'il n'ait pas sollicité de reçu
de la part du plaignant, à plus forte raison si celui-ci s'apprêtait à
escroquer son assurance.

C.
S.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il
demande l'annulation.
Le Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le Procureur
général n'a pas présenté d'observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en dernière
instance cantonale. Le recourant, dont la condamnation se trouve confirmée, a
qualité pour recourir (art. 88 OJ).

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.); il reproche à la cour
cantonale d'avoir favorisé la version du plaignant, en méconnaissant les
incohérences dont celle-ci était entachée. Les indications quant au lieu de
leur première rencontre étaient inexactes; rien ne prouvait que le recourant
était revenu en Suisse sans les montres; la plainte avait été déposée en son
nom, sans son autorisation, auprès des autorités consulaires au Caire; elle
relatait les circonstances d'une agression par les douaniers, alors que,
trois jours plus tard, D.________ demandait des explications à ce sujet. Pour
36 montres valant 15'000 fr., ce dernier avait établi une facture de 3'000
fr., tout en demandant une couverture d'assurance de 20'000 fr.;
contrairement à ce que retient l'arrêt attaqué, le directeur commercial de
E.________ n'avait jamais témoigné de la volonté du recourant de rembourser
les montres; l'arrêt retient aussi des contradictions dans les déclarations
du recourant, sans indiquer lesquelles; le recourant n'ayant jamais prétendu
avoir été agressé, l'absence d'agression constatée par les autorités
consulaires ne contredisait pas sa version des faits; enfin, si le recourant
n'avait pas exigé de décharge lors de la restitution des montres, c'était en
raison d'une altercation avec D.________ concernant le remboursement de
l'avance de frais. Invoquant ensuite l'adage "in dubio preo reo", le
recourant relève qu'il n'existait aucune preuve matérielle à son encontre et
que les juges auraient renoncé aux investigations qui lui auraient été
favorables. Le recourant énonce encore les éléments qui permettraient de
douter des déclarations du dénonciateur.

2.1 Consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, la présomption
d'innocence interdit au juge de prononcer une condamnation alors qu'il
éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Des doutes abstraits ou
théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure
une condamnation. L'appréciation des preuves est arbitraire, donc contraire à
l'art. 9 Cst., lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide l'appréciation
retenue par le juge de la cause que si elle apparaît insoutenable, en
contradiction manifeste avec la situation effective ou adoptée sans motifs
objectifs. Il ne suffit pas que les motifs du verdict soient insoutenables;
il faut en outre que l'appréciation soit arbitraire dans son résultat. Il ne
suffit pas non plus qu'une solution différente puisse être tenue pour
également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 49 consid. 4
p. 58; 127 I 38 consid. 2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a p. 170; voir aussi ATF
129 I 8 consid. 2.1 in fine p. 9).

2.2 Pour l'essentiel, les griefs du recourant sont dirigés contre le jugement
de première instance; le recours apparaît ainsi de nature appellatoire,
contrairement aux exigences d'épuisement des instances  cantonales d'une part
(art. 86 OJ), et de motivation d'autre part (art. 90 al. 1 let. b OJ). Le
recourant prétend que certains actes d'enquête auraient été indûment
négligés, mais il ne prétend pas avoir valablement présenté d'offre de
preuves à ce sujet, ni avoir soumis un tel grief à la cour cantonale. Vu sous
cet angle, le recours paraît dans une large mesure irrecevable.
Les arguments à décharge énumérés par le recourant ne sont d'ailleurs pas
propres à faire apparaître comme arbitraire le verdict de culpabilité. Les
"incohérences" relevées portent sur des faits sans rapport direct avec
l'infraction reprochée au recourant (lieu de rencontre, contenu de la plainte
déposée auprès des autorités consulaires, facture pro forma et déclarations à
l'assurance). En l'absence de preuves matérielles directes, les juges ont
cherché à déterminer quelle version des faits était la plus crédible, dès
lors qu'il était établi que les montres étaient bien retournées en Suisse. Si
le dénonciateur prétendait que la marchandise ne lui avait pas été restituée,
on ne voit pas quel avantage il avait à inventer lui-même de toute pièce
l'épisode de l'agression commise par les douaniers égyptiens, et à solliciter
une enquête des autorités consulaires sur ce point. Comme le relève la
Chambre pénale, il est surprenant que le recourant n'ait pas exigé de
décharge lors de la restitution des montres. Le recourant tente d'expliquer
qu'il n'aurait pas pu obtenir de quittance à cause d'une altercation relative
au remboursement de l'avance de frais. Toutefois, une telle dissension et la
possibilité - évoquée par le recourant - d'une escroquerie à l'assurance
constituaient autant de raisons supplémentaires d'exiger une décharge, ou de
tenter de toute autre manière d'obtenir une preuve de la restitution des
montres.
Le verdict de culpabilité, confirmé par la cour cantonale, ne viole par
conséquent ni l'interdiction de l'arbitraire, ni la présomption d'innocence.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure où
il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire
est mis à la charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale.

Lausanne, le 6 juillet 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: