Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.244/2004
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1P.244/2004 /BMH

Arrêt du 12 mai 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A.________, prison de la Croisée, 1350 Orbe,
recourant, représenté par Me César Montalto, avocat-stagiaire,

contre

Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, chemin de Couvaloup 6,
1014 Lausanne,
Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale,
1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

détention préventive,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 15 avril 2004.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant serbe né en 1978, a été détenu préventi-vement du
31 mars 2003 au 21 mai suivant, puis dès le 16 octobre 2003, sous
l'inculpation de vol, d'escroquerie (simple et par métier) et de faux dans
les titres. Il lui est reproché d'avoir conclu entre 1999 et 2003, sous un
pseudonyme, de nombreux abonnements avec des opérateurs de téléphonie mobile,
en ayant d'emblée l'intention de ne payer ni l'abonnement, ni les
communications. Il aurait aussi agi au nom de tiers, et convaincu des
connaissances d'acquérir pour son compte des téléphones portables gratuits,
moyennant la conclusion de contrats d'abonnement et en s'engageant
fallacieusement à payer l'abonnement ainsi que les communications; il aurait
enfin utilisé une pièce d'identité trouvée dans un porte-monnaie volé pour
conclure cinq abonnements, et aurait revendu les appareils ainsi acquis.

Le Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a refusé la mise en
liberté le 4 février 2004 et le 17 février suivant, en raison du risque de
récidive. Cette dernière décision a été confirmée par le Tribunal
d'accusation vaudois le 24 février 2004: l'inculpé avait été condamné le 5
mars 2003 à cinq mois d'emprisonnement pour des faits similaires, avec
prolongation d'un sursis accordé lors d'une condamnation prononcée le 17
octobre 2001. Ayant trouvé un emploi, il avait été remis en liberté le 21 mai
2003, en étant averti que toute récidive l'exposait à retourner en détention
préventive jusqu'à la date de son jugement. L'inculpé avait toutefois quitté
son emploi et commis de nouveaux délits. Ni ses précédentes condamnations, ni
ses dif-férents séjours en prison ne l'en avaient dissuadé. La situation
pourrait être réexaminée sur le vu du résultat de l'expertise psychiatrique
en cours.

B.
A.________ a été renvoyé le 2 mars 2004 devant le Tribunal correctionnel de
Lausanne. Le 22 mars, puis le 8 avril 2004, le Président de cette juridiction
a confirmé le maintien en détention préventive; le rapport d'expertise, du 5
mars 2004, faisait état d'un risque élevé de récidive. Une mise sous tutelle,
ainsi qu'un placement dans un foyer de Morges, pourraient limiter ce risque,
mais ces mesures n'avaient pas encore été mises en place.
Par arrêt du 15 avril 2004, le Tribunal d'accusation a confirmé le maintien
en détention. Le placement en foyer ouvert n'offrait pas de garanties
suffisantes. Le principe de la proportionnalité était respecté:  l'audience
de jugement était appointée au 5 juillet 2004, et l'accusé était passible
d'une peine d'une durée supérieure à celle de la détention préventive subie
jusque-là.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt. Il
demande au Tribunal fédéral d'ordonner sa libération immédiate. Il requiert
l'assistance judiciaire.

La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. Le Procureur
général conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé contre un arrêt rendu en dernière
instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). Le recourant, personnellement touché
par l'arrêt attaqué qui refuse sa mise en liberté provisoire, a qualité pour
recourir selon l'art. 88 OJ. Par exception à la nature cassatoire du recours
de droit public, le recourant peut conclure non seulement à l'annulation de
l'arrêt cantonal - il ne le fait d'ailleurs pas formellement -, mais aussi à
sa mise en liberté immédiate (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté
personnelle, garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. et par l'art. 5 CEDH, que si
elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit
en l'espèce l'art. 59 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD). Elle doit
en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270).
Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un
risque de fuite, par les besoins de l'instruction ou pour prévenir un danger
de réitération (cf. art. 59 ch. 1-3 CPP/VD). La gravité de l'infraction - et
l'importance de la peine encourue - n'est, à elle seule, pas suffisante (ATF
117 Ia 70 consid. 4a). Préalablement à ces conditions, il doit exister à
l'égard de l'intéressé des charges suffisantes (art. 5 par. 1 let. c CEDH,
art. 59 in initio CPP/VD; ATF 116 Ia 144 consid. 3). S'agissant d'une
restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral examine
librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des
preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268 consid.
2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une grande liberté dans
l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3; 112 Ia 162 consid. 3b)

3.
Le recourant ne nie pas l'existence de charges suffisantes à son encontre. Il
conteste en revanche l'existence d'un risque de réitération. Il relève que,
selon les experts, la naissance de sa fille, le 15 août 2003, pourrait
constituer une opportunité de s'amender et d'assumer ses responsabilités; les
experts estiment qu'un encadrement socioéducatif pourrait l'aider à se
réinsérer professionnellement et relativiserait le risque de récidive, le
recourant s'étant montré "très motivé à accepter toute proposition d'aide et
à faire des efforts pour s'amen-der". Le recourant a demandé son interdiction
volontaire, ce qui dé-montrerait sa bonne volonté. Il explique ses récidives
par l'absence d'encadrement adéquat; il pourrait maintenant être accueilli
dans un foyer lui assurant cet encadrement, ainsi que du travail.

3.1 Le maintien en détention préventive n'est admissible que si le pronostic
de récidive est très défavorable. La simple possibilité, hypothétique, de
commission de nouvelles infractions de même nature, ou la vraisemblance que
soient commises des infractions mineures, sont des motifs insuffisants (ATF
125 I 60 consid. 3a p. 62). Autant que possible, l'autorité doit tenter de
substituer à la détention toute autre mesure moins incisive propre à
atteindre le même résultat (ATF 123 I 268 consid. 2c et e p. 270/271 et les
arrêts cités).

3.2 Le 17 octobre 2001, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de
Lausanne a condamné A.________ à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour
avoir notamment vendu divers objets (en particulier des téléphones portables)
qui lui avaient été confiés. Le 5 mars 2003, le même tribunal a condamné
A.________ à cinq mois d'emprisonnement, et a prolongé d'un an et demi le
sursis accordé précédemment. Le recourant avait ouvert un compte postal au
nom d'un tiers et effectué des retraits pour un total d'environ 13'000 fr. Il
avait utilisé une carte de crédit volée, pour un montant de près de 2000 fr.
Il a encore été reconnu coupable de filouterie d'auberge. En détention
préventive depuis le 31 mars 2003, le recourant a été libéré provisoirement
le 21 mai suivant. Il a toutefois été replacé en détention préventive le 16
octobre 2003, ayant à nouveau commis des infractions de même nature. Il
apparaît ainsi qu'en dépit de deux condamnations, de l'existence d'un sursis
et de plusieurs périodes de détention préventive, le recourant a
systématiquement repris son activité délictueuse. Le risque de récidive est
par conséquent évident, et on ne saurait considérer qu'il se rapporte à des
infractions mineures; les experts estiment eux aussi que ce risque est élevé,
le recourant n'ayant pas su tirer les enseignements de ses condamnations
antérieures et ayant au contraire accru le nombre de ses délits durant
l'année 2003. Un pronostic favorable n'est émis qu'à long terme, pour autant
qu'une formation professionnelle puisse être suivie et accompagnée. Selon les
experts, la récente paternité du recourant ne change rien sous l'angle du
risque de récidive, car la pression liée au nouveau rôle de père s'ajouterait
aux difficultés d'assumer un travail rémunéré.

Le placement préconisé par le recourant dans un établissement de Morges
pourrait sans doute être profitable sous l'angle de la réinsertion, mais il
n'est pas susceptible de faire cesser immédiatement le risque de récidive.
Les experts relèvent qu'en dépit de sa bonne volonté, le recourant n'aurait
pas, en l'état, la capacité de résister aux tentations, et il est peu
probable qu'il soit capable de se sortir dans l'immédiat d'un mode de vie
dans lequel il paraît s'être installé. La menace d'un retour en détention
préventive n'apparaît pas non plus, compte tenu des antécédents rappelés
ci-dessus, comme un frein suffisant. Le grief doit par conséquent être
écarté.

4.
Le recourant invoque subsidiairement le principe de la proportionnalité. Au
moment du jugement, il aura accompli 316 jours de détention préventive.
Compte tenu d'une responsabilité moyennement diminuée, selon les experts, de
la possibilité d'une libération conditionnelle et du fait que certaines
infractions ne seraient pas des escroqueries, faute d'astuce, la durée de la
détention déjà subie pourrait dépasser celle de la peine qui devra finalement
être exécutée.

4.1 En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 par. 3 CEDH, le prévenu doit être
libéré lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine
privative de liberté qui sera éventuellement prononcée. Cette dernière doit
être évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que le juge du
fond ne soit incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider
avec la détention préventive à imputer (ATF 126 I 172 consid. 5a p. 176/177).

4.2 Compte tenu des accusations dont le recourant aura à répondre (de
nombreuses escroqueries par métier, vol et faux dans les titres), ainsi que
de ses antécédents, une peine supérieure à la durée de la détention
préventive apparaît suffisamment probable. L'éventualité d'une libération
conditionnelle n'est normalement pas prise en compte, car cela imposerait au
juge de la détention de se livrer par avance à l'appréciation qui incombera à
l'autorité de libération conditionnelle. Le pronostic réservé des experts ne
permet pas de retenir d'emblée que les conditions posées à l'art. 38 ch. 1 CP
seront, le moment venu, réalisées. L'existence d'une responsabilité
"moyennement diminuée", selon les experts, pourra certes influer sur la
quotité de la peine, mais on ne saurait à ce stade escompter une réduction
déterminante de la peine, qui fasse apparaître comme disproportionnée la
détention préventive. Quant aux arguments relatifs à l'astuce, ils relèvent
du fond et ne peuvent être pris en considération à ce stade.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté. Le
recourant a demandé l'assistance judiciaire, et les conditions en sont
réalisées; Me Montalto, avocat-stagiaire, est désigné comme avocat d'office,
rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument
judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Montalto est dési-gné comme
avocat d'office du recourant, et une indemnité de 500 fr. lui est allouée à
titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral; il n'est pas
perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recou-rant, au Juge
d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, au Pro-cureur général du
canton de Vaud et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de
Vaud.

Lausanne, le 12 mai 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: