Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.222/2004
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1P.222/2004 /col

Arrêt du 4 mai 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant, Reeb
et Eusebio.
Greffier: M. Thélin.

L. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Pierre Bloch, avocat, case postale 246,
1001 Lausanne,

contre

Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, chemin de Couvaloup 6,
1014 Lausanne,
Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale,
1014 Lausanne,
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Tribunal d'accusation, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

détention préventive

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 1er avril
2004.

Faits:

A.
Les autorités judiciaires vaudoises ont ouvert une enquête pénale contre
L.________ et l'ont placé en détention préventive dès le 10 janvier 2003.
L.________ est prévenu d'avoir prélevé ou tenté de prélever, avec le concours
de coïnculpés, plusieurs centaines de milliers de francs ou d'euros sur les
comptes bancaires de diverses sociétés, en adressant des ordres de virement
faux aux banques concernées, confectionnés à partir de documents dérobés ou
obtenus frauduleusement.

B.
Par ordonnance du 22 mars 2004, le Juge d'instruction a rejeté une demande de
mise en liberté introduite par le prévenu, au motif que les risques de
récidive et de collusion nécessitaient le maintien de l'incarcération.
Statuant sur recours le 1er avril 2004, le Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal a confirmé ce prononcé.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, L.________ requiert le
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal d'accusation et d'ordonner sa
mise en liberté immédiate. Il conteste catégoriquement l'activité coupable
qui lui est imputée et il se déclare hors d'état de la commettre en raison
d'une cécité presque totale. Il conteste également l'existence d'un risque de
collusion suffisamment important.
Invités à répondre, la juridiction intimée, le Juge d'instruction et le
Ministère public cantonal ont renoncé à déposer des observations.
Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à l'annulation de la
décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision ordonnant ou
prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant une
demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du Tribunal
fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité
cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines conditions (ATF
124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257 consid.
1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.

2.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle qui est
actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle
n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base légale,
répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité
(art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 128 I 184 consid. 2.1 p. 186; 124 I 203 consid.
2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p. 150).
Dans le canton de Vaud, la détention préventive est régie par l'art. 59 CPP
vaud. En l'espèce, l'existence de la base légale n'est d'ailleurs pas
contestée.
La détention préventive ne répond à un intérêt public que si, entre autres
conditions, il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne
concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH). En
outre, l'incarcération doit être justifiée par les besoins de l'instruction
ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de l'ordre public. Il
faut qu'en raison des circonstances, l'élargissement du prévenu fasse naître
un risque concret de fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de
l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la
détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en
raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60
consid. 3a p. 62, 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p. 67). La
détention préventive justifiée par le seul risque de réitération est
admissible seulement si le pronostic concernant le comportement du prévenu
est très défavorable et qu'il porte sur des actes graves; la vraisemblance
d'une nouvelle infraction est toutefois appréciée de façon moins stricte
lorsque le bien juridique menacé est particulièrement précieux (ATF 123 I 268
consid. 2e p. 271).
Le principe de la proportionnalité confère au prévenu le droit d'être libéré
lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine privative de
liberté susceptible d'être prononcée. Celle-ci doit être évaluée avec la plus
grande prudence, car il faut éviter que le juge de l'action pénale ne soit
incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider avec la
détention préventive à imputer (ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215; voir aussi
ATF 125 I 60 consid. 3d p. 64).

3.
A l'appui du recours de droit public, comme dans l'enquête pénale, le
recourant affirme n'avoir commis aucune des infractions qui lui sont
reprochées. L'ordonnance du 22 mars 2004 contient cependant l'énumération
détaillée de nombreux indices de culpabilité relevés par le Juge
d'instruction. Au regard de cet exposé et des exigences de l'art. 90 al. 1
let. b OJ, qui impose au plaideur d'indiquer au Tribunal fédéral quelle est
la garantie constitutionnelle tenue pour violée et en quoi consiste la
violation, il incombait au recourant de contester ces indices par une
argumentation topique et précise. L'affirmation précitée n'est pas suffisante
et le recours est donc irrecevable en tant qu'il met en doute la
justification des soupçons de culpabilité.
Pour le surplus, le recourant a déjà subi de nombreuses condamnations
consécutives à des escroqueries. Les personnes que les enquêteurs ont
interrogées au sujet de ses problèmes de vue ont déclaré qu'il n'avait aucune
difficulté à se déplacer et à lire des documents. Le dossier de l'enquête
contient un rapport d'expertise psychiatrique, établi notamment sur la base
d'un rapport de consultation neuro-ophtalmologique; d'après ce document, la
perte de vision imputable à un glaucome chronique est aggravée par des
facteurs psychologiques, de sorte que la fonction visuelle résiduelle du
recourant ne peut pas être quantifiée et se trouve certainement supérieure à
ce que lui-même cherche à faire croire. D'après le même rapport d'expertise,
il est très difficile au recourant de se situer comme sujet et homme
responsable, ce qui l'empêche de reconnaître ses actes et le conduit à tenter
toutes sortes de justifications; au regard de cette situation et à supposer
qu'il soit coupable, le risque de récidive doit être considéré comme très
élevé. Compte tenu, enfin, que le recourant n'a aucun revenu, les autorités
intimées retiennent à bon droit un risque de réitération.
Il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe aussi, conformément à
l'opinion de ces autorités, un risque de collusion. Dans l'hypothèse d'un
verdict de culpabilité, le recourant pourrait être condamné à une peine de
plusieurs années de réclusion; en l'état, le respect du principe de la
proportionnalité n'est donc pas compromis. Ainsi, la détention du recourant
se révèle compatible avec l'art. 31 al. 1 Cst.

4.
Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance
judiciaire à une partie à condition que celle-ci soit dans le besoin et que
ses conclusions ne paraissent pas d'emblée vouées à l'échec. En l'occurrence,
ces exigences peuvent être tenues pour satisfaites, de sorte que la demande
d'assistance judiciaire sera admise.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise et Me Jean-Pierre Bloch est
désigné en qualité d'avocat d'office du recourant.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'000 fr. à Me Bloch à
titre d'honoraires.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge
d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, au Procureur général du canton
de Vaud et au Tribunal cantonal de ce canton.

Lausanne, le 4 mai 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: