Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.214/2004
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1P.214/2004/col
Arrêt du 2 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant,

contre

B.________ SA,
SI C.________, D.________, E.________, F.________, G.________,
intimées, représentées par Me Guy Fontanet, avocat,
H.________, I.________ AG,
intimés, représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat,
J.________ SA,
intimée, représentée par Me Olivier Carrard, avocat,
L.________,
intimé, représenté par Me Nicolas Gagnebin, avocat,
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

saisie conservatoire,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation de la
Cour de justice du canton de Genève du 11 février 2004.

Faits:

A.
Dès février 2002, les autorités judiciaires genevoises ont été saisies de
plaintes pénales dirigées contre A.________ des chefs de faux dans les
titres, escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale et banqueroute
frauduleuse. Celui-ci est notamment soupçonné d'avoir remis en sous-location
des locaux auxquels il n'avait plus aucun droit et d'avoir détourné les
loyers encaissés, par le biais de diverses sociétés américaines, dont en
particulier la société O.________. Pour induire les sous-locataires en
erreur, il aurait présenté un bail principal falsifié et se serait prétendu
l'avocat des propriétaires.
Le 14 mars 2002, le Juge d'instruction du canton de Genève en charge du
dossier a ordonné une perquisition dans les bureaux de la succursale
genevoise de la société O.________ ainsi que la saisie conservatoire des
avoirs détenus par A.________ et par les sociétés dont il est
l'administrateur unique ou l'ayant droit économique, auprès de la banque
X.________, de la banque Y.________ et de La Poste, à Berne. Cette saisie a
également touché des tiers, dont la fille du prévenu, M.________, née le 2
février 1997.
Dans le cadre d'une demande de libération provisoire formée le 3 avril 2003,
A.________ a requis la libération des comptes bloqués et de ses cartes de
crédit. Il a réitéré sa demande par courrier du 8 mai 2003. Le 11 juillet
2003, il a demandé la levée de la saisie opérée sur le compte détenu par sa
fille auprès de la banque Y.________, au motif que les fonds virés sur ce
compte provenaient de son épouse et de sa belle-mère. Le 22 octobre 2003, il
a requis la levée partielle des saisies frappant les comptes de la société
O.________ afin de payer les frais de justice liés à une action en
responsabilité intentée le 8 octobre 2003 par cette société contre l'Etat de
Genève auprès du Tribunal de première instance du canton de Genève. Le 26
octobre 2003, il a sollicité la levée des saisies effectuées sur les comptes
de plusieurs sociétés qui n'étaient pas concernées par la procédure dirigée à
son encontre.
Par décision du 31 octobre 2003, le Juge d'instruction a refusé de lever la
saisie frappant le compte de M.________, au motif que l'origine et la
titularité des fonds en faveur de celle-ci n'étaient pas clairement
démontrées. Il a refusé de débloquer les fonds nécessaires à payer les frais
de justice relatifs à la succursale genevoise de la société O.________, dès
lors que les seuls fonds saisis sur un compte détenu par ladite société
étaient insuffisants à couvrir les montants dus.
Par acte du 10 novembre 2003, complété le 14 novembre 2003, A.________ a
recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre d'accusation du canton
de Genève (ci-après: la Chambre d'accusation ou la cour cantonale) et contre
"le silence prolongé" du Juge d'instruction relatif à ses requêtes de levée
de la saisie ordonnée le 14 mars 2002 sur divers comptes. Il concluait
principalement à la levée de la saisie opérée sur ses cartes de crédit et sur
les comptes qui ne font pas l'objet d'opérations relatives à la procédure,
dont il énumérait la liste, ainsi que sur tout autre compte, à l'exception de
celui utilisé dans le cadre des transactions concernant un immeuble
particulier. A titre subsidiaire, il sollicitait la levée partielle de la
saisie et l'autorisation de payer les avances de frais de justice et les
honoraires d'avocats pour la défense de ses intérêts et de ceux de la société
O.________ ainsi que les dettes de cette société, selon l'extrait des
poursuites. Le 17 novembre 2003, il a déposé un recours séparé par
l'entremise de son avocate d'office contre la décision du Juge d'instruction
du 31 octobre 2003 au terme duquel il conclut à la levée de la saisie du
compte détenu par sa fille auprès de la banque Y.________.
Par ordonnance du 11 février 2004, la Chambre d'accusation a rejeté, dans la
très faible mesure de sa recevabilité, le recours interjeté par A.________,
sous forme de trois actes séparés, contre la décision du Juge d'instruction
du 31 octobre 2003, en tant qu'il conclut au déblocage de ses cartes de
crédit et l'a déclaré irrecevable pour le surplus.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette décision et de lever la saisie pénale
conservatoire sur les comptes bancaires qui ne font pas l'objet d'opérations
relatives à la procédure en cours. Invoquant les art. 9, 10 al. 2, 29, 31, 32
Cst., 5 § 4 et 6 § 2 CEDH, il se plaint d'arbitraire, de déni de justice, de
détention illégale ainsi que d'une violation de son droit d'être entendu, de
la présomption d'innocence, du principe de proportionnalité et de la liberté
personnelle. Il requiert l'assistance judiciaire.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision.
L.________, B.________ SA, les SI C.________, D.________, E.________,
F.________, G.________, ainsi que H.________ et I.________ SA s'en remettent
à justice. Le Juge d'instruction et la société J.________ concluent au rejet
du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 337 consid. 1 p. 339;
129 II 453 consid. 2 p. 456).

1.1 La décision attaquée maintient les saisies opérées sur différents comptes
bancaires dont le recourant demandait la levée. Il ne s'agit pas d'une
confiscation définitive au sens des art. 58 et 59 CP, dont la violation
devrait être invoquée par la voie du pourvoi en nullité (art. 269 PPF; ATF
128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1c p. 101). Seul le recours de
droit public est en l'occurrence ouvert.

1.2 L'ordonnance de la Chambre d'accusation du 11 février 2004 ne met pas fin
à la procédure pénale dirigée contre A.________; elle revêt un caractère
incident en tant qu'elle porte sur les comptes bancaires détenus par le
recourant et sur ses cartes de crédit; une telle décision est de nature à
causer un dommage irréparable en tant qu'elle porte au droit de propriété de
l'intéressé une atteinte qui ne saurait être réparée par une décision finale
favorable (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 101 et les
arrêts cités); elle présente au surplus les traits d'une décision finale pour
le recourant en tant qu'elle lui dénie la qualité pour recourir contre le
refus de lever la saisie des comptes bancaires de sa fille et de diverses
sociétés dont il est l'administrateur unique ou l'ayant droit économique. Le
recours est ainsi recevable au regard de l'art. 87 OJ. Par ailleurs, il a été
interjeté dans le délai fixé à l'art. 89 al. 1 OJ, compte tenu des féries
judiciaires de Pâques (cf. art. 34 al. 1 let. a OJ).

1.3 L'objet du litige consistant exclusivement dans l'ordonnance de la
Chambre d'accusation du 11 février 2004, les griefs que le recourant fait
valoir en relation avec la légalité de sa détention préventive ou avec la
réalité des infractions qui lui sont reprochées sont hors de propos et sont,
partant, irrecevables. Il en va de même des arguments développés à l'égard de
la décision du Juge d'instruction du 31 octobre 2003 ou en réponse aux
observations des parties civiles à sa demande de levée de saisie du 11
juillet 2003. En outre, les conclusions du recours qui vont au-delà de
l'annulation de la décision attaquée sont incompatibles avec la nature
cassatoire du recours de droit public et sont, partant, irrecevables (ATF 129
I 173 consid. 1.5 p. 176).

2.
Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit, à peine
d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou
des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste la violation.
Lorsqu'il est saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a pas
à vérifier d'office si l'arrêt attaqué est en tous points conforme au droit
et à l'équité. Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués
et suffisamment motivés dans l'acte de recours. Par ailleurs, dans un recours
fondé sur l'art. 9 Cst., le recourant ne peut se contenter de critiquer
l'arrêt attaqué comme il le ferait dans une procédure d'appel où l'autorité
de recours peut revoir librement l'application du droit, mais il doit au
contraire préciser en quoi cet arrêt serait arbitraire, ne reposant sur aucun
motif sérieux et objectif, apparaissant insoutenable ou heurtant gravement le
sens de la justice (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 185 consid. 1.6 p. 189; 128
I 273 consid. 2.1 p. 275/276). Enfin, lorsque la décision attaquée repose sur
plusieurs motivations, indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes
suffisantes, le recourant doit, à peine d'irrecevabilité, démontrer que
chacune d'elles viole ses droits constitutionnels (ATF 121 I 1 consid. 5a p.
10; 121 IV 94 consid. 1b p. 95 et les arrêts cités). C'est à la lumière de
ces principes qu'il convient d'examiner les griefs articulés par le
recourant.

3.
La Chambre d'accusation a considéré que le recours interjeté par A.________
personnellement à l'encontre de la décision du Juge d'instruction du 31
octobre 2003 ne répondait pas aux exigences de forme posées à l'art. 192 al.
1 du Code de procédure pénale genevois (CPP gen.) et qu'il était de ce fait
irrecevable. Elle a estimé au surplus que le recours était matériellement
irrecevable en tant que ses conclusions tendaient à la levée de la saisie de
comptes dont l'intéressé n'était pas le titulaire. La cour cantonale s'est
ainsi fondée sur une double motivation pour déclarer le recours irrecevable
en tant qu'il était dirigé contre le refus de procéder à la levée des saisies
frappant les comptes des sociétés dont A.________ est l'administrateur unique
ou l'ayant droit économique. Or, celui-ci n'attaque ni l'une ni l'autre dans
les formes requises par l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Il se borne à faire valoir
que la saisie conservatoire ordonnée par le Juge d'instruction le 14 mars
2002 et confirmée le 31 octobre 2003 porterait sur des comptes bancaires qui
n'ont aucune relation avec les infractions qui lui sont reprochées sans
chercher à démontrer en quoi il était arbitraire de ne pas entrer en matière
sur son recours pour des questions liées à la motivation insuffisante de
celui-ci ou à l'absence d'intérêt à recourir. Sur ce point, le recours est
irrecevable.
La Chambre d'accusation a par ailleurs considéré que le recours de A.________
était matériellement irrecevable en tant qu'il était dirigé contre le refus
de lever la saisie du compte de M.________, étant donné que seule cette
dernière était concernée par la mesure litigieuse et était susceptible d'être
lésée. Le recourant se borne également à prétendre sur ce point qu'en tant
que représentant légal de sa fille mineure, il serait habilité à recourir au
nom de celle-ci pour contester le bien-fondé de la saisie frappant le compte
dont elle est titulaire auprès de la banque Y.________, sans chercher à
démontrer en quoi il serait arbitraire de subordonner la qualité pour
recourir contre une telle mesure à l'existence d'un préjudice matériel (cf.
ATF 114 Ia 381). Le recours ne répond pas plus sur ce point aux exigences de
motivation déduites de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.
S'agissant des deux comptes bloqués dont A.________ est titulaire, la Chambre
d'accusation a considéré que le Juge d'instruction n'avait pas fait preuve
d'un silence prolongé ou d'un refus de statuer sans droit au sens de l'art.
190 al. 1 in fine CPP gen. dans la mesure où le recourant n'avait
formellement sollicité la levée de la saisie les concernant que le 10
novembre 2003. Ici encore, on cherche en vain dans le mémoire de recours une
argumentation en relation avec la motivation retenue visant à établir en quoi
celle-ci serait insoutenable.
Enfin, si la cour cantonale a reconnu que le Juge d'instruction n'avait
effectivement pas répondu aux requêtes de A.________ visant à débloquer ses
cartes de crédit, elle a estimé le recours mal fondé sur ce point au motif
qu'il ne ressortait pas du dossier que ces pièces auraient fait l'objet d'une
quelconque saisie. Le recourant ne prétend pas que l'ordonnance attaquée
reposerait sur une constatation arbitraire des faits ni que la motivation
retenue était insoutenable ou impropre à entraîner le rejet de son recours.

4.
Le recourant demande au Tribunal fédéral de constater que la Chambre
d'accusation aurait violé la présomption d'innocence garantie aux art. 6 § 2
CEDH et 32 al. 1 Cst. en le désignant comme coupable des infractions qui lui
sont reprochées. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence parue aux ATF
124 I 327. On cherche toutefois en vain dans l'ordonnance attaquée une
quelconque motivation ou tournure de phrase qui permettrait un tant soi peu
d'étayer les soupçons du recourant à cet égard. La cour cantonale s'est au
contraire attachée à expliquer les raisons pour lesquelles elle n'entrait pas
en matière sur le recours dont elle était saisie ou qu'elle l'écartait, sans
se prononcer, fût-ce de manière implicite, sur la culpabilité éventuelle du
recourant. Pour le surplus, en tant que ce grief s'adresse à d'autres
décisions prises par la Chambre d'accusation, voire par d'autres magistrats
ou autorités, il est exorbitant de l'objet du litige.

5.
Le recourant reproche enfin à la Chambre d'accusation d'avoir failli à
l'obligation de motiver ses décisions, telle qu'elle découle de l'art. 29 al.
2 Cst., en omettant d'indiquer les raisons pour lesquelles elle écartait les
pièces produites le 5 décembre 2003, censées établir la provenance licite des
fonds alimentant les comptes faisant l'objet d'une saisie, et les arguments
développés dans sa prise de position du 18 décembre 2003. Dans la mesure
toutefois où elle n'entrait pas en matière sur le recours pour des motifs
formels, la cour cantonale n'avait pas à se prononcer sur la valeur probante
de ces pièces ni sur le bien-fondé matériel des séquestres.

6.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Celui-ci étant d'emblée dénué de toute chance de succès, la
requête d'assistance judiciaire doit être rejetée. Le recourant, qui
succombe, s'acquittera de l'émolument judiciaire (art. 153a et 156 al. 1 OJ);
il versera en outre une indemnité de dépens à la société J.________, qui a
déposé des observations par l'intermédiaire d'un mandataire professionnel
(art. 159 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens aux
autorités concernées et autres parties intimées qui s'en sont remises à
justice.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée à la société J.________, à titre de
dépens, à la charge du recourant.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Juge d'instruction,
au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 2 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: