Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.200/2004
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004


1P.200/2004 /col

Arrêt du 3 mai 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Jean-Claude Morisod,

contre

Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Tribunal cantonal du canton de Fribourg,
Chambre pénale, case postale 56, 1702 Fribourg.

Procédure d'indemnisation pour arrestation injustifiée

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de
Fribourg du 12 février 2004.

Faits:

A.
A. ________, nettoyeuse dans un cycle d'orientation de Fribourg, a été
interpellée le 26 novembre 2003 à 17h à Fribourg, en possession d'un natel
signalé volé et d'un porte-monnaie trouvé dans une salle de classe. Elle a
été placée en garde à vue jusqu'au lendemain à 14h 40.

B.
Le 23 décembre 2003, A.________ a déposé une requête d'indemnité auprès de la
Chambre pénale du Tribunal cantonal fribourgeois. Selon elle, aucune des
conditions posées pour une garde à vue n'était réalisée; elle se plaignait en
outre des traitements infligés par la police à cette occasion. Une indemnité
de 1000 fr. était requise, ainsi qu'une participation à ses frais d'avocat.
Par arrêt du 12 février 2004, la Chambre pénale a déclaré la demande
irrecevable. L'instruction ouverte pour vol, sur plainte du directeur du CO,
n'était pas encore terminée. Il appartenait au Juge d'instruction de rendre
une décision sur la suite de la procédure, et la requérante ne pourrait agir
qu'après notification de cette décision. Les frais de procédure, soit 282
fr., ont été mis à la charge de la requérante.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont
elle demande l'annulation. Elle soutient que l'un des juges de la Chambre
pénale, B.________, était l'auteur d'une plainte pénale pour le vol d'un
natel, et aurait dû se récuser. Elle se plaint de ce que le porte-monnaie ait
été laissé à dessein dans le but de la piéger, de sorte que les preuves
recueillies à ce sujet seraient illégales. Elle estime enfin qu'une décision
préalable de non-lieu ne serait pas exigée lorsque le requérant subit, comme
en l'occurrence, un préjudice important; dans le cas contraire, la cour
cantonale devait suspendre le traitement de la demande, et non la déclarer
irrecevable avec suite de frais. Une demande d'assistance judiciaire a été
déposée avec le recours.
La cour cantonale relève que la plainte pénale déposée par  B.________ l'a
été contre inconnu, qu'elle ne figurait pas au dossier qui lui a été soumis,
ni dans le rapport de dénonciation de la police. Le Ministère public a
renoncé à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué constate l'irrecevabilité d'une requête en indemnisation,
jugée prématurée. La recourante aura certes la possibilité de formuler une
nouvelle requête en temps utile, mais cela n'enlève pas à la décision
attaquée son caractère final. Le recours est formé en temps utile (art. 89
al. 1 OJ) et son auteur a manifestement qualité pour agir (art. 88 OJ). Le
recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire. La recourante ne saurait
par conséquent demander qu'il soit statué sur les frais et dépens de
l'instance cantonale.

2.
La recourante invoque les dispositions relatives au droit à un juge
indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH), ainsi que
l'art. 53 let. a OJ/FR, qui impose la récusation d'un magistrat intéressé au
jugement d'une affaire. Elle relève que l'un des membres de la Chambre
pénale, le juge B.________, aurait déposé au nom de sa fille une plainte
pénale "contre la recourante pour vol".

2.1 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par l'art. 6
par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst.
(la recourante ne soutient pas que les dispositions correspondantes du droit
cantonal de procédure auraient une portée plus large), permet au plaideur
d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de
nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle tend notamment à
éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le
jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la
récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car
une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que
les circonstances objectivement constatées (abstraction faite des impressions
purement subjectives) donnent l'apparence de la prévention et fassent
redouter une activité partiale du magistrat (ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122
et les arrêts cités). Un magistrat ne saurait en principe siéger lorsqu'un
litige l'oppose à l'une des parties qui se présentent devant lui (ATF 116 Ia
135 consid. 3c p. 141).

2.2 En l'occurrence, il ressort du dossier que le juge B.________ a
effectivement déposé, le 11 septembre 2003, une plainte pénale contre inconnu
pour le vol d'un natel dont sa fille avait été victime le 9 septembre
précédent au cycle d'orientation de Fribourg. La cour cantonale indique que
la plainte ne se trouvait pas dans le dossier qui lui a été remis, et qu'elle
ne figure pas non plus dans le rapport de dénonciation du 22 mars 2003. Il
semble ressortir d'une lettre du juge d'instruction du 8 avril 2004 que cette
pièce devait se trouver dans une partie du dossier non encore numérotée à
cette époque. On peut en déduire que la plainte pénale devait en définitive
être intégrée au dossier de la procédure dirigée contre la recourante. Elle
apparaît d'ailleurs en lien étroit avec les faits qui lui sont reprochés. Dès
lors, quand bien même la plainte ne figurait pas au dossier remis à la
Chambre pénale, le magistrat pouvait se rendre compte que les faits à
l'origine de la garde à vue étaient analogues à ceux qu'il avait dénoncés et
que sa plainte, bien que formée contre inconnu, mettait également en cause la
recourante. Dans ces circonstances, il existe une apparence de prévention qui
aurait dû conduire à la récusation du juge B.________.

3.
Le recours de droit public doit par conséquent être admis pour ce motif.
L'arrêt attaqué est annulé, sans qu'il y ait à examiner le mérite des
arguments soulevés sur le fond. La recourante, qui obtient gain de cause, a
droit à une indemnité de dépens, à la charge du canton de Fribourg. Cela rend
sans objet sa demande d'assistance judiciaire. Conformément à l'art. 156 al.
2 OJ, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Une indemnité de dépens de 1000 fr. est allouée à la recourante, à la charge
du canton de Fribourg. La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Ministère public et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton de
Fribourg.

Lausanne, le 3 mai 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: