Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.155/2004
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1P.155/2004 /col

Arrêt du 9 août 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

X. ________,
recourant,

contre

Grand Conseil du canton de Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, case postale
3970, 1211 Genève 3.

art.13 al. 2 Cst. et art. 29 Cst. (traitement de la correspondance adressée
au Grand Conseil),

recours de droit public contre la communication du Bureau du Grand Conseil du
3 mars 2004.

Faits:

A.
Le 12 février 2004, X.________ s'est adressé à la Sautière du Grand Conseil
genevois. Se prévalant de son droit à l'autodétermination en matière de
données personnelles, il demandait au Bureau du Grand Conseil (ci-après: le
Bureau) de "veiller à ce que ne soient pas diffusés des écrits, lettres,
pétitions et autres communications, qu'elles émanent de moi-même, de tiers ou
de tierces autorités, dès lors que mon identité y est reconnaissable, sauf à
m'avoir préalablement mis en mesure de faire valoir mes droits procéduraux et
régulièrement statué en suite de ma détermination". X.________ désirait en
outre savoir quelles diffusions de ce genre aurait déjà été effectuées.
Le 3 mars 2004, la Sautière a répondu que le Bureau du Grand Conseil décidait
de l'acheminement et de la diffusion de la correspondance adressée au Grand
Conseil. Destinataire de la lettre du 12 février 2004, il en décidait la
diffusion dans la correspondance du Grand Conseil, de même que la présente
réponse. Seules étaient reproduites au mémorial, et donc rendues publiques,
les correspondances lues en séance plénière. Tel n'était pas le cas des
correspondances adressées jusque-là par X.________.

B.
Par acte du 8 mars 2004, X.________ forme un recours de droit public contre
cette dernière communication, dont il demande l'annulation. Il soutient que
le Bureau était irrégulièrement composé, et que son droit d'être entendu
avait été violé. Le recourant demande l'effet suspensif à titre
superprovisoire, puis provisoire, dans le sens que l'échange de lettres
précité n'est pas porté à l'ordre du jour de la session des 11 et 12 mars
2004, et que toute diffusion de ces lettres est interdite. Le caviardage des
décisions provisionnelles rendues à ce sujet est également requis.
Par ordonnance présidentielle du 9 mars 2004, rendue sous forme non
caviardée, la demande de mesures provisionnelles a été rejetée, sur le vu des
assurances données par le Grand Conseil.
Le Grand Conseil conclut à l'irrecevabilité du recours, en estimant que
l'acte attaqué ne constitue pas une décision et ne lèse pas les intérêts du
recourant. Subsidiairement, il conclut au rejet du recours. Le recourant a
répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 84 al. 1 let. a OJ, le recours de droit public est
recevable contre une décision ou un arrêté cantonal pour violation des droits
constitutionnels des citoyens.

1.1  Le Grand Conseil conteste que la lettre du 3 mars 2004 puisse être
qualifiée de décision. Indiquant qu'aucune correspondance concernant le
recourant n'a été diffusée, cette lettre ne fait que rappeler une situation
de fait. L'indication selon laquelle la lettre du recourant serait remise aux
autres députés ne constituerait qu'une simple information quant à
l'acheminement du courrier adressé au Grand Conseil, sans portée juridique.
Seul un refus de transmettre la correspondance aux députés aurait le
caractère d'une décision. Le Grand Conseil conteste également l'intérêt
juridique du recourant à mettre en cause, de manière générale, la pratique
relative à l'acheminement et au traitement de la correspondance. En
s'adressant au Bureau, le recourant aurait consenti à ce que les députés
prennent connaissance de sa correspondance. L'identité du recourant serait
déjà connue du public, en raison de précédentes démarches dont les médias se
sont fait l'écho.

1.2  Le recours de droit public fondé sur l'art. 84 al. 1 let. a OJ n'est
recevable que contre une décision ou un arrêté cantonal. L'acte attaqué doit
émaner d'une autorité agissant en vertu de la puissance publique; il doit
affecter d'une manière quelconque la situation de l'individu, en lui imposant
une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer, ou régler d'une autre
manière obligatoire ses rapports avec l'Etat, soit sous la forme d'un arrêté
de portée générale, soit sous la forme d'une décision concrète (ATF 125 II 86
consid. 3a p. 93-94 et les arrêts cités). Sont considérées comme décisions
les mesures prises par les autorités dans des cas d'espèce ayant pour objet
de créer, modifier ou annuler des droits ou obligations, d'en constater
l'existence, l'inexistence ou l'étendue, ou de rejeter les demandes formées
dans ce sens (cf. art. 5 al. 1 PA). Ont un caractère décisionnel les actes
qui déterminent clairement les rapports juridiques, ceux qui font obstacle à
l'exercice d'une prétention, ou qui sont de nature à affaiblir la position
d'un administré en vue d'une procédure (Grisel, Droit administratif,
Neuchâtel 1982 p. 861-862). N'en ont pas, en revanche, les pures informations
et explications données à l'administré, l'acte par lequel une autorité se
réserve de prendre une décision, ou la réponse négative à une question dont
l'auteur conserve la faculté de demander une décision (idem, p. 862-863).
La condition d'une atteinte à des droits ou obligations est confirmée, en
matière de recours de droit public, par la règle de l'art. 88 OJ relative à
la qualité pour recourir. Seul possède cette qualité celui qui est atteint,
personnellement et directement, dans ses intérêts juridiquement protégés.
Conformément à l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant doit indiquer en quoi
consistent ces intérêts.

1.3  Selon l'art. 102 de la loi portant règlement du Grand Conseil (LRGC), le
Bureau examine la correspondance adressée au Grand Conseil et en décide
l'acheminement et la diffusion (al. 1). Si les termes d'une lettre sont
inadmissibles, elle peut, par décision du bureau, être renvoyée à son auteur
(al. 2). Sous le titre "procédure", l'art. 103 LRGC a la teneur suivante:
1 La liste de la correspondance reçue, indiquant son acheminement, est
distribuée aux députés au début de chaque session, ainsi qu'aux journalistes
accrédités. Copie de la correspondance est remise à chaque chef de groupe.
2 Chaque député peut demander copie de la correspondance.
3 Un député, appuyé par 10 collègues, peut demander qu'une lettre
figure intégralement au Mémorial.
[...]
5 Un député, appuyé par 20 collègues, peut demander la lecture d'une
lettre. [...]
Les attributions du Bureau du Grand Conseil sont précisées à l'art. 32 LRGC.
Il s'agit notamment de veiller à la régularité des travaux du Grand Conseil
et de ses commissions (let. a), et de représenter le Grand Conseil (let. b).

1.4  La réponse de la Sautière du Grand Conseil du 3 mars 2004 à la lettre du
recourant du 12 février précédent, comporte des aspects purement informatifs,
lorsque la teneur du droit cantonal est rappelée et qu'il est précisé au
recourant qu'aucune correspondance n'a été lue en séance du Grand Conseil.
Ces indications n'ont aucun caractère décisionnel.
Après avoir cité la teneur de l'art. 102 LRGC, le Bureau a également
communiqué au recourant que sa lettre du 12 février 2004 serait jointe à la
correspondance du Grand Conseil de la session des 11 et 12 mars 2004. Le
recourant en déduit que cette diffusion aura pour conséquence la révélation
de son identité à l'ensemble des députés et aux journalistes accrédités,
auxquels est distribuée la liste de la correspondance (art. 103 al. 1 LRGC),
avec le risque d'une publication au Mémorial (art. 103 al. 3 à 5 LRGC). Le
recourant ajoute que le libellé de l'art. 102 al. 1 LRGC démontrerait que le
Bureau a bien agi par voie de décision. On ne saurait toutefois s'arrêter à
une lecture purement littérale de cette disposition. Le pouvoir de décision
du Bureau apparaît en effet limité aux cas, mentionnés à l'al. 2 de l'art.
102 LRGC, des lettres contenant des termes inadmissibles. En dehors de tels
cas, le Bureau ne paraît pas avoir d'autre choix que de transmettre la
correspondance au Grand Conseil à qui elle est destinée. Dans les cas
ordinaires, le Bureau n'est ainsi qu'un organe d'acheminement, et l'acte
attaqué n'apparaît que comme un simple acte matériel de transmission. Cet
acte peut certes avoir une incidence sur les droits dont se prévaut le
recourant, mais cette incidence n'est pas attachée à l'acte lui-même: elle
est liée aux modalités de traitement de la correspondance par le Grand
Conseil. La démarche du recourant n'était d'ailleurs pas dénuée d'ambiguïté,
puisqu'elle tendait, de manière générale, à ce que l'ensemble des
communications sur lesquelles l'identité du recourant était "reconnaissable",
ne soient pas "diffusées". Le recourant ne faisait pas allusion à un document
particulier, et ne se prévalait de la protection des données que de manière
toute générale, sans invoquer de circonstances particulières. Adressée à un
fonctionnaire de l'administration, dépourvue d'objet et de motivation
spécifique, cette interpellation n'appelait qu'une réponse de nature
informative.
Le recourant ne soutient d'ailleurs pas que l'absence de pouvoir décisionnel,
qui ressort clairement de la réponse de la Direction des services du Grand
Conseil, procéderait d'une interprétation arbitraire du droit cantonal
applicable, ou porterait en soi atteinte à ses droits fondamentaux.

1.5  Selon l'art. 88 OJ, ont notamment qualité pour agir les particuliers
lésés par des arrêtés ou décisions qui les concernent personnellement. Le
recours de droit public n'est ainsi ouvert qu'à celui qui est atteint par
l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés; le
recours formé pour sauvegarder l'intérêt général ou de simples intérêts de
fait, est en revanche irrecevable (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44, 81 consid.
3b p. 85; 125 II 440 consid. 1c et les arrêts cités). Celui qui a acquiescé à
la décision entreprise, ou l'a provoquée, ne saurait se prévaloir d'un
intérêt juridiquement protégé. Cela découle de l'adage "volenti non fit
iniuria", voire également de l'interdiction de l'abus de droit et des
comportements contradictoires.
En l'occurrence, sous réserve du cas mentionné à l'art. 102 al. 2 LRGC, la
correspondance adressée au Grand Conseil lui est en principe automatiquement
acheminée. La prise de connaissance par les députés apparaît elle aussi comme
la conséquence légale, prévisible et logique, de tout envoi adressé à cette
autorité. En interpellant le Grand Conseil, par l'intermédiaire de son
Bureau, le recourant a lui-même rendu sa correspondance accessible aux
députés. La lettre du 12 février 2003 ne contenait aucune réserve expresse
quant à sa propre diffusion. A réception de la réponse de la Sautière, le
recourant  ne saurait, dans ces conditions, se plaindre de ce que sa
correspondance ait subi le traitement habituel. Par ailleurs, le recourant
invoque sur le fond les art. 8 et 13 CEDH, ainsi que l'art. 13 al. 2 Cst. Il
n'explique toutefois pas en quoi la lettre du 12 février 2004, et la réponse
de l'autorité, contiendraient des données personnelles justifiant une
restriction de diffusion. Le recourant se plaint certes d'une violation de
garanties formelles tels que le droit à une composition correcte de
l'autorité et le droit à une motivation suffisante; cela ne le dispense
toutefois pas de l'exigence d'un intérêt actuel et concret à l'annulation de
l'acte attaqué, et on ne voit pas en l'occurrence en quoi pourrait consister
cet intérêt.

2.
Le recours de droit public est par conséquent irrecevable. Conformément à
l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge du
recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1500 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au Grand Conseil du
canton de Genève.

Lausanne, le 9 août 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: