Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.130/2004
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1P.130/2004 /col

Arrêt du 6 avril 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.

A. ________,
recourante, représentée par Me Edmond C.M. de Braun, avocat,

contre

Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne,

Municipalité de la commune d'Epalinges,
1066 Epalinges, représentée par Me Denis Bettems, avocat.

retard injustifié,

recours de droit public contre le Tribunal administratif du canton de Vaud.

Faits:

A.
A. ________ est propriétaire, sur le territoire de la commune d'Epalinges,
d'un bâtiment dans lequel un café-restaurant est exploité. Le 12 décembre
2001, elle a adressé à la Municipalité de cette commune une demande de permis
de construire pour le "changement d'affectation d'une partie des locaux
situés au rez-de-chaussée du bâtiment existant (création d'un cabaret avec
attractions)". Le projet a été mis à l'enquête publique du 11 au 30 janvier
2002; il a suscité plusieurs oppositions. Par une décision du 6 février 2002,
la Municipalité a refusé de délivrer l'autorisation requise. Elle a invoqué
les "inconvénients majeurs" que provoquerait l'ouverture d'un cabaret à cet
endroit, dans une zone de villas.

B.
Le 27 février 2002, A.________ a recouru contre la décision municipale auprès
du Tribunal administratif du canton de Vaud. Elle concluait à l'annulation de
cette décision et au renvoi de l'affaire à la Municipalité afin qu'elle
accorde le permis de construire et transmette au besoin le dossier à la
police cantonale du commerce.
Le Juge instructeur du Tribunal administratif a invité la Municipalité, les
opposants, l'Office cantonal de la police du commerce et le Service cantonal
de l'environnement et de l'énergie à répondre au recours jusqu'au 4 avril
2002. Pour la Municipalité, ce délai a été prolongé au 6 mai 2002. Des
réponses ont été déposées.
Par une ordonnance du 6 août 2002, le Juge instructeur a informé les parties
qu'elles seraient "renseignées ultérieurement sur la suite de la procédure".

C.
Par lettres des 22 janvier 2003, 14 mars 2003, 5 novembre 2003, 13 janvier
2004 et 21 janvier 2004, A.________ a demandé au Tribunal administratif des
indications sur l'avancement de la procédure; elle a requis une décision
rapide dans cette affaire. Ces lettres n'ont pas reçu de réponse.

D.
Agissant le 27 février 2004 par la voie du recours de droit public pour déni
de justice formel, A.________ demande au Tribunal fédéral d'inviter le
Tribunal administratif à statuer dans les meilleurs délais sur son recours
déposé le 27 février 2002.
Le Tribunal administratif s'en remet à justice.
Invitée à répondre, la Municipalité propose l'admission du recours.

E.
Après le dépôt du recours de droit public, le Juge instructeur du Tribunal
administratif a cité les parties à une audience, le 12 mai 2004 à Epalinges.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Un refus de statuer, ou un retard injustifié à le faire, de la part de
l'autorité compétente en dernière instance cantonale, doit être assimilé à
une décision que les parties à la procédure cantonale peuvent contester par
la voie du recours de droit public pour violation de droits constitutionnels
des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ). La recourante, qui a introduit la
procédure devant le Tribunal administratif, a manifestement qualité pour
recourir (art. 88 OJ). Un recours de droit public dirigé contre l'inaction de
l'autorité n'est, de par sa nature même, pas soumis au délai de l'art. 89 OJ.
Il y a donc lieu d'entrer en matière.

2.
La recourante reproche au Tribunal administratif un retard injustifié à
statuer, et partant une violation de l'art. 29 al. 1 Cst. Elle n'a plus de
renseignements sur l'état de la procédure depuis le 6 août 2002. Or, pour
respecter le délai d'ordre de l'art. 57 al. 1 de la loi cantonale sur la
juridiction et la procédure administratives (LJPA), le Tribunal administratif
aurait dû rendre son arrêt à la fin du mois de février 2003 voire, à tout le
moins, traiter ensuite ce dossier de manière prioritaire, conformément à la
règle de l'art. 57 al. 4 LJPA.

2.1 Aux termes de l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une
procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit jugée dans un
délai raisonnable. Cette disposition consacre le principe de la célérité ou,
en d'autres termes, prohibe le retard injustifié à statuer. L'autorité viole
cette garantie constitutionnelle lorsqu'elle ne rend pas la décision qu'il
lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que
la nature de l'affaire ainsi que toutes les autres circonstances font
apparaître comme raisonnable. Il faut se fonder à ce propos sur des éléments
objectifs; entre autres critères sont notamment déterminants le degré de
complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt le litige pour l'intéressé ainsi
que le comportement de ce dernier et celui des autorités compétentes. La
durée du délai raisonnable n'est pas influencée par des circonstances
étrangères au problème à résoudre. Ainsi, une organisation déficiente ou une
surcharge structurelle ne peuvent pas justifier la lenteur excessive d'une
procédure car il appartient à l'Etat de donner aux autorités judiciaires les
moyens organisationnels et financiers suffisants pour garantir aux citoyens
une administration de la justice conforme au droit constitutionnel (cf., à
propos de l'art. 29 al. 1 Cst. et de la garantie correspondante déduite
auparavant de l'art. 4 al. 1 aCst.: ATF 125 V 188 consid. 2a p. 191, 373
consid. 2b/aa p. 375; 119 Ib 311 consid. 5b p. 325; 119 III 1 consid. 2 p. 3;
107 Ib 160 consid. 3c p. 165; 103 V 190 consid. 3c p. 195; cf. également ATF
124 I 139 consid. 2c p. 142).

2.2 Le délai d'une année pour instruire la cause et rendre l'arrêt, prévu par
le droit cantonal, est largement échu. La loi cantonale permet toutefois une
prolongation de ce délai "pour des raisons impératives", qui doivent alors
être exposées aux parties (art. 57 al. 3 LJPA); quoi qu'il en soit, en cas de
dépassement, le dossier doit être traité "de manière prioritaire" (art. 57
al. 4 LJPA). En l'occurrence, le Tribunal administratif n'a jamais fait état
de pareilles raisons impératives; le dossier ne donne aucun indice d'un
traitement prioritaire de l'affaire depuis la fin du mois de février 2003,
aucune mesure d'instruction n'ayant été ordonnée depuis l'enregistrement des
réponses des intimés jusqu'au dépôt du recours de droit public (la
convocation à l'audience du 12 mai 2004 est en effet postérieure à
l'ouverture de la présente procédure).
L'affaire n'est, à l'évidence, pas particulièrement complexe. Le Tribunal
administratif observe que les avocats des parties lui ont spontanément
adressé plusieurs lettres depuis la fin de l'échange d'écritures. On ne
saurait cependant voir dans ces lettres, précisant certains faits en raison
de l'évolution des circonstances ou sollicitant une décision sur des
réquisitions de mesures d'instruction, des procédés dilatoires. L'attitude
des parties n'est pas en cause. Le Tribunal administratif relève encore qu'un
poste de juge supplémentaire (poste à mi-temps) prévu par une récente
révision législative n'aurait pas encore été pourvu, pour des "motifs
d'économie". Il paraît ainsi faire le lien entre la gestion des ressources de
l'Etat, en matière d'organisation judiciaire, et la surcharge de la
juridiction administrative. Or, comme cela vient d'être exposé (supra,
consid. 2.1), un tel élément - pour autant qu'il puisse expliquer une
inaction déjà antérieure à l'augmentation, dans la loi, des effectifs du
Tribunal administratif - n'est pas de nature à rendre admissible, au regard
du droit constitutionnel fédéral, un retard à statuer que la nature de
l'affaire ne justifie pas.
Dans ces conditions, il faut donc considérer qu'en n'ayant toujours pas
statué sur les conclusions de la recourante plus de deux ans après
l'ouverture de la procédure, le Tribunal administratif a violé l'art. 29 al.
1 Cst.

2.3 Il s'ensuit que le recours de droit public doit être admis, le Tribunal
administratif devant être invité à statuer dans les meilleurs délais -
c'est-à-dire après avoir accompli les actes d'instruction encore nécessaires
- sur le recours formé contre la décision de la Municipalité.

3.
Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 153, 153a et 156 al. 1 et 2
OJ). L'Etat de Vaud aura à verser des dépens à la recourante, assistée d'un
avocat; la Municipalité n'a en revanche pas droit à des dépens (art. 159 al.
1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est admis et le Tribunal administratif du canton
de Vaud est invité à statuer dans les meilleurs délais sur le recours formé
le 27 février 2002 par A.________ contre la décision prise le 6 février 2002
par la Municipalité de la commune d'Epalinges, refusant de délivrer une
autorisation de changement partiel d'affectation d'un immeuble de la
recourante.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Une indemnité de 1'000 fr., à payer à la recourante à titre de dépens, est
mise à la charge de l'Etat de Vaud.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante et
de la Municipalité de la commune d'Epalinges ainsi qu'au Tribunal
administratif du canton de Vaud.

Lausanne, le 6 avril 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: