Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.89/2004
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1A.89/2004 /col

Arrêt du 10 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Zimmermann.

la société W.________,
la société R.________,
recourantes,
toutes deux représentées par Mes Bernhard Lötscher et Gian-Reto Schulthess,
avocats,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Fédération de
Russie,

recours de droit administratif contre l'ordonnance du  Ministère public de la
Confédération du 25 mars 2004.

Faits:

A.
Le 17 septembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a remis
aux autorités suisses une demande d'entraide établie le 15 août 2003 par le
juge d'instruction chargé des affaires de grande importance auprès du Parquet
général, Salavat Kounakbaéivitch Karimov. Fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à
Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la
Suisse et le 9 mars 2000 pour la Russie, la demande était présentée pour les
besoins de la procédure pénale ouverte contre le ressortissant russe
G.________, des chefs d'escroquerie, d'abus de confiance et d'insoumission à
une décision judiciaire, commis dans le cadre d'un groupe organisé. En tant
que dirigeant de la banque Menatep (ci-après: Menatep), G.________ se serait,
avec l'aide de Platon Leonidovitch Lebedev, approprié frauduleusement un lot
d'actions du capital de la société A.________, au détriment de l'Etat, afin
de prendre le contrôle de la société. G.________ aurait refusé de se
soumettre à l'injonction judiciaire de restituer le lot d'actions en
question. Entre 1994 et 2002, il aurait organisé avec ses comparses la vente,
par A.________ et des intermédiaires, de grandes quantités de concentré
d'apatite (phosphate de calcium utilisé comme engrais) aux sociétés suisses
F.________ et O.________, à un prix inférieur à celui du marché (de l'ordre
de 30 USD par tonne métrique). F.________ et O.________ auraient revendu
l'apatite à l'étranger, au prix du marché (de l'ordre de 40 à 78 USD par
tonne métrique). Les autorités requérantes soupçonnaient que les fonds ainsi
détournés avaient été blanchis en Suisse. La demande tendait à la remise de
la documentation concernant F.________ et O.________, à l'audition de leurs
dirigeants, à la saisie et à la remise de la documentation bancaire relative
aux opérations décrites, ainsi qu'à la détermination du sort des fonds.
Le 31 octobre 2003, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) a délégué au Ministère public de la Confédération l'exécution de la
demande, laquelle a été complétée à plusieurs reprises.
Le 14 novembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a précisé
qu'était aussi impliqué dans le blanchiment des fonds Mikhail Borissovitch
Khodorkovski, fondateur du groupe Menatep. Celui-ci détenait la totalité du
capital-actions de plusieurs sociétés mêlées à l'affaire. Il était signalé
également que Menatep était titulaire de différents comptes bancaires, à
Genève et Zurich.
Selon le complément du 18 novembre 2003, Khodorkovski avait été inculpé, dans
le même contexte de faits, pour escroquerie, abus de confiance, insoumission
à une décision judiciaire, appropriation, soustraction d'impôt et faux dans
les titres, commis dans le cadre d'un groupe organisé. Khodorkovski aurait
dirigé l'opération consistant à mettre la main sur le capital de A.________,
ainsi que les ventes à F.________ et O.________. Avec Lebedev, Khodorkovski
aurait obtenu frauduleusement des subventions pour un montant total de
407'120'540,28 RUR. Pour le blanchiment des fonds provenant des opérations
délictueuses mises à la charge des prévenus, ceux-ci se seraient servis de
sociétés dépendant de Menatep, parmi lesquelles  Yukos Universal Ltd
(ci-après: Yukos), active dans la production et le commerce du pétrole. La
demande tendait à la saisie de la documentation relative à plusieurs comptes
détenus par les différentes sociétés contrôlées par Menatep et Yukos, dont
R.________, ainsi que par les personnes physiques associées aux affaires de
Khodorkovski, dont NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________.
Le 12 mars 2004, l'autorité requérante a demandé qu'un représentant du
Parquet général soit autorisé à participer à l'exécution des actes
d'entraide. Elle a également produit une ordonnance rendue le 12 mars 2004
par le juge pour le district de Basmany de la ville de Moscou. Des actions
civiles avaient été formées devant ce tribunal pour obtenir de Khodorkovski
et consorts le paiement d'un montant total de 127'000'000'000 RUR, en
relation avec l'appropriation des actions de A.________. A titre de
garanties, le juge a ordonné la saisie des fonds déposés sur tous les comptes
détenus par les prévenus et les sociétés impliquées, dont R.________ ainsi
que par plusieurs tiers, auprès de divers établissements bancaires en Suisse.
Selon le complément du 19 mars 2004, Yukos aurait vendu à des sociétés
qu'elle contrôlait du pétrole et des produits dérivés à des prix inférieurs à
celui du marché. Les destinataires auraient revendu ces produits à leur prix
véritable. Le butin, correspondant à la différence de prix, aurait été
blanchi en Suisse. Au complément était jointe une décision rendue le 18 mars
2004 par le juge pour le district de Basmany, ordonnant le séquestre de
comptes ouverts en Suisse, pour les besoins de la procédure pénale en cours.
Le 25 mars 2004, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en matière
ordonnant le séquestre des comptes n°hhh et iii ouverts auprès de la banque
U.________ par la société W.________ et par R.________ (ch. 2 du dispositif).
Sur ces comptes ont été saisis des avoirs d'une valeur de 8249,16 USD et de
3'029'672'637 USD.

B.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, W.________ et
R.________ demandent principalement au Tribunal fédéral de lever le séquestre
de leurs comptes. A titre subsidiaire, elles requièrent la levée partielle du
séquestre, à différentes fins. Elles invoquent les art. 2, 18, 28 et 74a de
la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars
1981 (EIMP; RS 351.1), ainsi que le principe de la proportionnalité.
Le Ministère public et l'Office fédéral proposent de rejeter le recours dans
la mesure où il est recevable.
Invitées à répliquer, les recourantes ont maintenu leurs conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Au regard de l'art. 37 al. 3 OJ, l'arrêt devrait en principe être rédigé dans
la langue de la décision attaquée, soit l'allemand. Il se justifie toutefois
de déroger à cette règle et de statuer en français, car la plupart des actes
relatifs aux recours formés à propos de la demande sont rédigés dans cette
langue. Des raisons d'économie et de cohérence plaident pour cette solution.
Au demeurant, les recourantes, qui ne parlent aucun idiome particulier, n'en
subissent aucun dommage. Quant aux avocats suisses, ils sont censés connaître
les langues officielles de la Confédération (cf. consid. 1a non publié de
l'ATF 126 II 258).

2.
La Confédération suisse et la Fédération de Russie sont toutes deux parties à
la CEEJ. Peut également s'appliquer en l'occurrence la Convention européenne
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime (CBl; RS 0.311.53), entrée en vigueur le 1er septembre 1993
pour la Suisse et le 1er décembre 2001 pour la Russie. Les dispositions de
ces traités l'emportent sur le droit interne régissant la matière, soit
l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11), qui sont applicables
aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit
conventionnel, et lorsque le droit interne est plus favorable à l'entraide
que le traité (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142;
120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192; 118 Ib 269
consid. 1a p. 271, et les arrêts cités). Est réservé le respect des droits
fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617).

3.
Aux termes de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP, peuvent faire l'objet d'un
recours de droit administratif les décisions incidentes antérieures à la
décision de clôture, en cas de préjudice immédiat et irréparable découlant de
la saisie d'objets ou de valeurs. Il incombe au recourant d'indiquer, dans
l'acte de recours, en quoi consiste le dommage et de démontrer que celui-ci
ne serait pas réparé par un prononcé annulant, le cas échéant, la décision de
clôture à rendre ultérieurement. Quant au préjudice à prendre en
considération, il peut s'agir de l'impossibilité de satisfaire à des
obligations contractuelles échues (paiement de salaires, intérêts, impôts,
prétentions exigibles, etc.), du fait d'être exposé à des actes de poursuite
ou de faillite, ou la révocation d'une autorisation administrative, ou de
l'impossibilité de conclure des affaires sur le point d'aboutir. La seule
nécessité de faire face à des dépenses courantes ne suffit pas, en règle
générale, à rendre vraisemblable un préjudice immédiat et irréparable au sens
de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP (ATF 128 II 353 consid. 3 p. 354).

3.1 Les recourantes contestent ces exigences. Elles soutiennent que la notion
de dommage irréparable au sens de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP devrait être
interprétée conformément à l'art. 87 al. 2 OJ, à teneur duquel le recours de
droit public est recevable contre les décisions incidentes s'il peut en
résulter un dommage irréparable; or, selon la jurisprudence relative à l'art.
87 al. 2 OJ, le séquestre pénal cause au propriétaire des fonds saisis un
préjudice irréparable au sens de cette disposition (ATF 89 I 185 consid. 4 p.
187; 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 101, et les arrêts
cités; il convient de relever également qu'au regard de l'art. 45 PA mis en
relation avec l'art. 101 let. a OJ, il suffit que le recourant ait un intérêt
digne de protection à l'annulation ou à la modification de la décision de
séquestre pour que le recours de droit administratif soit recevable; ATF 129
II 183 consid. 3.2 p. 186/187, et les arrêts cités).

3.2 La thèse défendue par les recourantes (cf. aussi dans ce sens: Moreillon
(ed), Commentaire de l'entraide internationale en matière pénale, Bâle,
Genève, Munich, 2004, N.12 ad art. 80e EIMP; Maurice Harari/Corinne
Corminboeuf, EIMP révisée: considérations critiques sur quelques arrêts
récents, PJA 1999 p. 139ss, 146/147; cf. également Peter Popp, Grundzüge der
internationalen Rechtshilfe in Strafsachen, Bâle, 2001, N.547) doit être
rejetée (cf. ATF 128 II 353).
Le séquestre conservatoire de fonds est une mesure de contrainte (ATF 126 II
462 consid. 4b p. 464/465). La décision y relative est de nature incidente;
elle intervient après le prononcé de la décision d'entrée en matière (art.
80a EIMP) ou simultanément avec celle-ci, et avant la décision de clôture
(art. 80d EIMP). Elle est attaquable séparément de la décision de clôture,
pour autant qu'elle cause au détenteur un dommage immédiat et irréparable
(art. 80e let. b ch. 1 EIMP). Contrairement à ce que soutiennent les
recourantes, cette notion n'est pas la même que celle des art. 87 al. 2 OJ et
45 al. 1 PA. En premier lieu, le libellé de ces dispositions est différent.
Alors que les art. 87 al. 2 OJ et 45 al. 1 PA évoquent uniquement un
préjudice irréparable (soit celui que l'annulation de la décision contestée
ne réparerait pas), l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP ajoute à cette condition que
le dommage soit immédiat, c'est-à-dire imparable, ce dont il incombe au
recourant de fournir la démonstration (ATF 128 II 353). En deuxième lieu, les
exigences supplémentaires que pose l'art. 80e let. b EIMP par rapport à ce
qui prévaut dans le recours de droit public et le recours de droit
administratif ordinaire s'expliquent par les particularités de la procédure
d'entraide. La révision de l'EIMP de 1996 a notamment porté sur la
suppression de la double voie de recours qui permettait, sous l'empire de la
loi dans sa teneur originale de 1981, d'attaquer la décision d'entrée en
matière, puis la décision de clôture. Dès l'instant où le législateur a opté
pour la solution consistant à ouvrir la voie du recours uniquement contre la
décision de clôture et, conjointement avec elle, les décisions incidentes
antérieures (art. 80e let. a EIMP), le recours contre les décisions
incidentes antérieures a été logiquement exclu. Exceptionnellement toutefois,
le législateur a permis que soient entreprises avant la décision de clôture
notamment les décisions portant sur la saisie d'objets ou de valeurs (art.
80e let. b ch. 1 EIMP), pour autant qu'il en résulte un dommage immédiat et
irréparable. Cela montre bien qu'après avoir opté en faveur de la solution
consistant à ouvrir les voies de recours seulement à la fin de la procédure
d'entraide, le Parlement a néanmoins voulu réserver la possibilité
d'entreprendre les décisions de séquestre, mais seulement dans une mesure
très réduite (cf. le Message du 29 mars 1995, FF 1995 III p. 1ss, 13, et les
prises de position du Conseiller national Comby, BO 1995 CN p. 2645, et du
Conseiller aux Etats Küchler, BO 1996 CE p. 246). A défaut, chaque séquestre
pourrait faire l'objet d'un recours, ce qui irait à l'encontre de l'objectif
fondamental de la révision de 1996.

4.
R.________ est une société dont le capital est entièrement détenu par Yukos.
Celle-ci exploite plusieurs gisements pétrolifères dans des régions
inhospitalières de la Russie (notamment le Grand Nord). Afin d'assurer à ses
employés la possibilité de se réinstaller après leur retraite dans d'autres
régions de Russie, Yukos a mis sur pied, en 1999 et 2000, un projet intitulé
"Yukos Veteran Program". Celui-ci a consisté à transférer environ 10% du
capital social de Yukos à R.________. Les bénéficiaires, soit les personnes
ayant travaillé au moins dix ans au service de Yukos à compter du 1er janvier
1999 et dont la demande a été agréée, reçoivent le produit de la vente d'une
part déterminée des actions de Yukos.

W. ________ est une société des Iles anglo-normandes. Le 25 avril 2001, Yukos
a passé un accord ("Appointment of Custodian Trustee") avec W.________, en
confiant à celle-ci comme "Trustee" le mandat de gérer les fonds confiés à
R.________, selon des modalités et des procédures définies.

W. ________ est titulaire du compte n°hhh et R.________ du compte n°iii.
Selon le formulaire ("A") joint aux documents d'ouverture, Khodorkovski,
Lebedev, G.________, NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________,
sont les ayants droit de ces comptes. Les avoirs saisis sur le compte n°iii
se décomposent en 223'699'175 actions de Yukos, d'une valeur de 2'863'339'709
USD, et d'un montant de 166'332'709 USD, correspondant aux dividendes
cumulés. Compte tenu des liens étroits unissant W.________ à R.________,
l'une étant la gérante de l'autre, il convient de considérer globalement la
situation des deux comptes. Au titre du dommage irréparable, les recourantes
font valoir que la saisie de leurs comptes paralyserait leur activité et les
empêcherait de faire fonctionner le fonds de retraite qu'elles gèrent. En
particulier, il leur serait impossible de vendre les actions de Yukos au fur
et à mesure des besoins des bénéficiaires du fonds, selon les règles fixées.
En outre, W.________ ne pourrait plus obtenir de R.________ le remboursement
de ses frais de gestion, selon ce qui est prévu à l'art. 8 de l'accord du 25
avril 2001. Enfin, les recourantes ne disposeraient plus des moyens
nécessaires pour la défense de leurs intérêts, en Russie et en Suisse.
A première vue, de telles allégations ne sont pas suffisantes pour démontrer
l'existence d'un dommage irréparable au sens de la jurisprudence qui vient
d'être rappelée. Les recourantes qui se fondent erronément sur le principe
que le dommage irréparable au sens de l'art. 80e let. b EIMP doit être
interprété dans le même sens que l'art. 87 al. 2 OJ (cf. consid. 3
ci-dessus), ne font pas état d'obligations contractuelles échues ou d'autres
besoins immédiats auxquels elles devraient faire face. Cela étant, il
convient de prendre en compte la particularité du cas. Il est constant que le
but des recourantes est de gérer un fonds assimilable à une institution de
prévoyance sociale. Les avoirs déposés sur les comptes des recourantes sont
destinés à financer le capital de départ auquel ont droit les bénéficiaires
du fonds, selon des modalités définies de manière précise dans l'accord du 21
avril 2001. Cela exige une gestion suivie, attentive et soigneuse. Même si
aucune prestation ne devrait être fournie avant 2005, cela ne signifie pas
que dans l'intervalle le fonds pourrait être laissé en sommeil. Il n'est pas
envisageable, comme semble le faire le Ministère public, de paralyser
indéfiniment la gestion du fonds, quitte à lever ponctuellement le séquestre
pour libérer les avoirs nécessaires au paiement de prestations individuelles,
au fur et à mesure des requêtes des bénéficiaires. S'ajoute à cela que
W.________ n'est pas libre de disposer à sa guise des avoirs déposés (qu'il
s'agisse des actions ou des dividendes), puisque leur destination et
répartition sont réglées selon l'accord précité. Or, le séquestre
conservatoire vise uniquement à éviter que les personnes poursuivies dans
l'Etat requérant disposent de ce que l'on soupçonne être le produit du crime.
Un tel risque n'est pas démontré en l'espèce. Quant à la perspective d'une
remise ultérieure des fonds, en vue de leur confiscation ou restitution dans
l'Etat requérant (cf. art. 74a EIMP), elle paraît bien éloignée pour
justifier le séquestre.
En conclusion, eu égard à l'ensemble des circonstances spéciales du cas, la
condition du préjudice immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b
ch. 1 EIMP doit être tenue pour  remplie.

5.
Lorsqu'il entre en matière exceptionnellement sur un recours dirigé contre
une décision incidente, le Tribunal fédéral se borne à examiner le bien-fondé
de la mesure contestée. Il ne lui appartient pas de vérifier si la demande
doit être admise, point qui ne peut être résolu qu'avec le prononcé de la
décision de clôture (arrêt 1A.195/1999 du 29 septembre 1999, consid. 2e).
Lorsque la décision attaquée autorise la présence d'agents étrangers lors de
l'exécution de la demande d'entraide (art. 80e let. b ch. 2 EIMP), l'intérêt
à prendre en compte est lié à la protection du principe de spécialité et à la
sauvegarde de la procédure d'entraide. Il s'agit d'éviter que l'autorité
étrangère ne prenne connaissance d'informations ou de renseignements avant
l'entrée en force de la décision de clôture, ou que ces informations ou
renseignements ne parviennent à une autorité étrangère non autorisée ou
conduisant une enquête pour les besoins de laquelle l'entraide ne peut être
accordée. Lorsque la décision attaquée porte, comme en l'espèce, sur la
saisie d'avoirs déposés sur un compte bancaire (art. 80e let. b ch. 1 EIMP),
l'intérêt à prendre en compte est lié au respect du principe de la
proportionnalité. Il s'agit d'éviter que le séquestre ne porte sur des fonds
étrangers à l'objet de la demande ou hors de proportion avec celui-ci. En
d'autres termes, l'autorité qui entre en matière sur la demande et, en
exécution de celle-ci, ordonne un séquestre, doit vérifier que cette mesure
de contrainte est réclamée par l'Etat requérant, qu'elle se trouve dans un
rapport suffisamment étroit avec les faits exposés dans la demande et qu'elle
n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à l'objet de celle-ci
(cf. arrêt 1A.86/2004 du 8 juin 2004, destiné à la publication).

6.
Selon la demande et ses compléments, les autorités requérantes ont
expressément demandé la remise des documents relatifs aux mouvements opérés
sur les comptes détenus ou contrôlés par Khodorkovski, Lebedev, G.________,
NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________, ainsi qu'à la saisie de
ces comptes. En rendant la décision attaquée, le Ministère public s'est
conformé à la mission confiée par l'Etat requérant, puisque Khodorkovski,
Lebedev, G.________, NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________
sont les ayants droit des comptes n°hhh et iii, selon le formulaire ("A")
joint aux documents d'ouverture. Il n'y a pas lieu d'approfondir en l'état le
point de savoir si les véritables détenteurs du compte sont les bénéficiaires
du fonds de pension.

7.
A l'instar de ce qui prévaut pour les mesures provisoires, le prononcé d'une
décision incidente portant sur la saisie de fonds est possible même si, à ce
stade de la procédure, toutes les conditions d'octroi de l'entraide ne sont
pas encore remplies; une mesure de contrainte, tel qu'un séquestre, n'est
refusée que si les prétentions de l'Etat requérant sont manifestement mal
fondées (cf. ATF 123 II 268 consid. 4b/dd p. 276/277, et 116 Ib 96 consid. 3a
p. 99-101, concernant l'art. 18 EIMP).
De la demande et de ses compléments, il ne ressort pas que les recourantes
auraient joué un rôle quelconque dans les opérations qui sont à l'origine de
la demande - soit l'acquisition frauduleuse du capital-actions de A.________,
ainsi que la vente d'engrais et de pétrole à des sociétés suisses dominées
par Menatep, à un prix trop bas. Les autorités russes soupçonnent que les
comptes des recourantes pourraient avoir servi au blanchiment du produit des
infractions mises à la charge de Khodorkovski et consorts, raison pour
laquelle elles réclament la documentation y relative et la saisie des fonds.
A ce propos, les recourantes exposent que les avoirs saisis proviennent des
actions remises par Yukos à R.________ et du produit des dividendes. Cette
affirmation mérite d'être vérifiée. Il conviendra notamment d'éclaircir
l'origine exacte des fonds. En l'état, les conditions d'une remise de la
documentation relative aux comptes n°hhh et iii ne sont manifestement pas
réunies. Faute d'indications à ce propos, l'autorité requise se trouve en
effet dans l'impossibilité de déterminer, même de la manière la plus ténue,
en quoi les fonds saisis représenteraient le produit des opérations liées à
l'acquisition de A.________ ou à la vente d'engrais et de pétrole. Or, si la
demande étrangère présentée pour les besoins de la répression de faits de
blanchiment ne doit pas nécessairement contenir la preuve de la commission de
ce délit ou de l'infraction principale, et souffre de se limiter à faire état
de transactions suspectes (ATF 129 II 97), l'Etat requérant ne peut cependant
se contenter de produire une simple liste de personnes recherchées et des
montants détournés; il lui faut joindre des éléments propres à démontrer, au
moins à première vue, que les comptes dont le séquestre est demandé ont
effectivement servi au transfert des fonds dont on soupçonne l'origine
délictueuse (ATF 126 II 258, consid. 3a non publié; 125 II 356 consid. 6a non
publié; cf. par exemple l'arrêt 1A.267/2003 du 14 janvier 2004). Le dossier
ne contient aucun élément suffisant sur ce point. Il appartiendra au
Ministère public d'inviter l'Etat requérant à remédier au défaut qui affecte
la demande. La question de savoir si le séquestre pourrait être maintenu dans
l'intervalle ne se pose pas en l'occurrence, car la mesure contestée doit de
toute manière être levée au regard du principe de la proportionnalité
(consid. 8 ci-dessous).

8.
Selon ce principe qui s'applique à tous les stades de la procédure
d'entraide, l'étendue du séquestre doit rester en rapport avec le produit de
l'infraction poursuivie. Cette exigence résulte également de l'art. 27 par. 2
CBl, à teneur duquel lorsqu'une demande de mesures provisoires vise la saisie
d'un bien qui pourrait faire l'objet d'une décision de confiscation
consistant en l'obligation de payer une somme d'argent, cette demande doit
aussi indiquer la somme maximale que l'on cherche à récupérer sur ce bien.
La décision de saisie rendue le 12 mars 2004 par le juge du district de
Basmany indique que le dommage subi à raison des manoeuvres frauduleuses
entourant l'acquisition du capital de A.________ auraient causé un dommage de
283'142'000 USD. Dans le même contexte de fait, des plaignants auraient émis
des prétentions civiles pour un montant total de 127'000'000'000 RUR, qui se
rapproche du montant total des séquestres ordonnés en Suisse par le Ministère
public, soit 6'200'000'000 CHF environ. La demande et ses compléments ne
contiennent toutefois aucun élément permettant de déterminer, même de manière
minimale, la cause, la nature et l'étendue d'un dommage aussi considérable,
qui serait de nature à justifier le prononcé du séquestre contesté. En outre,
il est impossible en l'état de préciser à quelle part du dommage allégué se
rapportent les avoirs saisis sur les comptes n°hhh et iii.
Bien fondé à cet égard, le recours doit être admis et le ch. 2 du dispositif
de la décision attaquée annulé. Il n'est pas exclu, de prime abord, que le
Ministère public puisse prendre ultérieurement une autre mesure de
contrainte. Cela présupposerait toutefois que les incertitudes relatives à
l'exposé des faits poursuivis soient dissipées.

9.
Il est statué sans frais (art. 156 OJ). Le Ministère public versera aux
recourantes une indemnité à titre de dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et le chiffre 2 du dispositif de la décision attaquée
annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le Ministère public de la Confédération versera aux recourantes une indemnité
de 5000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourantes et
au Ministère public de la Confédération, ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice (B 144 708).

Lausanne, le 10 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: