Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.88/2004
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1A.88/2004 /col

Arrêt du 11 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb, Féraud,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Zimmermann.

la société L.________,
la société D.________,
la société H.________,
recourantes,
toutes représentées par Me Horst Weber, avocat,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Fédération de
Russie,

recours de droit administratif contre l'ordonnance du Ministère public de la
Confédération du 25 mars 2004.

Faits:

A.
Le 17 septembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a remis
aux autorités suisses une demande d'entraide établie le 15 août 2003 par le
juge d'instruction chargé des affaires de grande importance auprès du Parquet
général, Salavat Kounakbaéivitch Karimov. Fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à
Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la
Suisse et le 9 mars 2000 pour la Russie, la demande était présentée pour les
besoins de la procédure pénale ouverte contre le ressortissant russe
G.________, des chefs d'escroquerie, d'abus de confiance et d'insoumission à
une décision judiciaire, commis dans le cadre d'un groupe organisé. En tant
que dirigeant de la banque Menatep (ci-après: Menatep), G.________ se serait,
avec l'aide de Platon Leonidovitch Lebedev, approprié frauduleusement un lot
d'actions du capital de la société A.________, au détriment de l'Etat, afin
de prendre le contrôle de la société. G.________ aurait refusé de se
soumettre à l'injonction judiciaire de restituer le lot d'actions en
question. Entre 1994 et 2002, il aurait organisé avec ses comparses la vente,
par A.________ et des intermédiaires, de grandes quantités de concentré
d'apatite (phosphate de calcium utilisé comme engrais) aux sociétés suisses
F.________ et O.________, à un prix inférieur à celui du marché (de l'ordre
de 30 USD par tonne métrique). F.________ et O.________ auraient revendu
l'apatite à l'étranger, au prix du marché (de l'ordre de 40 à 78 USD par
tonne métrique). Les autorités requérantes soupçonnaient que les fonds ainsi
détournés avaient été blanchis en Suisse. La demande tendait à la remise de
la documentation concernant F.________ et O.________, à l'audition de leurs
dirigeants, à la saisie et à la remise de la documentation bancaire relative
aux opérations décrites, ainsi qu'à la détermination du sort des fonds.
Le 31 octobre 2003, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) a délégué au Ministère public de la Confédération l'exécution de la
demande, laquelle a été complétée à plusieurs reprises.
Le 14 novembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a précisé
qu'était aussi impliqué dans le blanchiment des fonds Mikhail Borissovitch
Khodorkovski, fondateur du groupe Menatep. Celui-ci détenait la totalité du
capital-actions de plusieurs sociétés mêlées à l'affaire. Il était signalé
également que Menatep était titulaire de différents comptes bancaires, à
Genève et Zurich.
Selon le complément du 18 novembre 2003, Khodorkovski avait été inculpé, dans
le même contexte de faits, pour escroquerie, abus de confiance, insoumission
à une décision judiciaire, appropriation, soustraction d'impôt et faux dans
les titres, commis dans le cadre d'un groupe organisé. Khodorkovski aurait
dirigé l'opération consistant à mettre la main sur le capital de A.________,
ainsi que les ventes à F.________ et O.________. Avec Lebedev, Khodorkovski
aurait obtenu frauduleusement des subventions pour un montant total de
407'120'540,28 RUR. Pour le blanchiment des fonds provenant des opérations
délictueuses mises à la charge des prévenus, ceux-ci se seraient servis de
sociétés dépendant de Menatep, parmi lesquelles Yukos Universal Ltd
(ci-après: Yukos), active dans la production et le commerce du pétrole. La
demande tendait à la saisie de la documentation relative à plusieurs comptes
détenus par les différentes sociétés contrôlées par Menatep et Yukos, ainsi
que par les personnes physiques associées aux affaires de Khodorkovski, dont
NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________.
Le 12 mars 2004, l'autorité requérante a demandé qu'un représentant du
Parquet général soit autorisé à participer à l'exécution des actes
d'entraide. Elle a également produit une ordonnance rendue le 12 mars 2004
par le juge pour le district de Basmany de la ville de Moscou. Des actions
civiles avaient été formées devant ce tribunal pour obtenir de Khodorkovski
et consorts le paiement d'un montant total de 127'000'000'000 RUR, en
relation avec l'appropriation des actions de A.________. A titre de
garanties, le juge a ordonné la saisie des fonds déposés sur tous les comptes
détenus par les prévenus et les sociétés impliquées, ainsi que par plusieurs
tiers, auprès de divers établissements bancaires en Suisse.
Selon le complément du 19 mars 2004, Yukos aurait vendu à des sociétés
qu'elle contrôlait du pétrole et des produits dérivés à des prix inférieurs à
celui du marché. Les destinataires auraient revendu ces produits à leur prix
véritable. Le butin, correspondant à la différence de prix, aurait été
blanchi en Suisse. Au complément était jointe une décision rendue le 18 mars
2004 par le juge pour le district de Basmany, ordonnant le séquestre de
comptes ouverts en Suisse, pour les besoins de la procédure pénale en cours.
Le 25 mars 2004, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en matière
ordonnant le séquestre des comptes n°jjj, kkk et fff ouverts auprès de la
banque U.________ par les sociétés L.________, D.________ et H.________ (ch.
2 du dispositif). Sur ces comptes ont été saisis des montants de 810'281 USD,
560'378 USD et 26'116'826 USD.

B.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, L.________,
D.________ et H.________ demandent principalement au Tribunal fédéral
d'annuler le ch. 2 du dispositif de la décision du 25 mars 2004. A titre
subsidiaire, elles requièrent que l'octroi de l'entraide soit soumise à des
conditions. Elles invoquent les art. 2 et 28 de la loi fédérale sur
l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS
351.1), ainsi que le principe de la proportionnalité.
Le Ministère public et l'Office fédéral proposent de rejeter le recours dans
la mesure où il est recevable.
Invitées à répliquer, les recourantes ont maintenu leurs conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Au regard de l'art. 37 al. 3 OJ, l'arrêt devrait en principe être rédigé dans
la langue de la décision attaquée, soit l'allemand. Il se justifie toutefois
de déroger à cette règle et de statuer en français, car la plupart des actes
relatifs aux recours formés à propos de la demande d'entraide sont rédigés
dans cette langue. Des raisons d'économie et de cohérence plaident pour cette
solution. Au demeurant, les recourantes, qui ne parlent aucun idiome
particulier, n'en subissent aucun dommage. Quant aux avocats suisses, ils
sont censés connaître les langues officielles de la Confédération (cf.
consid. 1a non publié de l'ATF 126 II 258).

2.
La Confédération suisse et la Fédération de Russie sont toutes deux parties à
la CEEJ. Peut également s'appliquer en l'occurrence la Convention européenne
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime (CBl; RS 0.311.53), entrée en vigueur le 1er septembre 1993
pour la Suisse et le 1er décembre 2001 pour la Russie. Les dispositions de
ces traités l'emportent sur le droit interne régissant la matière, soit
l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11), qui sont applicables
aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit
conventionnel, et lorsque le droit interne est plus favorable à l'entraide
que le traité (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142;
120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192; 118 Ib 269
consid. 1a p. 271, et les arrêts cités). Est réservé le respect des droits
fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617).

3.
Aux termes de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP, peuvent faire l'objet d'un
recours de droit administratif les décisions incidentes antérieures à la
décision de clôture, en cas de préjudice immédiat et irréparable découlant de
la saisie d'objets ou de valeurs. Il incombe au recourant d'indiquer, dans
l'acte de recours, en quoi consiste le dommage et de démontrer que celui-ci
ne serait pas réparé par un prononcé annulant, le cas échéant, la décision de
clôture à rendre ultérieurement. Quant au préjudice à prendre en
considération, il peut s'agir de l'impossibilité de satisfaire à des
obligations contractuelles échues (paiement de salaires, intérêts, impôts,
prétentions exigibles, etc.), du fait d'être exposé à des actes de poursuite
ou de faillite, ou la révocation d'une autorisation administrative, ou de
l'impossibilité de conclure des affaires sur le point d'aboutir. La seule
nécessité de faire face à des dépenses courantes ne suffit pas, en règle
générale, à rendre vraisemblable un préjudice immédiat et irréparable au sens
de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP (ATF 128 II 353 consid. 3 p. 354). Il n'y a
pas lieu de se départir de cette jurisprudence malgré les critiques que lui
adressent les recourantes (cf. arrêt 1A.89/2004 rendu le 10 juin 2004).

4.
L.________ est titulaire du compte n°jjj, ouvert le 21 août 2003, D.________
du compte n°kkk, ouvert le 17 septembre 2003, et H.________ du compte n°fff,
ouvert le 22 août 2003. Khodorkovski, Lebedev, G.________, NN.________,
DD.________, BB.________ et CC.________ sont les ayants droit de ces comptes.
Les ressortissants russes SS.________ et PP.________ gèrent les comptes n°jjj
et kkk, avec le Français ZZ.________. Celui-ci gère le compte n°jjj avec le
ressortissant américain RR.________. SS.________, PP.________ et ZZ.________
dominent une société dénommée UU.________, laquelle a constitué les
recourantes pour le compte de Menatep. L.________ et D.________ servent à des
investissements financiers (hedge funds), H.________ à des investissements
industriels en Russie. Par un accord du 1er septembre 2003 (Administration
Services Agreement), L.________ et D.________ ont confié leur gestion
courante à une société dénommée AA.________ et la gestion de leurs
investissements à UU.________, selon des conventions des 29 août et 1er
octobre 2003 (Investment Management Agreement). H.________, a conclu, le 8
octobre 2003, un accord (Investment Agreement) avec TT.________,
ressortissant letton, et MM.________, ressortissant russe. Ceux-ci détiennent
une société russe active dans l'industrie cinématographique, dénommée
II.________. Selon cet accord, H.________ s'est engagée à financer la
création, par II.________, d'une chaîne de salles de cinéma en Russie (art.
2.1), pour un montant de 34'902'534 USD (art. 2.2), auquel il a été convenu
d'ajouter un montant de 5'194'932 USD pour le règlement de dettes à la charge
de II.________ (art. 3.2).
Au titre du dommage irréparable, les recourantes font valoir que la saisie de
leurs comptes les empêchera d'honorer leurs engagements à l'égard de tiers.
L.________ devrait payer à AA.________ et UU.________, au 15 avril 2004, le
montant de 6700,07 USD et 472'698,48 USD, D.________ les montants de 4'188,36
USD et 275'498,05 USD. Pour ce qui concerne H.________, les recourantes
exposent qu'entre le 5 septembre 2003 et le 27 février 2004, vingt versements
avaient été effectués en exécution du contrat avec II.________, pour un
montant total de 10'492'370 USD. Pour le solde, il était prévu de verser les
montants de 5'600'000 USD, 3'700'000 USD, 6'500'000 USD, 6'700'000 USD et
2'550'000 USD, par tranches mensuelles, d'avril à août 2004. Or, le séquestre
du compte n°fff rendrait impossible ces virements, avec la conséquence que
II.________ pourrait réclamer à H.________ la réparation du dommage ainsi
causé.
L'Office fédéral et le Ministère public objectent à cela qu'au regard des
montants à payer à UU.________, L.________ et D.________ devraient
certainement détenir d'autres avoirs que ceux saisis, ce qui les mettrait en
situation de faire face à leurs engagements. Pour le surplus, le Ministère
public doute que H.________ soit tenue de payer le solde du prêt consenti à
II.________ selon les échéances indiquées. En outre, selon l'avis de droit
produit par les recourantes elles-mêmes, H.________ serait en mesure de se
départir du contrat passé avec II.________.

4.1 L.________ et D.________ rétorquent n'avoir jamais contesté disposer
d'autres avoirs. Ceux-ci ne seraient toutefois pas réalisables à bref délai,
de sorte que les seuls fonds immédiatement disponibles seraient ceux saisis.
A ce propos, L.________ et D.________ soulignent que leurs avoirs sont
constitués de parts dans des fonds d'investissements, dont l'achat est
financé exclusivement par les montants saisis (cf. les Confidential Private
Placement Memorandum du 1er décembre 2003). L'examen des mouvements opérés
sur ceux-ci démontreraient que les fonds reçus de Menatep, pour un montant
total de l'ordre de 200'000'000 USD, avaient servi à l'acquisition de parts
de fonds. Or, celles-ci ne pourraient être réalisées à brève échéance, en
raison de clauses de blocage (lock-up periods). A cela s'ajouterait
l'obligation de payer les services de AA.________, pour une somme totale
actualisée de 603'864,08 USD, s'agissant de L.________ et de 1'274'956,21
USD, s'agissant de D.________.
Ces arguments ne sont pas déterminants. En premier lieu, l'affirmation selon
laquelle les parts que L.________ et D.________ détiennent dans des fonds de
placement ne seraient pas réalisables à brève échéance, est contestable. Les
recourantes ne produisent pas d'éléments, hormis la référence à une pratique
qu'elles décrivent comme usuelle, confirmant l'interdiction pour l'acquéreur
de se défaire de ses parts dans un délai prescrit. De même, les recourantes
ne démontrent pas que les montants dus à AA.________ (lesquels correspondent
à un cumul d'anciens honoraires) seraient immédiatement exigibles; les
documents y relatifs ne mentionnent pas de délai de paiement; ils n'évoquent
pas de possibles pénalités ou sanctions en cas de défaut.
Pour ce qui concerne L.________ et D.________, la condition du dommage
immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP n'est ainsi
pas remplie. Il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur le recours en tant
qu'il est formé par L.________ et D.________.

4.2 L'ampleur et le caractère obligatoire des engagements pris par H.________
à l'égard de II.________ ne sont pas contestables, sur le vu du contrat qui
les lie. De même, la destination finale de ces fonds est connue. Il suffit
pour cela de se référer à la décision prise le 20 décembre 2003 par la
direction de H.________, approuvant le plan des engagements pour 2004. Il
s'agit bien, pour H.________, de libérer un montant total de 29'200'000 USD
pour financer les projets de II.________. Quant à la possibilité pour
H.________ de se dégager de ses obligations, évoquée par le Ministère public,
elle paraît difficile à envisager, car le contrat du 8 octobre 2003 ne
l'évoque pas. Les considérations que font les parties à propos de l'avis de
droit établi le 1er avril 2004 par un avocat moscovite sont hors de propos.
En effet, ce document se rapporte à un autre contrat que celui liant
H.________ à II.________. En outre, les développements qu'il contient à
propos des règles du droit russe des contrats ne sont pas pertinents, puisque
le contrat est soumis au droit anglais et contient une clause arbitrale (art.
23.1 et 23.2). Cela étant, il ne fait guère de doutes que l'interruption par
H.________ des versements qu'elle s'est obligée à faire à II.________
l'expose à un procès civil.
Au regard de l'ensemble de ces circonstances, il convient d'admettre que le
séquestre du compte n°fff cause à H.________ un dommage immédiat et
irréparable au sens de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP.

5.
Lorsqu'il entre en matière exceptionnellement sur un recours dirigé contre
une décision incidente, le Tribunal fédéral se borne à examiner le bien-fondé
de la mesure contestée. Il ne lui appartient pas de vérifier si la demande
doit être admise, point qui ne peut être résolu qu'avec le prononcé de la
décision de clôture (arrêt 1A.195/1999 du 29 septembre 1999, consid. 2e).
Lorsque la décision attaquée autorise la présence d'agents étrangers lors de
l'exécution de la demande d'entraide (art. 80e let. b ch. 2 EIMP), l'intérêt
à prendre en compte est lié à la protection du principe de spécialité et à la
sauvegarde de la procédure d'entraide. Il s'agit d'éviter que l'autorité
étrangère ne prenne connaissance d'informations ou de renseignements avant
l'entrée en force de la décision de clôture, ou que ces informations ou
renseignements ne parviennent à une autorité étrangère non autorisée ou
conduisant une enquête pour les besoins de laquelle l'entraide ne peut être
accordée. Lorsque la décision attaquée porte, comme en l'espèce, sur la
saisie d'avoirs déposés sur un compte bancaire (art. 80e let. b ch. 1 EIMP),
l'intérêt à prendre en compte est lié au respect du principe de la
proportionnalité. Il s'agit d'éviter que le séquestre ne porte sur des fonds
étrangers à l'objet de la demande ou hors de proportion avec celui-ci. En
d'autres termes, l'autorité qui entre en matière sur la demande et, en
exécution de celle-ci, ordonne un séquestre, doit vérifier que cette mesure
de contrainte est réclamée par l'Etat requérant, qu'elle se trouve dans un
rapport suffisamment étroit avec les faits exposés dans la demande et qu'elle
n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à l'objet de celle-ci
(cf. arrêt 1A.86/2004 du 8 juin 2004, destiné à la publication).

6.
Selon la demande et ses compléments, les autorités requérantes ont
expressément demandé la remise des documents relatifs aux mouvements opérés
sur les comptes détenus ou contrôlés par Khodorkovski, Lebedev, G.________,
NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________, ainsi qu'à la saisie de
ces comptes. En rendant la décision attaquée, le Ministère public s'est
conformé à la mission confiée par l'Etat requérant, puisque Khodorkovski,
Lebedev, G.________, NN.________, DD.________, BB.________ et CC.________
sont les ayants droit des comptes n°jjj, kkk et fff, selon le formulaire
("A") joint aux documents d'ouverture.

7.
A l'instar de ce qui prévaut pour les mesures provisoires, le prononcé d'une
décision incidente portant sur la saisie de fonds est possible même si, à ce
stade de la procédure, toutes les conditions d'octroi de l'entraide ne sont
pas encore remplies; une mesure de contrainte, tel qu'un séquestre, n'est
refusée que si les prétentions de l'Etat requérant sont manifestement mal
fondées (cf. ATF 123 II 268 consid. 4b/dd p. 276/277, et 116 Ib 96 consid. 3a
p. 99-101, concernant l'art. 18 EIMP).
De la demande et de ses compléments, il ne ressort pas que les recourantes
auraient joué un rôle quelconque dans les opérations qui sont à l'origine de
la demande - soit l'acquisition frauduleuse du capital-actions de A.________,
ainsi que la vente d'engrais et de pétrole à des sociétés suisses dominées
par Menatep, à un prix trop bas. Les autorités russes soupçonnent que les
comptes des recourantes pourraient avoir servi au blanchiment du produit des
infractions mises à la charge de Khodorkovski et consorts, raison pour
laquelle elles réclament la documentation y relative et la saisie des fonds.
A ce propos, les recourantes exposent que Menatep a, le 3 septembre 2003,
souscrit des parts de H.________ pour le montant initial de 40'000'000 USD,
lequel proviendrait de dividendes versés par Yukos. Cette affirmation mérite
d'être vérifiée. Il conviendra notamment d'éclaircir l'origine exacte de ce
versement. En l'état, les conditions d'une remise de la documentation
relative au compte n°fff ne sont manifestement pas réunies. Faute
d'indications, l'autorité requise se trouve en effet dans l'impossibilité de
déterminer, même de la manière la plus ténue, en quoi les fonds saisis
représenteraient le produit des opérations liées à l'acquisition de
A.________ ou à la vente d'engrais et de pétrole. Or, si la demande étrangère
présentée pour les besoins de la répression de faits de blanchiment ne doit
pas nécessairement contenir la preuve de la commission de ce délit ou de
l'infraction principale, et souffre de se limiter à faire état de
transactions suspectes (ATF 129 II 97), l'Etat requérant ne peut cependant se
contenter de produire une simple liste de personnes recherchées et des
montants détournés; il lui faut joindre des éléments propres à démontrer, au
moins à première vue, que les comptes dont le séquestre est demandé ont
effectivement servi au transfert des fonds dont on soupçonne l'origine
délictueuse (ATF 126 II 258, consid. 3a non publié; 125 II 356 consid. 6a non
publié; cf. par exemple l'arrêt 1A.267/2003 du 14 janvier 2004). Le dossier
ne contient aucun élément suffisant à ce propos. Il appartiendra au Ministère
public d'inviter l'Etat requérant à remédier au défaut qui affecte la
demande. La question de savoir si le séquestre pourrait être maintenu dans
l'intervalle ne se pose pas en l'occurrence, car la mesure contestée doit de
toute manière être levée au regard du principe de la proportionnalité
(consid. 8 ci-dessous).

8.
Selon ce principe qui s'applique à tous les stades de la procédure
d'entraide, l'étendue du séquestre doit rester en rapport avec le produit de
l'infraction poursuivie. Cette exigence résulte également de l'art. 27 par. 2
CBl, à teneur duquel lorsqu'une demande de mesures provisoires vise la saisie
d'un bien qui pourrait faire l'objet d'une décision de confiscation
consistant en l'obligation de payer une somme d'argent, cette demande doit
aussi indiquer la somme maximale que l'on cherche à récupérer sur ce bien.
La décision de saisie rendue le 12 mars 2004 par le juge du district de
Basmany indique que le dommage subi à raison des manoeuvres frauduleuses
entourant l'acquisition du capital de A.________ auraient causé un dommage de
283'142'000 USD. Dans le même contexte de fait, des plaignants auraient émis
des prétentions civiles pour un montant total de 127'000'000'000 RUR, qui se
rapproche du montant total des séquestres ordonnés en Suisse par le Ministère
public, soit 6'200'000'000 CHF environ. La demande et ses compléments ne
contiennent toutefois aucun élément permettant de déterminer, même de manière
minimale, la cause, la nature et l'étendue d'un dommage aussi considérable,
qui serait de nature à justifier le prononcé du séquestre contesté. En outre,
il est impossible en l'état de préciser à quelle part du dommage allégué se
rapportent les avoirs saisis sur le compte n°fff.
Bien fondé à cet égard, le recours doit être admis et le ch. 2 du dispositif
de la décision attaquée annulé, en tant qu'il porte sur le séquestre du
compte n°fff. Il n'est pas exclu, de prime abord, que le Ministère public
puisse prendre ultérieurement une autre mesure de contrainte. Cela
présupposerait toutefois que les incertitudes relatives à l'exposé des faits
poursuivis soient dissipées.

9.
Le recours est admis partiellement. Le ch. 2 du dispositif de la décision
attaquée est annulé en tant qu'il porte sur le séquestre du compte n°fff. Le
recours est irrecevable pour le surplus. Les frais en sont mis à la charge
des recourantes, qui n'obtiennent que partiellement gain de cause (art. 156
OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis partiellement. Le chiffre 2 du dispositif de la décision
attaquée est annulé en tant qu'il porte sur le séquestre du compte n°fff. Le
recours est irrecevable pour le surplus.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des recourantes.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourantes, au
Ministère public de la Confédération et à l'Office fédéral de la justice (B
144 708).

Lausanne, le 11 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: