Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.82/2004
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1A.82/2004 /col

Arrêt du 9 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

la société M.________,
recourante, représentée par Mes Andreas Güngerich et Christian Witschi,
avocats,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Fédération de
Russie,

recours de droit administratif contre l'ordonnance du Ministère public de la
Confédération du 25 mars 2004.

Faits:

A.
Le 17 septembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a remis
aux autorités suisses une demande d'entraide établie le 15 août 2003 par le
juge d'instruction chargé des affaires de grande importance auprès du Parquet
général, Salavat Kounakbaéivitch Karimov. Fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à
Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la
Suisse et le 9 mars 2000 pour la Russie, la demande était présentée pour les
besoins de la procédure pénale ouverte contre le ressortissant russe
G.________, des chefs d'escroquerie, d'abus de confiance et d'insoumission à
une décision judiciaire, commis dans le cadre d'un groupe organisé. En tant
que dirigeant de la banque Menatep (ci-après: Menatep), G.________ se serait,
avec l'aide de Platon Leonidovitch Lebedev, approprié frauduleusement un lot
d'actions du capital de la société A.________, au détriment de l'Etat, afin
de prendre le contrôle de la société. G.________ aurait refusé de se
soumettre à l'injonction judiciaire de restituer le lot d'actions en
question. Entre 1994 et 2002, il aurait organisé avec ses comparses la vente,
par A.________ et des intermédiaires, de grandes quantités de concentré
d'apatite (phosphate de calcium utilisé comme engrais) à deux sociétés
suisses, à un prix inférieur à celui du marché. Ces sociétés auraient revendu
l'apatite à l'étranger, au prix du marché. Les autorités requérantes
soupçonnaient que les fonds ainsi détournés avaient été blanchis en Suisse.
La demande tendait à la remise de la documentation concernant les sociétés
impliquées, à l'audition de leurs dirigeants, à la saisie et à la remise de
la documentation bancaire relative aux opérations décrites, ainsi qu'à la
détermination du sort des fonds.
Le 31 octobre 2003, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office
fédéral) a délégué au Ministère public de la Confédération l'exécution de la
demande, laquelle a été complétée à plusieurs reprises.
Le 14 novembre 2003, le Parquet général de la Fédération de Russie a précisé
qu'était aussi impliqué dans le blanchiment des fonds Mikhail Borissovitch
Khodorkovski, fondateur du groupe Menatep. Celui-ci détenait la totalité du
capital-actions de plusieurs sociétés mêlées à l'affaire. Il était signalé
également que Menatep était titulaire de différents comptes bancaires, à
Genève et Zurich.
Selon le complément du 18 novembre 2003, Khodorkovski avait été inculpé, dans
le même contexte de faits, pour escroquerie, abus de confiance, insoumission
à une décision judiciaire, appropriation, soustraction d'impôt et faux dans
les titres, commis dans le cadre d'un groupe organisé. Khodorkovski aurait
dirigé l'opération consistant à mettre la main sur le capital de A.________.
Avec Lebedev, il aurait obtenu frauduleusement des subventions pour un
montant total de 407'120'540,28 RUR. Pour le blanchiment des fonds provenant
des opérations délictueuses mises à la charge des prévenus, ceux-ci se
seraient servis de sociétés dépendant de Menatep, parmi lesquelles Yukos
Universal Ltd (ci-après: Yukos), active dans la production et le commerce du
pétrole. La demande tendait à la saisie de la documentation relative à
plusieurs comptes détenus par les différentes sociétés contrôlées par Menatep
et Yukos, ainsi que par les personnes physiques associées aux affaires de
Khodorkovski, dont le ressortissant russe T.________.
Le 12 mars 2004, l'autorité requérante a demandé qu'un représentant du
Parquet général soit autorisé à participer à l'exécution des actes
d'entraide. Elle a également produit une ordonnance rendue le 12 mars 2004
par le juge pour le district de Basmany de la ville de Moscou, portant sur la
saisie des fonds déposés sur tous les comptes détenus par les personnes
morales et physiques impliquées, dont T.________.
Selon le complément du 19 mars 2004, Yukos aurait vendu à des sociétés
qu'elle contrôlait du pétrole et des produits dérivés à des prix inférieurs à
celui du marché. Les destinataires auraient revendu ces produits à leur prix
véritable. Le butin, correspondant à la différence de prix, aurait été
blanchi en Suisse. Au complément était jointe une décision rendue le 18 mars
2004 par le juge pour le district de Basmany, ordonnant le séquestre de
comptes ouverts en Suisse, pour les besoins de la procédure pénale en cours.
Ce complément mentionne que T.________ aurait participé au blanchiment du
produit des délits mis à la charge de Khodorkovski et de ses comparses.
Le 25 mars 2004, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en matière
ordonnant le séquestre du compte n°mmm détenu auprès de la banque U.________
par la société M.________ (ch. 2 du dispositif).

B.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, M.________  demande
au Tribunal fédéral d'annuler le ch. 2 du dispositif de la décision du 25
mars 2004 et d'inviter le Ministère public à restituer, respectivement ne pas
utiliser, les documents qui lui auraient été remis au sujet de ce compte.
Elle invoque les art. 9 et 74a de la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1), ainsi que
les normes du droit russe protégeant le secret de l'avocat.
Le Ministère public et l'Office fédéral proposent de rejeter le recours dans
la mesure où il est recevable.
Invitée à répliquer, la recourante a maintenu sa conclusion principale,
tendant à l'annulation du ch. 2 du dispositif de la décision attaquée.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Au regard de l'art. 37 al. 3 OJ, l'arrêt devrait en principe être rédigé dans
la langue de la décision attaquée, soit l'allemand. Il se justifie toutefois
de déroger à cette règle et de statuer en français, car la plupart des actes
relatifs aux recours formés à propos de la demande sont rédigés dans cette
langue. Des raisons d'économie et de cohérence plaident pour cette solution.
Au demeurant, la recourante, qui ne parle aucun idiome particulier, n'en
subit aucun dommage. Quant aux avocats suisses, ils sont censés connaître les
langues officielles de la Confédération (cf. consid. 1a non publié de l'ATF
126 II 258).

2.
Aux termes de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP, peuvent faire l'objet d'un
recours de droit administratif les décisions incidentes antérieures à la
décision de clôture, en cas de préjudice immédiat et irréparable découlant de
la saisie d'objets ou de valeurs. Il incombe au recourant d'indiquer, dans
l'acte de recours, en quoi consiste le dommage et de démontrer que celui-ci
ne serait pas réparé par un prononcé annulant, le cas échéant, la décision de
clôture à rendre ultérieurement. Quant au préjudice à prendre en
considération, il peut s'agir de l'impossibilité de satisfaire à des
obligations contractuelles échues (paiement de salaires, intérêts, impôts,
prétentions exigibles, etc.), du fait d'être exposé à des actes de poursuite
ou de faillite, ou la révocation d'une autorisation administrative, ou de
l'impossibilité de conclure des affaires sur le point d'aboutir. La seule
nécessité de faire face à des dépenses courantes ne suffit pas, en règle
générale, à rendre vraisemblable un préjudice immédiat et irréparable au sens
de l'art. 80e let. b ch. 1 EIMP (ATF 128 II 353 consid. 3 p. 354).

3.
La recourante est une société de droit suisse. Son capital social est détenu
par l'étude d'avocats russe XX.________, dont T.________ est l'un des
associés. La recourante fournit ses services à l'étude, notamment pour
l'encaissement d'honoraires dus par des clients de l'Europe occidentale.
T.________ dispose d'un permis d'établissement en Suisse et dirige les
activités de la recourante. Il détient une procuration sur le compte n°mmm.
Le montant saisi s'élève à 162'299,05 CHF.
Au titre du dommage irréparable, la recourante expose que les fonds saisis ne
proviennent pas des personnes physiques et morales impliquées dans les faits
poursuivis dans l'Etat requérant. Elle fait valoir en outre que la saisie de
son compte paralyse son activité économique, l'empêche de verser son salaire
à T.________, et compromet le fonctionnement de l'étude en Russie. Ces
arguments ne sont pas décisifs. Les obligations auxquelles se réfère la
recourante se rapportent à la marche courante des affaires. Le bilan des
actifs au 31 mars 2004 fait en outre état de papiers-valeurs, pour un montant
de 1'500'000 CHF. Enfin, la recourante ne semble pas avoir fait usage de la
faculté de demander au Ministère public la levée partielle du séquestre pour
honorer les engagements évoqués.

4.
Faute de dommage irréparable au sens de la jurisprudence qui vient d'être
rappelée, le recours est irrecevable au regard de l'art. 80e let. b ch. 1
EIMP. Les frais en sont mis à la charge de la recourante (art. 156 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante, au
Ministère public de la Confédération et à l'Office fédéral de la justice (B
144 708).

Lausanne, le 9 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: