Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.259/2004
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1A.259/2004 /fzc

Arrêt du 1er décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant, Fonjallaz
et Eusebio.
Greffier: M. Zimmermann.

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,

6. F.________,

7. G.________,

8. H.________,

9. I.________,

10. J.________,

11. K.__________,

12. L.__________,

13. M.________,

14. N.________,

15. O.________,

16. P.________,

17. Q.________,

18. R.________,

19. S.________,

20. T.________,

21. U.________,

22. V.________,

23. W.________,

24. X.________,

25. AA.________,

26. BB.________,

27. CC.________,

28. DD.________,

29. EE.________,

30. FF.________,

31. GG.________,
recourants,
tous représentés par Me Jean-Cédric Michel, avocat,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France - B xxx

recours de droit administratif contre l'ordonnance
de la Chambre d'accusation du canton de Genève
du 4 octobre 2004.

Faits:

A.
Le 6 février 2002, Y.________, Juge d'instruction auprès du Tribunal de
Grande instance de Paris, a présenté aux autorités suisses une demande
d'entraide pour les besoins de la procédure pénale conduite contre
Z.________, des chefs de complicité d'abus de biens sociaux et de recel de
biens sociaux. La demande tendait notamment à la saisie de la documentation
relative à des comptes ouverts auprès d'établissements bancaires.

L'exécution de la demande a été confiée au Juge d'instruction du canton de
Genève.

La demande a été complétée notamment le 10 septembre 2002, dans le but de
procéder à l'identification de comptes dont le dénommé A.________ serait le
détenteur ou l'ayant droit.

Le 23 février 2004, le Juge Y.________ a présenté une nouvelle demande
complémentaire. Il a demandé la remise de documents concernant des comptes
détenus ou dominés par A.________, ainsi que la saisie de ces comptes.

Le 4 juin 2004, le Juge Y.________ a requis de pouvoir participer au tri des
pièces saisies; il a pris l'engagement de ne pas utiliser les informations
recueillies dans ce cadre, avant la fin de la procédure.

Le 15 juin 2004, le Juge d'instruction genevois est entré en matière sur la
demande du 23 février 2004. Par une décision incidente séparée du même jour,
il a autorisé le Juge Y.________ à participer au tri des pièces saisies.

Le 4 octobre 2004, la Chambre d'accusation du canton de Genève a rejeté le
recours formé par A.________ et trente-et-un consorts contre cette dernière
décision en ce sens qu'il devait être fait interdiction au Juge Y.________ de
prendre des notes et d'utiliser les renseignements obtenus avant le prononcé
de la décision de clôture. La Chambre d'accusation a précisé en outre que le
tri devrait être effectué en présence du Juge d'instruction et des recourants
et que  ceux-ci disposeraient de l'occasion de se déterminer sur le sort des
pièces.

B.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ et
trente-et-un consorts demandent principalement au Tribunal fédéral d'annuler
la décision du 4 octobre 2004. A titre préalable, ils requièrent l'effet
suspensif.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision et s'en rapporte à justice
pour ce qui est de l'effet suspensif. Le Juge d'instruction conclut
principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet,
ainsi qu'au rejet de la demande d'effet suspensif. L'Office fédéral de la
justice propose de déclarer le recours irrecevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La Confédération suisse et la République française sont toutes deux parties à
la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS
0.351.1), conclue à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20
mars 1967 pour la Suisse et le 21 août 1967  pour la France, ainsi que par
l'accord bilatéral complétant cette Convention (ci-après: l'Accord
complémentaire; RS 0.351.934.92), conclu le 28 octobre 1996 et entré en
vigueur le 1er mai 2000. Les dispositions de ces traités l'emportent sur le
droit autonome qui régit la matière, soit la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1) et son
ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Celles-ci restent applicables aux
questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit
conventionnel, et lorsque le droit interne est plus favorable à l'entraide
que le traité (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142;
120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, et les arrêts cités).

2.
La décision attaquée porte sur la présence, au sens de l'art. 65a EIMP, du
Juge Y.________ lors de l'exécution de la demande d'entraide. Il s'agit d'une
décision incidente qui n'est attaquable, selon l'art. 80e let. b ch. 2 EIMP,
que si elle cause au détenteur des documents saisis un préjudice immédiat et
irréparable. Contrairement à ce que le libellé du texte légal laisse
supposer, l'autorisation accordée à des agents étrangers de participer à
l'exécution de la demande ne cause pas, ipso facto, un dommage immédiat et
irréparable au sens de l'art. 80e EIMP (ATF 128 II 211 consid. 2.1 p.
215/216, 353 consid. 3 p. 354). Il faut pour cela que la personne touchée
démontre que la mesure qu'elle critique lui cause un tel dommage et en quoi
l'annulation de la décision attaquée ne le réparerait pas (ATF 128 II 211
consid. 2.1 p. 215/216). En l'occurrence, un dommage immédiat et irréparable
n'est envisageable que dans le cas visé à l'art. 65a al. 3 EIMP, c'est-à-dire
celui où la présence de fonctionnaires étrangers aurait pour conséquence de
porter à la connaissance des autorités de l'Etat requérant des faits touchant
au domaine secret avant le prononcé d'une décision définitive sur l'octroi et
l'étendue de l'entraide.

L'art. 80e let. b ch. 2 EIMP doit être interprété à la lumière de l'art. 65a
al. 2 EIMP, à teneur duquel la présence de représentants de l'Etat requérant
peut être permise si cela facilite considérablement l'exécution de la demande
d'entraide ou la procédure pénale étrangère. Dans l'affirmative, l'art. VII
par. 1 de l'Accord complémentaire précise que l'Etat requis consent à cette
participation. Il ressort de cette formulation que la marge d'appréciation de
l'autorité d'exécution, déjà réduite malgré le caractère potestatif de l'art.
65 al. 2 EIMP, est limitée à l'empêchement de comportements abusifs de la
part de l'Etat requérant (arrêt 1A.235/2003 du 8 janvier 2004, consid. 3).

Tel n'est pas le cas en l'espèce. Il est légitime que le Juge Y.________
puisse participer à l'examen de la documentation volumineuse recueillie dans
le cadre de l'exécution de la demande, en présence des représentants des
recourants. Cette manière de faire simplifiera la tâche de l'autorité
d'exécution et permettra aussi aux recourants de faire valoir immédiatement
les motifs qui s'opposeraient, selon eux, à une remise simplifiée selon
l'art. 80c EIMP. Il leur sera en outre loisible d'exposer leurs arguments à
ce propos, avant le prononcé d'une éventuelle décision de clôture (cf. ATF
130 II 14).

Comme le prévoit la décision attaquée, l'intervention du Juge Y.________ ne
se fera pas sans contrôle, sans surveillance et sans but précis. Le Juge
d'instruction genevois conduira l'examen des pièces, lesquelles ne pourront
de toute manière être communiquées aux autorités de l'Etat requérant qu'après
la clôture de la procédure. Le 4 juin 2004, le Juge Y.________ a pris, au
demeurant, un engagement précis en ce sens.

L'argument des recourants selon lequel une partie des pièces saisies ne
pourrait être remise à l'Etat requérant, parce qu'allant au-delà de ce qui
serait nécessaire à la procédure étrangère, est prématuré en ce sens que
cette question ne pourra être tranchée qu'après le tri des pièces auquel
l'autorité d'exécution est précisément tenue de faire avant le prononcé de la
décision de clôture. Les précautions prises par la Chambre d'accusation et
l'engagement précis du Juge Y.________ pallient tout danger à cet égard.

Dans sa réponse du 22 novembre 2004, l'Office fédéral suggère au Tribunal
fédéral de réformer la décision attaquée dans un sens défavorable aux
recourants - comme il peut le faire - en précisant qu'il serait loisible de
laisser, du moins dans un premier temps, au Juge Y.________ la possibilité de
prendre connaissance de la documentation saisie hors de la présence de
l'autorité d'exécution. Cette question souffre de rester indécise en
l'occurrence, dès lors que le Juge d'instruction genevois, dans sa
détermination du 22 novembre 2004, n'a pas objecté sur ce point à la décision
attaquée.

3.
Faute de dommage immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b ch. 2
EIMP, le recours est irrecevable. Partant, la demande d'effet suspensif a
perdu son objet. Les frais sont mis à la charge des recourants (art. 156 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument de 5000 fr. est mis à la charge des recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des  recourants, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsi
qu'à l'Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales,
Section de l'entraide judiciaire internationale.

Lausanne, le 1er décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Juge présidant:  Le greffier: