Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.207/2004
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1A.207/2004 /col

Arrêt du 13 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb, Féraud, Fonjallaz
et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

Département fédéral de justice et police,
3003 Berne,
recourant,

contre

A.________,
intimée, représentée par Me Robert Assaël, avocat,
Instance d'indemnisation prévue par la loi fédérale sur l'aide aux victimes
d'infractions (LAVI) de la République et canton de Genève, c/o Hospice
général, cours de Rive 12, case postale 3360, 1211 Genève 3,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale
1956, 1211 Genève 1.

LAVI; frais d'avocat,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève
du 5 août 2004.

Faits:

A.
Par un arrêt rendu le 16 février 2000, la Cour correctionnelle avec jury de
la République et canton de Genève a condamné X.________ et Y.________ chacun
à la peine de trois ans d'emprisonnement, pour avoir participé à une
agression (art. 134 CP) au cours de laquelle B.________ avait trouvé la mort,
le 30 mars 1999 à Genève. X.________ et Y.________ ont en outre été condamnés
solidairement à verser à la partie civile A.________, veuve de B.________,
une indemnité de 30'000 fr. à titre de réparation du tort moral. Pour le
surplus, la Cour correctionnelle a réservé les droits de A.________ ainsi que
ceux des enfants C.________ et D.________, représentés par leur mère dans la
procédure pénale. Des dépens, par 3'000 fr., ont été alloués à la partie
civile, à la charge des deux condamnés, indemnité valant participation aux
honoraires d'avocat.

A. ________ était assistée durant la procédure pénale par son conseil de
choix, Me Robert Assaël, avocat à Genève.

B.
Le 30 mars 2001, A.________ et ses deux filles - toujours représentées par le
même avocat - ont adressé à l'Instance d'indemnisation prévue par la loi
fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (autorité cantonale, instituée
par un règlement du Conseil d'Etat du 11 août 1993, chargée d'appliquer les
art. 11 à 17 de la loi fédérale précitée [LAVI; RS 312.5]; ci-après:
l'instance LAVI), une requête tendant à l'octroi d'une indemnité à divers
titres (réparation du dommage matériel, perte de soutien, frais funéraires,
réparation morale, frais d'avocat). La demande a été précisée et complétée le
6 mai 2002. S'agissant du "dommage matériel en relation avec les honoraires,
frais et dépens", A.________ et ses enfants concluaient au paiement par
l'Etat de Genève de la somme de 29'875 fr., correspondant au montant de la
note d'honoraires du 29 mars 2001 établie par Me Assaël en tant que conseil
de la partie civile de l'ouverture de la procédure pénale jusqu'au jugement
de la Cour correctionnelle (26'875 fr.), montant auquel étaient ajoutés les
dépens alloués par ce tribunal (3'000 fr.).
L'instance LAVI a statué sur ces conclusions par plusieurs ordonnances
distinctes. La demande d'indemnisation pour les frais d'avocat a été traitée
dans une ordonnance du 11 mars 2004 (intitulée "ordonnance complémentaire").
Un montant de 11'990 fr. a été alloué à ce titre, comme "poste du dommage
résultant de l'infraction" (art. 11 ss LAVI). L'instance LAVI a appliqué le
tarif de l'assistance juridique (200 fr./heure pour un chef d'étude, 65
fr./heure pour un stagiaire), tout en retenant le nombre d'heures de travail
annoncé par l'avocat (58 heures pour le chef d'étude, 6 heures pour le
stagiaire).
Dans la même ordonnance, l'instance LAVI a fixé à 71'572,80 fr. l'indemnité
pour la perte de soutien et à 4'523 fr. l'indemnité pour les frais
funéraires. Une somme totale de 88'085,80 fr. a donc été allouée à A.________
"au titre de la réparation du préjudice".

C.
A.________ a recouru contre cette ordonnance auprès du Tribunal administratif
de la République et canton de Genève. Elle a contesté l'indemnisation des
frais d'avocat. Selon elle, les honoraires facturés auraient dû intégralement
être pris en considération. Elle demandait en outre l'allocation de dépens
pour la procédure devant l'instance LAVI puis la procédure cantonale de
recours.
Le Tribunal administratif a admis le recours par un arrêt rendu le 5 août
2004. Il a annulé l'ordonnance du 11 mars 2004 "en ce qu'elle a réduit la
note d'honoraires du 29 mars 2001 à 11'990 fr." puis a dit que A.________
avait "droit au montant total de la note d'honoraires d'avocat du 29 mars
2001". Le dossier a été renvoyé à l'instance LAVI pour décision sur les
dépens de la procédure de première instance. L'arrêt a été rendu sans frais
et l'Etat de Genève a été condamné à verser à la recourante une indemnité de
procédure de 1'500 fr.
Le Tribunal administratif a considéré qu'il n'était pas contesté que
A.________ avait besoin d'être assistée par un avocat, dans la procédure
pénale, pour la défense de ses droits ainsi que ceux de ses filles. Il a
aussi retenu que l'activité déployée par l'avocat (modalités d'intervention,
nombre d'heures) n'avait pas été discutée par l'instance LAVI. Comme
A.________ avait en principe droit, en raison de sa situation financière, à
la prise en charge intégrale du dommage subi (voir les critères de l'art. 3
de l'ordonnance sur l'aide aux victimes d'infractions [OAVI; RS 312.51]),
l'indemnisation devait correspondre au montant de la note d'honoraires. Le
Tribunal administratif s'est référé, sur ce point, à un arrêt non publié du
Tribunal fédéral (arrêt 1A.169/2001 du 7 février 2002, dame V. c. Genève).

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, le Département
fédéral de justice et police demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du
Tribunal administratif et de renvoyer l'affaire à cette juridiction pour
nouvelle décision. Il se plaint d'une violation du droit fédéral en faisant
principalement valoir que les art. 11 ss LAVI ne permettraient pas d'obtenir
le remboursement des frais d'avocat en tant que poste du dommage indemnisé
sur cette base. Si la victime d'une infraction a besoin de l'assistance d'un
avocat, cette prestation peut en revanche être prise en charge par un centre
de consultation, en application de l'art. 3 al. 4 LAVI, cela pour autant que
la situation personnelle de la victime le justifie. Ces prestations d'aide
immédiate ou à plus long terme devraient, selon le département fédéral, être
clairement distinguées de l'indemnisation selon les art. 11 ss LAVI. A titre
subsidiaire, le recourant soutient que si les frais d'avocat sont considérés
comme un poste du dommage, l'indemnisation selon les art. 11 ss LAVI ne
devrait pas permettre d'allouer à la victime un montant supérieur à celui qui
aurait été pris en charge en vertu de l'art. 3 al. 4 LAVI, en d'autres termes
au montant prévu par le tarif cantonal de l'assistance judiciaire.

A. ________ conclut au rejet du recours.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt.
L'instance LAVI déclare appuyer le recours de droit administratif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée, prise en dernière instance cantonale, est fondée sur le
droit public fédéral, en l'occurrence sur les art. 11 ss LAVI qui fixent les
conditions d'indemnisation des victimes d'infractions. Elle arrête de façon
définitive, au niveau cantonal, le montant de l'indemnisation pour les frais
d'avocat. Elle peut donc faire l'objet d'un recours de droit administratif
(art. 97 al. 1 OJ en relation avec l'art. 5 PA, art. 98 let. g OJ; cf. ATF
126 II 237 consid. 1a p. 239; 125 II 169 consid. 1 p. 171; 123 II 548 consid.
1b p. 550).
Le Département fédéral de justice et police, qui est le département compétent
en cette matière, a qualité pour recourir contre une décision prise en
dernière instance cantonale, conformément à l'art. 103 let. b OJ. L'exercice
de ce droit de recours n'est pas subordonné à l'existence d'un intérêt digne
de protection à l'annulation de la décision attaquée (cf. art. 103 let. a OJ,
pour le recours des particuliers) ni d'un autre intérêt public spécifique
(cf. ATF 129 II 11 consid. 1.1 p. 13; 128 II 193 consid. 1 p. 195; 123 II 425
consid. 2 p. 427). Les autres conditions de recevabilité énoncés aux art. 97
ss OJ sont manifestement satisfaites. Il y a lieu d'entrer en matière.

2.
Le département recourant conteste principalement que les frais d'avocat
puissent être remboursés au titre de l'indemnisation selon les art. 11 ss
LAVI car cette loi fédérale prévoit déjà la prise en charge de ces frais à un
autre titre (art. 3 al. 4 LAVI). A titre subsidiaire, il fait valoir qu'une
indemnisation pour ce poste du dommage ne devrait pas permettre d'allouer à
la victime un montant supérieur à celui qui serait octroyé en cas
d'application du régime de l'assistance judiciaire gratuite.

2.1 Aux termes de l'art. 11 al. 1 LAVI - premier article de la quatrième
section de la loi, intitulée "indemnisation et réparation morale" -, toute
victime d'une infraction commise en Suisse peut demander une indemnisation ou
une réparation morale dans le canton dans lequel l'infraction a été commise.
La qualité de victime de l'intimée, agissant pour elle-même et pour ses
filles, n'est pas mise en doute (cf. art. 2 LAVI). L'art. 12 al. 1 LAVI fixe
des conditions d'octroi de l'indemnité, en fonction des revenus de la
victime; la réalisation de ces conditions n'est en l'espèce pas contestée. La
première question soulevée par le recours est celle de savoir si les frais
d'avocat encourus par la victime peuvent constituer un poste du dommage à
indemniser dans ce cadre.
L'art. 13 al. 1 LAVI dispose que l'indemnité (au sens de l'art. 11 LAVI) est
fixée en fonction du montant du dommage et des revenus de la victime. Si les
revenus ne dépassent pas le montant supérieur destiné à la couverture des
besoins vitaux fixé dans la loi fédérale sur les prestations complémentaires
à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (LPC; RS 831.30),
l'indemnité couvrira intégralement le dommage; s'ils sont supérieurs à ce
montant, le montant de l'indemnité est réduit. L'art. 13 al. 2 LAVI prescrit
encore une réduction en cas de comportement fautif de la victime et l'art. 13
al. 3 LAVI prévoit un plafonnement des indemnités. Le principe de la
couverture intégrale du dommage était énoncé dans le message du Conseil
fédéral concernant le projet de LAVI (FF 1990 II 924; cf. ATF 123 II 425
consid. 4b/bb p. 431).
La notion juridique de dommage, dans cette loi, correspond en principe à
celle du droit de la responsabilité civile (ATF 129 II 49 consid. 4.3.2 p.
53). Dans ce cadre-là, peuvent constituer un élément ou un poste du dommage
les frais engagés par la victime pour la consultation d'un avocat, lorsque
celle-ci était nécessaire et adéquate pour défendre la cause en justice - en
particulier quand la victime agit en tant que partie civile dans la procédure
pénale, contre l'auteur de l'infraction -, pour autant toutefois que ces
frais n'aient pas été inclus dans les dépens (cf. notamment ATF 117 II 101
consid. 2 et 5 p. 104 et 106, 394 consid. 3a p. 395 et les arrêts cités;
arrêt 4C.51/2000 du 7 août 2000 in SJ 2001 I 153; Roland Brehm, Berner
Kommentar, vol. VI/1-3/1, Berne 1998, n. 88 ss ad art. 41 CO; Karl
Oftinger/Emil W. Stark, Schweizerisches Haftpflichtrecht, vol. I, 5e éd.
Zurich 1995, p. 79/80; Peter Gauch, Der Deliktanspruch des Geschädigten auf
Ersatz seiner Anwaltkosten, recht 1994 p. 189 ss, 197; Hugo Casanova, Die
Haftung der Parteien für Prozessuales Verhalten, thèse Fribourg 1982, p. 80).

2.2 Cela étant, le législateur fédéral n'a pas choisi de reprendre en tous
points, dans le système des art. 11 ss LAVI, le régime du droit de la
responsabilité civile. Cette procédure d'indemnisation distincte fondée sur
le droit public et financée par le budget de l'Etat est subsidiaire par
rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède
déjà (ATF 123 II 425 consid. 4b/bb p. 430). Des solutions spécifiques sont
donc possibles. La loi elle-même a fixé des conditions d'octroi en fonction
du revenu (art. 12 al. 1 LAVI), l'indemnisation pouvant être réduite au-delà
d'un certain niveau de ressources équivalant au minimum vital (art. 13 al. 1
LAVI; cf. Message du Conseil fédéral concernant le projet de LAVI, FF 1990 II
924). Il est aussi prévu un montant maximum pour les indemnités (100'000 fr.,
selon l'art. 4 al. 1 OAVI, adopté en application de l'art. 13 al. 3 LAVI). Au
regard des particularités de ce système d'indemnisation, le Tribunal fédéral
a relevé que le législateur n'avait en somme pas voulu assurer à la victime
une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi
(ATF 129 II 312 consid. 2.3 p. 315; 125 II 169 consid. 2b/aa p. 173-174).
Il y a donc lieu d'examiner si, compte tenu de ces caractéristiques du
système légal, le poste du dommage constitué par les frais d'avocat de la
partie civile peut être indemnisé au titre des art. 11 ss LAVI et, le cas
échéant, si une solution spécifique doit s'appliquer au calcul de cet élément
du dommage. Pour résoudre la première question, il faut d'abord analyser la
portée de l'art. 3 LAVI en matière d'assistance judiciaire.

2.3 Dans des dispositions précédant celles consacrées à la procédure
d'indemnisation et de réparation morale (art. 11 ss LAVI), la loi fédérale
prévoit que des conseils (titre de la section 2, en allemand: Beratung)
puissent être donnés aux victimes, dans des centres de consultation
(Beratungsstellen) institués par les cantons en application de l'art. 3 LAVI.
Aux termes de l'art. 3 al. 2 let. a LAVI, ces centres sont chargés en
particulier de fournir à la victime, eux-mêmes ou en faisant appel à des
tiers, une aide médicale, psychologique, sociale, matérielle et juridique.
Certaines prestations sont fournies directement par les centres de
consultation, à titre d'aide immédiate, et sont gratuites (art. 3 al. 4, 1ère
phrase LAVI). En vertu de l'art. 3 al. 4, 2e phrase LAVI, d'autres frais sont
pris en charge par ces centres, comme les frais médicaux, les frais d'avocat
et les frais de procédure, dans la mesure où la situation personnelle de la
victime le justifie (aide à plus long terme).
Indépendamment de la LAVI, lorsque la victime entend intervenir comme partie
civile dans la procédure pénale ouverte contre l'auteur de l'infraction, elle
peut demander l'assistance judiciaire gratuite - en particulier la
désignation d'un avocat d'office - en se prévalant de la réglementation du
droit cantonal de procédure à ce sujet, voire directement des garanties
minimales de l'art. 29 al. 3 Cst. D'après la jurisprudence du Tribunal
fédéral, ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'on applique l'art. 3 al. 4 LAVI,
s'agissant de la désignation d'un avocat et de la prise en charge des frais
de défense. Lorsque l'assistance judiciaire est octroyée à la victime, une
intervention étatique fondée sur l'art. 3 al. 4 LAVI ne se justifie plus. En
revanche, lorsque la victime n'obtient pas l'assistance judiciaire gratuite -
y compris la désignation d'un avocat d'office - selon le droit cantonal, il
appartient au centre de consultation d'examiner si sa situation personnelle
justifie le remboursement des frais d'avocat (ATF 123 II 548 consid. 2a p.
551; 122 II 315 consid. 4c/bb p. 324; 121 II 209 consid. 3b p. 212). La prise
en charge de ces frais sur la base de l'art. 3 al. 4 LAVI, qui requiert une
appréciation de la "situation personnelle de la victime", n'est pas
nécessairement soumise à des conditions aussi restrictives que l'octroi de
l'assistance judiciaire gratuite, notamment quant au caractère décisif des
ressources de l'intéressé (cf. ATF 122 II 315 consid. 4c/bb p. 324; Eva
Weishaupt, Finanzielle Ansprüche nach Opferhilfegesetz, RSJ 98/2002 p. 352;
Piermarco Zen-Ruffinen, Article 4 Cst. féd.: Le point sur l'évolution de la
jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'assistance judiciaire, in: De
la Constitution, Etudes en l'honneur de Jean-François Aubert, Bâle 1996 p.
701).

2.4 Il ressort du dossier que l'intimée a demandé en vain l'assistance
judiciaire gratuite sur la base du droit cantonal (cf. art. 143A de la loi
cantonale sur l'organisation judiciaire). Elle n'allègue pas avoir requis
ensuite directement du centre de consultation, avant l'issue de la procédure
pénale, la prise en charge de ses frais d'avocat. Elle a en revanche, après
le jugement pénal, demandé le remboursement de ces frais au titre de
l'indemnisation du dommage selon les art. 11 ss LAVI.

2.4.1 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif se réfère, à propos de
ces questions, à un arrêt non publié du Tribunal fédéral, l'arrêt 1A.169/2001
du 7 février 2002. Dans un arrêt antérieur, le Tribunal fédéral avait
considéré que les frais visés par l'art. 3 al. 4, 2e phrase LAVI - frais
médicaux, frais d'avocat, frais de procédure - pouvaient également constituer
un poste du dommage couvert par l'indemnité de l'art. 12 LAVI, si les
conditions d'octroi prévues par cette disposition étaient réalisées (ATF 126
II 228 consid. 2c/bb p. 234). Auparavant, s'agissant de frais d'assistance,
il avait aussi jugé que leur prise en charge pouvait être considérée soit
comme une aide au sens de l'art. 3 LAVI, soit comme une indemnité au sens des
art. 11 ss LAVI (ATF 125 II 230 consid. 2d p. 234). Pour les frais d'avocat
qui n'ont pas déjà été pris en charge ou remboursés, l'arrêt 1A.169/2001 ne
remet pas en cause ces principes et admet donc qu'ils puissent être couverts
au titre des art. 11 ss LAVI (cf. notamment consid. 2.3 et 3 dudit arrêt).
Certes, après un refus de l'assistance judiciaire, la victime diligente
devrait en principe s'adresser immédiatement au centre de consultation, afin
que la question de l'application de l'art. 3 al. 4 LAVI soit résolue
d'emblée. On ne saurait toutefois déduire de l'absence d'une telle démarche
la péremption du droit au remboursement des frais d'avocat dans le cadre des
art. 11 ss LAVI; tout au plus la victime prend-elle alors le risque d'engager
des frais dont elle n'obtiendra pas nécessairement le remboursement (cf.
arrêt 1A.169/2001, consid. 2.3).
2.4.2 La solution selon laquelle les frais d'avocat peuvent constituer un
poste du dommage indemnisé sur la base des art. 11 ss LAVI n'est pas discutée
en doctrine. Un auteur, résumant la jurisprudence au sujet de
l'indemnisation, se borne à signaler que cette solution a été retenue dans
l'arrêt 1A.169/2001 du 7 février 2002 (Cédric Mizel, La qualité de victime
LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, JdT 2003 IV 76). Un
autre auteur admet qu'une provision soit accordée à la victime pour la
couverture de ses frais d'avocat, en application de l'art. 15 LAVI qui fait
partie des dispositions de la section 4 de la loi sur l'indemnisation et la
réparation morale; cela va donc dans le sens de la solution ci-dessus (Peter
Gomm, Einzelfragen bei der Ausrichtung von Entschädigung und Genugtuung nach
dem Opferhilfegesetz, in: Solothurner Festgabe zum Schweizerischen
Juristentag 1998, p. 677).

2.4.3 Dans son recours de droit administratif, le département fédéral formule
certaines objections à l'encontre de cette solution. Il remarque que si les
frais d'avocat sont indemnisés au titre des art. 11 ss LAVI, ils sont payés
par le canton du lieu de commission de l'infraction (art. 11 al. 1 LAVI),
tandis que dans le cadre de l'art. 3 al. 4 LAVI, ils sont pris en charge par
le centre de consultation choisi par la victime (art. 3 al. 5 LAVI),
éventuellement dans un autre canton. Cet élément n'est pas pertinent pour
limiter, le cas échéant, les prestations auxquelles peut prétendre la
victime. Quoi qu'il en soit, comme cela a déjà été relevé (cf. supra, consid.
2.4.1), la victime qui ne s'adresse pas d'emblée au centre de consultation
mais attend la procédure d'indemnisation pour demander le remboursement de
frais d'avocat qu'elle a déjà engagés, prend un risque financier; elle a donc
en règle générale un intérêt à solliciter leur prise en charge immédiate au
titre de l'art. 3 al. 4 LAVI.
Le département fédéral relève encore que, compte tenu du plafond de 100'000
fr. (art. 4 al. 1 OAVI - cf. supra, consid. 2.2), une partie non négligeable
de l'indemnité risquerait d'être absorbée par la couverture des frais
d'avocat, au détriment des autres besoins essentiels de la victime (perte de
gain, perte de soutien). Or, comme cela sera exposé plus bas (consid. 2.5),
l'indemnisation des frais d'avocat au titre des art. 11 ss LAVI est limitée
et elle ne correspond en principe pas au montant des honoraires facturés
selon le tarif ordinaire. Par ailleurs, c'est bien parce que le risque évoqué
par le département fédéral existe que la victime est censée requérir de
manière prioritaire la prise en charge préalable de ses frais d'avocat par un
centre de consultation, dans le cadre de l'art. 3 al. 4 LAVI. Le système
légal permet donc de parer aux conséquences indésirables mentionnées dans le
recours.

2.4.4 En définitive, la victime doit être admise à faire valoir, dans le
cadre des art. 11 ss LAVI, des prétentions pour les différents postes du
dommage qui entreraient en considération selon l'art. 41 CO, en particulier
pour les frais d'avocat lorsque l'intervention du mandataire était nécessaire
et adéquate. Le système donne il est vrai la primauté à l'assistance
judiciaire gratuite, selon le droit cantonal, par rapport à la prise en
charge des frais selon l'art. 3 al. 4 LAVI. Cette prestation a elle-même un
caractère prioritaire par rapport à l'indemnisation selon les art. 11 ss
LAVI. Or l'éventualité de rembourser les frais d'avocat comme poste du
dommage à indemniser, en l'absence d'une prise en charge à un autre titre, ne
modifie en rien ces régimes de priorités et ne porte pas atteinte à la
cohérence du système.
Il s'ensuit que le Tribunal administratif n'a pas violé le droit fédéral en
admettant le principe de l'octroi, par l'instance LAVI, d'une indemnisation
pour les frais d'avocat de la victime intervenant comme partie civile dans la
procédure pénale contre l'auteur de l'infraction.

2.5 Le département fédéral fait alors valoir que l'indemnisation des frais
d'avocat au titre des art. 11 ss LAVI ne devrait pas permettre d'allouer à la
victime un montant supérieur à celui résultant d'une application du régime de
l'assistance judiciaire gratuite.

2.5.1 Cette solution était celle adoptée par l'instance LAVI dans le cas
particulier, qui avait décidé de rembourser les frais d'avocat au tarif
cantonal de l'assistance judiciaire. Or le Tribunal administratif a annulé
l'ordonnance de cette autorité au motif que pareille solution serait
contraire à la jurisprudence, ou plutôt parce que l'instance LAVI aurait fait
sur ce point une "lecture erronée" de l'arrêt du Tribunal fédéral 1A.169/2001
du 7 février 2002, déjà cité. La note d'honoraires (calculés au tarif
ordinaire) de l'avocat mandaté par la victime ne devrait pas être "réduite au
tarif de l'assistance juridique".
Si, dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a relevé que l'indemnisation de la
victime sur la base de l'art. 11 al. 1 LAVI couvrait en principe
"l'intégralité du dommage" résultant de l'infraction (consid. 2.3 de l'arrêt
1A.169/2001), et que la note d'honoraires "représentait a priori le montant
du dommage à prendre intégralement en considération dans le calcul de
l'indemnité, selon l'art. 13 al. 1 LAVI" (consid. 3.1), il a également fait
les considérations suivantes à propos des frais d'avocat: d'une part, il ne
serait guère conforme au système de la loi d'accorder à la victime le
paiement de ses frais d'avocat sur la base de l'art. 12 LAVI, alors que cela
ne serait pas justifié par sa "situation personnelle" au sens de l'art. 3 al.
4 LAVI (consid. 2.3); d'autre part, l'indemnisation des frais d'avocat ne
devrait en tout cas pas permettre d'obtenir plus que ce qui aurait été alloué
à la victime en vertu de l'art. 3 al. 4 LAVI, ce qui implique que l'on prenne
en compte les besoins de celle-ci (consid. 3.2). Contrairement à
l'interprétation du Tribunal administratif, ces considérants n'excluent pas,
en réalité, l'application d'une solution spécifique.

2.5.2 S'agissant de l'assistance d'un avocat, les prestations prises en
charge par un centre de consultation en application de l'art. 3 al. 4 LAVI
correspondent à celles qui seraient assurées dans le cadre de l'assistance
judiciaire gratuite selon le régime du droit cantonal ou les garanties
minimales de l'art. 29 al. 3 Cst. En d'autres termes, la victime ne peut pas
prétendre à des prestations plus étendues (ATF 121 II 209 consid. 3b p. 212;
cf. Weishaupt, op. cit., p. 352). On peut en déduire que l'avocat intervenant
dans ce cadre sera généralement rémunéré au tarif de l'assistance judiciaire
gratuite; à tout le moins, une telle solution ne serait pas contraire au
droit fédéral.
Comme cela a déjà été relevé (supra, consid. 2.3), la prise en charge des
frais d'avocat au titre de l'art. 3 al. 4 LAVI est subsidiaire à l'octroi de
l'assistance judiciaire selon le droit cantonal (gratuité de la procédure,
désignation d'un défenseur d'office) et le remboursement de ces frais au
titre de l'indemnisation selon les art. 11 ss LAVI a un caractère encore plus
subsidiaire. Il se justifie donc d'adopter, dans ce cadre, une solution
spécifique. La cohérence du système veut que la victime - ou son mandataire -
n'obtienne pas, par le biais de l'indemnisation a posteriori, un
dédommagement plus important que si les solutions prévues à titre prioritaire
avaient été choisies. C'est bien ce que le Tribunal fédéral a en définitive
considéré dans l'arrêt 1A.169/2001 du 7 février 2002 car c'est le résultat
auquel il est alors parvenu en confirmant une décision de la juridiction
cantonale ayant appliqué les règles sur la rémunération du défenseur
d'office. L'indemnisation pour le poste du dommage "frais d'avocat" peut en
effet être limitée, sans violation des art. 11 ss LAVI, au montant qui aurait
été alloué en application du tarif de l'assistance judiciaire. Cette
solution, spécifique au régime de la LAVI et s'écartant donc dans une
certaine mesure des règles du droit de la responsabilité civile, tient compte
de la nature du système d'indemnisation de cette loi fédérale (cf. supra,
consid. 2.2).
2.6 Dans le cas particulier, le Tribunal administratif a fait une
interprétation erronée des art. 11 ss LAVI en considérant que ces
dispositions imposaient le remboursement intégral de la note d'honoraires
présentée par l'avocat de la victime. Le grief de violation du droit fédéral
(art. 104 let. a OJ) est donc fondé.

3.
Le recours de droit administratif doit en conséquence être admis et l'arrêt
attaqué doit être annulé, l'affaire devant être renvoyée au Tribunal
administratif pour nouvelle décision (art. 114 al. 2 OJ). Il appartiendra à
cette juridiction cantonale de statuer à nouveau sur l'ensemble des
prétentions de la victime en relation avec ses frais d'avocat, compte tenu
des principes exposés ci-dessus.
Il n'y a pas lieu de percevoir un émolument judiciaire, la procédure de
recours de droit administratif étant gratuite dans ce domaine (ATF 122 II 211
consid. 4b p. 219). Ni l'intimée, qui succombe, ni les collectivités
publiques parties à la procédure n'ont droit à des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis, l'arrêt rendu le 5 août 2004 par
le Tribunal administratif de la République et canton de Genève est annulé et
l'affaire est renvoyée pour nouvelle décision à ce tribunal.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au Département fédéral de justice et
police (Office fédéral de la justice), au mandataire de l'intimée, à
l'Instance LAVI et au Tribunal administratif de la République et canton de
Genève.

Lausanne, le 13 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: