Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.161/2004
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004


1A.161/2004 / 1P.363/2004 / fzc

Arrêt du 1er février 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.

X. ________,
recourant, représenté par Me Antoine E. Böhler, avocat,

contre

Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République
et canton de Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale
1956, 1211 Genève 1.

refus d'autorisation de construire, remise en état,

recours de droit administratif (1A.161/2004) et recours
de droit public (1P.363/2004) contre l'arrêt du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève du
11 mai 2004.

Faits:

A.
X. ________ est propriétaire de la parcelle n° 270 du registre foncier, sur
le territoire de la commune de Versoix. Il se trouve sur cette parcelle,
classée dans la zone agricole, un bâtiment (n° 184) abritant deux
appartements ainsi que les locaux d'une société, Y.________ S.A., active dans
la fabrication de produits horlogers, la taille de diamants et de pierres
précieuses. X.________, qui est gemmologue et administrateur de Y.________ ,
habite avec sa famille cette maison décrite par lui comme une ancienne ferme
de trois niveaux, entièrement réaménagée, qui était une "quasi-ruine" avant
qu'il ne la transforme sur la base de différentes autorisations de construire
délivrées par le département compétent du canton de Genève, la première fois
en 1980.

B.
En 1997, X.________ a déposé une demande d'autorisation de construire pour
l'aménagement du "hall de réception" dans le prolongement du bâtiment n° 184
en direction du sud-ouest. Il s'agit en réalité d'un projet de construction
de deux niveaux - pièce de réception au rez-de-chaussée (41 m2), chambre au
premier étage (41 m2) - avec des locaux souterrains (stockage, cave; 88 m2)
et une terrasse couverte (52 m2). Cette extension du bâtiment existant devait
être utilisée par la société Y.________ . Le 23 septembre 1997, le
département des travaux publics et de l'énergie (actuellement: département de
l'aménagement, de l'équipement et du logement; ci-après: le département
cantonal) a délivré l'autorisation, fondée sur l'art. 26A de la loi cantonale
d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LaLAT),
disposition réglant alors la transformation partielle de constructions
existantes hors des zones à bâtir.

Lors d'un contrôle effectué en octobre 1999, un inspecteur du département
cantonal a constaté que les travaux n'avaient pas été effectués conformément
à l'autorisation. Selon le rapport de cet inspecteur, la surface des
sous-sols aurait été augmentée de 60 m2, et celle du premier étage de 44 m2;
une cage d'escaliers extérieure avait été ajoutée ainsi qu'une baie vitrée au
sous-sol.

Le 27 octobre 1999, le département cantonal a ordonné à X.________ d'arrêter
les travaux de construction et de mettre les locaux en conformité avec
l'autorisation de construire, dans un délai de 90 jours. Simultanément, cette
autorité a infligé à l'intéressé une amende administrative de 30'000 fr., en
application de l'art. 137 de la loi cantonale sur les constructions et les
installations diverses (LCI).

X. ________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif
cantonal. La procédure de recours a été suspendue jusqu'au 5 août 2002.

C.
Le 31 janvier 2000, X.________ a adressé au département cantonal une demande
complémentaire d'autorisation de construire, en présentant des plans du
projet de "hall de réception" modifiés dans le sens de ce qui avait été
effectivement réalisé à partir de 1997, partiellement sans autorisation.

Le 11 octobre 2002, le département cantonal a refusé l'autorisation de
construire complémentaire car le projet, implanté en zone agricole, n'était
pas conforme aux art. 16, 16a, 22, 24 et 24c de la loi fédérale sur
l'aménagement du territoire (LAT; RS 700), à l'art. 11 de la loi cantonale
sur les forêts, à cause de la distance insuffisante par rapport à la lisière
de la forêt voisine, ni à l'art. 15 LCI qui pose des exigences en matière
d'esthétique des constructions.

X. ________ s'est pourvu devant la commission cantonale de recours en matière
de constructions. Celle-ci a rejeté le recours par un prononcé du 18 août
2003, en application des prescriptions précitées. Cette décision indique que,
d'après les calculs du département cantonal, la surface supplémentaire des
locaux non prévus dans le projet autorisé en 1997 serait de l'ordre de 140
m2.

X. ________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif.

D.
Les deux recours - contre l'ordre d'arrêt des travaux entrepris sans
autorisation assorti d'une amende administrative, et contre le refus de
l'autorisation complémentaire - ont été joints par le Tribunal administratif,
qui a statué en un seul arrêt le 11 mai 2004. Il les a rejetés puis a
confirmé la décision de la commission cantonale du 18 août 2003, l'ordre de
remise en état des locaux pour se conformer à l'autorisation de construire du
23 septembre 1997, ainsi que l'amende administrative. Sur le fond, il a
appliqué les mêmes dispositions légales que les autorités intimées.

E.
Agissant par la voie du recours de droit administratif et par celle du
recours de droit public - les deux recours étant présentés dans le même acte,
avec une motivation commune -, X.________ demande au Tribunal fédéral
d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif ainsi que les décisions du 27
octobre 1999 et du 11 octobre 2002 du département cantonal.

Le département cantonal conclut au rejet des recours, en tant qu'ils sont
recevables.

Le Tribunal administratif s'en remet à justice.

L'Office fédéral du développement territorial et l'Office fédéral de
l'environnement, des forêts et du paysage ont communiqué leur avis sur le
recours de droit administratif. Le recourant a eu l'occasion de se déterminer
à ce propos.

F.
L'effet suspensif a été accordé par ordonnance présidentielle du 24 août
2004.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 I 312 consid. 1 p. 317; 130 II 321 consid. 1 p.
324, 388 consid. 1 p. 389 et les arrêts cités).
Aux termes de l'art. 34 al. 1 LAT, le recours de droit administratif au
Tribunal fédéral est recevable contre les décisions prises par l'autorité
cantonale de dernière instance sur des demandes de dérogation en vertu des
art. 24 à 24d LAT. L'arrêt attaqué, en tant qu'il confirme le refus de
l'autorisation de construire complémentaire pour l'agrandissement d'un
bâtiment non agricole en zone agricole, est fondé précisément sur une de ces
dispositions, l'art. 24c LAT. Cette voie de recours est également ouverte
dans la mesure où la contestation porte encore sur l'ordre de démolition ou
de remise en état d'une construction réalisée sans autorisation dans la zone
agricole (ATF 129 II 321 consid. 1.1 p. 324). Le propriétaire foncier
concerné a manifestement un intérêt digne de protection à ce que la décision
attaquée soit annulée ou modifiée; il a donc qualité pour recourir en vertu
de l'art. 103 let. a OJ. Les autres conditions de recevabilité prévues aux
art. 97 ss OJ sont manifestement remplies. Comme le recourant ne critique pas
l'amende administrative qui lui a été infligée, ses griefs sont tous à
examiner dans le cadre du recours de droit administratif, de sorte que le
recours de droit public, ayant un caractère subsidiaire en vertu de l'art. 84
al. 2 OJ, est irrecevable.

2.
Le recourant ne conteste pas que la construction litigieuse n'est pas
conforme à l'affectation de la zone agricole. Il prétend toutefois que
l'autorisation complémentaire aurait dû lui être accordée en application de
l'art. 24 LAT, qui permet de déroger à cette exigence de conformité (cf. art.
22 al. 2 let. a LAT). Il relève à ce propos qu'une des pièces aménagées sans
autorisation au sous-sol est une "salle de soins" où son épouse, gravement
atteinte dans sa santé, fait quotidiennement des exercices de physiothérapie.

La première des conditions légales pour une telle dérogation est que
l'implantation de la construction hors de la zone à bâtir soit imposée par sa
destination (art. 24 let. a LAT, correspondant à l'ancien art. 24 al. 1 let.
a LAT, en vigueur jusqu'au 31 août 2000). La construction doit être adaptée
aux besoins qu'elle est censée satisfaire et ne pouvoir remplir son rôle que
si elle est réalisée à l'endroit prévu: une nécessité particulière, tenant à
la technique, aux conditions d'exploitation d'une entreprise, ou encore à la
configuration ou à la nature du sol, doit imposer le choix de l'endroit. De
même, l'implantation hors de la zone à bâtir peut se justifier si l'ouvrage
en question ne peut être édifié à l'intérieur de celle-ci en raison des
nuisances qu'il occasionne. Seuls des critères objectifs sont déterminants, à
l'exclusion de points de vue subjectifs du constructeur ou de motifs de
convenance personnelle (ATF 129 II 63 consid. 3.1. p. 68; 123 II 256 consid.
5a p. 261, 499 consid. 3b/cc p. 508 et les arrêts cités). En l'occurrence, il
est manifeste qu'une entreprise industrielle d'horlogerie ne doit pas être
nécessairement localisée hors de la zone à bâtir, en particulier dans la zone
agricole de Versoix; la même conclusion s'impose d'emblée pour le logement de
la famille du responsable de cette entreprise, également pour les pièces de
ce logement qui seraient utilisées pour des soins. Le projet litigieux ne
peut donc pas bénéficier d'une exception fondée sur l'art. 24 LAT. Le
Tribunal administratif était fondé à exclure l'application de cette
disposition.

3.
Le recourant, qui prétend que son projet constitue un agrandissement peu
important d'une construction existante, demande une autorisation fondée sur
l'art. 24c LAT.

3.1 L'art. 24c LAT s'applique aux constructions et installations existantes
sises hors de la zone à bâtir et non conformes à l'affectation de la zone.
D'après l'al. 2 de cette disposition, l'autorité compétente peut en autoriser
la rénovation, la transformation partielle, l'agrandissement mesuré ou la
reconstruction pour autant que les bâtiments aient été érigés ou transformés
légalement; dans tous les cas, les exigences majeures de l'aménagement du
territoire doivent être satisfaites. Avant l'entrée en vigueur de l'art. 24c
LAT, le 1er septembre 2000, la transformation partielle de constructions
existantes, y compris des agrandissements d'importance réduite, pouvait être
autorisée sur la base de l'ancien art. 24 al. 2 LAT. Avec le nouveau droit,
cette réglementation a pour l'essentiel été confirmée (ATF 127 II 215 consid.
3 p. 218).

3.2 En l'espèce, l'autorisation délivrée au recourant le 23 septembre 1997
était fondée sur l'ancien art. 24 al. 2 LAT, ainsi que sur la disposition
correspondante du droit cantonal (ancien art. 26A LaLAT). Une extension de la
surface de plancher de l'ancienne ferme avait ainsi été admise, après
l'autorisation délivrée quelques années plus tôt pour d'importantes
transformations intérieures. Il n'y a pas lieu d'examiner si cette
autorisation de 1997, permettant de réaliser une annexe accolée relativement
vaste (ouvrage de deux niveaux avec locaux souterrains, terrasse couverte),
respectait les limites de la "transformation partielle" telles qu'elles
avaient été définies par la jurisprudence (cf. notamment ATF 123 II 256
consid. 4 p. 261; 118 Ib 497 consid. 3a p. 499). Cette décision est en effet
entrée en force. Les autorités cantonales n'en critiquent du reste pas le
contenu puisque leurs démarches tendent à ce que les travaux de
transformation restent dans le cadre autorisé en 1997.

3.3 La question litigieuse est celle de savoir si les travaux
supplémentaires, dont la régularisation a été demandée par le recourant le 31
janvier 2000, peuvent également être autorisés à titre de transformation
partielle. Le droit fédéral énonce actuellement des critères quantitatifs
plus précis. D'après l'art. 42 de l'ordonnance sur l'aménagement du
territoire du 28 juin 2000 (OAT; RS 700.1), une autorisation selon l'art. 24c
LAT suppose que l'identité de la construction soit respectée pour l'essentiel
(art. 42 al. 1 OAT); il n'en va en tout cas plus ainsi lorsque la surface
utilisée pour un usage non conforme à l'affectation de la zone à l'intérieur
ou à l'extérieur du volume bâti existant est agrandie de plus de 100 m2 au
total (art. 42 al. 3 let. b OAT). Le Tribunal administratif a appliqué cette
dernière disposition et il a retenu, en se fondant sur un décompte des
surfaces supplémentaires établi en 2003 par l'architecte du recourant, que
les locaux litigieux - ceux réalisés sans autorisation - représentaient 114.8
m2, et qu'ils dépassaient donc la limite de l'art. 42 OAT.

Le recourant fait valoir qu'une bonne interprétation du décompte de son
architecte révélerait en réalité un dépassement de seulement 96.4 m2. Cet
argument n'est pas concluant car l'agrandissement de l'ancienne ferme doit
être apprécié dans son ensemble, en comparant l'ampleur des transformations
partielles successives avec l'état initial de la construction (cf. notamment
à ce propos l'art. 42 al. 2 OAT; ATF 113 Ib 219 consid. 4d p. 224). Ajoutés
aux locaux autorisés en 1997, les locaux réalisés sans autorisation qui font
l'objet de la demande complémentaire représentent globalement une surface
nettement supérieure à 100 m2; au total, la transformation est trop
importante pour être considérée comme partielle, ou mesurée, au sens de
l'art. 24c al. 2 LAT. L'autorité compétente n'est en effet plus fondée à
délivrer une nouvelle autorisation pour un agrandissement, même inférieur à
100 m2, après que les possibilités de dérogation offertes par le droit
fédéral ont été épuisées. Telle est à l'évidence la situation en l'espèce, en
tout cas après l'octroi de l'autorisation du 23 septembre 1997. Le Tribunal
administratif n'a donc pas violé l'art. 24c LAT en refusant l'autorisation
complémentaire destinée à régulariser les travaux illicites.

Il ne se justifie dès lors pas d'examiner si d'autres normes du droit
cantonal, notamment en matière de distances entre les constructions et la
forêt, ou au sujet de l'esthétique des bâtiments, s'opposent également au
projet litigieux.

3.4 Le recourant met l'accent, dans son argumentation, sur la nécessité pour
son épouse de disposer d'un local de soins à son domicile. Il convient de
relever à ce propos que les autorités cantonales n'ont pas exclu
l'utilisation à cet effet d'une pièce existante, dans l'ancienne ferme ou
dans l'annexe autorisée en 1997. Le recourant ne prétend pas qu'aucun des
locaux aménagés ou transformés de façon licite depuis 1980 ne se prêterait à
cette affectation. Cet élément est donc sans pertinence pour l'application,
en l'espèce, de l'art. 24c LAT.

4.
Le recourant soutient enfin que la décision du département cantonal du 27
octobre 1999, avec l'ordre de démolition des locaux et ouvrages réalisés sans
autorisation, violerait le principe de la proportionnalité notamment parce
que le coût de la remise en état serait environ deux fois plus élevé que
celui des travaux de construction.

D'après la jurisprudence, l'ordre de démolir une construction édifiée sans
permis et pour laquelle une autorisation ne pouvait être accordée n'est en
principe pas contraire au principe de la proportionnalité. L'autorité renonce
toutefois à une telle mesure si les dérogations à la règle sont mineures, si
l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la
démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi
se croire autorisé à construire ou encore s'il y a des chances sérieuses de
faire reconnaître la construction comme conforme au droit. Celui qui place
l'autorité devant un fait accompli doit cependant s'attendre à ce qu'elle se
préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les
inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4 p. 255; 111
Ib 213 consid. 6 p. 221 et les arrêts cités).

L'intérêt public à empêcher toute construction illicite hors de la zone à
bâtir l'emporte manifestement sur l'intérêt du recourant à conserver les
locaux supplémentaires non autorisés. L'agrandissement illicite, qui comporte
plusieurs pièces ou locaux, est en outre assez important, de sorte qu'on ne
saurait parler d'une violation mineure des prescriptions applicables. Il faut
aussi tenir compte du fait que l'autorité cantonale avait, auparavant,
délivré plusieurs autorisations exceptionnelles permettant une utilisation
non agricole du volume existant de l'ancienne ferme, et même un
agrandissement de ce bâtiment; après ces décisions favorables aux intérêts du
recourant (y compris ceux de sa société), il n'est pas disproportionné
d'exiger la démolition d'ouvrages supplémentaires illicites car, globalement,
la situation demeure encore avantageuse pour l'intéressé. Les griefs à ce
propos sont donc mal fondés.

5.
Il s'ensuit que le recours de droit administratif, entièrement mal fondé,
doit être rejeté. En outre, comme cela a déjà été exposé (supra, consid. 1),
le recours de droit public est irrecevable.

Le recourant, qui succombe, doit payer l'émolument judiciaire (art. 153, 153a
et 156 al. 1 OJ). Les autorités intimées n'ont pas droit à des dépens (art.
159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté.

2.
Le recours de droit public est irrecevable.

3.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement et au Tribunal
administratif de la République et canton de Genève, ainsi qu'à l'Office
fédéral du développement territorial et à l'Office fédéral de
l'environnement, des forêts et du paysage.

Lausanne, le 1er février 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: