Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.145/2004
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1A.145/2004 /col

Arrêt du 18 novembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud et Eusebio.
Greffier: M. Zimmermann.

Conseil d'Etat du canton du Valais, 1950 Sion,
recourant,

contre

WWF Suisse, Hohlstrasse 110, 8004 Zurich,
intimé, représenté par Me Raphaël Dallèves, avocat,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, Palais de
Justice, avenue Mathieu-Schiner 1,
1950 Sion 2.

ordre de tir visant la louve de "Pontimia" dans le Zwischberfental; décision
d'irrecevabilité,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
du Valais du 29 avril 2004.

Faits:

A.
Le loup (canis lupus) est une espèce protégée (Annexe II à la Convention
relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de
l'Europe, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juin 1982, RS 0.455; art. 2
de la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux
sauvages, du 20 juin 1986, - LChP, RS 922.0, mis en relation avec l'art. 7
al. 1 de la même loi). Aux termes de l'art. 12 LChP, les cantons peuvent
ordonner ou autoriser en tout temps des mesures contre certains animaux
protégés, lorsqu'ils causent des dégâts importants; seuls des personnes
titulaires d'une autorisation de chasser ou des organes de surveillance
peuvent être chargés de l'exécution de ces mesures (al. 2). Le Conseil
fédéral peut désigner des espèces protégées pour lesquelles la compétence
d'ordonner ces mesures appartient à l'Office fédéral de l'environnement, des
forêts et du paysage (ci-après: l'Office fédéral; al. 2bis). A teneur de
l'art. 10 al. 1 let. a de l'ordonnance sur la chasse (OChP; RS 922.01), la
Confédération prend à sa charge 80% des frais d'indemnisation pour les dégâts
causés par des loups. L'Office fédéral établit des conceptions applicables
aux espèces animales visées à l'al. 1; ces conceptions contiennent notamment
des principes régissant la protection, le tir ou la capture des animaux, la
prévention et la constatation des dégâts, ainsi que le versement d'indemnités
pour les mesures de prévention (art. 10 al. 6 OChP).
En application de l'art. 12 al. 2bis LChP, l'Office fédéral a, le 8 avril
2002, élaboré un document intitulé "Concept Loup Suisse" (ci-après: CLS). Il
en a adopté une version mise à jour le 21 juillet 2004.
Se fondant sur le constat qu'au cours des dernières années des loups en
provenance d'Italie et de France ont fait des incursions en Suisse et causé
parfois d'importants dommages aux troupeaux, le CLS a notamment pour but de
concilier la présence du loup comme espèce protégée et les besoins de
l'homme, notamment la protection de ses activités (agriculture, chasse,
loisirs, tourisme) et de ses troupeaux. Le CLS prévoit la mise sur pied de
commissions intercantonales et de groupes de travail. Lorsqu'un loup cause
des dommages insupportables, les autorités cantonales compétentes peuvent,
après consultation de la commission intercantonale concernée, accorder une
autorisation de tir spécifique. Pour faire abattre le loup, le service
cantonal compétent mandate un organisme de surveillance ou une personne
autorisée à chasser. Le tir doit être effectué à l'intérieur du périmètre des
dommages. La durée de l'autorisation est limitée à soixante jours; elle peut
être prolongée par périodes de trente jours (ch. 3.4.4 CLS dans sa version du
8 avril 2002, ch. 4.4 dans sa version du 21 juillet 2004).

B.
Entre le 12 et le 27 juillet 2002, vingt-six moutons ont été tués sur les
alpages de Pontimia et d'Obers Irgeli, dans la vallée de Zwischbergen. Le 9
août 2002, le Chef du service de la chasse, de la pêche et de la faune du
canton du Valais a ordonné le tir du "grand canidé" (loup ou chien) qui avait
causé ces dégâts. Des analyses effectuées ultérieurement ont révélé qu'il
s'agissait d'une louve provenant d'Italie.
Le 21 mars 2003, un mouton a été tué dans la vallée de Zwischbergen par le
même animal. Le 7 mai 2003, l'autorité cantonale a maintenu  l'autorisation
de tir du 9 août 2002.
La Fondation WWF Suisse (ci-après: la Fondation) a entrepris devant le
Conseil d'Etat du canton du Valais la décision du 7 mai 2003, dont elle a
demandé l'annulation, ainsi que la constatation que l'autorisation de tir du
9 août 2002 était caduque. Le 10 décembre 2003, le Conseil d'Etat a déclaré
irrecevables le recours et la demande de constatation. Il a considéré en bref
que l'autorisation de tir ne constituait pas une décision attaquable, mais
une simple mesure d'exécution de l'art. 12 LChP.
Par arrêt du 29 avril 2004, le Tribunal cantonal du canton du Valais a admis
le recours formé le 2 février 2004 par la Fondation contre le prononcé du 10
décembre 2003 qu'il a annulé en renvoyant la cause au Conseil d'Etat pour
nouvelle décision au fond. Il a considéré, en bref, que l'abattage du loup
relevait d'une tâche fédérale au sens de l'art. 2 LPN; l'autorisation y
relative constituait une décision au sens de l'art. 5 PA.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, le Conseil d'Etat
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal et de
rejeter définitivement le recours du 2 février 2004. Il invoque l'art. 5 PA.
Le Tribunal cantonal a renoncé à se déterminer. La Fondation conclut
principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
L'Office fédéral a produit des observations.
Invité à répliquer, le Conseil d'Etat a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 249 consid. 2 p.
250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308, 321 consid. 1 p. 324,
et les arrêts cités).

1.1 Selon les art. 97 et 98 let. g OJ, mis en relation avec l'art. 5 PA, la
voie du recours de droit administratif est ouverte contre les décisions des
autorités cantonales de dernière instance et qui sont fondées sur le droit
fédéral - ou qui auraient dû l'être - pour autant qu'aucune des exceptions
prévues aux art. 99 à 102 OJ ou dans la législation spéciale ne soit réalisée
(ATF 129 II 183 consid. 3.1 p. 186; 128 I 46 consid. 1b/aa p. 49, et les
arrêts cités).
Le litige porte sur la question de savoir si l'autorisation de tir selon le
CLS est une décision au sens de l'art. 5 PA et si elle relève des tâches
fédérales au sens de l'art. 2 LPN, ce qui ouvrirait la voie du recours aux
organisations nationales de protection de la nature selon l'art. 12 al. 1
LPN. En répondant par l'affirmative et en reconnaissant à la Fondation
intimée le droit de contester au fond l'autorisation de tir, le Tribunal
cantonal a statué en application du droit public fédéral. L'arrêt attaqué
détermine les droits de l'intimée dans la procédure; il présente à cet égard
les traits d'une décision au sens de l'art. 5 PA,  attaquable par la voie du
recours de droit administratif (cf. ATF 128 II 156 consid. 1a p. 158).

1.2 Le Tribunal cantonal a annulé la décision du Conseil d'Etat qui n'était
pas entré en matière sur le recours de la Fondation et renvoyé la cause à
cette autorité pour qu'elle traite l'affaire au fond. Un arrêt de renvoi qui
contient des instructions impératives destinées à l'autorité inférieure et
met fin à la procédure sur les points tranchés dans les considérants, doit
être considéré comme une décision finale (ATF 129 II 286 consid. 4.2 p. 291;
120 Ib 97 consid. 1b p. 99; 118 Ib 196 consid. 1b p. 198; 117 Ib 325 consid.
1b p. 327, et les arrêts cités). Déposé dans le délai de 30 jours dès la
réception de la décision, le recours est ainsi recevable au regard des art.
101 let. a et 106 al. 1 OJ.

1.3 Aux termes de l'art. 103 OJ, la qualité pour agir par la voie du recours
de droit administratif est reconnue à quiconque est atteint par la décision
attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou
modifiée (let. a); aux départements fédéraux ou à la division compétente de
l'administration fédérale, dans certains cas déterminés (let. b); à toute
autre personne, organisation ou autorité à laquelle la législation fédérale
accorde le droit de recours (let. c).
Le Conseil d'Etat ne peut se prévaloir de l'art. 103 let. b OJ, qui ne
concerne que les autorités fédérales (cf. ATF 127 II 32 consid. 1 p. 35/ 36).
Il ne prétend pas davantage que la LChP lui accorderait un droit de recours
contre les décisions de dernière instance cantonale relatives à l'application
de cette loi; il ne saurait partant fonder sa qualité pour agir sur l'art.
103 let. c OJ (ATF 123 II 371 consid. 2a p. 373/374, 425 consid. 2a et b p.
427).
Il reste à examiner ce qu'il en est au regard de l'art. 103 let. a OJ. Même
si cette disposition concerne au premier chef les personnes privées, la
jurisprudence reconnaît exceptionnellement aux autorités et collectivités
publiques la qualité pour agir au regard de cette disposition, lorsqu'elles
sont touchées par la décision attaquée directement et de la même manière
qu'un particulier, dans sa situation matérielle ou juridique (ATF 125 II 192
consid. 2a/aa p. 184; 124 II 409 consid. 1e/ bb p. 417; 123 II 371 consid. 2b
p. 374, 425 consid. 3a p. 427/428, 542 consid. 2d p. 544/545). Tel est le cas
notamment lorsque l'autorité ou la collectivité concernée agit pour la
sauvegarde de son patrimoine administratif ou financier (ATF 125 II 192
consid. 2a/aa p. 194; 124 II 409 consid. 1e/bb p. 417/418; 123 II 371 consid.
2b p. 374, 425 consid. 3a p. 427/428, 542 consid. 2d p. 545).
Peut également agir selon l'art. 103 let. a OJ la collectivité qui, agissant
dans le cadre de la puissance publique, est touchée dans son autonomie et
dispose d'un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification
de la décision attaquée (ATF 125 II 192 consid. 2a/aa p. 194; 124 II 409
consid. 1e/bb p. 418; 123 II 371 consid. 2b p. 374, 425 consid. 3a p.
427/428, 542 consid. 2d p. 545), par exemple en tant que créancière d'un
émolument (ATF 119 Ib 389 consid. 2e p. 391), bénéficiaire d'une subvention
(ATF 122 II 382 consid. 2b p. 383), titulaire d'une compétence en matière de
police des constructions (ATF 117 Ib 111 consid. 1b p. 113), lorsqu'elle
prévoit de créer une installation sportive ou une décharge, ou lorsqu'elle
ordonne des mesures de protection des eaux (ATF 123 II 371 consid. 2c p.
374/375, 425 consid. 3a p. 428).
L'intérêt financier de l'Etat ne suffit pas, à lui seul, pour lui conférer la
qualité pour recourir au sens de l'art. 103 let. a OJ. De même, l'intérêt à
une application correcte et uniforme du droit fédéral n'est pas déterminant
(ATF 125 II 192 consid. 2a/aa p. 194/195; 124 II 409 consid. 1e/bb p. 418;
123 II 371 consid. 2d p. 375/376, 425 consid. 3b p. 428, 542 consid. 2e p.
545). L'autorité déboutée dans la procédure de recours n'est ainsi pas
recevable à agir (ATF 124 II 409 consid. 1e/bb p. 418; 123 II 371 consid. 2d
p. 375). Partant, la collectivité ne saurait  prétendre défendre une
conception juridique déterminée, dans un domaine de sa compétence, qui
contredit celle de l'autorité de recours  (ATF 124 II 409 consid. 1e/bb p.
418; 123 II 371 consid. 2d p. 375/376, 542 consid. 2f p. 545, et les arrêts
cités). Dans une affaire ayant trait à l'égalité des salaires entre employés
de l'administration cantonale, le Tribunal fédéral a admis exceptionnellement
que le canton en tant qu'employeur agisse par la voie du recours de droit
administratif contre une décision du tribunal cantonal supérieur (ATF 124 II
409 consid. 1e/dd p. 419).
Le Conseil d'Etat tire son droit de recourir du fait que le canton est tenu
de réparer une partie des dommages causés par le loup (soit 20%, le solde
étant mis à la charge de la Confédération; art. 10 al. 1 let. a OChP), qu'il
est destinataire de l'autorisation de tir et chargé de certaines mesures à
l'encontre des animaux protégés provoquant des dégâts, selon la LChP.
L'arrêt attaqué porte uniquement sur une question de procédure, par rapport à
laquelle les intérêts allégués ne sont pas déterminants. La démarche du
Conseil d'Etat vise en effet à soumettre au Tribunal fédéral la question de
la nature juridique de l'autorisation de tir et de l'étendue des tâches
fédérales au sens de l'art. 2 LPN, dans le but de faire infirmer la solution
retenue par le Tribunal cantonal et rétablir la décision rendue en première
instance cantonale. Ce litige porte sur l'application du droit fédéral, en
relation avec laquelle le Conseil d'Etat ne peut faire valoir aucun intérêt à
recourir au sens de l'art. 103 let. a OJ, sur le vu de la jurisprudence qui
vient d'être rappelée. Que le canton soit chargé de l'exécution du droit
fédéral ne lui confère pas, ipso facto, la qualité pour agir.

1.4 Le recours est ainsi irrecevable. Il n'y a pas lieu de prélever des frais
(art. 156 OJ). L'Etat du Valais versera à la Fondation intimée une indemnité
pour ses dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Il est statué sans frais.

3.
L'Etat du Valais versera à la Fondation WWF une indemnité de 2000 fr. pour
ses dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal cantonal
du canton du Valais, ainsi qu'à l'Office fédéral de l'environnement, des
forêts et du paysage.

Lausanne, le 18 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: