Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.128/2004
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1A.128/2004 /svc

Arrêt du 6 juillet 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.

B. ________,
recourant, représenté par Me Alain Bruno Lévy, avocat,

contre

Ministère public de la Confédération,
Antenne Lausanne, av. des Bergières 42,
case postale 334, 1000 Lausanne 22.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale
avec la Norvège - B 144572,

recours de droit administratif contre la décision
du Ministère public de la Confédération du 19 avril 2004.

Faits:

A.
En octobre 2003, le Ministère public de la Confédération a ouvert une enquête
pénale contre B.________, ressortissant iranien et britannique, du chef de
blanchiment d'argent (art. 305bis CP). B.________ est l'ayant droit de la
société C.________ Inc. (ci-après: C.________), titulaire du compte n°xxx
ouvert auprès de la Banque E.________. La société norvégienne T.________
(ci-après: T.________ a, en octobre 2002, passé avec les autorités iraniennes
un contrat pour la mise en valeur de gisements de gaz. Or, T.________ avait
conclu le 12 juin 2002 avec la société O.________ Ltd (ci-après: O.________)
un contrat de services en relation avec le développement de ses affaires en
Iran. En exécution de celui-ci, T.________ avait versé à O.________, sur le
compte de C.________, un montant de 5'200'000 USD correspondant à la première
tranche d'une rémunération totale de 15'200'000 USD. B.________ entretenait
des relations étroites avec Mehdi Hashemi Rafsandjani, fils de l'ancien
Président de la République Islamique d'Iran, et dirigeant de la National Iran
Oil Company (NIOC). Ces éléments laissaient soupçonner l'existence d'un pacte
de corruption entre T.________, d'une part, B.________ et Rafsandjani,
d'autre part.
Le 13 octobre 2003, le Ministère public a adressé une demande d'entraide au
Royaume de Norvège, afin de déterminer si une procédure pénale était ouverte
dans cet Etat contre T.________ et B.________. Dans l'affirmative, la demande
tendait à la remise des pièces de la procédure utiles pour celle ouverte en
Suisse.
Pour l'exécution de cette demande, le Procureur fédéral en charge de
l'affaire s'est rendu en Norvège du 16 au 19 octobre 2003.

B.
A cette occasion, Lars Stoltenberg, Avocat général auprès d'Oekokrim (Service
national du Royaume de Norvège pour la répression de la criminalité
économique et écologique) a remis au Procureur fédéral une demande
d'entraide, datée du 14 octobre 2003 et fondée sur la Convention européenne
d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1). Cette demande
était présentée pour les besoins de la procédure pénale ouverte contre
T.________ pour corruption. Selon l'exposé des faits joint à la demande,
T.________avait conclu le 28 octobre 2002 un contrat avec la société
iranienne R.________, elle-même dominée par NIOC, en vue de l'exploitation
des phases 6 à 8 du gisement de gaz de South Pars en Iran. Les autorités
norvégiennes soupçonnent que le montant de 5'200'000 USD versé par T.________
à O.________ conformément au contrat du 12 juin 2002, aurait été acheminé à
Rafsandjani et constituerait un pot-de-vin pour la conclusion du contrat
conclu avec R.________. La demande tendait à la remise de la documentation
relative au compte de C.________, ainsi qu'aux autres comptes sur lesquels
des montants provenant de O.________ auraient été virés.
Le 3 novembre 2003, l'Office fédéral de la justice a délégué au Ministère
public l'exécution de la demande.
Le 1er décembre 2003, le Ministère public a rendu une décision d'entrée en
matière.
Le 27 novembre 2003, l'Avocat général Stoltenberg a complété la demande, en
requérant la remise de toute pièce saisie par le Ministère public pour sa
propre enquête, utile à la procédure norvégienne. Il a demandé en outre qu'un
de ses représentants assiste aux auditions de B.________.
Le 22 janvier 2004, l'Office fédéral a délégué au Ministère public
l'exécution de la demande complémentaire, sur laquelle le Ministère public
est entré en matière le 28 janvier 2004.
Le 19 avril 2004, le Ministère public a rendu une décision de clôture. Il a
ordonné la transmission aux autorités norvégiennes notamment de la
documentation relative au compte n°yyy, ouvert au nom de B.________ auprès de
la Banque M.________, et au compte n°zzz, ouvert auprès de la même banque au
nom de la société H.________ Ltd (ci-après: H.________). Il a réservé le
principe de la spécialité.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, B.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 19 avril 2004. Il invoque le
principe de la proportionnalité.
Le Ministère public conclut principalement à l'irrecevabilité du recours,
subsidiairement à son rejet. L'Office fédéral a renoncé à présenter des
observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La Confédération suisse et le Royaume de Norvège sont tous deux parties à la
CEEJ, entrée en vigueur le 12 juin 1962 pour la Norvège et le 20 mars 1967
pour la Suisse. Les dispositions de ce traité l'emportent sur le droit
autonome qui régit la matière, soit la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1). Celle-ci
reste toutefois applicable lorsqu'elle est plus favorable à l'entraide que le
traité, ainsi qu'aux questions que celui-ci ne règle pas, expressément ou
implicitement (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142;
120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192, et les arrêts
cités). Le respect des droits fondamentaux est réservé (ATF 123 II 595
consid. 7c p. 617).

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1 p. 174,
185 consid. 1 p. 188, 337 consid. 1 p. 339, et les arrêts cités).

2.1 La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la décision
confirmant la transmission de la documentation bancaire à l'Etat requérant
(cf. art. 25 al. 1 EIMP). Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de
la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373
consid. 1c p. 375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56,
et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions
pour accorder l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération
internationale doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib
269 consid. 2e p. 275). Il statue avec une cognition libre sur les griefs
soulevés sans être toutefois tenu, comme le serait une autorité de
surveillance, de vérifier d'office la conformité de la décision attaquée à
l'ensemble des dispositions applicables en la matière (ATF 123 II 134 consid.
1d p. 136/137; 119 Ib 56 consid. 1d p. 59).

2.2 Le recourant a qualité, au sens de l'art. 80h let. b EIMP, pour s'opposer
à la transmission de la documentation relative au compte n°yyy dont il est le
titulaire (ATF 130 II 162 consid. 1.1 p. 164; 127 II 198 consid. 2d p. 205;
126 II 258 consid. 2d/aa p. 260, et les arrêts cités). Il n'est en revanche
pas habilité à recourir pour ce qui concerne le compte n°zzz dont H.________
est la titulaire et lui-même seulement l'ayant droit (ATF 130 II 162 consid.
1.1 p. 164; 122 II 130 consid. 2b p. 132/133).

2.3 Dans sa réponse du 18 juin 2004, le Ministère public a défendu le point
de vue que dès l'instant où la documentation litigieuse a été saisie auprès
d'une société fiduciaire, seule celle-ci, détentrice effective, serait
habilitée à agir. L'arrêt dont se prévaut le Ministère public (1A.233/2003 du
19 janvier 2004, ATF 130 II 162) à cet égard, exclut la qualité pour agir,
sous l'angle de l'art. 80h let. b EIMP, de celui qui entend s'opposer à la
remise de documents le concernant, saisis auprès du tiers titulaire du compte
bancaire (en l'occurrence une étude d'avocat). Elle n'a pas pour effet de
modifier la jurisprudence rappelée ci-dessus, de laquelle il n'y a pas de
motif de se départir.

3.
Le recourant invoque le principe de la proportionnalité.

3.1 Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et 64 EIMP, que les
mesures de contrainte conformes au principe de la proportionnalité.
L'entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la
découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales de l'Etat
requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont
nécessaires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite dans l'Etat
requérant est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite. L'Etat requis ne disposant généralement pas des moyens lui
permettant de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves
déterminées au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne saurait sur
ce point substituer sa propre appréciation à celle du magistrat chargé de
l'instruction. La coopération internationale ne peut être refusée que si les
actes requis sont sans rapport avec l'infraction poursuivie et manifestement
impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande apparaît
comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251
consid. 5c p. 255). Le principe de la proportionnalité empêche aussi
l'autorité suisse d'aller au-delà des requêtes qui lui sont adressées et
d'accorder à l'Etat requérant plus qu'il n'a demandé (ATF 121 II 241 consid.
3a p. 243; 118 Ib 111 consid. 6 p. 125; 117 Ib 64 consid. 5c p. 68, et les
arrêts cités). Au besoin, il lui appartient d'interpréter la demande selon le
sens que l'on peut raisonnablement lui donner; rien ne s'oppose à une
interprétation large de la requête s'il est établi que toutes les conditions
à l'octroi de l'entraide sont remplies; ce mode de procéder évite aussi une
éventuelle demande complémentaire (ATF 121 II 241 consid. 3a p. 243). Sur
cette base, peuvent aussi être transmis des renseignements et des documents
non mentionnés dans la demande (arrêt 1A.215/1998 du 7 décembre 1998, consid.
5). Lorsque la demande vise à éclaircir le cheminement de fonds d'origine
délictueuse, il convient d'informer l'Etat requérant de toutes les
transactions opérées au nom des sociétés et des comptes impliqués dans
l'affaire (ATF 121 II 241 consid. 3c p. 244).

3.2 Les documents concernant le compte n°yyy dont le Ministère public a
ordonné la transmission comportent les documents d'ouverture du compte, les
indications relatives au client (dossier « Profil client »), un mandat de
gestion (« Management Agreement ») confié par B.________ à une société
F.________ S.A., ainsi qu'un état de fortune établi au 1er avril 2003.
Contrairement à ce que soutient le recourant, ces documents sont utiles à la
procédure étrangère. Il est important pour les autorités qui enquêtent sur le
sort des fonds versés par T.________ à O.________ d'en connaître les
destinataires finals, ainsi que les modalités de leur acheminement. Dans ce
contexte, les voies de gestion du compte, fixées avec la banque, ainsi que
l'indication des tiers habilités à intervenir dans sa gestion, doivent être
portés à la connaissance de l'autorité de poursuite, afin d'éclairer
complètement l'arrière-plan de l'affaire. Au demeurant, les représentants
d'Oekokrim qui ont participé à l'exécution de la demande d'entraide ont
indiqué que ces documents leur étaient nécessaires. Quant aux contrats passés
entre les sociétés G.________ S.A. et A.________ Co., ils concernent des
tiers qui ne sont pas parties à la présente procédure (cf. cause connexe
1A.130/2004).

4.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les
frais en sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument de 5'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant et au
Ministère public de la Confédération, ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice, Division des affaires internationales, Section de l'entraide
judiciaire internationale (B 144572).

Lausanne, le 6 juillet 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: