Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.105/2004
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1A.105/2004
1P.245/2004 /col

Arrêt du 3 janvier 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Juge présidant,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.

Copropriété par étages "X.________",
agissant par son administrateur,
A.________,
B.________,
C.________,
recourants,
tous représentés par Me Rudolf Schaller, avocat, ,

contre

Hoirs de D.________,
soit les époux E.________,
F.________,
intimés,
tous représentés par Me Denis Sulliger, avocat,
Commune de Veytaux, 1820 Veytaux, représentée
par Me Jean Heim, avocat,
Département de la sécurité et de l'environnement
du canton de Vaud, Service de l'aménagement du territoire, avenue de
l'Université 3, 1014 Lausanne,
Département des infrastructures du canton de Vaud, Service de justice, de
l'intérieur et des cultes,
place du Château 1, 1014 Lausanne,
Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.

plan partiel d'affectation "Clos de Chillon" à Veytaux, qualité pour
recourir,

recours de droit administratif (1A.105/2004) et recours
de droit public (1P.245/2004) contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de Vaud du 14 avril 2004.

Faits:

A.
Le 2 octobre 1998, le plan partiel d'affectation "Clos de Chillon" (PPA) a
été mis à l'enquête par la Commune de Veytaux. Le périmètre visé comprend les
parcelles n° 292 et 293 (comprenant chacune une villa), 311 (non construite)
et 343 (viticole); l'ensemble forme une pente entre la voie ferrée au nord et
le quai Chatelanat qui longe le lac Léman au sud; il est limité à l'ouest par
le cours d'eau de la Veraye (limite avec la commune de Montreux) et à l'est
par les vignobles du Château de Chillon. Le périmètre se trouvait depuis 1980
en zone intermédiaire, et le PPA prévoit de colloquer désormais les parcelles
n° 292, 293 et 311 en zone constructible, et la parcelle n° 343 en zone
viticole. Trois villas à toits plats seraient réparties dans la pente de la
parcelle n° 311. Le projet a suscité de nombreuses oppositions, en
particulier de la copropriété "X.________" et de ses membres A.________,
B.________ et G.________ (ci-après: les consorts X.________), propriétaires
d'appartements dans l'immeuble sis sur la parcelle n° 412, située de l'autre
côté de la voie de chemin de fer au nord du secteur concerné. Les opposants
mettaient en doute la nécessité de créer de nouvelles zones à bâtir.
L'esthétique et l'intégration dans le site étaient contestées, de même que la
construction d'un mur antibruit au nord de la parcelle n° 311. Sur le vu de
ces oppositions, la Municipalité a proposé plusieurs modifications: réduction
de la surface brute de plancher maximale de 380 m2 à 285 m2 par villa,
abaissement de 2m des villas situées en haut de la parcelle, affectation
exclusive à l'habitation, limitation à une famille par unité de construction
et suppression du mur antibruit, remplacé par une butte antibruit de 1,5 m de
haut au maximum. Les oppositions ont été levées le 3 juillet 2000 par le
Conseil communal de Veytaux et le PPA modifié a été adopté.

B.
Par décision du 21 novembre 2002, le Département des infrastructures du
canton de Vaud (DINF) a déclaré irrecevable le recours formé par les consorts
X.________, après avoir procédé à une inspection locale et fait établir une
étude de bruit. Les recourants faisaient essentiellement valoir des arguments
tenant à la protection du site et n'avaient pas expliqué, malgré une
interpellation dans ce sens, en quoi ils étaient personnellement touchés par
le projet. Ils ne s'étaient pas opposés à la constructibilité de la parcelle
et leurs arguments avaient été pris en considération lors de la modification
du projet.
Par décision du même jour, le DINF a approuvé le PPA, en intégrant à celui-ci
l'étude de bruit réalisée le 3 juillet 2002.

C.
Par arrêt du 14 avril 2004, le Tribunal administratif vaudois a confirmé la
décision d'irrecevabilité du DINF, la décision d'approbation n'ayant pas été
attaquée. Les recourants paraissaient n'avoir agi que comme prête-nom de
l'Association pour la protection des rives et du site de Chillon, laquelle
n'aurait pas eu qualité pour agir. La seule proximité de la parcelle des
recourants, et l'existence d'un certain impact visuel, ne suffisaient pas
pour admettre l'existence d'une atteinte particulière: les biens-fonds
étaient séparés par la voie de chemin de fer, et la vue sur la baie de
Montreux n'était pas obstruée. Les opposants avaient d'ailleurs obtenu
satisfaction lors de la modification du projet. S'agissant des réflexions de
bruit et de la circulation sur les quais, les recourants n'expliquaient pas
non plus en quoi consistait l'atteinte invoquée.

D.
Par acte du 26 avril 2004, les opposants (étant précisé que C.________ s'est
substituée à G.________) forment un recours de droit administratif et de
droit public. Ils demandent l'annulation de l'arrêt précité, ainsi que des
décisions du DINF du 29 octobre 2002 et 21 novembre 2002.

Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours. Les propriétaires de
la parcelle n° 311 se réfèrent à l'arrêt attaqué. La commune de Veytaux
conclut au rejet du recours de droit administratif dans la mesure où il est
recevable et à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours de droit
public. Le DINF s'en remet à justice. L'Office fédéral du développement
territorial a renoncé à se déterminer. L'Office fédéral de l'environnement
des forêts et du paysage a présenté des observations, sur lesquelles les
recourants ont pu se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les recourants ont agi par la voie d'un recours de droit administratif,
par lequel ils se plaignent de violations des art. 24 LAT et 11ss LPE, et par
la voie d'un recours de droit public pour violation du droit d'être entendu
et arbitraire. Les deux causes peuvent être jointes afin qu'il soit statué
par un même arrêt.

1.2 Le recours de droit administratif est interjeté dans le délai et les
formes utiles contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale.
L'arrêt attaqué confirme le défaut de qualité pour agir des recourants. Dès
lors, seule cette question peut être soumise à la cour de céans, à
l'exclusion du fond. Devant l'autorité cantonale, les recourants invoquaient
notamment les dispositions de l'OPB, de sorte que, sur le fond, la
contestation serait susceptible d'être portée devant le Tribunal fédéral par
la voie du recours de droit administratif. Dans ces conditions, les auteurs
du recours cantonal qui se sont vu dénier la qualité pour recourir peuvent
agir par cette voie pour contester ce prononcé (ATF 124 II 499 consid. 1b p.
502).
Le recours de droit administratif est par conséquent recevable dans la mesure
où il porte sur la qualité pour agir des recourants; il est irrecevable pour
le surplus. Le recours de droit public, formé pour violation des règles
cantonales de procédure (de teneur identique à l'art. 103 let. a OJ) et pour
arbitraire (s'agissant de l'établissement des faits propres à admettre la
qualité pour recourir), doit pour sa part être converti en recours de droit
administratif. Compte tenu de cette conversion, le fait que les moyens
propres à chacun des recours soient exposés dans une certaine confusion ne
saurait porter à conséquence.

2.
Les recourants soulèvent divers griefs d'ordre formel, qu'il y a lieu
d'examiner en premier lieu.

2.1 Ils reprochent au DINF d'avoir statué, par deux décisions distinctes,
d'une part sur la qualité pour agir des opposants, et d'autre part - par une
décision antérieure et non communiquée aux recourants - sur l'intégration de
l'étude de bruit dans le PPA. Cette façon de procéder aurait privé les
recourants d'un moyen de preuve important concernant leur qualité pour agir.
Dans la mesure où les recourants pourraient se plaindre sur ce point d'une
atteinte à leur droit d'être entendus et de la garantie d'un procès
équitable, cette violation a pu être réparée en instance cantonale de
recours, puisque les recourants ont eu connaissance, à ce stade, de l'étude
de bruit. L'étude en question ne contient d'ailleurs guère d'indications
propres à fonder la qualité pour agir des recourants, puisqu'elle se limite
pour l'essentiel à la protection contre le bruit des villas prévues dans le
PPA.

2.2 Les recourants reprochent également au DINF de n'avoir pas établi de
procès-verbal à l'issue de l'inspection locale du 27 juin 2001, et de n'avoir
pas permis aux recourants de produire un mémoire conclusif. En réalité, il
existe un procès-verbal manuscrit de six pages, reprenant les constatations
de faits et les déclarations des parties, et les recourants ne prétendent pas
que ce document serait incomplet.
Les recourants se plaignent aussi de l'absence de procès-verbal de
l'inspection locale faite le 31 octobre 2003 par la cour cantonale. Celle-ci
se serait contentée de quelques constatations de fait mentionnées dans son
arrêt. Les explications fournies à cette occasion par leur mandataire à
propos notamment de l'obstruction de la vue, de la réflexion du bruit, de
l'esthétique et de l'accès au quai, auraient ainsi été ignorées.

2.3 Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend le
droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, d'obtenir
l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de
participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer
sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à
rendre. Selon la jurisprudence récente, le droit d'être entendu confère
également le droit d'obtenir que les déclarations de parties, de témoins ou
d'experts qui sont importantes pour l'issue du litige soient consignées dans
un procès-verbal, tout au moins dans leur teneur essentielle; la consignation
des déclarations dans une note du dossier ou dans les considérants de la
décision ne saurait pallier l'absence de procès-verbal. La verbalisation des
déclarations pertinentes vise notamment à permettre aux parties de participer
à l'administration des preuves et, surtout, de se prononcer effectivement sur
leur résultat. L'obligation de dresser un procès-verbal doit aussi permettre
à l'autorité de recours de contrôler, s'il y a lieu, que les faits ont été
constatés correctement par l'autorité inférieure (ATF 126 I 15 consid. 2
concernant la procédure pénale vaudoise).

2.4 La cour cantonale relève que, depuis le 4 février 2003, la loi cantonale
de procédure administrative (LJPA) permet de requérir la transcription des
actes d'instruction. Il n'y a toutefois pas lieu de rechercher si cette
possibilité satisfaisait aux exigences du droit d'être entendu. En effet, les
recourants ne se plaignent pas de ce que la cour cantonale aurait
inexactement constaté certains faits déterminants pour l'issue du litige:
l'absence de verbalisation dont ils se plaignent portait uniquement sur les
explications de leur avocat concernant la qualité pour agir. Or, cette
question constituait l'unique objet du litige; les recourants devaient par
conséquent s'exprimer sur cette question spontanément et de manière complète
d'entrée de cause dans leurs recours déjà, sans avoir à compter sur
d'éventuelles explications complémentaires en cours d'inspection locale. Le
grief doit être rejeté.

3.
Pour les recourants, la seule affectation de la parcelle n° 311 en zone
constructible suffirait à justifier leur qualité pour recourir, compte tenu
de la proximité des terrains; les voisins directs devraient pouvoir se
prononcer dans de tels cas. Ils pourraient aussi faire valoir des intérêts de
nature idéale et s'opposer aux atteintes portées au site, à l'égal des
organisations de défense de l'environnement. L'atteinte ressortait également
des griefs soulevés par les recourants (disparition de la zone de verdure,
accès par le quai, disparition du mur et des clôtures); en outre, l'avocat
des recourants s'était exprimé sur ce point au cours de l'inspection locale
organisée en première instance, en mentionnant la question du bruit. Lors de
l'inspection effectuée par la cour cantonale, le représentant des recourants
avait indiqué les effets négatifs du projet: perte de valeur des
appartements, réflexions de bruit sur les installations antibruit, et
désagréments résultant de l'accès par le quai.

3.1 Comme le relève la cour cantonale, la qualité pour recourir des
particuliers est régie de manière concordante pour la procédure devant le
Département (art. 60a LATC), devant le Tribunal administratif (art. 37 LJPA)
et devant le Tribunal fédéral saisi d'un recours de droit administratif (art.
103 let. a OJ). Les trois dispositions reconnaissent la qualité pour agir à
toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d'un intérêt
digne de protection à son annulation ou à sa modification.

3.2 Selon la jurisprudence relative à l'art. 103 let. a OJ - à laquelle se
réfère l'arrêt attaqué -, l'admission du recours doit procurer au recourant
un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale. Le recours d'un
particulier formé dans l'intérêt de la loi ou d'un tiers est en revanche
irrecevable. Ces exigences ont été posées de manière à empêcher l'"action
populaire" dans le domaine de la juridiction administrative fédérale,
lorsqu'un particulier conteste une autorisation donnée à un autre administré
(ATF 121 II 39 consid. 2c/aa, 171 consid. 2b, 120 Ib 48 consid. 2a et les
arrêts cités). Ces conditions sont en principe considérées comme remplies
quand le recours émane du propriétaire d'un terrain directement voisin de la
construction ou de l'installation litigieuse (ATF 121 II 17 consid. 2b; cf.
aussi arrêt du 8 avril 1997 reproduit in RDAF 1997 I p. 242 consid. 3a). Cela
ne dispense toutefois pas le voisin d'alléguer les éléments de fait précis
permettant de juger si la construction litigieuse est susceptible de lui
causer un réel préjudice.

3.3 Les recourants ont été rendus attentifs, dès la première instance, à
l'exigence d'une motivation relative à leur intérêt pour recourir. Après les
avoir interpellés dans ce sens, le Département a constaté que le simple
critère de la distance était insuffisant, et que les recourants n'invoquaient
aucun intérêt personnel à l'appui de leur recours. S'étant rendu sur les
lieux, le Tribunal administratif a pour sa part retenu que l'immeuble des
recourants est bâti sur un talus dominant la voie de chemin de fer,
bénéficiant d'une vue "impressionnante sur tout le lac et son pourtour alors
que le terrain litigieux se trouve en contrebas et n'occupait qu'un secteur
réduit de la partie inférieure de ce panorama". Selon ces constatations, les
villas prévues par le PPA, de dimensions réduites et dont les toits plats
devront être végétalisés, n'auraient qu'un impact négligeable pour la vue
dont bénéficient les habitants de l'immeuble "X.________". On ne voyait pas,
dans ces circonstances, en quoi pouvait résulter l'atteinte aux propriétaires
voisins.

3.4 Tout en admettant que le recours déposé auprès du Département était
quelque peu sommaire quant à la qualité pour recourir, les recourants
estiment que les indications essentielles y figuraient. Celles-ci se
rapportaient toutefois essentiellement au critère de la proximité,
insuffisant à lui seul. Les recourants prétendent ensuite que les
propriétaires touchés devraient se voir reconnaître la qualité pour recourir
aux mêmes conditions que les associations de protection de l'environnement,
afin de préserver les sites et paysages, perdant de vue qu'une telle démarche
constitue une action populaire que les dispositions telles que l'art. 103
let. a OJ ont précisément pour but d'éviter. Les recourants reprochent aussi
au Tribunal administratif d'avoir méconnu les arguments développés lors de
l'audience du 31 octobre 2003 à propos de la réflexion du bruit sur les
parois antibruit destinées à protéger les villas. La cour cantonale a
toutefois répondu à ces allégations en relevant que la construction d'un tel
mur avait été exclue et que l'utilisation d'un revêtement phono-absorbant
pour la façade nord-est avait été prévue, afin précisément d'éviter de telles
réflexions en direction de l'immeuble des recourants. Quant aux désagréments
qui résulteraient de l'accès à la parcelle n° 311 par le quai, les recourants
ne sont pas plus touchés que l'ensemble des promeneurs qui empruntent ce
quai, dans la mesure notamment où l'accès à leur propre bien-fonds n'est pas
affecté.

3.5 A l'instar du département, la cour cantonale était ainsi fondée à retenir
que les recourants n'avaient pas allégué de manière suffisante en quoi
pouvait consister l'atteinte particulière qu'ils auraient à souffrir en cas
de réalisation du projet. Quand bien même les procédures de recours cantonal
et fédéral étaient limitées à cette seule question, les recourants n'ont
fourni aucune argumentation topique propre à démontrer leur qualité pour
agir.

4.
Le recours de droit administratif doit donc être rejeté dans la mesure où il
est recevable. Le recours de droit public, traité comme recours de droit
administratif, est rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument
judiciaire est mis à la charge des recourants, qui succombent. Les intimés
F.________ et l'hoirie D.________ n'ont pas procédé, et n'ont pas droit à des
dépens. En revanche, une indemnité est allouée à la commune de Veytaux,
représentée par un mandataire professionnel.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté dans la mesure où il est
recevable.

2.
Le recours de droit public, traité comme recours de droit administratif, est
rejeté.

3.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge des recourants.

4.
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée à la commune de Veytaux, à la
charge solidaire des recourants.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et de la
Commune de Veytaux, au Département de la sécurité et de l'environnement,
Service de l'aménagement du territoire, au Département des infrastructures,
Service de justice, de l'intérieur et des cultes, et au Tribunal
administratif du canton de Vaud ainsi qu'à l'Office fédéral du développement
territorial et à l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du
paysage.

Lausanne, le 3 janvier 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: