Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen K 158/2003
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K 158/03

Arrêt du 21 septembre 2004
Ire Chambre

MM. et Mme les Juges Borella, Président, Leuzinger, Rüedi, Ursprung et
Frésard. Greffière : Mme von Zwehl

Mutuel Assurances, Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny, recourante,

contre

M.________, intimé

Tribunal administratif de la République et canton de Genève, Genève

(Jugement du 4 novembre 2003)

Faits:

A.
M.________, né en 1946, exerce la profession d'expert-comptable indépendant.
Il est assuré auprès de la Mutuelle Valaisanne, Assurance maladie et accident
(dénommée entre-temps Mutuel Assurances), notamment pour l'assurance
obligatoire des soins et pour une indemnité journalière de 50 fr., après un
délai d'attente de 60 jours. Dès le 29 mai 2002, il a été totalement
incapable de travailler pour cause de maladie. Cette incapacité de travail a
été attestée par plusieurs certificats médicaux qui ont été communiqués à la
caisse par l'intéressé. Du 9 juillet 2002 au 29 juillet 2002, M.________ a
été hospitalisé au Département de médecine communautaire de l'Hôpital
U.________ en raison d'une dépendance à l'alcool, associée à un trouble
dépressif récurrent. Après avoir pris connaissance du rapport
d'hospitalisation, ainsi que d'un rapport du docteur A.________, médecin
généraliste, du 4 septembre 2002, le médecin-conseil de la caisse a estimé
que l'alcoolisme était «le problème prédominant» chez le patient.

Par décision du 7 octobre 2002, la Mutuelle Valaisanne a signifié à l'assuré
qu'elle réduisait de 20 pour cent son droit à l'indemnité journalière en
raison d'une négligence grave, avec effet au 29 mai 2002. Elle a considéré
qu'un assuré était en effet en mesure de comprendre à temps, en disposant
d'une instruction moyenne et en faisant preuve de la prudence qu'on pouvait
attendre de lui, que l'abus de boissons alcooliques des années durant
risquait de porter une atteinte à sa santé. Or, dans le cas particulier, la
caisse était de l'avis que l'alcoolisme de l'intéressé avait pris naissance à
un âge où il disposait d'une totale faculté de discernement.

Saisie d'une opposition de l'assuré, la Mutuelle Valaisanne l'a rejetée par
une nouvelle décision du 21 janvier 2003.

B.
M.________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal administratif
du canton de Genève (aujourd'hui en matière d'assurances sociales : Tribunal
cantonal des assurances sociales).

Statuant le 4 novembre 2003, le tribunal administratif a admis le recours. Il
a annulé la décision précédente et renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle
décision au sens des motifs. En bref, il a estimé que seule une faute
intentionnelle pouvait donner lieu à réduction de l'assurance facultative
d'indemnités journalières. Or, dans le cas particulier, aucun élément au
dossier ne permettait de conclure à l'existence chez l'assuré d'une volonté
délibérée et consciente de s'adonner à l'alcool dans une mesure propre à
provoquer un état maladif.

C.
La Mutuelle Valaisanne interjette un recours de droit administratif dans
lequel elle conclut à l'annulation de ce jugement.

M.________ n'a pas répondu au recours. Quant à l'autorité fédérale de
surveillance, elle ne s'est pas déterminée.

Considérant en droit:

1.
Sous le titre «Réduction ou suppression du droit aux prestations, l'art. 30
ch. 2 let. d des conditions générales de l'assurance obligatoire des soins et
de l'assurance facultative d'indemnités journalières de la recourante (éd.
décembre 2000) prévoit que les prestations peuvent être réduites et, dans les
cas particulièrement graves, refusées pour les maladies imputables à une
faute grave de l'assuré.

La recourante, à juste titre, ne prétend pas que l'intimé ait commis une
faute grave intentionnelle. En effet, dans les cas d'alcoolisme, une faute
intentionnelle eût pour le moins supposé chez l'intéressé l'existence d'une
volonté délibérée et consciente de s'adonner à l'alcool dans une mesure
propre à provoquer un état maladif (ATF 119 V 179 consid. 5). Dans le cas
particulier, on ne dispose pas du moindre indice en faveur d'une telle
volonté. Aussi bien la recourante fait-elle valoir que l'intimé a commis une
négligence grave, justifiant une réduction des prestations en vertu de la
disposition citée de ses conditions générales car il aurait pu, selon elle,
se rendre compte des dangers d'une consommation excessive d'alcool et se
comporter en conséquence.

2.
La loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales (LPGA) du 6
octobre 2000 est entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

Aux termes de l'art. 82 al. 1, première phrase, LPGA, les dispositions
matérielles de la présente loi ne sont pas applicables aux prestations en
cours et aux créances fixées avant son entrée en vigueur. Cette norme de
droit transitoire ne règle que de façon très fragmentaire les situations de
droit intertemporel. Elle se borne à écarter du champ d'application
matérielle de la loi les prestations en cours et les créances fixées avant
son entrée en vigueur. S'agissant plus précisément des prestations, il faut
entendre celles qui ont fait l'objet de décisions - en principe formelles -
entrées en force. On ne peut pas dire, en effet, que des prestations sont «en
cours» aussi longtemps qu'il n'a pas été définitivement statué à leur sujet.

Dans un arrêt L. du 4 juin 2004 destiné à la publication dans le Recueil
officiel (H 6/04), la Cour de céans a précisé la portée de l'art. 82 al. 1
LPGA. Elle a retenu qu'on ne peut pas déduire a contrario de cette
disposition que le moment où est prise la décision serait déterminant pour
l'application des dispositions matérielles de la nouvelle loi en relation
avec des prestations qui n'ont pas été fixées lors de son entrée en vigueur;
en dehors de l'hypothèse spécifique envisagée par la disposition transitoire
citée, il convient de se référer aux principes généraux selon lesquels on
applique, en cas de changement de règles de droit, les dispositions en
vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être appréciée
juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (consid. 2.2 et les
références).

Au cas particulier, la décision sur opposition de la recourante, qui a été
rendue en 2003, n'est pas entrée en force. Par ailleurs, l'incapacité de
travail de l'intimé, qui fonde le droit aux indemnités journalières, a débuté
en 2002 et s'est prolongée sans discontinuer en 2003. Compte tenu de ce qui
vient d'être dit, l'examen du bien-fondé de la réduction du droit aux
indemnités journalières doit par conséquent intervenir à l'aune des
dispositions matérielles de la LPGA uniquement pour la période postérieure au
31 décembre 2002, l'ancien droit demeurant applicable pour la période
antérieure.

3.
Selon l'art. 21 al. 1 LPGA, si l'assuré a aggravé le risque assuré ou en a
provoqué la réalisation intentionnellement ou en commettant
intentionnellement un crime ou un délit, les prestations en espèces peuvent
être temporairement ou définitivement réduites ou, dans les cas
particulièrement graves, refusées.

L'adverbe «intentionnellement» ne se rapporte pas directement à l'aggravation
du risque. Il faut pourtant admettre que, de manière générale, c'est-à-dire
également dans l'éventualité d'une aggravation du risque, une réduction ou un
refus de prestations d'assurance pour faute grave non intentionnelle n'est
pas admissible en vertu de l'art. 21 al. 1 LPGA. Cela ressort clairement des
versions allemande et italienne du texte: dans la première de ces versions,
le mot «vorsätzlich» se rapporte aussi bien à «herbeigeführt» qu'à
«verschlimmert»; de même, dans la seconde, l'adverbe «intenzionalmente» se
rapporte autant à «provocato» qu'à «aggravato» (voir également, et dans le
même sens à propos de ces différences de versions linguistiques : Gabrielle
Steffen, Droit aux soins et rationnement, Approche d'une définition des soins
nécessaires, thèse Neuchâtel 2002, p. 174; Jean-Louis Duc, Problèmes
d'application de la LPGA en rapport avec les lois spéciales, in : La partie
générale du droit des assurances sociales, Lausanne 2003, p. 120; cf. aussi
Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, Kommentar zum Bundesgesetz über den Allgemeinen
Teil des Sozialversicherungsrechts vom 6. Oktober 2000, Zurich 2003, notes 13
et 14 ad art. 21). Cette interprétation est du reste la seule qui corresponde
à la volonté clairement exprimée du législateur (rapport de la Commission du
Conseil national de la sécurité sociale et de la santé [CSSS], FF 1999 4211
ss; cf. aussi Gabrielle Steffen, op. cit., p. 174, note de bas de page 770).
Il en résulte que l'art. 21 al. 1 LPGA exclut de manière générale une
réduction des prestations à raison d'une faute grave non intentionnelle.

A défaut de dispositions particulières dans la LAMal, l'art. 21 LPGA est
applicable au domaine des indemnités journalières régies par les art. 67 ss
LAMal (voir aussi Ueli Kieser, op. cit., note 85 ad art. 21). Contrairement,
à ce que soutient la recourante, il s'agit d'une règle impérative qui ne
laisse aucune place à une réglementation dérogatoire dans les dispositions
réglementaires ou statutaires des assureurs-maladie (voir également Gebhard
Eugster, ATSG und Krankenversicherung, Streifzug durch Art. 1-55 ATSG, RSAS
2003 p. 223). Pour les prestations depuis le 1er janvier 2003, la réduction
prononcée par la recourante n'est donc pas admissible.

4.
Il reste à examiner si cette solution prévaut également sous l'empire de
l'ancien droit.

4.1  La LAMal ne contient pas de disposition sur la réduction des prestations
en cas de faute grave. Avant l'entrée en vigueur de la LPGA, le Tribunal
fédéral des assurances a jugé qu'une caisse ne pouvait réduire ses
prestations pour soins et remboursement de frais (en l'espèce:
hospitalisation et transport en hélicoptère), lorsque seule une négligence
grave pouvait être reprochée à l'assuré (arrêt G. du 21 août 2001 [K 53/01]).
Auparavant, il avait jugé que, depuis l'entrée en vigueur de la LAMal, les
caisses-maladie ne disposaient plus de l'autonomie nécessaire pour prévoir,
par voie statutaire, la réduction de leurs prestations en matière d'assurance
obligatoire des soins en cas d'entreprise téméraire, dès lors que la nouvelle
loi ne leur en donnait pas expressément la compétence. On devait en effet
considérer que, dans des domaines qu'il a réglés en détail, le législateur a
remplacé le principe d'autonomie qui était alors réservé aux caisses-maladie
du temps de la LAMA, par celui de la légalité. Il en allait ainsi dans la
réglementation de l'assurance obligatoire des soins où l'assureur-maladie ne
peut fixer de règles propres que dans les domaines où la loi lui en donne la
compétence. En revanche, le point de savoir si en matière d'assurance
facultative d'indemnités journalières, la règle ci-dessus était applicable ou
si l'autonomie existant antérieurement a subsisté pouvait rester indécis dans
le cas particulier (ATF 124 V 356). De fait, le Tribunal fédéral des
assurances ne s'est, à ce jour, pas prononcé sur la question d'une réduction
pour négligence grave d'indemnités journalières selon la LAMal, autrement
dit, sur le point de savoir si, en ce domaine, les assureurs ont conservé une
autonomie suffisante qui leur permettait (avant le 1er janvier 2003) de
réduire les indemnités journalières pour ce motif. Selon une opinion émise
par Jean-Louis Duc (avant l'entrée en vigueur de la LPGA), il conviendrait en
principe de réserver une réglementation interne des assureurs pour le
règlement de la question des conséquences de la faute grave. Cet auteur se
demande si, en définitive, la sanction de la faute grave ne découle pas d'un
principe qui devrait prévaloir aussi dans l'assurance d'une indemnité
journalière (Jean-Louis Duc, Quelques imperfections de la LAMal, RSAS 2000,
p. 258; dans le même sens: Gebhard Eugster, Krankenversicherung in :
Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, ch. 231).

4.2  La LAMA (en vigueur jusqu'au 31 décembre 1995), pas plus que la LAMal,
ne
prévoyait la possibilité de réduire des prestations en cas de faute grave.
Sous le régime de cette ancienne loi, le Tribunal fédéral des assurances a
jugé qu'il était conforme à une règle admise aussi bien par l'assurance
privée que par l'assurance sociale de réduire les prestations assurées,
lorsque le sinistre a été causé par une faute grave de l'ayant droit. Cette
règle valait aussi dans l'assurance-maladie, même lorsque les statuts ou les
conditions d'assurance ne la rappelaient pas (voir par ex. ATF 107 V 228
consid. 2a, 106 V 23 consid. 1; Franz Schön, Juristische Aspekte der Kürzung
von Krankenkassenleistungen bei Grobfahrlässigkeit, Zeitschrift für
öffentliche Fürsorge, 87 [1990], p. 170 ss). Le Tribunal fédéral des
assurances considérait, en 1985 encore, que la réduction pour négligence
grave découlait d'un «principe fondamental» du droit des assurances sociales
(ATF 111 V 205 consid. 3).

4.3  Dans un arrêt ultérieur, du 25 août 1993 (ATF 119 V 171), le Tribunal
fédéral des assurances est toutefois revenu sur cette conception, tenant
compte du développement du droit international de la sécurité sociale qui
limite la possibilité de prononcer des réductions de prestations d'assurance.
En particulier, il a jugé que les art. 68 let. f du Code européen de sécurité
sociale [CESS] et 32 § 1 let. e de la Convention OIT 128, en vertu desquelles
les prestations ne peuvent être réduites qu'en cas de faute intentionnelle,
étaient directement applicables. On ne peut donc plus dire, depuis l'arrêt
précité, que les réductions pour négligence grave relèvent d'un principe
fondamental du droit des assurances sociales (voir plus particulièrement p.
179 consid. 4c). Dans la mesure où, dans un arrêt isolé du 30 octobre 1995
(RDAF 1996 I p. 54), la Cour de céans l'a encore affirmé sous l'empire de la
LAMA en se référant à la jurisprudence fédérale, on doit s'en distancer.

Il y a par ailleurs lieu de constater que les réductions pour négligence
grave dans l'assurance sociale vont à l'encontre de la tendance législative
qui s'est dégagée depuis plus d'une dizaine d'années en ce domaine. La loi
sur l'assurance militaire du 19 juin 1992, entrée en vigueur le 1er janvier
1994, a supprimé la réduction pour négligence grave (art. 65 aLAM; Jürg
Maeschi, Kommentar zum Bundesgesetz über die Militärversicherung [MVG] vom
19. Juni 1992, Berne 2000, notes 5 et 8 ad art. 65; Franz Schlauri, Die
Militärversicherung, in : Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR],
Soziale Sicherheit, ch. 226). En outre, déjà dans le projet de loi sur la
partie générale du droit des assurances sociales adopté par le Conseil des
Etats au cours de sa session d'automne 1991 (BO 1991 CE II 773 ss), il était
prévu - en accord d'ailleurs avec le droit international - de limiter le
refus ou la réduction des prestations aux cas provoqués intentionnellement ou
par un comportement délictueux (art. 27; FF 1991 II 188). Enfin, dans le
domaine de l'assurance-accidents, le système de réduction des prestations
pour négligence grave demeure sous forme de dérogation à la LPGA (art. 37 al.
2 LAA). Cette dérogation exprime la décision du Parlement, consécutive à
l'initiative parlementaire Suter et qui a modifié la LAA parallèlement aux
travaux législatifs de la LPGA (rapport précité de la CSSS, FF 1999 4214).

C'est dire que d'un principe général et fondamental du droit des assurances
sociales, on est passé, dans le droit fil de la jurisprudence inaugurée aux
ATF 119 V 171 et de l'évolution législative du droit interne jusqu'à ce jour,
à un régime d'exception. On peut en déduire qu'en tout cas en 2002 déjà - et
donc avant l'entrée de la LPGA - une réduction des prestations pour
négligence grave ne pouvait plus reposer sur un principe général, mais
qu'elle nécessitait une base légale explicite; l'absence de toute
réglementation, s'agissant comme en l'occurrence d'une loi récente, apparaît
plus comme un silence qualifié du législateur que comme une lacune qui
découlerait d'un oubli de celui-ci (voir dans ce sens Rudolf Luginbühl, Der
Regress des Krankenversicherers, in : Haftpflicht- und
Versicherungsrechtstagung 1999, Saint-Gall 1999, p. 55 sv.).
4.4  Dès lors, même si, en matière d'indemnités journalières selon la LAMal,
il est indéniable que la loi laisse aux assureurs le pouvoir de régler dans
leurs conditions générales d'assurance certaines questions qui relèvent
essentiellement des prescriptions d'ordre (ATF 129 V 53 consid. 1.1 et les
références), ce pouvoir ne saurait conduire à une limitation du régime des
prestations fixé aux art. 72 ss LAMal (cf. Gebhard Eugster, Zum
Leistungsrecht der Taggeldversicherung nach KVG, in : LAMal-KVG: Recueil de
travaux en l'honneur de la Société suisse de droit des assurances, Lausanne
1997, p. 552). Or la réduction des prestations pour négligence grave
constitue une telle limitation qui, en l'absence de base légale, devait déjà
être considérée en 2002 comme une restriction inadmissible.

4.5  En conclusion, la réduction prononcée par la recourante, tant sous
l'angle de la LPGA que sous l'ancien droit, n'était pas justifiée. Il
s'ensuit que le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé
publique.

Lucerne, le 21 septembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ire Chambre:   La Greffière: