Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 773/2003
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I 773/03

Arrêt du 14 mars 2005
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Kernen. Greffier : M.
Piguet

V.________, recourant, représenté par Me Henriette Dénéréaz Luisier, avocate,
avenue du Général-Guisan 26, 1800 Vevey,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 10 octobre 2003)

Faits:

A.
V. ________, né en 1959, a travaillé en qualité d'ouvrier agricole jusqu'au
31 mai 1998, date à laquelle il a été licencié pour motifs économiques. Se
plaignant de douleurs au niveau épigastrique, il a présenté, le 5 novembre
1998, une demande de prestations de l'assurance-invalidité. Procédant à
l'instruction du cas, l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud (ci-après: l'office AI) a requis les avis des docteur R.________,
médecin traitant (rapport du 20 novembre 1998), et W.________, psychiatre
(rapport des 14 juillet et 24 décembre 1998). Il ressortait des documents
transmis que l'assuré souffrait d'un syndrome douloureux persistant dans le
cadre d'un trouble de la personnalité paranoïaque. L'incapacité de travail
était considérée comme totale.
A la suite d'un cambriolage dont a été victime la mère de l'assuré en Serbie,
celui-ci a été hospitalisé d'office du 7 au 25 mai 1999 à la clinique
A.________ pour risque hétéro-agressif et décompensation psychique. Dans leur
rapport du 25 octobre 1999, les docteurs M.________ et B.________ ont posé le
diagnostic de trouble psychotique essentiellement délirant (hypochondriaque)
chez une personnalité de structure psychotique à traits paranoïaques dans un
contexte difficile: guerre en Yougoslavie, cambriolage.
L'office AI a confié au docteur S.________, spécialiste en psychiatrie et
psychothérapie, le soin de réaliser une expertise psychiatrique de l'assuré.
Dans un rapport du 19 septembre 2000, ce médecin a posé les diagnostics de
trouble somatoforme indifférencié d'intensité légère, de trouble de
l'adaptation avec humeur anxieuse d'intensité légère et de personnalité à
traits paranoïaques et limites. Le trouble somatoforme, en l'absence de
comorbidité psychiatrique notable, ne diminuait pas la capacité de travail de
l'assuré de plus de 20 %.
Le docteur W.________ a contesté ces conclusions, considérant que
l'incapacité de travail de l'assuré était totale et durable. Selon lui,
l'assuré souffrait d'un trouble délirant persistant qui se greffait sur un
trouble de la personnalité à traits paranoïaques (rapport du 14 février
2001).
Après avoir soumis le cas pour appréciation au Service médical régional AI
(SMR), l'office AI a rejeté la demande de prestations, motif pris que le
recourant ne présentait aucune atteinte à la santé invalidante au sens de
l'assurance-invalidité (décision du 5 juin 2001).

B.
V.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de
Vaud. En cours de procédure, le docteur W.________ a fait parvenir un rapport
du 27 juin 2001 ainsi qu'un courrier du 11 octobre 2001. Sur la base de ces
nouveaux documents ainsi que du rapport du 14 février 2001, le docteur
S.________ a complété son expertise et confirmé ses conclusions (rapport du
30 septembre 2002). Par jugement du 10 octobre 2003, le Tribunal des
assurances a rejeté le recours.

C.
V.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation. Il conclut, principalement, à l'octroi de
prestations de l'assurance-invalidité, et, subsidiairement, à la mise en
oeuvre d'un complément d'instruction. Il sollicite en outre le bénéfice de
l'assistance judiciaire.
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit du recourant à une rente de
l'assurance-invalidité, singulièrement sur le degré d'invalidité qu'il
présente. En particulier, il s'agit de déterminer si celui-ci souffre d'une
atteinte à la santé psychique qui soit propre à entraîner une incapacité de
travail et de gain d'une certaine importance, ce que l'office AI et les
premiers juges ont nié.

2.
2.1 La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA), du 6 octobre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas
applicable en l'espèce, le juge des assurances sociales n'ayant pas à tenir
compte des modifications du droit ou de l'état de fait survenues après que la
décision litigieuse du 5 juin 2001 a été rendue (cf. ATF 129 V 4 consid. 1.2,
398 consid. 1.1 et les références). En outre, le Tribunal fédéral des
assurances apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale,
d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été
rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b).
Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004, ne
sont pas applicables.

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et la
jurisprudence relatives à la notion d'invalidité (art. 4 LAI), son évaluation
chez les assurés actifs (art. 28 al. 2 LAI), l'échelonnement des rentes en
fonction du degré d'invalidité (art. 28 al. 1 LAI) et la valeur probante des
rapports et expertises médicaux (ATF 125 V 352 consid. 3a et les références),
de sorte qu'on peut y renvoyer.

3.
Le recourant reproche à l'administration et aux premiers juges d'avoir écarté
l'avis de ses médecins traitants, qui constatent qu'il n'est plus en mesure
de travailler, au profit de celui du docteur S.________.

4.
4.1 A l'issue d'un examen clinique complet, fondé sur deux entretiens avec le
recourant, des tests psychométriques, un concilium avec les médecins
traitants et la lecture attentive du dossier, le docteur S.________ a retenu
l'existence d'une symptomatologie anxieuse a minima sous forme d'irritabilité
et d'hyperactivité neurovégétative, a priori fort peu invalidante, qui
semblait liée à la situation de conflit assécurologique dans laquelle le
recourant se trouvait et aux problèmes économiques qu'il rencontrait.
L'absence de pathologie organique susceptible d'expliquer l'étendue des
plaintes alléguées par le recourant justifiait de retenir également le
diagnostic de trouble somatoforme indifférencié. Par contre, la discordance
entre les plaintes décrites et le comportement observé, un fonctionnement
psychosocial non professionnel conservé, ainsi que l'attitude très
démonstrative mise en évidence lors de l'observation clinique et des tests
psychométriques, donnaient à penser qu'il existait un syndrome d'aggravation
et d'amplification des symptômes. Concernant la personnalité du recourant,
l'expert a retenu une personnalité à traits paranoïaques et limites, malgré
la difficulté à se prononcer définitivement sur un trouble de la personnalité
sous-jacent ou prémorbide. La biographie du recourant faisait néanmoins
apparaître qu'il se trouvait fréquemment en conflit, que ce soit avec son
ex-épouse et sa belle famille, son employeur ou ses collègues de travail.
D'un naturel quérulent, il contrôlait mal son « explosivité ». Aussi bien le
docteur S.________ a-t-il estimé que le trouble somatoforme, en l'absence de
comorbidité psychiatrique notable, ne devait pas diminuer la capacité de
travail du recourant théoriquement de plus de 20 % et il n'y avait aucune
contre-indication à ce que le recourant reprenne son ancienne activité
d'ouvrier agricole.

4.2 Motivé de manière convaincante, rendu au terme d'un examen clinique
approfondi ainsi que d'une étude détaillée du dossier médical, le rapport
d'expertise remplit toutes les exigences auxquelles la jurisprudence soumet
la valeur probante d'un tel document, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'en
écarter. Ainsi, au moment où l'expertise a été réalisée, soit en juillet
2000, le recourant était en mesure de reprendre son ancienne activité
lucrative, certes avec un rendement légèrement diminué, mais ne permettant
pas d'ouvrir le droit à une rente de l'assurance-invalidité.
A cet égard, le rapport des docteurs M.________ et B.________ du 25 octobre
1999 n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions du rapport
d'expertise. Bien que ces praticiens aient posé un diagnostic différent de
celui du docteur S.________, il convient de relativiser leur appréciation de
la situation médicale. Ces praticiens ont en effet vu le recourant dans le
cadre d'une décompensation psychique consécutive à un cambriolage dont avait
été victime sa mère. Or, un diagnostic posé dans un contexte aussi
particulier ne saurait préjuger de l'état de santé psychique général du
recourant, singulièrement de sa capacité à exercer une activité lucrative. Ce
rapport est d'autant moins probant  que ces médecins n'ont pas émis d'opinion
sur la capacité résiduelle de travail du recourant à raison des troubles
qu'ils ont attestés.

5.
5.1 Dans son rapport du 14 février 2001, le docteur W.________ a indiqué que
le recourant présentait une symptomatologie anxieuse, sous forme de troubles
du sommeil. L'anxiété se manifestait par une irritabilité très importante,
toujours à fleur de peau, avec des menaces répétées de faire justice. Les
plaintes étaient récurrentes, mono-idéiques, et tournaient autour de
gastralgies vécues comme invalidantes, extrêmement intenses, le gênant pour
manger. Selon le médecin, il s'agissait de plaintes délirantes mono-idéiques,
auxquelles le patient ne pouvait en aucun cas renoncer, au risque très
probable d'une désorganisation psychotique beaucoup plus grave. Le recourant
souffrait également d'un trouble de la personnalité à traits paranoïaques qui
le rendait incapable d'un quelconque sentiment de culpabilité, ni même de
honte, démontrant ainsi une capacité de passage à l'acte extrêmement
dangereuse. Les éléments psychotiques florides étaient responsables de
l'incapacité de gain dans la mesure où les éléments projectifs persécutoires
empêchaient une évaluation correcte de la réalité, rendant la reprise du
travail très aléatoire et risquée. En ce sens, l'incapacité de travail était
totale et durable.

5.2 Force est de constater que l'analyse de la situation médicale du
recourant faite au mois de février 2001 par le docteur W.________ diverge
considérablement de celle du docteur S.________, réalisée au mois de juillet
2000. Elle mentionne des éléments nouveaux, qui jettent le doute sur la
pertinence, à cette date et à l'heure actuelle, des conclusions de l'expert.
Certes, les premiers juges ont-ils estimé que le rapport du docteur
W.________ n'était pas exempt de contradiction et n'expliquait pas en quoi le
recourant était entravé dans l'exercice d'un travail de force. Ces
considérations ne permettent toutefois pas d'exclure que l'état de santé du
recourant ait pu évoluer durant la période séparant l'expertise et le rapport
du docteur W.________. Au contraire, le docteur S.________ a reconnu dans son
rapport du 30 septembre 2002 qu'une telle évolution était possible.
Antérieurs à la décision qui était portée devant eux, les premiers juges ne
pouvaient faire l'économie d'une instruction complémentaire sur ces éléments.
Pour ces motifs, le dossier doit être renvoyé aux premiers juges, à qui il
incombera de procéder à un complément d'instruction sous la forme d'une
nouvelle expertise psychiatrique portant sur l'évolution de la capacité de
travail du recourant depuis le mois de juillet 2000. Il importera que les
experts psychiatres posent un diagnostic précis sur la nature des troubles
psychiques présentés par le recourant. Ils détermineront sa capacité de
travail et les activités exigibles de sa part; enfin, ils indiqueront, le cas
échéant, les mesures thérapeutiques  envisageables, et dans l'affirmative,
sous quelle forme. Après quoi, les premiers juges rendront un nouveau
jugement.

6.
Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause, a droit à une
indemnité de dépens à charge de l'intimé (art. 159 al. 1 OJ). Dans cette
mesure, sa requête d'assistance judiciaire est sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, en ce sens que le jugement du Tribunal
des assurances du canton de Vaud du 10 octobre 2003 est annulé, la cause
étant renvoyée à l'autorité judiciaire précédente pour complément
d'instruction au sens des considérants et nouveau jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office intimé versera au recourant la somme de 1'500 fr. (y compris la taxe
à la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 14 mars 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre:  Le Greffier: