Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 747/2003
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I 747/03

Arrêt du 22 décembre 2004
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffière
: Mme Moser-Szeless

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

G.________, intimé, représenté par Me Charles Munoz, avocat, rue du Casino 1,
1401 Yverdon-les-Bains

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 27 octobre 2003)

Faits:

A.
G. ________, ressortissant espagnol né en 1949, a travaillé depuis le 1er
novembre 1978 comme machiniste au service de la société M.________ SA.

Victime d'une chute qui a entraîné une rupture transfixiante du sus-épineux
avec tendinopathie du long chef du biceps et du sous-scapulaire, il a subi
une acromioplastie (avec réparation du sus-épineux et ténodèse du long chef
du biceps droit) le 1er mars 2001. Du 13 juin suivant au 24 juillet 2001, il
a séjourné à la Clinique O.________ pour une prise en charge
multidisciplinaire. Par la suite, il a repris à mi-temps une activité plus
légère auprès de son employeur, jusqu'à ce que celui-ci mette fin à son
contrat de travail au 31 juillet 2003.

Le 18 octobre 2001, G.________ a présenté une demande de rente de
l'assurance-invalidité à l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud (ci-après: office AI). Dans un rapport du 19 février 2002, le docteur
C.________, médecin-conseil de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas
d'accidents (CNA), a estimé qu'une pleine capacité de travail était exigible
de l'assuré dans une activité adaptée. Pour sa part, le docteur P.________,
médecin traitant, a notamment fait état, en plus de l'atteinte invalidante à
l'épaule droite, d'un status après hernie discale L5-S1 avec syndrome
déficitaire résiduel en 1989 puis en 1995, et d'une hernie inguinale droite
débutante; ces diagnostics étaient mentionnés à titre d'atteintes sans
répercussion sur la capacité de travail. Par ailleurs, le médecin traitant a
indiqué que la reprise du travail exercé jusque-là par son patient lui
semblait illusoire; selon lui, il y avait lieu de prévoir rapidement une
reconversion professionnelle qui devait également tenir compte de douleurs
dorsales ressenties par le patient (rapport du 19 décembre 2001).

Par décision du 16 septembre 2002, confirmée sur opposition de l'assuré
(décision du 31 décembre 2002), la CNA lui a alloué une rente d'invalidité
fondée sur un taux d'incapacité de gain de 17%.

Pour sa part, l'office AI a, dans un projet de décision du 28 août 2002,
informé l'assuré qu'il entendait rejeter sa demande de prestations, au motif
que son degré d'invalidité évalué à 10,06% était insuffisant à ouvrir le
droit à une rente. A la suite de l'opposition de celui-ci, il a confirmé son
refus par décision du 23 octobre 2002.

B.
Saisi d'un recours de G.________, le Tribunal cantonal vaudois des assurances
l'a partiellement admis par jugement du 27 octobre 2003. Il lui a reconnu le
droit à des mesures de réadaptation professionnelles et renvoyé la cause à
l'administration pour qu'elle détermine celles-ci.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision du 23
octobre 2002.

G. ________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur au 1er janvier 2003, n'est pas
applicable au présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales
n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de
fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse du 23
octobre 2002 (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les arrêts cités). Il en va de même
des modifications de la LAI du 21 mars 2003 (4ème révision de la LAI),
entrées en vigueur au 1er janvier 2004.

2.
Dans la procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent être examinés
et jugés, en principe, que les rapports juridiques à propos desquels
l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement d'une
manière qui la lie, sous la forme d'une décision. Dans cette mesure, la
décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice
par voie de recours. En revanche, dans la mesure où aucune décision n'a été
rendue, la contestation n'a pas d'objet, et un jugement sur le fond ne peut
pas être prononcé (ATF 125 V 414 consid. 1a, 119 Ib 36 consid. 1b et les
références citées).
En l'espèce, la décision administrative litigieuse a trait uniquement au
refus de la rente d'invalidité requise par l'intimé. Toutefois, la
juridiction cantonale est entrée en matière sur la conclusion de l'assuré
tendant à la mise en oeuvre d'une mesure de réadaptation professionnelle et
l'office recourant a eu l'occasion de prendre position à ce sujet dans ses
déterminations sur le recours de droit cantonal. Dès lors, la procédure
juridictionnelle administrative peut être étendue, pour des motifs d'économie
de la procédure, à cette question qui excède le cadre étroit de la
contestation (ATF 122 V 36 consid. 2a et les références).

3.
3.1 Selon l'art. 8 al. 1 LAI, les assurés invalides ou menacés d'une
invalidité imminente ont droit aux mesures de réadaptation qui sont
nécessaires et de nature à rétablir leur capacité de gain à l'améliorer, à la
sauvegarder ou à en favoriser l'usage. Ce droit est déterminé en fonction de
toute la durée d'activité probable.

L'assuré a droit au reclassement dans une nouvelle profession si son
invalidité rend nécessaire le reclassement et si sa capacité de gain peut
ainsi, selon toute vraisemblance, être sauvegardée ou améliorée de manière
notable (art. 17 al. 1 LAI). Sont considérées comme un reclassement les
mesures de formation destinées à des assurés qui en ont besoin, en raison de
leur invalidité, après achèvement d'une formation professionnelle initiale ou
après le début de l'exercice d'une activité lucrative sans formation
préalable, pour maintenir ou améliorer leur capacité de gain (art. 6 al. 1
RAI).

3.2 Selon la jurisprudence, une perte de gain durable ou prolongée, dans
toute activité exigible ne nécessitant pas une formation professionnelle
complémentaire, est suffisante pour ouvrir droit au reclassement dans une
nouvelle profession lorsqu'elle est de 20% environ (ATF 124 V 110 consid. 2b
et les arrêts cités). Ce taux ne constitue pas une limite absolue. Selon les
circonstances du cas particulier, une invalidité légèrement inférieure à 20%
peut déjà ouvrir un droit à une mesure de reclassement. Ainsi, dans un arrêt
non publié J. du 18 octobre 2000, I 665/99, le Tribunal fédéral des
assurances a admis le droit au reclassement d'une assurée encore jeune (35
ans au moment du prononcé de la décision administrative), dotée de capacités
permettant un reclassement, et qui présentait un degré d'invalidité de
18,52%.

4.
4.1 Sur le vu des rapports médicaux versés au dossier, l'intimé n'est plus en
mesure d'exercer sa profession de machiniste qui impliquait la manutention de
piles de carton dont le poids variait de un à cinquante kilos. Les médecins
de la Clinique O.________ ont ainsi conclu à une incapacité de travail totale
pour la manutention de carton (rapport du 29 août 2001), ce qu'a confirmé le
docteur P.________ dans son rapport du 19 décembre suivant.

En ce qui concerne la capacité de travail résiduelle, le médecin-conseil de
la CNA a conclu qu'il serait exigible de l'assuré qu'il exerçât à plein temps
un travail ne nécessitant pas l'utilisation de l'épaule au-delà de
l'horizontale ni la manutention dépassant les 10 kg ou les sollicitations
répétées du membre supérieur droit. Il n'y a pas lieu de s'écarter de ces
conclusions, dès lors qu'elles ne sont remises en cause par aucune autre
pièce médicale au dossier. En particulier, le médecin traitant, après avoir
confirmé que les seules atteintes à la santé ayant des répercussions sur la
capacité de travail de son patient étaient celles liées à l'accident (rapport
du 19 décembre 2001), a mentionné par la suite que tout travail en usine
était contre-indiqué en raison des problèmes d'épaule, de dos «ainsi que du
pouce gauche» (rapport du 30 avril 2003). A défaut de toute motivation à cet
égard, cet avis n'est toutefois pas propre à rendre vraisemblable une
atteinte invalidante due à d'autres troubles que ceux liés à l'épaule droite.

4.2 La juridiction cantonale a admis un taux d'invalidité de 16,66%, en se
fondant sur le degré (non arrondi à 17%) retenu par la CNA, dont elle a
repris à son compte le calcul de la comparaison des revenus effectué dans la
décision initiale du 16 septembre 2002, entrée en force en cours de procédure
cantonale de recours. Tout en admettant que le degré d'invalidité se trouvait
«à la limite inférieure» du taux minimal ouvrant droit aux mesures
professionnelles, elle a considéré que l'évolution du gain d'invalide futur
de l'assuré s'annonçait moins favorable que celle qu'aurait connu son revenu
sans invalidité au service du même employeur, ce qui justifiait l'octroi de
telles mesures.

De son côté, l'office recourant fait valoir que le taux d'invalidité retenu
par les premiers juges est très éloigné de celui de 20% consacré par la
jurisprudence et que l'intimé, âgé de 53 ans au moment du prononcé de la
décision litigieuse, n'aurait exploité sa capacité de gain résiduelle que
durant douze ans au maximum. Les conditions requises par la jurisprudence
pour admettre le droit de l'intimé à des mesures de reclassement
professionnel ne saurait dès lors être remplies selon lui.

5.
5.1 Comme l'ont à juste titre rappelé les premiers juges, la notion
d'invalidité est, en principe, identique en matière d'assurance-accidents,
d'assurance militaire et d'assurance-invalidité. Dans ces trois domaines,
elle représente la diminution permanente ou de longue durée, résultant d'une
atteinte à la santé assurée, des possibilités de gain sur le marché du
travail équilibré qui entre en ligne de compte pour l'assuré. L'uniformité de
la notion d'invalidité n'a cependant pas pour conséquence de libérer chacune
de ces assurances de l'obligation de procéder dans chaque cas et de manière
indépendante à l'évaluation de l'invalidité. D'un autre côté, une évaluation
entérinée par une décision en force d'un assureur ne peut pas rester
simplement ignorée par l'autre assureur qui doit se laisser opposer la
présomption d'exactitude de l'évaluation effectuée. Une appréciation
divergente de celle-ci ne peut intervenir qu'à titre exceptionnel et
seulement s'il existe des motifs suffisants. Peuvent constituer de tels
motifs le fait qu'une évaluation repose sur une erreur de droit ou sur une
appréciation insoutenable, qu'elle résulte d'une simple transaction conclue
avec l'assuré ou de mesures d'instruction extrêmement limitées ou
superficielles ou encore qu'elle n'est pas du tout convaincante ou entachée
d'inobjectivité (ATF 126 V 293 consid. 2d, 119 V 474 consid. 4a; voir aussi
RAMA 2000 n° U 406 p. 402 s. consid. 3, 2001 n° U 410 p. 73 s. consid. 3).

5.2 Dans le cadre de la comparaison des revenus qu'il a effectuée,
l'assureur-accidents s'est fondé sur les salaires résultant de cinq
descriptions de poste de travail (DPT) pour déterminer le revenu d'invalide
de l'intimé, qu'il a fixé à 52'000 fr. Selon la jurisprudence, les données
salariales qui résultent de tels documents peuvent servir au calcul du revenu
d'invalide pour autant que certaines conditions soient remplies. Ainsi,
l'assureur doit produire cinq DPT et préciser le nombre total de places de
travail documentées entrant en considération pour le handicap donné, les
salaires maximum et minimum de celles-ci et le salaire moyen du groupe
correspondant (ATF 129 V 480 consid. 4.2.2). En l'occurrence, ces conditions
n'ont pas été remplies, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier la
représentativité des postes choisis par l'assureur-accidents. Cela constitue
un motif suffisant pour écarter les données salariales résultant des DPT en
tant que base de calcul pour fixer le revenu d'invalide de l'intimé.

5.3 Aussi, convient-il, en l'absence d'un revenu effectivement réalisé, de se
référer aux données salariales, telles qu'elles résultent des enquêtes sur la
structure des salaires de l'Office fédéral des statistiques (ATF 126 V 76 sv.
consid. 3b/aa et bb). En l'espèce, compte tenu de l'activité adaptée de
substitution que pourrait exercer l'intimé, le salaire de référence est celui
auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et
répétitives dans le secteur privé, soit en 2002, 4557 fr. par mois, part au
13ème salaire comprise (Enquête suisse sur la structure des salaires 2002,
[ESS], p. 43, TA1; niveau de qualification 4). Comme les salaires bruts
standardisés tiennent compte d'un horaire de travail de quarante heures, soit
une durée hebdomadaire inférieure à la moyenne usuelle dans les entreprises
en 2002 (41,7 heures; La Vie économique, 6/2004, p. 90, B 9.2), ce montant
doit être porté à 4750 fr., ce qui donne un salaire annuel de 57'008 fr. Ce
salaire doit encore faire l'objet d'un abattement de 15% afin de tenir compte
des limitations liées au handicap de l'intimé, de son âge et de ses années de
service. Selon la jurisprudence, lorsque le revenu d'invalide est déterminé
uniquement sur la base des données statistiques, il se justifie en effet de
s'écarter du salaire brut standard pour la catégorie d'emplois en cause afin
de tenir compte des empêchements propres à la personne de l'invalide (ATF 126
V 78 consid. 5). On peut donc retenir un montant de 48'458 fr. à titre de
salaire d'invalide.

La comparaison avec le revenu sans invalidité de 62'400 fr. retenu par
l'assureur-accidents sur la base des renseignements obtenus auprès de
l'ancien employeur de l'intimé conduit à un taux d'invalidité de 22,34, soit,
arrondi au chiffre en pour cent inférieur (ATF 130 V 122 consid. 3.2), 22%.

Ce degré d'invalidité étant supérieur au seuil minimum fixé par la
jurisprudence pour ouvrir droit à une mesure de reclassement (supra consid.
3.2), le jugement entrepris peut être confirmé dans son résultat.

6.
Sur le vu de l'issue du litige, l'intimé, représenté par un avocat, a droit à
une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en
corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le recourant versera à l'intimé la somme de 1500 fr. (y compris la taxe sur
la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance cantonale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 22 décembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre:   La Greffière: