Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 688/2003
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I 688/03

Arrêt du 15 mars 2004
Ière Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Leuzinger, Ferrari, Meyer et Ursprung.
Greffier : M. Berthoud

D.________, recourant, représenté par Me Pierre Gabus, avocat, rue de
Candolle 9, 1205 Genève,

contre

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, intimé

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 23 septembre 2003)

Faits:

A.
Par décision du 17 novembre 2000, l'Office cantonal de l'assurance-invalidité
du canton de Genève a rejeté la demande de rente d'invalidité que D.________
avait introduite le 28 juin 1999, au motif que son taux d'invalidité était de
25 %.

B.
Par jugement du 10 septembre 2002, la Commission cantonale genevoise de
recours en matière d'AVS/AI a rejeté le recours que l'assuré avait formé
contre la décision du 17 novembre 2000. Le Tribunal fédéral des assurances a
toutefois annulé ce jugement, par arrêt du 2 avril 2003 (I 749/02), car la
commission de recours avait statué en l'absence de l'un de ses membres qui
s'était fait excuser.

Le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève, entré en
fonction le 1er août 2003, a repris les compétences exercées jusque-là par la
commission de recours. Par jugement du 23 septembre 2003, la Ière chambre de
ce Tribunal, composée de la présidente et de deux juges assesseurs, a
confirmé la décision du 17 novembre 2000 et rejeté le recours dirigé contre
celle-ci.

C.
D.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, avec suite de dépens, en concluant principalement au
renvoi de la cause aux premiers juges pour nouvelle instruction,
subsidiairement à l'octroi d'une rente entière d'invalidité.

L'intimé conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à présenter des observations.

D.
Par arrêt du 27 janvier 2004 en la cause D., destiné à la publication dans le
Recueil officiel (1P.487/2003), le Tribunal fédéral a admis un recours de
droit public et annulé l'élection des seize juges assesseurs au Tribunal
cantonal des assurances sociales du canton de Genève, du 26 juin 2003.

A la suite de cet arrêt, le juge délégué à l'instruction a invité le Tribunal
cantonal des assurances sociales à se déterminer sur la question de sa
composition dans les affaires jugées depuis le 1er août 2003.

Dans sa réponse du 12 février 2004, la présidente de la juridiction cantonale
de recours a demandé à la Cour de céans de suspendre les procédures en cours
jusqu'à l'élection des juges assesseurs, afin d'éviter que les personnes
concernées soient obligées de recourir à nouveau au Tribunal fédéral des
assurances contre des jugements rendus à la suite de l'arrêt de renvoi. A son
avis, la juridiction fédérale pourrait alors considérer que le jugement
cantonal a été rendu dans une composition régulière si les assesseurs qui en
font partie sont élus ultérieurement par le peuple, ce qui permettrait
d'entrer en matière sur le fond des recours sans passer par un renvoi de la
cause à l'instance cantonale.

L'intimé et l'autorité fédérale de surveillance n'ont pas été invités à se
déterminer à nouveau.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral des assurances n'étant pas lié par les motifs que les
parties invoquent (art. 114 al. 1 en corrélation avec l'art. 132 OJ), il
examine d'office si le jugement attaqué viole des normes de droit public
fédéral ou si la juridiction de première instance a commis un excès ou un
abus de son pouvoir d'appréciation (art. 104 let. a OJ). Il peut ainsi
admettre ou rejeter un recours sans égard aux griefs soulevés par le
recourant ou aux raisons retenues par le premier juge (ATF 125 V 500 consid.
1, 124 V 340 consid. 1b et les références).

De jurisprudence constante, cet examen porte d'office, en particulier, sur
les conditions formelles de validité et de régularité de la procédure
précédente, parmi lesquelles l'exigence d'un tribunal établi par la loi,
compétent, indépendant et impartial (ATF 129 V 337 consid. 1.2 et les
références).

2.
La jurisprudence a déduit des art. 58 al. 1 aCst. et 6 par. 1 CEDH - qui ont
sur ce point la même portée - le droit des parties à une composition
régulière du tribunal et, partant, à des juges à l'égard desquels il n'existe
pas de motif de récusation; un tel principe impose des exigences minimales en
procédure cantonale (ATF 126 I 169 consid. 2a, 124 I 261 consid. 4a, 118 Ia
285 consid. 3d, 117 Ia 325 consid. 2, 115 V 260 consid. 2a et les
références). Cette garantie a été codifiée à l'art. 30 al. 1 Cst. (ATF 126 I
236 consid. 2a), aux termes duquel toute personne dont la cause doit être
jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée
devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial.
Les principes jurisprudentiels développés à propos de l'art. 58 aCst. restent
donc pleinement valables sous l'empire de la nouvelle Constitution (ATF 129 V
338 consid. 1.3.1, 128 V 84 consid. 2a, 127 I 130 consid. 3c, 198 consid. 2b,
126 I 170 consid. 2b; SVR 2000 UV n° 21 p. 72 consid. 2a).

Ces principes s'appliquent aussi aux juges suppléants (ATF 126 V 303; arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme du 21 décembre 2000 en la cause
Wettstein contre Suisse, Recueil des arrêts et décisions 2000-XII p. 403).
Quant aux juges laïcs, également concernés, la Cour européenne a jugé que la
violation des règles concernant leur nomination ne permettait pas d'admettre
que le tribunal, au sein duquel ils avaient participé, avait été établi par
la loi, entraînant ainsi une violation de l'art. 6 par. 1 CEDH (arrêt du 4
mars 2003 en la cause Posokhov contre Fédération de Russie, requête n°
63486/00).

3.
Au vu des considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 janvier 2004, le
Tribunal cantonal des assurances sociales a rendu son jugement du 23
septembre 2003 dans une composition irrégulière, dès lors que deux juges
assesseurs (Mme Descloux et M. Guerini), dont l'élection a été invalidée, ont
participé à la procédure et à la décision. En conséquence, se pose la
question de savoir si le jugement attaqué est frappé de nullité ou s'il est
annulable.

A cet égard, Grisel rappelle que le droit de se prévaloir de l'annulabilité
ne peut être exercé que par des personnes déterminées, dans les formes et les
délais prescrits, auprès de l'autorité compétente. Le droit de se prévaloir
de la nullité appartient à tous, en tout temps et en toute procédure (Traité
de droit administratif, vol. I, p. 418). Il ajoute que si la nullité prévaut
en droit privé et en exécution forcée, l'annulation des actes administratifs
viciés est la règle et la nullité leur exception (p. 420-421);
singulièrement, il précise que l'acte adopté par un collège composé
irrégulièrement est annulable (p. 425). Moor (Droit administratif, vol. II,
éd. 2002, p. 228) partage ce point de vue et retient que la sanction
ordinaire d'un acte irrégulier est l'annulabilité, l'administré devant faire
valoir l'irrégularité par le moyen d'un recours; seuls les vices les plus
graves, et manifestes, en entraînent l'annulation. Selon Rhinow/Koller/Kiss
(Öffentliches Prozessrecht und Justizverfassungsrecht des Bundes), la
violation des garanties conférées par l'art. 58 aCst. ne peut être réparée
par l'autorité de recours (n. 179) et entraîne l'annulation du jugement
auquel un juge inhabile a participé (n. 180).

De manière constante, le Tribunal fédéral des assurances admet aussi que la
composition irrégulière d'une autorité de recours constitue une cause
d'annulabilité du jugement qui a été rendu et non de nullité. C'est ainsi que
la Cour de céans a considéré qu'un jugement de première instance rendu sans
le concours du secrétaire de tribunal, à qui la législation cantonale
applicable confère voix consultative (et même explicitement le droit de faire
des propositions), devait être annulé pour violation d'une règle fédérale
essentielle de procédure, savoir le droit des parties à la composition
correcte du tribunal (ATF 125 V 499). Plus récemment, dans l'arrêt du 2 avril
2003 qui opposait les parties à la présente procédure (I 749/02), le Tribunal
fédéral des assurances a jugé qu'en l'absence de l'un de ses membres « excusé
», l'ancienne Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI
n'était, partant, pas composée conformément à la loi, ce qui constituait une
violation de l'art. 30 al. 1 Cst. entraînant l'annulation du jugement
cantonal (cf. aussi ATF 129 V 335). Lorsqu'un grief d'apparence de prévention
formé à l'encontre d'un juge apparaît bien fondé, le jugement auquel ce
magistrat a participé doit être annulé pour autant que le motif de récusation
n'ait pu être invoqué en temps utile; s'il est soulevé tardivement, le
plaideur est réputé avoir tacitement renoncé à se prévaloir d'un tel moyen
(cf. ATF 128 V 85 consid. 2b et les références) et le jugement ne s'en trouve
pas affecté. De son côté, le Tribunal fédéral a par exemple annulé un
jugement que le Tribunal administratif du canton de Vaud avait rendu en 2000,
car la section de ce tribunal qui avait statué se composait d'un président et
de deux assesseurs qui ne faisaient pas partie de la liste des assesseurs de
cette autorité judiciaire pour l'année 2000, consacrant ainsi une violation
de l'art. 16 LJPA/VD et, par conséquent, de l'art. 30 Cst. (arrêt du 27 août
2001, 2P.264/2000). Finalement, en ce qui concerne les jugements rendus par
le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève depuis le
mois d'août 2003, le Tribunal fédéral a implicitement admis que ceux-ci
présentent un caractère annulable, dès lors qu'il a abordé la question de
l'éventualité de demandes de révision dirigées contre ces jugements (cf.
arrêt du 27 janvier 2004, consid. 4.2).

4.
Contrairement à ce que propose la présidente de la juridiction cantonale de
recours, la Cour de céans ne saurait considérer, le moment venu, que le
jugement attaqué pourrait avoir été rendu dans une composition régulière pour
le cas où les assesseurs qui ont statué seraient finalement élus par le
peuple. En effet, cela reviendrait à réparer un vice qui est fondamental dans
la mesure où les parties n'ont pas bénéficié des garanties procédurales que
leur confèrent les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. En pareilles
circonstances, seul un nouveau jugement, rendu par un tribunal établi
conformément à la loi, est susceptible de rétablir une situation conforme au
droit (cf. ATF 125 V 502 consid. 2c et la référence à Rhinow/Koller/Kiss). Il
s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de suspendre la procédure jusqu'à l'élection
des juges assesseurs.

En l'espèce, la violation de l'art. 30 al. 1 Cst. entraîne donc l'annulation
du jugement entrepris pour ce seul motif et le renvoi de la cause à
l'autorité judiciaire cantonale afin qu'elle statue à nouveau dans une
composition conforme à la loi.

5.
Le recourant, qui a conclu à l'annulation du jugement attaqué, obtient gain
de cause. Il a droit à une indemnité de dépens, laquelle, par identité de
motifs avec l'arrêt publié aux ATF 129 V 342 consid. 4, doit être mise à la
charge de la République et canton de Genève.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève du 23 septembre 2003 est annulé, la
cause lui étant renvoyée pour qu'il statue à nouveau conformément aux
considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
La République et canton de Genève versera au recourant la somme de 1'000 fr.
à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 15 mars 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ière Chambre:   Le Greffier: