Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 53/2003
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2003
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2003


I 53/03

Arrêt du 19 août 2003
IIIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Meyer et Kernen. Greffier : M. Berthoud

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

S.________, intimé, représenté par Christine Bulliard, Forum Santé, boulevard
Helvétique 27, 1207 Genève

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 30 octobre 2002)

Faits:

A.
Né en 1953, S.________ a travaillé en qualité de maçon jusqu'en septembre
1998. Souffrant de douleurs à la colonne vertébrale, il s'est annoncé à
l'assurance-invalidité le 16 avril 1999.

Selon le docteur A.________, médecin traitant, spécialiste en médecine
interne et en maladies rhumatismales, l'assuré présentait une
cervicobrachialgie droite sur discarthrose C5-C6 et une lombosciatalgie
droite sur spondylarthrose, qui l'empêchaient totalement d'exercer sa
profession de maçon depuis le 4 juillet 1998 (ainsi qu'une activité de force)
en raison de douleurs (rapports des 20 mai et 25 août 1999). De son côté, le
docteur B.________, spécialiste en chirurgie orthopédique, mandaté par
l'assurance X.________, a attesté que l'assuré était probablement
définitivement incapable de travailler comme maçon en raison d'une
spondylose; il a ajouté que l'affection somatique était vraisemblablement
compliquée par un état dépressif (rapport du 3 février 1999).

Compte tenu, notamment, de ces diagnostics divergents, le docteur C.________,
médecin conseil de l'Office cantonal de l'assurance-invalidité du canton de
Genève (ci-après : l'office AI), a préconisé une expertise. Celle-ci a été
confiée à la policlinique médicale Y.________, fonctionnant en tant que
Centre d'observation médicale de l'AI (ci-après : COMAI). A l'issue de leurs
examens (cliniques, rhumatologiques et psychiatriques), les médecins du COMAI
ont diagnostiqué un syndrome douloureux somatoforme persistant sous forme de
rachialgies et un épisode dépressif de degré léger à moyen. Selon les
experts, l'assuré n'avait plus de capacité de travail dans son métier de
maçon, mais conservait en revanche une capacité de 40 à 50 % dans une
activité adaptée (sans travaux lourds ni port de charges supérieures à 20
kg). Un reclassement professionnel n'était pas judicieux (rapport du 25 avril
2001).

Dans une appréciation du 7 mai 2001, le docteur C.________ a estimé qu'il
n'existait pas d'éléments physiques réels qui empêcheraient l'assuré de
reprendre son métier et que le trouble somatoforme douloureux mis en évidence
ne présentait pas un caractère invalidant.
Par décision du 4 septembre 2001, l'office AI a refusé d'allouer une rente
d'invalidité à l'assuré. Le jour suivant, il a rendu une seconde décision,
aux termes de laquelle il a nié son droit à un reclassement professionnel.

B.
S.________ a déféré ces décisions à la Commission cantonale genevoise de
recours en matière d'AVS/AI (aujourd'hui : Tribunal cantonal des assurances
sociales du canton de Genève), en concluant principalement à l'octroi d'une
rente entière d'invalidité, subsidiairement à la prise en charge de mesures
de réadaptation d'ordre professionnel.

Par jugement du 30 octobre 2002, la juridiction cantonale a admis le recours
et renvoyé la cause à l'office AI afin qu'il mette en oeuvre une expertise
psychiatrique.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de ses décisions des
4 et 5 septembre 2001.

L'intimé conclut principalement au rejet du recours, avec suite de dépens, en
demandant qu'une rente entière d'invalidité lui soit allouée.
Subsidiairement, il conclut à la confirmation du jugement attaqué. L'Office
fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur la nécessité de la mise en oeuvre d'une expertise
psychiatrique pour statuer sur les droits de l'intimé, également litigieux, à
des prestations de l'assurance-invalidité.

L'intimé n'a pas recouru contre le jugement du 30 octobre 2002, si bien que
sa conclusion principale tendant au versement d'une rente entière n'a que
valeur de proposition au juge. Le Tribunal fédéral des assurances dispose en
effet d'un pouvoir d'examen étendu et il peut s'écarter des conclusions des
parties à l'avantage ou au détriment de celles-ci (art. 132 OJ).

2.
La loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales (LPGA) du 6
octobre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas applicable au
présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales n'a pas à
prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de fait
postérieures à la date déterminante des décisions litigieuses des 4 et 5
septembre 2001 (ATF 127 V 467 consid. 1, 121 V 366 consid. 1b).

Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et la
jurisprudence relatives à la notion d'invalidité (art. 4 LAI), à son
évaluation chez les assurés actifs (art. 28 al. 2 LAI), ainsi qu'à
l'échelonnement des rentes en fonction du degré d'invalidité (art. 28 al. 1
LAI). Les premiers juges ont également rappelé les conditions auxquelles des
troubles somatoformes douloureux peuvent, dans certaines circonstances,
amener à reconnaître une incapacité de travail invalidante. Ils ont aussi
résumé les tâches qui incombent à l'expert médical, lorsque celui-ci doit se
prononcer sur le caractère invalidant de troubles somatoformes (p. 8 du
jugement attaqué, citant le consid. 3c de l'arrêt A. du 9 octobre 2001, I
229/01).

3.
Au regard de l'ensemble des pièces médicales figurant au dossier, on peut
tenir pour établi que l'assuré ne souffre pas d'une atteinte à la santé
physique propre, à elle seule, à entraîner une incapacité de travail et de
gain d'une certaine importance. Selon les experts du COMAI, les rachialgies
intenses que l'intimé décrit sont discordantes tant avec les observations
cliniques qu'avec les constatations radiologiques; elles doivent être
imputées à un syndrome douloureux somatoforme persistant (pp. 12 et 15 du
rapport du 25 avril 2001).

En ce qui concerne cet aspect du dossier, l'intimé n'apporte aucun élément
concret qui devrait conduire le juge à s'écarter des conclusions de
l'expertise du COMAI, ou à tout le moins à mettre en doute la pertinence des
conclusions rendues. On rappellera que la tâche des experts est précisément
de mettre leurs connaissances spéciales à la disposition de l'administration
afin de l'éclairer sur les aspects médicaux du cas (cf. ATF 125 V 352 consid.
3b/aa et les références).

Il s'agit dès lors d'examiner si l'intimé présente une atteinte invalidante à
sa santé psychique.

4.
A l'appui de son jugement, la commission de recours a considéré que l'analyse
psychiatrique à laquelle la doctoresse D.________ a procédé dans le cadre de
l'expertise pluridisciplinaire ne répondait pas aux exigences posées par la
jurisprudence. Selon les premiers juges, la doctoresse D.________ est restée
très vague quant aux critères permettant de fonder un diagnostic favorable ou
défavorable dans le cas d'un trouble somatoforme douloureux, malgré une
anamnèse circonstanciée du cas, et son appréciation n'a pas été retenue
entièrement par le collège des experts. Dans de telles circonstances, la
commission de recours a jugé qu'un complément d'instruction s'imposait sous
la forme d'une expertise psychiatrique séparée.

5.
L'office recourant soutient que le rapport du COMAI contient tous les
éléments de réponse nécessaires permettant d'exclure la nature invalidante du
trouble somatoforme dont l'intimé est atteint. A son avis, la doctoresse
D.________ n'avait aucun substrat médical pertinent à mettre en évidence;
elle n'a fait état que d'une symptomatologie dépressive très modérée,
accompagnée de troubles du sommeil et de la concentration, d'une adhédonie
modérée, de sentiments de tristesse, de troubles anxieux, sans
symptomatologie psychotique. En outre, elle n'a pu expliquer le trouble
somatoforme douloureux qu'en faisant référence à des facteurs psychosociaux,
notamment une activité lucrative précoce et une séparation familiale. En
d'autres termes, la doctoresse D.________ n'a pas été en mesure de mettre en
évidence un trouble somatoforme persistant qui présenterait un minimum de
gravité.

Par ailleurs, le recourant estime que les critères plaidant en faveur du
caractère invalidant du trouble somatoforme douloureux font largement défaut,
car l'intimé ne souffre pas d'une structure de la personnalité présentant des
traits prémorbides et ne présente aucune comorbidité psychiatrique; en outre,
le recourant n'est atteint d'aucune affection corporelle chronique et son
intégration sociale demeure intacte. Quant aux éléments susceptibles de
fonder un pronostic défavorable en ce qui concerne le caractère exigible de
la reprise de l'activité professionnelle, tels que le caractère chronique de
la maladie et de son évolution sur plusieurs années ainsi que l'absence de
résultats des traitements, ils apparaissent bien insuffisants. Le trouble
somatoforme ne présente pas le caractère de gravité requis par la
jurisprudence pour admettre une invalidité, si bien que l'expertise ordonnée
par les premiers juges est superflue.
Quant à l'intimé, il soutient que l'expertise psychiatrique litigieuse était
nécessaire pour connaître l'incidence de l'état dépressif suspecté sur sa
capacité de travail.

6.
6.1 Il est vrai que le rapport de la doctoresse D.________, rendu à l'issue de
sa consultation psychiatrique du 9 novembre 2000, n'aborde pas l'ensemble des
critères permettant de fonder un diagnostic favorable ou défavorable dans le
cas d'un trouble somatoforme douloureux. Ainsi, le rapport ne fait-il pas
mention des ressources psychiques permettant à l'assuré de faire face aux
douleurs ou de conserver une capacité à exercer une activité sur le marché du
travail nonobstant les douleurs (à cet égard, voir le consid. 4.2 de l'arrêt
S. du 26 juin 2003, I 671/02).

Les premiers juges ont cependant oublié que l'intimé avait fait l'objet d'une
expertise pluridisciplinaire. Dans ce cadre, il importe de s'attacher à la
discussion globale menée par le collège des experts, plutôt qu'aux rapports
forcément sectoriels et limités des différents spécialistes consultés en
cours d'expertise.

Ainsi, la problématique des ressources psychiques de l'intimé, ainsi que les
autres critères propres à fonder une incapacité de travail invalidante, ont
été abordés, discutés et tranchés par le collège des experts, auquel la
doctoresse D.________ appartenait, lors de la discussion du 20 décembre 2000
(voir les pp. 15 à 17 du rapport du 25 avril 2001). A cette occasion, les
experts ont constaté que l'assuré ne s'était plus senti en mesure de
poursuivre son métier de maçon et qu'il demeurait passif, au point de rester
souvent assis et couché sur son canapé. Les experts ont relevé que l'assuré
conservait néanmoins un rythme de vie, vaquait à certaines activités et ne
semblait pas vivre dans un état de régression extrême, ni nécessiter de suivi
médical très rapproché. En outre, sa trajectoire professionnelle montrait
qu'il avait toujours été en mesure de trouver par lui-même des emplois
adaptés, raison pour laquelle une aide au placement devrait lui être
proposée. En conclusion, si le manque de formation et de confiance de
l'intimé constituaient des facteurs négatifs à une reprise du travail, les
experts ont fait état d'éléments autorisant un bon pronostic, tels que sa
régularité au travail, son adaptabilité et sa capacité reconnue à surveiller
des travaux de nettoyage, à quoi s'ajoute un bon soutien familial et social.

Il s'ensuit que le complément d'instruction d'ordre psychiatrique ordonné par
les premiers juges est superflu.

6.2 En l'espèce, les experts ont posé les diagnostics de syndrome douloureux
somatoforme persistant et d'épisode dépressif de degré léger à moyen. A
l'examen des rapports de consultations spécialisées, il ressort que le
premier de ces diagnostics a été posé par exclusion, dès lors que les
cervico-lombalgies chroniques n'avaient pas d'origine organique significative
(pp. 12 et 13 du rapport du 25 avril 2001).

Plusieurs critères, dont le cumul permettrait d'apprécier le caractère
invalidant des troubles somatoformes, conformément à la jurisprudence, font
en l'occurrence défaut. Ainsi, le second diagnostic retenu par les experts
est constitué par un épisode dépressif de degré léger à moyen, soit un état
passager ne présentant pas le caractère d'une comorbidité ou d'une atteinte
psychiatrique grave. En outre, la structure de personnalité de l'intimé ne
présente pas de traits prémorbides. Quant à l'anamnèse psychosociale, elle ne
fait pas état d'une perte d'intégration et la situation conjugale paraît
favorable.

Le critère de la chronicité et de la durée des douleurs, qui serait
susceptible de fonder un pronostic défavorable à propos de l'exigibilité
d'une reprise de l'activité professionnelle, apparaît certes réalisé;
toutefois, il n'est à lui seul pas suffisant au regard de la jurisprudence
pour justifier du caractère invalidant d'une incapacité de travail en raison
d'un trouble somatoforme douloureux. A cet égard, les experts ne donnent
aucune explication convaincante, sur la base de laquelle il faudrait inférer
que la capacité de travail de l'intimé ne serait pas entière dans une
activité adaptée, malgré ses douleurs, mais seulement de 40 à 50 %.

A cela, il convient d'ajouter que le collège des experts, de même que la
doctoresse D.________, ont tenu compte de critères qui ne sont pas
déterminants pour apprécier le caractère invalidant de troubles somatoformes,
à l'instar du début précoce de l'activité lucrative de l'intimé et du départ
de son père à l'étranger lorsqu'il était enfant. En effet, à défaut d'une
maladie psychique grave dûment établie (notamment un trouble dépressif
grave), de tels facteurs ne sont pas en soi invalidants (cf. VSI 2000 p. 161
consid. 4b).

En bref, les critères déterminants consacrés par la jurisprudence en cette
matière (cf. VSI 2000 p. 154) ne se manifestent pas chez l'assuré avec un
minimum de constance et d'intensité, de sorte que l'office recourant était
fondé à s'écarter du taux d'incapacité de travail auquel étaient parvenus les
experts (voir le consid. 3.2 de l'arrêt D. du 20 septembre 2002, I 759/01,
cité par l'office AI, ainsi que le consid. 5 de l'arrêt V. du 18 octobre
2002, I 141/02).

6.3 C'est donc à juste titre que le recourant a admis que l'intimé serait à
même de reprendre une activité lui permettant de réaliser un revenu n'ouvrant
pas droit à des prestations de l'assurance-invalidité. Le recours est bien
fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement de la Commission cantonale genevoise de
recours en matière d'AVS/AI du 30 octobre 2002 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 19 août 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre:   Le Greffier: