Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 535/2003
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I 535/03

Arrêt du 12 juillet 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffière : Mme
Berset

S.________, 1952, recourante, représentée par la CAP Assurance Protection
Juridique, rue St-Martin 26, 1005 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 23 avril 2003)

Faits:

A.
S.  ________, née en 1952, a déposé, le 17 novembre 1999, une demande de
prestations de l'assurance-invalidité tendant à l'octroi d'une rente.

Dans le cadre de l'instruction, l'Office de l'assurance-invalidité pour le
canton de Vaud (ci-après: office AI) a confié une expertise au docteur
G.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (rapport du 12 avril
2001).

Par décision du 14 mai 2001, l'office AI a nié le droit de l'assurée aux
prestations demandées, au motif que l'atteinte à la santé qu'elle présentait
n'était pas invalidante.

B.
S. ________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurances
du canton de Vaud.

L'autorité cantonale a ordonné une expertise qu'elle a confiée au docteur
P.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Celui-ci a rendu
son rapport le 10 février 2003.

Par jugement du 23 avril 2003, le Tribunal des assurances a rejeté le
recours.

C.
S. ________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement,
dont
elle demande l'annulation, sous suite de dépens, en concluant,
principalement, à l'octroi d'une rente entière d'invalidité et
subsidiairement, à la mise en oeuvre d'une surexpertise psychiatrique.

L'office AI conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
En procédure fédérale, le litige porte sur le droit de la recourante à une
rente d'invalidité.

2.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et les
principes jurisprudentiels applicables en l'espèce, de sorte que l'on peut y
renvoyer.

La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas
applicable au présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales
n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de
fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse du 14 mai
2001 (ATF 129 V 4, consid. 1.2 et les arrêts cités).

Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852), ne sont pas applicables. Cet arrêt prend dès lors en
considération le droit en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002.

3.
3.1 La juridiction cantonale a repris à son compte les conclusions du docteur
P.________, expert judiciaire; elle a retenu que l'atteinte à la santé
psychique (essentiellement une dysthimie et une névrose d'angoisse avec
somatisations) présentée par l'assurée n'entraînait aucune incapacité de
travail.

3.2  La recourante critique la valeur probante de l'expertise judiciaire du
docteur P.________ auquel elle reproche de manquer de cohérence. A l'appui de
quelques citations extraites du rapport d'expertise, elle fait valoir que
l'argumentation de l'expert est absurde, confuse et incompréhensible. A cet
égard, elle se réfère au rapport du docteur G.________, dont il ressort que
l'affection psychique diagnostiquée par ce médecin la rend totalement
incapable de travailler.

4.
En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions
d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément
de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de
l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la
jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise
judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une
surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière
convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions
contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions
de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente
des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction
complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352
consid. 3b/aa et les références). En ce qui concerne, par ailleurs, la valeur
probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant c'est que les points
litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se
fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les
plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine
connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et
l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les
conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément
déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni
sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu
(ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références).

5.
5.1  Pour rendre ses conclusions, le docteur P.________ s'est appuyé sur
l'ensemble du dossier médical de l'assurée, ainsi que sur un entretien
personnel avec elle (en partie en présence de son mari). L'expert commence
par rappeler la situation de l'assurée sur le plan familial (ressortissante
de la Macédoine, mère de trois enfants, mari instituteur à l'époque, venue en
Suisse du mari en 1986 et de l'assurée deux ans plus tard, émigration du
reste de la famille en 1990, exploitation par le mari, dès 1995, d'un petit
magasin à Vevey). Au chapitre des observations cliniques, l'expert constate
que l'assurée ne présente aucune défaillance psycho-organique ou autre
perturbation majeure et psychotique. En revanche, elle recherche
l'approbation de son mari qui semble la dominer et déterminer son
comportement (tout au long de l'entretien). Sur le plan physique, la mobilité
est donnée dans tous les axes sans limitations fonctionnelles, ni limitation
par la douleur. L'assurée semble, cependant, consommer des substances
psychotropes analgésiques et présenter une forme d'accoutumance à ces
produits (affection iatrogène). Elle souffre aussi d'une dépendance
boulimique, qui traduit l'existence de conflits psychiques; celle-ci s'est
accentuée en 1995, suite au changement professionnel de son mari. A partir de
cette date, ce dernier semble exiger de son épouse qu'elle gagne de l'argent.
Sous son influence, elle a été amenée à déclarer fictivement qu'elle a
travaillé à 50 % voire à 100 % au magasin de Vevey dans le but d'obtenir des
prestations d'assurance pour la famille, alors qu'en réalité elle a continué
à exercer ses tâches ménagères même après 1995. Pour l'expert, l'assurée se
trouve aux prises d'un conflit conjugal majeur, ainsi que d'un conflit
d'intégration socio-économique dont son mari est responsable. Si elle laisse
volontairement à ce dernier le soin de déterminer la marche à suivre dans le
but visible (commun) d'obtenir des prestations assécurologiques, il n'en
reste pas moins qu'elle fait preuve de sursauts d'honnêteté, en contredisant,
même devant son mari, certaines déclarations destinées à l'administration.
L'expert conclut son analyse en constatant que l'atteinte à la santé
(notamment dysthimie et névrose d'angoisse avec somatisations) n'entraîne
aucune incapacité de travail: l'assurée est apte à exercer à 100 % non
seulement les tâches ménagères qui sont sa véritable occupation, mais
également tout autre activité de son choix.

5.2  A l'instar des premiers juges, le Tribunal fédéral des assurances n'a
aucun motif de s'écarter des conclusions de l'expert judiciaire; son
appréciation répond en tous points aux exigences permettant de lui
reconnaître pleine valeur probante au sens de la jurisprudence précitée. A
cet égard, c'est en vain que la recourante tente de démontrer, à l'appui de
quelques citations sorties de leur contexte, que l'argumentation de l'expert
est incohérente, voire absurde. Par ailleurs, plusieurs motifs justifient que
l'on écarte l'appréciation du docteur G.________ au profit de celle de
l'expert judiciaire. Tout d'abord, contrairement à son confrère, le docteur
P.________ a bénéficié d'une vue d'ensemble de la situation et a eu
l'occasion, notamment, de consulter le rapport du docteur G.________. Par
ailleurs, ainsi que la cour cantonale l'a retenu, le docteur G.________ a
probablement sous-estimé le rôle du mari dans le cadre de la problématique de
la recourante. De surcroît, en sus du diagnostic principal, il a tenu compte
dans son estimation de l'incapacité de travail également d'un certain nombre
de facteurs non médicaux qui, de par leur nature, ne revêtent pas un
caractère invalidant (difficultés d'acculturation, analphabétisme, altération
importante du fonctionnement social et professionnel). A cet égard, le
docteur P.________ a d'ailleurs nié que l'assurée soit analphabète, du fait
qu'elle a suivi une scolarisation de huit ans. Quoi qu'il en soit, dans la
mesure où le docteur G.________ retient, à titre principal, le diagnostic de
trouble somatoforme douloureux associé à des facteurs psychologiques, il eût
incombé à ce dernier de se prononcer de manière plus approfondie,  sur le
caractère exigible de la reprise du travail.  On ajoutera que le trouble
dépressif majeur dont le docteur G.________ fait aussi état est un épisode
isolé, léger, et qu'il n'a dès lors pas la portée que semble lui accorder la
recourante. De toute manière, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral des
assurances, en présence de troubles somatoformes douloureux persistants, les
états dépressifs constituent souvent des manifestations (réactives)
d'accompagnement de ces troubles, de sorte qu'un tel diagnostic ne saurait
être reconnu comme constitutif d'une comorbité psychiatrique autonome du
trouble somatoforme douloureux (arrêt N. du 12 mars 2004, destiné à la
publication, consid. 3.3.1 in fine). Sur le vu de ce qui précède,
l'appréciation du docteur G.________ n'est pas de nature à ébranler la
crédibilité des conclusions du docteur P.________.

5.3  Dès lors que l'expertise judiciaire se prononce sur l'ensemble de  la
problématique de la recourante, un complément d'expertise ne se justifie pas.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 12 juillet 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   La Greffière: