Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 515/2003
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I 515/03

Arrêt du 15 septembre 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffier : M.
Berthoud

F.________, recourante, représentée par Me Jean-Marie Agier, avocat, FSIH,
place du Grand-Saint-Jean 1, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 27 mai 2003)

Faits:

A.
F.  ________, née en 1969, a travaillé en qualité de nettoyeuse. Invoquant
des
problèmes de dos, de reins et de poids, elle s'est annoncée à
l'assurance-invalidité le 15 juillet 1999.

L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office AI) a
confié un mandat d'expertise à la Clinique M.________, fonctionnant en tant
que Centre d'observation médicale de l'AI (COMAI). Dans leur rapport du 15
janvier 2002, les doctoresses L.________ et B.________ ont attesté que
l'assurée souffre d'un trouble somatoforme douloureux persistant de type
fibromyalgie (F45.4) ainsi que d'un état dépressif léger sans syndrome
somatique (F32.00), ce qui réduit sa capacité de travail de moitié. Elles ont
également fait état d'obésité morbide (BMI 30,1), laquelle n'affecte
toutefois pas la capacité de travail. Selon les prénommées, le pronostic est
réservé quant à la reprise d'une activité professionnelle à un taux supérieur
à 50 %. Par ailleurs, des mesures de réadaptation d'ordre médical ou
professionnel ne sont pas susceptibles d'améliorer la capacité de travail de
la patiente.

Les docteurs P.________ et V.________, médecins au Service médical
R.________, ont estimé que le trouble somatoforme douloureux de l'assurée
n'est pas invalidant au sens de la loi, car il n'existe pas de co-morbidité
psychiatrique significative (rapport du 28 janvier 2002). Aussi, par décision
du 27 février 2002, l'office AI a-t-il nié le droit de l'assurée à la rente.

B.
F. ________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de
Vaud. Elle a conclu à son annulation et au renvoi de la cause à l'office AI
afin qu'il statue à nouveau sur le taux de la rente et le moment à partir
duquel elle doit être versée.

Par jugement du 27 mai 2003, la juridiction cantonale a rejeté le recours.

C.
F. ________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
elle demande l'annulation, avec suite de dépens, en reprenant ses conclusions
formulées en première instance.

L'intimé conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de la recourante à des prestations de
l'assurance-invalidité, singulièrement une rente, en raison des troubles
somatoformes douloureux dont elle est atteinte.

2.
2.1 Le jugement entrepris rappelle correctement les dispositions légales (en
particulier les art. 4 et 28 LAI, dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31
décembre 2002 et jusqu'au 31 décembre 2003 respectivement) ainsi que les
principes jurisprudentiels (relatifs à l'appréciation des expertises
médicales par le juge) applicables au cas d'espèce, de sorte qu'il suffit d'y
renvoyer.

2.2  Récemment, la Cour de céans s'est exprimée sur les conditions auxquelles
des troubles somatoformes douloureux persistants peuvent présenter un
caractère invalidant (arrêt N. du 12 mars 2004, I 683/03, destiné à la
publication; arrêt P. du 21 avril 2004, I 870/02). Elle a notamment considéré
ce qui suit, au consid. 3.3 de l'arrêt P. :

3.3.1 Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes douloureux peuvent,
dans certaines circonstances, conduire à une incapacité de travail (ATF 120 V
119 consid. 2c/cc; RAMA 1996 no U 256 p. 217 ss consid. 5 et 6). De tels
troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques, pour lesquelles
une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand il s'agit de se
prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont susceptibles d'entraîner
(VSI 2000 p. 160 consid. 4b; arrêt N. du 12 mars 2004, destiné à la
publication, I 683/03, consid. 2.2.2 et les arrêts cités). Compte tenu des
difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de douleurs, les
simples plaintes subjectives de l'assuré ne suffisent pas pour justifier une
invalidité (entière ou partielle). Dans le cadre de l'examen du droit aux
prestations de l'assurance sociale, l'allégation des douleurs doit être
confirmée par des observations médicales concluantes, à défaut de quoi une
appréciation de ce droit aux prestations ne peut être assurée de manière
conforme à l'égalité de traitement des assurés (arrêt N. précité, consid.

2.2.2 ).

3.3.2   Un rapport d'expertise attestant la présence d'une atteinte psychique
ayant valeur de maladie - tels des troubles somatoformes douloureux - est une
condition juridique nécessaire, mais ne constitue pas encore une base
suffisante pour que l'on puisse admettre qu'une limitation de la capacité de
travail revêt un caractère invalidant (arrêt N. précité consid. 2.2.3; Ulrich
Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in
der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleich in der
Invaliditätsbemessung, in : René Schauffhauser/Franz Schlauri (éd.), Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 64 sv., et note 93). En effet,
selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux persistants
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI (voir sur ce point Meyer-Blaser, op. cit. p. 76 ss, spéc. p. 81 sv.).
Une exception à ce principe est admise dans les seuls cas où, selon
l'estimation du médecin, les troubles somatoformes douloureux se manifestent
avec une telle sévérité que, d'un point de vue objectif, la mise en valeur de
sa capacité de travail ne peut, pratiquement, - sous réserve des cas de
simulation ou d'exagération (SVR 2003 IV no 1 p. 2 consid. 3b/bb; voir aussi
Meyer-Blaser, op. cit. p. 83, spéc. 87 sv.) - plus raisonnablement être
exigée de l'assuré, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF
102 V 165; VSI 2001 p. 224 sv. consid. 2b et les références; arrêt N. précité
consid. 2.2.3 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in
fine).

Admissible seulement dans des cas exceptionnels, le caractère non exigible
d'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de la réintégration
dans un processus de travail suppose, dans chaque cas, soit la présence
manifeste d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une durée
importantes, soit le cumul d'autres critères présentant une certaine
intensité et constance. Ce sera le cas (1) des affections corporelles
chroniques ou d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable, (2) d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, (3) d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la
libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire
tiré de la maladie), ou enfin (4) de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art  et de mesures de réhabilitation,
cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour
surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux (VSI 2000 p. 155
consid. 2c; arrêt N. précité, consid. 2.2.3 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.
p. 76 ss, spéc. 80 ss).

3.3.3   Dès lors qu'en l'absence de résultats sur le plan somatique le seul
diagnostic de troubles somatoformes douloureux ne suffit pas  pour justifier
un droit à des prestations d'assurance sociale, il incombe à l'expert
psychiatre, dans le cadre large de son examen, d'indiquer à l'administration
(et au juge en cas de litige) si et dans quelle mesure un assuré dispose de
ressources psychiques qui - eu égard également aux critères mentionnés au
considérant 3.3.2 ci-dessus - lui permettent de surmonter ses douleurs. Il
s'agit pour lui d'établir de manière objective si, compte tenu de sa
constitution psychique, l'assuré peut exercer une activité sur le marché du
travail, malgré les douleurs qu'il ressent (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.4.  et les arrêts cités).

3.3.4   Les prises de position médicales sur la santé psychique et sur les
ressources dont dispose l'assuré constituent une base indispensable pour
trancher la question (juridique) de savoir si et dans quelle mesure on peut
exiger de celui-ci qu'il mette en oeuvre toute sa volonté pour surmonter ses
douleurs et réintégrer le monde du travail. Dans le cadre de la libre
appréciation dont ils disposent (art. 40 PCF en liaison avec l'art. 19 PA;
art. 95 al. 2 en liaison avec 113 et 132 OJ; VSI 2001 p. 108 consid. 3a),
l'administration et le juge (en cas de litige) ne sauraient ni ignorer les
constatations de fait des médecins, ni faire leurs les estimations et
conclusions médicales relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans
procéder à un examen préalable de leur pertinence du point de vue du droit
des assurances sociales. Cela s'impose en particulier lorsque l'expert
atteste une limitation de la capacité de travail fondée uniquement sur le
diagnostic de troubles somatoformes douloureux. Dans un tel cas, il
appartient aux autorités administratives et judiciaires d'examiner avec tout
le soin nécessaire si l'estimation médicale de l'incapacité de travail prend
en considération également des éléments étrangers à l'invalidité (en
particulier des facteurs psychosociaux et socio-culturels) qui ne sont pas
pertinents du point de vue des assurances sociales (ATF 127 V 299 consid. 5a;
VSI 2000 p. 149 consid. 3), ou si la limitation (partielle ou totale) de la
capacité de travail est justifiée par les critères juridiques déterminants,
énumérés aux consid. 3.3.2 et 3.3.3 ci-dessus (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.5 ).

3.
3.1 La recourante reproche à l'administration et aux premiers juges d'avoir
admis à tort qu'elle dispose d'une pleine capacité de travail, alors que les
expertes du COMAI avaient pourtant attesté une incapacité de travail de 50 %
due à ses troubles somatoformes douloureux. De l'avis de la recourante, son
degré d'invalidité devrait en conséquence être arrêté en fonction de
l'incapacité de travail retenue par les médecins du COMAI, ce qui justifie le
renvoi de la cause à l'intimé à cette fin.

3.2  Selon les doctoresses L.________ et B.________, la recourante souffre
d'un trouble somatoforme douloureux persistant de type fibromyalgie (F45.4)
ainsi que d'un état dépressif léger sans syndrome somatique (F32.00). Eu
égard aux principes qui viennent d'être rappelés, il s'agit de déterminer si
l'AI doit répondre de l'incapacité de travail que cette affection psychique
engendre.

A la lecture du rapport d'expertise du 15 janvier 2002, il apparaît
clairement que le critère de la comorbidité psychiatrique d'une acuité et
d'une durée importantes n'est pas réalisé. En effet, le trouble somatoforme
ne s'accompagne en l'occurrence que d'un état dépressif léger sans syndrome
somatique, qui n'est d'ailleurs pas traité (p. 13 en bas).

Les auteurs du rapport d'expertise n'ont certes pas attesté que les quatre
autres critères retenus par la jurisprudence ne seraient pas réalisés.
Toutefois, en ce qui concerne le premier d'entre eux (la chronicité des
douleurs), on peut se demander s'il atteint vraiment l'intensité et la
constance exigées par la jurisprudence, dès lors que les douleurs ne
paraissent pas empêcher la recourante de vaquer régulièrement à diverses
activités non professionnelles. Quant au deuxième critère (la perte
d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie), il n'est pas
rempli au vu des renseignements anamnestiques fournis.

Au demeurant, la reconnaissance du caractère invalidant de troubles
somatoformes chez de jeunes assurés, en l'absence de comorbidité
psychiatrique, doit rester exceptionnelle (cf. Meyer-Blaser, op. cit., p.
87). Dans un tel cas, en effet, on doit admettre que la personne n'a pas
épuisé toutes ses ressources psychiques lui permettant de surmonter sa
douleur. Enfin, les expertes du COMAI se disent conscientes du fait qu'elles
ont tenu compte de critères qui ne sont pas déterminants pour apprécier le
caractère invalidant de troubles somatoformes, à l'instar du faible niveau de
la formation professionnelle de la recourante, du désarroi dans lequel elle
est plongée quant à la prise en charge de ses futurs frais médicaux en cas de
retour au Portugal, de l'échec de son émigration en Suisse, ainsi que de la
maladie de son époux, rentier de l'AI qui est reparti au pays avec leurs
enfants (p. 13 du rapport).

3.3  Dans ces conditions, on doit nier - d'un point de vue juridique - qu'une
mise en valeur de la capacité de travail de la recourante, jugée complète au
plan somatique dans une activité adaptée, ne puisse plus entièrement être
exigée d'elle. Le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 15 septembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   Le Greffier: