Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 488/2003
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I 488/03

Arrêt du 17 août 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Rüedi et Frésard. Greffier : M. Berthoud

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

M.________, intimé, représenté par Me Dominique-Anne Kirchhofer, avocate, rue
des Alpes 3, 1110 Morges

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 20 mai 2003)

Faits:

A.
M.________, né en 1955, a travaillé en qualité de bûcheron jusqu'au 11
février 1998. Souffrant de maux de dos, il s'est annoncé à
l'assurance-invalidité le 5 mars 1998.

L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office AI) a
confié un mandat d'expertise au Service d'orthopédie et de traumatologie de
l'appareil moteur du Centre Hospitalier V.________. Dans son rapport du 8
novembre 2000, le docteur F.________ a attesté que l'exercice d'une activité
légère, offrant des alternances de postures et des ports de charge inférieurs
à 10kg était compatible avec l'état de l'appareil locomoteur du patient. Il a
ajouté qu'une réinsertion professionnelle dans une activité plus adaptée
pourrait être exigée, dans laquelle la capacité de travail du patient serait
alors d'au moins 50 %. Le docteur F.________ a toutefois précisé qu'un avis
psychiatrique serait décisif. Cet examen a été réalisé par le docteur
S.________, médecin adjoint au Département de Psychiatrie Adulte et par le
docteur R.________, médecin-assistant. Dans leur rapport du 8 janvier 2001,
ces médecins ont diagnostiqué un syndrome douloureux somatoforme persistant
F45.4 ainsi que des troubles mixtes de la personnalité à traits paranoïaques,
immatures et psychotiques F61.0. Selon ces psychiatres, le patient n'a aucune
capacité de travail d'un point de vue psychiatrique; quant aux capacités
d'adaptation, les experts les jugent trop restreintes.

Dans une appréciation du 16 mars 2001, le docteur A.________, médecin au
Service médical régional AI (SMR), a estimé notamment que le trouble de la
personnalité ne justifie pas une incapacité totale de travail, en l'absence
de comorbidité psychiatrique grave. A son avis, les plaintes actuelles
reflètent la difficulté de l'assuré à s'adapter aux circonstances de
l'émigration et à ses problèmes professionnels.

L'office AI, après comparaison des revenus, a conclu que la perte de gain
était pratiquement nulle. En conséquence, par décision du 22 juin 2001, il a
nié le droit de l'assuré à la rente.

B.
M.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de
Vaud, en concluant principalement à l'octroi d'une rente entière d'invalidité
depuis le 1er mars 1998, subsidiairement au renvoi de la cause à l'office AI.

Par jugement du 20 mai 2003, la juridiction cantonale a admis le recours et
réformé la décision attaquée en ce sens qu'elle a mis l'assuré au bénéfice
d'une rente entière d'invalidité à partir du 1er février 1999.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation. Il conclut au renvoi de la cause, soit aux premiers
juges soit à lui-même, afin de mettre en oeuvre une expertise
pluridisciplinaire.

L'intimé conclut au rejet du recours avec suite de dépens. L'Office fédéral
des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le taux d'invalidité de l'intimé et, par voie de
conséquence, sur son droit à une rente.

2.
2.1 La solution du litige ressortit aux art. 4, 28 et 41 LAI, dans leur
teneur
en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002 et jusqu'au 31 décembre 2003
respectivement.

2.2  Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le
juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin,
éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du
médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans
quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler.
En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer
quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V
261 consid. 4, 115 V 134 consid. 2, 114 V 314 consid. 3c, 105 V 158 consid.
1).

En ce qui concerne, par ailleurs, la valeur probante d'un rapport médical, ce
qui est déterminant c'est que les points litigieux aient fait l'objet d'une
étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il
prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne
examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la
description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale
soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment
motivées. Au demeurant, l'élément déterminant pour la valeur probante n'est
ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme
expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160
consid. 1c et les références).

2.3  Récemment, la Cour de céans s'est exprimée sur les conditions auxquelles
des troubles somatoformes douloureux persistants peuvent présenter un
caractère invalidant (arrêt N. du 12 mars 2004, I 683/03, destiné à la
publication; arrêt P. du 21 avril 2004, I 870/02). Elle a notamment considéré
ce qui suit, au consid. 3.3 de l'arrêt P. :

3.3.1 Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes douloureux peuvent,
dans certaines circonstances, conduire à une incapacité de travail (ATF 120 V
119 consid. 2c/cc; RAMA 1996 no U 256 p. 217 ss consid. 5 et 6). De tels
troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques, pour lesquelles
une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand il s'agit de se
prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont susceptibles d'entraîner
(VSI 2000 p. 160 consid. 4b; arrêt N. du 12 mars 2004, destiné à la
publication, I 683/03, consid. 2.2.2 et les arrêts cités). Compte tenu des
difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de douleurs, les
simples plaintes subjectives de l'assuré ne suffisent pas pour justifier une
invalidité (entière ou partielle). Dans le cadre de l'examen du droit aux
prestations de l'assurance sociale, l'allégation des douleurs doit être
confirmée par des observations médicales concluantes, à défaut de quoi une
appréciation de ce droit aux prestations ne peut être assurée de manière
conforme à l'égalité de traitement des assurés (arrêt N. précité, consid.

2.2.2 ).

3.3.2   Un rapport d'expertise attestant la présence d'une atteinte psychique
ayant valeur de maladie - tels des troubles somatoformes douloureux - est une
condition juridique nécessaire, mais ne constitue pas encore une base
suffisante pour que l'on puisse admettre qu'une limitation de la capacité de
travail revêt un caractère invalidant (arrêt N. précité consid. 2.2.3; Ulrich
Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in
der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleich in der
Invaliditätsbemessung, in : René Schauffhauser/Franz Schlauri (éd.), Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 64 sv., et note 93). En effet,
selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux persistants
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI (voir sur ce point Meyer-Blaser, op. cit. p. 76 ss, spéc. p. 81 sv.).
Une exception à ce principe est admise dans les seuls cas où, selon
l'estimation du médecin, les troubles somatoformes douloureux se manifestent
avec une telle sévérité que, d'un point de vue objectif, la mise en valeur de
sa capacité de travail ne peut, pratiquement, - sous réserve des cas de
simulation ou d'exagération (SVR 2003 IV no 1 p. 2 consid. 3b/bb; voir aussi
Meyer-Blaser, op. cit. p. 83, spéc. 87 sv. ) - plus raisonnablement être
exigée de l'assuré, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF
102 V 165; VSI 2001 p. 224 sv. consid. 2b et les références; arrêt N. précité
consid. 2.2.3 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in
fine).

Admissible seulement dans des cas exceptionnels, le caractère non exigible
d'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de la réintégration
dans un processus de travail suppose, dans chaque cas, soit la présence
manifeste d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une durée
importantes, soit le cumul d'autres critères présentant une certaine
intensité et constance. Ce sera le cas (1) des affections corporelles
chroniques ou d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable, (2) d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, (3) d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la
libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire
tiré de la maladie), ou enfin (4) de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art  et de mesures de réhabilitation,
cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour
surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux (VSI 2000 p. 155
consid. 2c; arrêt N. précité, consid. 2.2.3 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.
p. 76 ss, spéc. 80 ss).

3.3.3   Dès lors qu'en l'absence de résultats sur le plan somatique le seul
diagnostic de troubles somatoformes douloureux ne suffit pas  pour justifier
un droit à des prestations d'assurance sociale, il incombe à l'expert
psychiatre, dans le cadre large de son examen, d'indiquer à l'administration
(et au juge en cas de litige) si et dans quelle mesure un assuré dispose de
ressources psychiques qui - eu égard également aux critères mentionnés au
considérant 3.3.2 ci-dessus - lui permettent de surmonter ses douleurs. Il
s'agit pour lui d'établir de manière objective si, compte tenu de sa
constitution psychique, l'assuré peut exercer une activité sur le marché du
travail, malgré les douleurs qu'il ressent (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.4.  et les arrêts cités).

3.3.4   Les prises de position médicales sur la santé psychique et sur les
ressources dont dispose l'assuré constituent une base indispensable pour
trancher la question (juridique) de savoir si et dans quelle mesure on peut
exiger de celui-ci qu'il mette en oeuvre toute sa volonté pour surmonter ses
douleurs et réintégrer le monde du travail. Dans le cadre de la libre
appréciation dont ils disposent (art. 40 PCF en liaison avec l'art. 19 PA;
art. 95 al. 2 en liaison avec 113 et 132 OJ; VSI 2001 p. 108 consid. 3a),
l'administration et le juge (en cas de litige) ne sauraient ni ignorer les
constatations de fait des médecins, ni faire leurs les estimations et
conclusions médicales relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans
procéder à un examen préalable de leur pertinence du point de vue du droit
des assurances sociales. Cela s'impose en particulier lorsque l'expert
atteste une limitation de la capacité de travail fondée uniquement sur le
diagnostic de troubles somatoformes douloureux. Dans un tel cas, il
appartient aux autorités administratives et judiciaires d'examiner avec tout
le soin nécessaire si l'estimation médicale de l'incapacité de travail prend
en considération également des éléments étrangers à l'invalidité (en
particulier des facteurs psychosociaux et socio-culturels) qui ne sont pas
pertinents du point de vue des assurances sociales (ATF 127 V 299 consid. 5a;
VSI 2000 p. 149 consid. 3), ou si la limitation (partielle ou totale) de la
capacité de travail est justifiée par les critères juridiques déterminants,
énumérés aux consid. 3.3.2 et 3.3.3 ci-dessus (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.5 ).

3.
3.1 L'office recourant conteste l'impartialité de l'expert S.________,
co-auteur du rapport du 8 janvier 2001 et co-signataire d'un courrier de
lecteur qu'il juge diffamatoire à son égard (cf. «24heures» du 17 juillet
2002). Il en déduit que l'avis de ce médecin serait dénué de valeur probante.

A l'instar d'un motif de récusation, pareil grief - qu'il soit dirigé contre
un juge ou un expert - doit être invoqué dès que possible, à défaut de quoi
le plaideur est réputé avoir tacitement renoncé à s'en prévaloir (ATF 119 Ia
228 sv. et les arrêts cités; VSI 2001 p. 111 consid. 4a/aa; Egli/Kurz, La
garantie du juge indépendant et impartial dans la jurisprudence récente,
Recueil de jurisprudence neuchâteloise [RJN] 1990 p. 28 sv.). En procédure
cantonale, l'office AI n'a toutefois pas soulevé ce moyen, bien qu'il eût
disposé de près d'une année pour le faire entre le moment où il avait pris
connaissance de la missive incriminée et le prononcé du jugement attaqué. Le
recourant est dès lors forclos, au stade de la procédure fédérale, pour
invoquer l'apparence de prévention à l'encontre de l'expert S.________.

3.2  Par ailleurs, l'office AI allègue qu'un traducteur aurait dû assister au
déroulement de l'expertise, dans la mesure où l'expert-psychiatre a fait état
de difficultés de compréhension.

On peut s'étonner que le recourant ne soulève ce genre de critiques qu'au
stade de la procédure de recours de droit administratif alors qu'il avait
toute latitude au stade de l'instruction de la cause, d'ordonner une nouvelle
expertise s'il estimait qu'elle n'avait pas été réalisée dans des conditions
normales. Toutefois, l'incidence des difficultés de compréhension sur la
pertinence des conclusions du rapport du 8 janvier 2001 peut demeurer
indécise, car le recours doit être admis pour un autre motif, ainsi qu'on va
le voir.

4.
4.1 Selon les conclusions de l'expert S.________, l'intimé présente un
trouble
somatoforme douloureux (F45.4 CIM-10) accompagné de troubles mixtes de la
personnalité à traits paranoïaques, immatures et psychotiques (F61.0 CIM-10).

Eu égard aux principes qui viennent d'être exposés, il s'agit de déterminer
si l'AI doit répondre de l'incapacité de travail que cette affection
psychique engendre.

4.2  Si le critère de la comorbidité psychiatrique est certes réalisé par la
présence des troubles mixtes de la personnalité à traits paranoïaques,
immatures et psychotiques (F61.0 CIM-10), on ignore en revanche l'acuité et
la durée concrètes de ces affections psychiques. En effet, les experts
psychiatres attestent que le patient présente une rigidité psychique très
importante, une détresse importante et une personnalité mal structurée (cf.
p. 3 du rapport d'expertise). Or, à défaut de plus amples explications
émanant de ces spécialistes en psychiatrie, l'administration et le juge ne
sont pas en mesure de savoir si les troubles de la personnalité dont souffre
l'intimé atteignent réellement le seuil de gravité exigé par la jurisprudence
pour qu'ils puissent être considérés comme une comorbidité psychiatrique
grave (cf. consid. 3.3.2 de l'arrêt P. précité).

Pour ce qui est des autres critères, l'expertise ne permet pas de trancher en
l'état. Les experts attestent, certes, un retrait social important, dont
l'assuré ne semble toutefois pas souffrir. Mais l'expertise ne contient pas
suffisamment de renseignements pour que l'on puisse se convaincre, en
particulier, de l'inexigibilité d'une reprise d'activité ou d'un
reclassement. Les experts se contentent de noter en conclusion de leur
rapport - sans toutefois que l'on trouve des éléments à l'appui de cette
affirmation dans le corps de l'expertise - que le patient présente des
capacités d'adaptation trop restreintes et une souffrance psychique trop
profonde pour espérer mieux que de pouvoir l'accompagner dans son invalidité
actuelle (p. 4 du rapport).

5.
Quant à l'expertise rhumatologique, elle n'est pas exempte de contradictions,
ou du moins d'imprécisions. En effet, l'expert paraît attester aussi bien une
capacité totale de travail dans une activité légère qu'une capacité de 50 %
au moins dans un emploi adapté après une réinsertion professionnelle (ch. 5
p. 6 du rapport).

6.
Dans ces conditions, la cause n'est pas en état d'être jugée. C'est dès lors
à juste titre que l'office recourant conclut à la mise en oeuvre d'un
complément d'instruction, de nature pluridisciplinaire. Cette tâche lui
incombe (cf. ATF 122 V 163 consid. 1d; RAMA 1993 n° U 170 p. 136), dans la
mesure où il a rendu sa décision litigieuse sur la base d'expertises qui ne
permettaient ni de connaître la gravité des troubles de la personnalité dont
l'intimé est affecté, ni les ressources psychiques éventuelles qui lui
permettraient de surmonter ses douleurs, et qui laissaient planer un certain
doute quant à l'étendue de la capacité de travail.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances du
canton de Vaud du 20 mai 2003 ainsi que la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 22 juin 2001 sont annulés,
la cause étant renvoyée au recourant pour instruction complémentaire au sens
des considérants et nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 17 août 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   Le Greffier: