Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 384/2003
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I 384/03

Arrêt du 25 mars 2004
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Kernen. Greffière : Mme
von Zwehl

O.________, recourant, représenté par Me Philippe Nordmann, avocat, place
Pépinet 4, 1003 Lausanne,

contre

Office AI pour les assurés résidant à l'étranger, avenue Edmond-Vaucher 18,
1203 Genève, intimé

Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour les personnes
résidant à l'étranger, Lausanne

(Jugement du 22 avril 2003)

Faits:

A.
A.a Le 5 novembre 1997, O.________, né en 1970, ressortissant portugais, a
été victime d'un accident professionnel : il a fait une chute de plusieurs
mètres à travers une verrière, ce qui lui a occasionné un polytraumatisme
(fracture de type Voillemier de l'hémi-bassin gauche et fracture de la
branche ilio-pubienne, fracture de l'olécrâne gauche, fracture du radius
distal droit, rupture partielle des tendons fléchisseurs de l'index gauche,
fracture du massif facial [Lefort II incomplet], traumatisme crânio-cérébral,
rupture diaphragmatique gauche avec gastro-pneumothorax et lacération du
foie, pneumothorax apical et antéro-basal gauche). Le prénommé travaillait à
l'époque, bien que sans permis de travail, comme nettoyeur au service de
l'entreprise B.________ SA et était, à ce titre, assuré auprès de la Caisse
nationale suisse en cas d'accidents (CNA), qui a pris en charge son cas.

L'assuré a été hospitalisé du 5 novembre au 12 décembre 1997. Dans un premier
temps, l'évolution a été décrite comme favorable (rapport du 2 juin 1998 du
docteur F.________, service d'orthopédie du CHUV). O.________ se plaignant
toutefois de douleurs inguinales continues, il a été adressé à la Clinique de
réadaptation de X.________ (du 8 au 22 juillet 1998), où une pseudarthrose du
pubis a été mise en évidence. Une nouvelle intervention chirurgicale a été
pratiquée le 31 juillet 1998. Au mois de mars 1999, après avoir examiné
l'assuré, le docteur K.________, médecin d'arrondissement de la CNA, a
préconisé une reprise du travail progressive. Celle-ci n'a pas eu lieu, si
bien que la CNA a décidé de mettre en oeuvre un séjour à la Clinique romande
de réadaptation à Y.________ du 28 septembre au 13 octobre 1999. Dans leur
rapport de synthèse du 26 novembre 1999 (auquel ont été joints une
appréciation orthopédique du docteur A.________ et un consilium psychiatrique
du docteur M.________), les médecins de cet établissement ont posé le
diagnostic de troubles somatoformes douloureux, de douleurs cicatricielles
inguinales résiduelles et de status après un polytraumatisme, en relevant une
discordance entre les plaintes exprimées et les constatations objectives;
d'un point de vue somatique, un travail ne nécessitant pas une dextérité fine
de la main gauche ni le maintien de la position accroupie était exigible à
100%. Le 21 décembre 1999, le docteur G.________, également médecin
d'arrondissement, a procédé à un examen final et repris à son compte les
conclusions de ses confrères à Y.________ (voir son rapport daté du même
jour). En janvier 2000, l'assuré a dû quitter la Suisse, sa demande de permis
de travail ayant été refusée.

Par décision du 30 août 2000, la CNA lui a alloué avec effet au 1er juillet
2000 une rente d'invalidité, fondée sur une incapacité de gain de 100%, ainsi
qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 40%.

A.b Entre-temps, le 5 janvier 1999, O.________ a présenté une demande de
prestations de l'assurance-invalidité.

Sur la base des renseignements recueillis auprès du docteur F.________
(rapport du 27 juillet 1999) et des pièces médicales de la CNA apportées au
dossier, l'Office AI pour les assurés résidant à l'étranger (ci-après :
l'office AI) - devenu compétent ensuite du départ de l'assuré de la Suisse -
a rendu, le 17 mai 2002, une décision par laquelle il a alloué à ce dernier
une rente d'invalidité entière limitée dans le temps, du 1er novembre 1998 au
31 octobre 1999, assortie de la rente complémentaire pour son épouse.

B.
Par jugement du 22 avril 2003, la Commission fédérale de recours en matière
d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité pour les personnes résidant
à l'étranger (ci-après : la commission) a rejeté le recours formé par
l'assuré contre la décision de l'office AI.

C.
O.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il requiert l'annulation. Sous suite de dépens, il conclut, à titre
principal, à l'octroi d'une rente d'invalidité entière au-delà du 31 octobre
1999 assortie des rentes complémentaires pour son épouse et sa fille née en
avril 2000, et, à titre subsidiaire, au renvoi de la cause pour instruction
complémentaire «notamment en ce qui concerne les séquelles psychiques de
l'accident et ses effets invalidants».

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à présenter des déterminations.

Considérant en droit:

1.
L'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la
Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre
circulation des personnes (ALCP) - en particulier son annexe II, qui règle la
coordination des systèmes de sécurité sociale - ne s'applique pas à la
présente procédure, dès lors qu'il est entré en vigueur le 1er juin 2002,
postérieurement à la décision administrative litigieuse (cf. ATF 128 V 315
consid. 1). Il en va de même de la loi fédérale sur la partie générale du
droit des assurances sociales (LPGA), du 6 octobre 2000, qui est entrée en
vigueur le 1er janvier 2003 et a entraîné des modifications des dispositions
dans le domaine de l'assurance-invalidité notamment, eu égard au principe
selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les
faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V 467).

2.
Le jugement entrepris expose de manière exacte et complète les dispositions
conventionnelles et légales déterminantes sur les conditions du droit à une
rente d'invalidité (art. 2 al. 1 de la Convention de sécurité sociale entre
la Suisse et le Portugal du 11 septembre 1975; art. 4 et 28 LAI), ainsi que
les principes jurisprudentiels applicables au présent cas, notamment ceux
régissant l'octroi rétroactif par l'AI d'une rente temporaire (ATF 125 V 413)
et la coordination de l'évaluation de l'invalidité entre assureurs sociaux
(ATF 126 V 288). Il suffit par conséquent d'y renvoyer.

3.
3.1 Les premiers juges ont estimé que l'office AI avait «des raisons
légitimes» de s'écarter de l'évaluation du degré d'invalidité établie par la
CNA car celle-ci reposait sur une appréciation insoutenable des pièces
médicales figurant au dossier. A l'issue du séjour que l'assuré avait
effectué à la Clinique romande de réadaptation, les médecins de cet
établissement avaient en effet considéré qu'une activité adaptée restait
exigible «d'un point de vue somatique». Par ailleurs, dans son rapport de
consilium psychiatrique du 4 novembre 1999, le docteur M.________ avait
rapporté la «fixation psychique de l'assuré sur les séquelles de son
accident» à des facteurs essentiellement socioculturels, de sorte qu'on
pouvait également nier l'existence d'une atteinte à la santé psychique ayant
valeur de maladie. L'office AI était dès lors fondé à admettre que l'état de
santé de O.________ s'était amélioré au terme de son séjour à Y.________ de
manière à exclure tout droit à une rente à partir de cette date.

3.2 Le recourant conteste ce point de vue. Dans l'avis de sortie de la
Clinique romande de réadaptation signé par le docteur Z.________, sa capacité
de travail avait été évaluée à 0% jusqu'à nouvel avis. Pour fixer son taux
d'invalidité, la CNA ne s'était pas limitée à reprendre l'évaluation
théorique faite par les médecins, mais avait tenu compte de l'ensemble de ses
séquelles autant physiques que psychiques résultant du grave accident qu'il
avait subi. Et quand bien même elle avait accordé une importance
prépondérante à ses troubles d'ordre psychique, ceux-ci avaient manifestement
valeur de maladie. En tout état de cause, les considérations émises par le
docteur M.________ étaient insuffisantes pour établir le contraire, de sorte
qu'une expertise psychiatrique était nécessaire.

4.
4.1 On ne saurait suivre le recourant lorsqu'il prétend que l'évaluation de sa
capacité fonctionnelle par les médecins de la Clinique romande de
réadaptation n'a qu'une valeur «théorique». Ces derniers ont eu l'occasion de
l'observer durant deux semaines. Leur appréciation fait suite à des examens
cliniques approfondis au cours desquels les parties du corps lésées par
l'accident ont fait l'objet d'une attention particulière. Ils ont ainsi pu
constater que l'anneau pelvien était restauré et consolidé à tous les niveaux
de fracture (selon le docteur A.________, il pouvait subsister des douleurs
cicatricielles irritantes mais en aucun cas un déficit fonctionnel si
important des deux hanches), que la mobilité du poignet droit et de l'index
de la main gauche était légèrement diminuée, et enfin que le coude gauche
avait guéri sans laisser de séquelles. Au terme de son examen final, le
docteur G.________ a confirmé ces constatations. Quant au docteur F.________,
il a évoqué, dans son rapport à l'intention de l'Office AI pour le canton de
Vaud, une «composante de sinistrose»; sous la rubrique «description d'une
activité adaptée à l'invalidité», il a mentionné une activité sans port de
charge semi-sédentaire. On peut donc admettre avec les premiers juges et
l'office intimé qu'au plan strictement physique, la reprise d'une activité
professionnelle est à la portée du recourant depuis novembre 1999; les
certificats médicaux que ce dernier a produits en cours d'instruction de la
demande AI ne sont pas de nature à mettre en doute les avis des médecins
précités sur ce point. Cela étant, il est vrai qu'aucun d'entre eux n'a
formellement attesté une capacité de travail entière. On doit en déduire que
la reconnaissance par la CNA d'une incapacité de travail, respectivement de
gain totale a été motivée avant tout par la présence chez l'assuré de
troubles somatoformes douloureux tels que mis en évidence par le docteur
M.________.

4.2 Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes douloureux peuvent,
dans certaines circonstances, provoquer une incapacité de travail (ATF 120 V
119 consid. 2c/cc; RSAS 1997 p. 75; RAMA 1996 n° U 256 pp. 217 ss consid. 5
et 6). De tels troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques,
pour lesquelles une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand
il s'agit de se prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont
susceptibles d'entraîner (VSI 2000 p. 160 consid. 4b). L'expert médical
appelé à se prononcer sur le caractère invalidant de troubles somatoformes
douloureux doit poser un diagnostic dans le cadre d'une classification
reconnue et se déterminer sur le degré de gravité de l'affection. Il doit
évaluer le caractère exigible de la reprise par l'assuré d'une activité
lucrative. Dans ce cadre, il lui incombe d'examiner si la personne concernée
possède en elle suffisamment de ressources psychiques lui permettant de faire
face à ses douleurs. Le point déterminant est ici de savoir si et dans quelle
mesure cette personne, au regard de sa constitution psychique, conserve une
capacité à exercer une activité sur le marché du travail nonobstant les
douleurs qu'elle ressent (voir arrêt R. du 2 décembre 2002, I 53/02, consid.
2.2 in fine et les autres arrêts cités). La mesure de ce qui est exigible
doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 298 consid.
4c et les références; VSI 2001 p. 224 consid. 2b).

4.3 En l'occurrence, l'évaluation du docteur M.________ - seul avis
psychiatrique au dossier - se base sur un examen extrêmement sommaire de
l'assuré. On y apprend que celui-ci est «déraciné» et qu'il se trouve dans
«une situation socioprofessionnelle plus que précaire», ce qui expliquerait
son «attitude rigide de victime avec un statu quo qui lui permet de pallier à
l'angoisse de perte et de séparation (le fait de devoir quitter la Suisse)»;
rien, en revanche, sur sa structure de personnalité ni sur ses ressources
envers la douleur. Le psychiatre n'a pas non plus discuté les critères
consacrés par la jurisprudence qui fondent un pronostic défavorable en ce qui
concerne l'exigibilité d'une reprise d'activité en cas de troubles
somatoformes douloureux (voir arrêt N. du 12 mars 2004, I 683/03, destiné à
la publication; VSI 2000 p. 155 consid. 2c). En fait, il ne s'est même pas
véritablement prononcé sur la capacité de travail de l'assuré au plan
psychique, se contentant de dire au terme de son analyse qu'il «(était)
possible qu'on soit face à une situation fixée de façon définitive». La
brièveté de son rapport de consilium s'explique peut-être par le départ
imminent de celui-ci de la Suisse. Quoi qu'il en soit, les éléments qu'il a
retenus sont insuffisants pour qu'on puisse admettre, comme l'a fait la CNA,
une atteinte psychique invalidante de longue durée. Pour cette même raison,
on ne saurait cependant non plus conclure, sans plus amples examens, à
l'absence d'une affection psychique susceptible d'entraver le recourant dans
sa capacité de travail.

Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l'office intimé afin qu'il
mette en oeuvre une expertise psychiatrique (comprenant une investigation de
type neuropsychologique) qui réponde aux réquisits précisés par la
jurisprudence concernant la valeur probante d'un rapport médical (ATF 125 V
352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références). Au cas où le
diagnostic posé par le docteur M.________ devrait se confirmer, il
appartiendra à l'expert psychiatre de fournir à l'office AI tous les éléments
permettant à ce dernier de déterminer avec précision l'incidence des troubles
somatoformes douloureux sur la capacité de travail à la lumière de la
jurisprudence récente de la Cour de céans en la matière (notamment de l'arrêt
N. du 12 mars 2003, I 683/03). Après quoi, l'office intimé rendra une
nouvelle décision. Dans cette mesure, le recours se révèle bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement de la Commission fédérale de
recours en matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger du 22
avril 2003, ainsi que la décision de l'Office AI pour les assurés résidant à
l'étranger du 17 mai 2002 sont annulés, la cause étant renvoyée à cet office
pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des
considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office intimé versera au recourant une indemnité de dépens (y compris la
taxe à la valeur ajoutée) d'un montant de 2'500 fr. pour la procédure
fédérale.

4.
La Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour les personnes
résidant à l'étranger statuera à nouveau sur les dépens de première instance
au regard de l'issue du litige en procédure fédérale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission fédérale de
recours en matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 25 mars 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre:   p. la Greffière: