Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 380/2003
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I 380/03

Arrêt du 8 juillet 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffière : Mme Gehring

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

R.________, intimée, représentée par Me Daniel Meyer, avocat, 7, rue
Ferdinand-Hodler, 1207 Genève

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 14 mars 2003)

Faits:

A.
R.  ________, née en 1968, a travaillé depuis 1992 en qualité d'employée
d'entretien. A la suite d'une chute survenue au cours du mois de juillet
1996, elle a souffert de lombo-sciatalgies qui se sont progressivement
généralisées avant d'entraîner une incapacité entière de travail à partir du
1er mars 1997. Le 18 juillet suivant, R.________ a déposé une demande de
prestations de l'assurance-invalidité tendant à l'octroi d'une rente. Par
décision du 31 août 2001, l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton
de Genève (l'office) a rejeté la demande, considérant que le trouble
somatoforme douloureux de type fibromyalgie dont elle souffrait constituait
l'expression spécifique à la culture d'un malaise psychosocial de sorte que
la limitation de la capacité de travail qu'il entraînait ne revêtait pas de
caractère invalidant.

B.
Par jugement du 14 mars 2003, la Commission cantonale genevoise de recours en
matière d'AVS/AI (aujourd'hui: Tribunal cantonal des assurances sociales) a
admis le recours formé contre cette décision par R.________. Considérant
qu'elle souffrait d'un trouble somatoforme douloureux entraînant une
incapacité de travail de 60 pour cent dans l'exercice de toute activité
lourde, répétitive et monotone, de 40 pour cent dans celui d'une activité
adaptée à son état de santé et de 20 pour cent dans celui des tâches
ménagères, elle a renvoyé l'affaire à l'office pour complément d'instruction
et nouvelle décision sur le degré d'invalidité de l'assurée, respectivement
sur son droit à la rente.

C.
L'office interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il requiert l'annulation.

R.  ________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente de
l'assurance-invalidité, singulièrement sur le degré d'invalidité qu'elle
présente. En particulier, il s'agit de déterminer si celle-ci souffre d'une
atteinte invalidante à sa santé psychique ce que les premiers juges ont admis
mais que l'office recourant conteste.

2.
2.1 Pour l'essentiel, le jugement entrepris rappelle correctement les
dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables au cas
d'espèce, de sorte que l'on peut s'y référer.

2.2  Il convient d'ajouter que ratione temporis, la loi fédérale sur la
partie
générale du droit des assurances sociales (LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en
vigueur au 1er janvier 2003, n'est pas applicable au présent litige, dès lors
que le juge des assurances sociales n'a pas à prendre en considération les
modifications du droit ou de l'état de fait postérieures à la date
déterminante de la décision litigieuse (ATF 127 V 467 consid. 1, 121 V 366
consid. 1b). De même, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852) ne sont pas non plus applicables (ATF 127 V 467 consid. 1).

2.3
2.3.1Il y a également lieu d'indiquer que dans un récent arrêt N. du 12 mars
2004 [I 683/03] destiné à la publication, le Tribunal fédéral des assurances
a précisé la jurisprudence prévoyant que les troubles somatoformes douloureux
peuvent, dans certaines circonstances, conduire à une incapacité de travail
(ATF 120 V 119 consid. 2c/cc; RAMA 1996 no U 256 p. 217 ss consid. 5 et 6).
En effet, ces troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques,
pour lesquelles une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand
il s'agit de se prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont
susceptibles d'entraîner (VSI 2000 p. 160 consid. 4b; arrêt N. du 12 mars
2004, destiné à la publication, I 683/03, consid. 2.2.2 et les arrêts cités).
Compte tenu des difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de
douleurs, les simples plaintes subjectives de l'assuré ne suffisent pas pour
justifier une invalidité (entière ou partielle). Dans le cadre de l'examen du
droit aux prestations de l'assurance sociale, l'allégation des douleurs doit
être confirmée par des observations médicales concluantes, à défaut de quoi
une appréciation de ce droit aux prestations ne peut être assurée de manière
conforme à l'égalité de traitement des assurés (arrêt N. précité, consid.

2.2.2 ).

2.3.2  Un rapport d'expertise attestant la présence d'une atteinte psychique
ayant valeur de maladie - tels des troubles somatoformes douloureux - est une
condition juridique nécessaire, mais ne constitue pas encore une base
suffisante pour que l'on puisse admettre qu'une limitation de la capacité de
travail revêt un caractère invalidant (arrêt N. précité consid. 2.2.3; Ulrich
Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in
der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleich in der
Invaliditätsbemessung, in : René Schauffhauser/Franz Schlauri (éd.), Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 64 sv., et note 93).  En effet,
selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux persistants
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI (voir sur ce point Meyer-Blaser, op. cit. p. 76 ss, spéc. p. 81 sv.).
Une exception à ce principe est admise dans les seuls cas où, selon
l'estimation du médecin, les troubles somatoformes douloureux se manifestent
avec une telle sévérité que, d'un point de vue objectif, la mise en valeur de
sa capacité de travail ne peut, pratiquement, - sous réserve des cas de
simulation ou d'exagération (SVR 2003 IV no 1 p. 2 consid. 3b/bb; voir aussi
Meyer-Blaser, op. cit. p. 83, spéc. 87 sv. ) - plus raisonnablement être
exigée de l'assuré, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF
102 V 165; VSI 2001 p. 224 sv. consid. 2b et les références; arrêt N. précité
consid. 2.2.3 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in
fine).
Admissible seulement dans des cas exceptionnels, le caractère non exigible
d'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de la réintégration
dans un processus de travail suppose, dans chaque cas, soit la présence
manifeste d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une durée
importantes, soit le cumul d'autres critères présentant une certaine
intensité et constance. Ce sera le cas (1) des affections corporelles
chroniques ou d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable, (2) d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, (3) d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la
libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire
tiré de la maladie), ou enfin (4) de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art et de mesures de réhabilitation,
cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour
surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux (VSI 2000 p. 155
consid. 2c; arrêt N. précité, consid. 2.2.3 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.
p. 76 ss, spéc. 80 ss).

2.3.3  Dès lors qu'en l'absence de résultats sur le plan somatique le seul
diagnostic de troubles somatoformes douloureux ne suffit pas  pour justifier
un droit à des prestations d'assurance sociale, il incombe à l'expert
psychiatre, dans le cadre large de son examen, d'indiquer à l'administration
(et au juge en cas de litige) si et dans quelle mesure un assuré dispose de
ressources psychiques qui - eu égard également aux critères mentionnés au
considérant 2.3.2 ci-dessus - lui permettent de surmonter ses douleurs. Il
s'agit pour lui d'établir de manière objective si, compte tenu de sa
constitution psychique, l'assuré peut exercer une activité sur le marché du
travail, malgré les douleurs qu'il ressent (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.4.  et les arrêts cités).

2.3.4  Les prises de position médicales sur la santé psychique et sur les
ressources dont dispose l'assuré constituent une base indispensable pour
trancher la question (juridique) de savoir si et dans quelle mesure on peut
exiger de celui-ci qu'il mette en oeuvre toute sa volonté pour surmonter ses
douleurs et réintégrer le monde du travail. Dans le cadre de la libre
appréciation dont ils disposent (art. 40 PCF en liaison avec l'art. 19 PA;
art. 95 al. 2 en liaison avec 113 et 132 OJ; VSI 2001 p. 108 consid. 3a),
l'administration et le juge (en cas de litige) ne sauraient ni ignorer les
constatations de fait des médecins, ni faire leur les estimations et
conclusions médicales relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans
procéder à un examen préalable de leur pertinence du point de vue du droit
des assurances sociales. Cela s'impose en particulier lorsque l'expert
atteste une limitation de la capacité de travail fondée uniquement sur le
diagnostic de troubles somatoformes douloureux. Dans un tel cas, il
appartient aux autorités administratives et judiciaires d'examiner avec tout
le soin nécessaire si l'estimation médicale de l'incapacité de travail prend
en considération également des éléments étrangers à l'invalidité (en
particulier des facteurs psychosociaux et socio-culturels) qui ne sont pas
pertinents du point de vue des assurances sociales (ATF 127 V 299 consid. 5a;
VSI 2000 p. 149 consid. 3), ou si la limitation (partielle ou totale) de la
capacité de travail est justifiée par les critères juridiques déterminants,
énumérés aux consid. 2.3.2 et 2.3.3 ci-dessus (cf. arrêt N. précité consid.

2.2.5 ).

3.
3.1 En l'espèce, l'administration et la juridiction cantonale ont fondé leur
point de vue respectif sur un rapport d'expertise pluridisciplinaire établi
le 18 octobre 2000 par les docteurs D.________, P.________ et F.________ du
Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité (COMAI).

Pour rendre leurs conclusions, les experts se sont adjoints les services des
docteurs H.________, spécialiste en rhumatologie, et N.________, spécialiste
en psychiatrie.
Il ressort des constatations du docteur H.________ que l'intimée souffre de
manière chronique depuis 1996, de douleurs diffuses de l'appareil locomoteur
sans limitation fonctionnelle ostéo-articulaire significative, avec
indication de 18 points de fibromyalgie à la palpation privilégiant le
diagnostic d'un syndrome douloureux chronique de type fibromyalgie. Les
limitations fonctionnelles relèvent essentiellement de la douleur et non
d'une modification anatomique articulaire, de sorte que la capacité de
travail de l'assurée s'élève à 40 pour cent s'agissant de l'accomplissement
de travaux lourds, répétitifs et monotones, respectivement à 60 pour cent
dans l'exercice d'activités de manutention simple, légère et non répétitive,
favorisant l'alternance de la position de travail et à 80 pour cent dans
l'exécution des tâches ménagères.

Sous l'angle psychiatrique, la doctoresse N.________ indique que l'intimée
souffre d'un trouble dissociatif de conversion (F 44.4) versus trouble
somatoforme (F 45.1), d'un trouble de la personnalité à traits hystériques et
infantiles (F 60.4), d'un état d'anxiété généralisée (F 41.1), ainsi que d'un
conflit conjugal (Z 63.0). Ces affections s'inscrivent dans un contexte
d'émigration antérieur au développement de la symptomatologie somatique qui
se caractérise par des difficultés d'intégration et de séparation de
l'intéressée avec sa famille d'origine. Le conflit conjugal larvé préexistant
à son arrivée en Suisse a été exacerbé par la reprise de la vie commune des
époux. De surcroît, elle s'est trouvée confrontée à la pénibilité d'une
activité lucrative qu'elle considère éprouvante sur le plan physique. Compte
tenu de ces affections, elle présente une capacité résiduelle de travail
oscillant entre 30 et 40 pour cent dans une activité adaptée à son état de
santé. La poursuite du traitement médical en cours est susceptible, à long
terme, de diminuer la symptomatologie d'anxiété généralisée. Au reste, aucune
mesure d'ordre psychiatrique n'est en mesure d'apporter, à moyen terme, une
amélioration de la capacité de travail de l'intéressée.

Se fondant sur ces constatations, les experts constatent que l'intimée
souffre d'un trouble somatoforme douloureux persistant de type fibromyalgie
(F 45.4, M 79), d'un trouble de la personnalité à traits hystériques et
infantiles (F. 60.4), d'un état d'anxiété généralisée (F 41.1) et d'un
conflit conjugal (Z 63.0). A la suite de ces affections, elle présente une
capacité résiduelle de travail oscillant entre 30 et 40 pour cent dans
l'exercice d'une activité lucrative lourde, répétitive et monotone, de 60
pour cent dans une activité raisonnablement exigible et de 80 pour cent dans
l'accomplissement des tâches ménagères. Le vécu douloureux chronique enduré,
l'arrêt de travail prolongé et les troubles de la personnalité dont l'intimée
souffre constituent autant de facteurs de mauvais pronostic quant à
l'éventuelle reprise d'une d'activité lucrative. Au chapitre des facteurs de
bon pronostic figurent le fait qu'elle n'a pas été prématurément astreinte au
travail, n'a pas vécu de deuil familial, ne souffre d'aucun antécédent
psychiatrique majeur, bénéficie d'un étayage social et n'a pas épuisé ses
ressources et capacités adaptatives, de sorte que dans le cadre d'un emploi
de manutention simple, légère, non répétitive, favorisant l'alternance des
positions, sa capacité de travail est susceptible d'amélioration. Enfin, les
experts précisent que les troubles psychiques litigieux ont été favorisés par
des facteurs liés non pas au surmenage, mais à l'émigration et au stress
psychosocial.

4.
4.1 Au vu des diagnostics ayant valeur de maladie aux yeux des experts, il y
a
lieu de nier l'existence d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une
durée suffisamment importantes pour admettre qu'un effort de volonté en vue
de surmonter la douleur et de réintégrer un processus de travail, n'est pas
exigible de la part de l'intimée.

4.2  Se pose dès lors la question du cumul éventuel d'autres critères
permettant d'apprécier le caractère invalidant des troubles somatoformes
douloureux litigieux. Sur ce point, il convient de tenir pour établie la
présence d'affections corporelles chroniques. Par contre, dans la mesure où
l'intimée bénéficie d'un étayage social et qu'elle n'a pas épuisé ses
capacités adaptatives, il y a lieu de considérer qu'elle ne subit pas de
perte d'intégration sociale. En outre, la poursuite du traitement médical en
cours est susceptible d'améliorer à long terme la symptomatologie d'anxiété,
de sorte que l'on ne  saurait conclure à l'existence d'un état psychique
cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique. De même, la
capacité de travail de l'intéressée dans une activité de manutention simple,
légère, non répétitive et favorisant l'alternance des positions peut
également être améliorée grâce à des mesures médicales et professionnelles,
si bien qu'il n'y a pas lieu d'en déduire l'échec de toute mesure de
réhabilitation Enfin, les experts motivent l'incapacité de travail de
l'intimée à la lumière essentiellement d'éléments étrangers à l'invalidité
(en particulier des facteurs psychosociaux et socio-culturels), lesquels ne
sont pas pertinents du point de vue des assurances sociales (cf. consid.

2.3.4  supra).

4.3  Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que les troubles psychiques
litigieux ne se manifestent pas avec une telle sévérité que, d'un point de
vue objectif, la mise en valeur de la capacité de travail de l'intimée ne
peut plus être raisonnablement exigée d'elle. Nonobstant les conclusions des
experts, il convient d'admettre au contraire le caractère exigible d'un
effort de volonté de sa part en vue de surmonter la douleur et de se
réinsérer dans un processus de travail. Dès lors, c'est à tort que les
premiers juges ont considéré qu'elle présentait une incapacité de travail
issue de troubles somatoformes douloureux. Le jugement entrepris s'avère
ainsi non conforme au droit fédéral et le recours de l'office se révèle bien
fondé.

5.
La décision litigieuse ayant pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). Représentée par un
avocat, l'intimée, qui succombe, ne saurait prétendre une indemnité de dépens
pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement de la Commission cantonale de recours en
matière d'AVS/AI du 14 mars 2003 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal genevois
des assurances sociales et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 8 juillet 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   La Greffière: