Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Sozialrechtliche Abteilungen I 313/2003
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I 313/03

Arrêt du 31 mars 2004
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ferrari, Président, Widmer et Ursprung. Greffier : M.
Beauverd

Office cantonal AI Genève, rue de Lyon 97, 1203 Genève, recourant,

contre

T.________, intimée

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI

(Jugement du 12 février 2003)

Faits:

A.
T. ________, née en 1945, a présenté une demande tendant à l'octroi d'une
rente de l'assurance-invalidité le 20 mai 1999.

L'Office cantonal AI du canton de Genève a requis divers renseignements
médicaux. En particulier, il a confié une expertise pluridisciplinaire au
Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité X.________ GmbH, à
Bâle (ci-après : le COMAI). Informée de la mise en oeuvre de cette mesure
d'instruction le 5 octobre 2000, l'assurée ne s'y est pas opposée. Elle s'est
rendue le 30 mai 2001 au COMAI, lequel a établi son rapport d'expertise le 21
août suivant, en langue allemande.

Se fondant sur les renseignements médicaux recueillis, l'office AI a notifié
à l'assurée un projet de décision, le 25 octobre 2001, aux termes duquel il
envisageait de rejeter la demande de prestations. Entendue le 12 novembre
2001, l'intéressée a exprimé sa surprise quant au rejet de sa requête, sans
toutefois faire valoir des éléments nouveaux.

Le 13 novembre 2001, l'office AI a rendu une décision confirmant le projet du
25 octobre précédent.

B.
T.________ a recouru contre cette décision devant la Commission cantonale de
recours en matière d'AVS/AI du canton de Genève (depuis le 1er août 2003 :
Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève) en concluant
implicitement à l'octroi d'une rente d'invalidité.

L'office AI a conclu au rejet du recours en alléguant que la décision
attaquée était fondée sur les renseignements médicaux recueillis, en
particulier le rapport d'expertise du COMAI. Dans sa réplique du 16 mars
2002, l'assurée a persisté dans les termes de son recours. Toutefois, par
courriers des 4 et 5 février 2003, elle a sollicité la traduction en français
du rapport d'expertise du COMAI.

Par lettre du 11 février 2003, notifiée en copie à l'office AI, la
juridiction cantonale a informé l'assurée qu'elle statuerait lors de sa
séance du 12 février 2003 sur sa demande de traduction du rapport
d'expertise; dès qu'elle serait en main de la commission de recours, cette
traduction lui serait communiquée et un délai imparti pour présenter ses
déterminations.

Par jugement du 12 février 2003, la juridiction cantonale a admis le recours
«sans préjudice pour l'une et l'autre des parties» et a ordonné à l'office AI
de faire procéder dans les meilleurs délais, à ses frais, à la traduction en
français du rapport d'expertise du COMAI, puis de reprendre l'instruction de
la cause et de rendre une nouvelle décision après avoir donné à l'assurée la
possibilité de faire valoir ses arguments. Elle a considéré, en résumé, que
l'office AI avait violé le droit d'être entendu de l'intéressée en ne
procédant pas d'office à la traduction du rapport d'expertise.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il requiert l'annulation, en concluant au renvoi de la cause à la
juridiction cantonale pour qu'elle lui impartisse un délai aux fins de
produire la traduction en français du rapport du COMAI, puis qu'elle statue
sur le fond.

T. ________ n'a pas répondu au recours. De son côté, l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer sur celui-ci.

Considérant en droit:

1.
Bien qu'il soit un arrêt de renvoi à l'administration pour instruction
complémentaire et nouvelle décision sur le droit éventuel de l'assurée à une
rente d'invalidité, le jugement attaqué ne concerne pas l'octroi ou le refus
de prestations d'assurance, dans la mesure où il n'examine pas l'affaire au
fond mais annule la décision litigieuse pour des motifs formels. Le Tribunal
fédéral des assurances doit dès lors se borner à examiner si les premiers
juges ont violé le droit fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de leur
pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont été constatés d'une
manière manifestement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis au
mépris de règles essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les
art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).

2.
2.1 Par un premier moyen, le recourant soutient que la juridiction cantonale
a violé son droit d'être entendu en ne lui permettant pas de s'expliquer ni
de se déterminer au sujet de la demande de traduction du rapport d'expertise
présentée par l'assurée, alors que le jugement attaqué est fondé précisément
sur le motif que l'office AI n'avait pas procédé d'office à la traduction de
ce moyen de preuve.

2.2 Le droit d'être entendu - qui comprend en particulier le droit pour le
justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son
détriment (ATF 126 I 16 consid. 2a/aa, 124 V 181 consid. 1a, 375 consid. 3b
et les références) - est une garantie constitutionnelle de caractère formel
(art. 29 al. 2 Cst.) dont la violation doit entraîner l'annulation de la
décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le
fond (ATF 127 V 437 consid. 3d/aa, 126 V 132 consid. 2b et les arrêts cités).

Selon la jurisprudence et la doctrine, l'autorité qui a rendu la décision
initiale conserve sa qualité de partie tout au long de la procédure de
recours et jouit de tous les droits attribués par la loi aux parties (ATF 105
V 188 consid. 1; Rhinow/Koller/Kiss, Öffentliches Prozessrecht und
Justizverfassungsrecht des Bundes, n° 784 ss., p. 151-152; Kölz/Häner,
Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 2ème éd. n° 523
ss., p. 189-190). Cela étant, même si un office AI ne peut se prévaloir
directement des garanties de procédure que la Constitution accorde aux
particuliers, il dispose néanmoins de la faculté de se plaindre de la
violation de ses droits de partie - en particulier de son droit d'être
entendu - comme le ferait un justiciable, dès lors que la qualité pour former
recours de droit administratif contre le jugement cantonal - et les droits de
partie qui en découlent - lui est reconnue (art. 103 let. c OJ).

2.3 En l'espèce, il est douteux qu'en ne permettant pas à l'office AI de se
déterminer au sujet de la demande de traduction du rapport d'expertise
présentée par l'assurée, la juridiction cantonale ait respecté le droit
d'être entendu de l'office. Quoi qu'il en soit, le jugement entrepris doit
être annulé pour un autre motif.

3.
3.1 La juridiction cantonale a renvoyé la cause à l'office recourant pour
nouvelle décision, motif pris que celui-ci avait violé le droit d'être
entendu de l'assurée en ne procédant pas d'office à la traduction du rapport
d'expertise du COMAI.

3.2 Lorsqu'un assuré qui doit se soumettre à une expertise dans un COMAI demande à l'office compétent de désigner un centre d'observation médicale où
l'on s'exprime dans l'une des langues officielles de la Confédération qu'il
maîtrise, il y a lieu, en principe, de donner suite à sa requête, à moins que
des raisons objectives justifient une exception. S'il n'est pas donné suite à
cette demande, l'assuré a le droit non seulement d'être assisté par un
interprète lors des examens médicaux, mais encore d'obtenir gratuitement une
traduction du rapport d'expertise du COMAI (ATF 127 V 226-227 consid. 2b/bb).

En revanche, lorsque l'assuré donne suite sans réserve à la convocation
régulière d'un expert, rien ne s'oppose à ce que cette expertise - qu'elle
soit conduite auprès d'un COMAI ou d'un centre médical spécialisé - soit
effectuée dans un milieu où l'on ne s'exprime pas nécessairement dans l'une
des langues officielles de la Confédération que l'assuré maîtrise (arrêt M.
du 2 juillet 2003, I 790/02). Restent réservées les règles procédurales
relatives à l'assistance d'un interprète.

3.3 En l'espèce, l'office AI, par lettre du 5 octobre 2000, a informé
l'assurée de la mise en oeuvre d'une expertise pluridisciplinaire au COMAI
ABI, à Bâle. Cette écriture contenait l'indication suivante:
«Si vous n'êtes pas entièrement d'accord avec le contenu de la présente, il
vous est loisible de demander des renseignements complémentaires ou une
décision sujette à recours. Cette dernière doit être requise dans un délai de
trente jours dès réception de la présente. Passé ce délai, nous considérerons
que vous avez renoncé à votre droit de réclamer une décision et que vous
êtes, par conséquent, d'accord avec le contenu de cette communication».
L'assurée ne s'est pas opposée à cette mesure et s'est rendue au COMAI le 30
mai 2001 pour y être soumise à l'expertise prévue. Cela étant, rien ne
s'opposait à ce que l'expertise fût effectuée dans un milieu où l'on
s'exprime en allemand, même si l'intéressée ne maîtrise pas cette langue
officielle de la Confédération.

Par ailleurs, invitée à se déterminer sur le projet de décision du 25 octobre
2001, aux termes duquel l'office AI envisageait de rejeter la demande de
prestations, l'intéressée n'a pas exprimé le désir d'obtenir la traduction en
français du rapport d'expertise du 21 août 2001. C'est pourquoi, dans la
mesure où l'assurée, au stade de la procédure administrative, a implicitement
renoncé à son droit d'être entendu sur ce point, l'office AI n'a pas violé ce
droit en s'abstenant de procéder d'office à la traduction en cause. Dès lors,
la juridiction cantonale n'était pas fondée, pour ce motif de caractère
formel, à annuler la décision de l'office AI du 13 novembre 2001 et à
renvoyer la cause audit office pour nouvelle décision.

4.
4.1 Dans les rapports avec les autorités, la liberté de la langue est limitée
par le principe de la langue officielle. En effet, sous réserve de
dispositions particulières (par ex. les art. 5 par. 2 et 6 par. 3 let. a
CEDH), il n'existe en principe aucun droit à communiquer avec les autorités
dans une autre langue que la langue officielle. Celle-ci est elle-même liée
au principe de la territorialité, au sens où elle correspond normalement à la
langue qui est parlée dans le territoire concerné. Ces principes ont été
formalisés dans la Constitution fédérale, notamment aux art. 18 et 70 (ATF
128 V 37 consid. 2b/aa et l'arrêt cité).

Le principe de la territorialité des langues a pour conséquence que les
parties doivent s'adresser aux autorités judiciaires cantonales dans la
langue officielle du canton. Dans les relations avec les autorités, les
cantons peuvent imposer leur langue officielle comme langue judiciaire et
exiger la traduction des actes de procédure rédigés dans une autre langue,
fût-elle l'une des langues officielles de la Confédération (ATF 128 V 38
consid. 2b/bb et les références de jurisprudence et de doctrine).

Dans le canton de Genève, tout document soumis au juge doit être rédigé dans
la langue officielle ou accompagné d'une traduction dans cette langue; cette
règle vaut pour tous les écrits émanant directement du juge ou des parties,
ainsi que pour les pièces qu'elles produisent (Bertossa/Gaillard/Guyet,
Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, nos 2 et 3 ad art. 9;
Bauer/Lévy, L'exception de traduction de pièces, in : SJ 1982 p. 50; voir
aussi l'art. 9 de la loi genevoise de procédure civile du 10 avril 1987
[LPC/GE; RSGE E 3 05]).

4.2 Une expertise ordonnée par l'office AI comme moyen probatoire a une
importance telle que l'assuré a dans tous les cas le droit d'en recevoir une
copie et d'exprimer son opinion sur la façon dont elle a été conduite et sur
les faits et conclusions établis. Il s'agit d'une pièce essentielle du
dossier, qui est de nature à sceller le sort de la procédure (ATF 128 V 38
consid. 2b/bb, 127 V 223 consid. 1b; Stéphane Blanc, La procédure
administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg 1999, p. 143).

Au regard du principe de la territorialité (art. 70 al. 2 Cst.), il est donc
parfaitement admissible que la juridiction cantonale en exige une traduction
dans la langue officielle du canton, en l'occurrence le français.

Cela étant, il convient de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour
qu'elle statue sur le recours formé le 11 décembre 2001 par T.________, après
avoir imparti à l'office AI du canton de Genève un délai pour produire une
traduction en langue française du rapport d'expertise du COMAI.

Le recours se révèle ainsi bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement de la Commission cantonale de recours en
matière d'AVS/AI du canton de Genève du 12 février 2003 est annulé, la cause
étant renvoyée à l'autorité judiciaire de première instance pour qu'elle
statue à nouveau en procédant conformément aux considérants.

2.
L'avance de frais versée par le recourant, d'un montant de 500 fr., lui est
restituée.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 31 mars 2004

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre:   Le Greffier: