Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 282/2003
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I 282/03

Arrêt du 8 juin 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Rüedi et Frésard. Greffière : Mme Gehring

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

S.________, intimée, représentée par Me Charles Guerry, avocat, rue de Romont
33, 1700 Fribourg

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 19 novembre 2002)

Faits:

A.
S. ________, née en 1962, a travaillé depuis 1992 au service d'une entreprise
spécialisée dans le commerce de champignons, en qualité d'employée affectée
au pesage et à l'expédition. A la suite de douleurs aiguës aux genoux, elle a
subi plusieurs périodes d'incapacité entière de travail et le 26 octobre
1993, elle a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité
tendant à l'octroi d'un reclassement dans une nouvelle profession ou d'un
placement. Licenciée avec effet au 31 octobre 1996 pour des motifs de
restructuration d'entreprise, elle n'a repris aucune activité lucrative
depuis lors. Par décision du 16 mai 2001, l'Office de l'assurance-invalidité
pour le canton de Vaud (ci-après : l'office) a alloué à S.________, à partir
du 1er novembre 1997, une demi-rente fondée sur un degré d'invalidité de 55 %
correspondant à une capacité résiduelle de travail de 50 % dans une activité
adaptée aux affections physiques qu'elle présente.

B.
Par jugement du 19 novembre 2002, le Tribunal des assurances du canton de
Vaud a admis le recours formé par S.________ contre cette décision et lui a
alloué à partir du 1er juillet 1998 une rente entière fondée sur une
incapacité totale de travail consécutive à des troubles de la santé physique
et psychique. Il a en outre fixé à 2'084 fr., le montant de la demi-rente
perçue par l'intéressée à partir du 1er novembre 1997 jusqu'au 30 juin 1998.

C.
L'office interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il requiert l'annulation.

S. ________ conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours, tandis que
l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente, respectivement sur le
degré d'invalidité qu'elle présente.

2.
2.1 Ratione temporis, la loi fédérale sur la partie générale du droit des
assurances sociales (LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur au 1er
janvier 2003, n'est pas applicable au présent litige, dès lors que le juge
des assurances sociales n'a pas à prendre en considération les modifications
du droit ou de l'état de fait postérieures à la date déterminante de la
décision litigieuse (ATF 127 V 467 consid. 1, 121 V 366 consid. 1b).

2.2 De même, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI
(4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO 2003 3852) ne sont
pas applicables (ATF 127 V 467 consid. 1). Dans la mesure où elles ont été
modifiées par la novelle, les dispositions ci-après sont donc citées dans
leur version antérieure au 1er janvier 2004.

2.3 Le jugement entrepris expose correctement le contenu des articles 4 et 28
LAI relatifs à la notion d'invalidité et à l'évaluation de celle-ci, de sorte
qu'il suffit d'y renvoyer.

3.
3.1 A l'appui du jugement entrepris, les premiers juges se sont fondés sur les
conclusions des rapports d'expertise psychiatrique du 26 juillet 2002 du
docteur P.________ et du 22 juillet 1999 des docteurs C.________ et
N.________, psychiatres au service du Centre psycho-social de P.________.

Selon les docteurs C.________ et N.________, l'intimée souffre de troubles
dépressifs récurrents, épisode actuel léger avec syndrome somatique (F
33.01), de syndrome douloureux somatoforme persistant (F 45.4), de
fibromyalgie et présente une organisation psychotique de la personnalité (F
60.8). Les troubles psychiatriques, les douleurs chroniques et la limitation
des ressources tant intellectuelles que psychologiques contribuent à une
incapacité de travail complète dont l'amélioration paraît illusoire à court
et à moyen terme. Au vu de cette situation, la reprise du travail ou un
reclassement professionnel sont impossibles.
Selon le docteur P.________, l'intimée présente, sur le plan somatique, un
syndrome somatoforme douloureux chronique, composé de myalgies, d'une
atteinte aux genoux et de céphalées et sur le plan psychique, un épisode
dépressif sévère, sans symptômes psychotiques (CIM 10 - F 32) et un syndrome
douloureux somatoforme persistant (CIM 10 - F 45.4). Les troubles psychiques
ne sont pas provoqués mais influencés par des circonstances extérieures
telles que la situation financière ou familiale. Ces affections entraînent
une incapacité de travail de 100 %. La reprise d'une activité lucrative n'est
envisageable à temps ni partiel, ni complet et le pronostic relatif à une
telle reprise dans le futur est défavorable.

3.2 Selon l'office, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que
l'intimée présentait une incapacité entière de travail fondée sur des
troubles psychique et physique. Selon lui, il convient de retenir une
capacité résiduelle de travail de 50 % dans une activité adaptée aux seuls
troubles physiques. Il estime en effet que l'intimée ne présente pas de perte
d'intégration sociale de sorte que les conditions prévalant à la
reconnaissance du caractère invalidant des troubles somatoformes douloureux
ne sont pas remplies.

4.
4.1
4.1.1Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes douloureux peuvent,
dans certaines circonstances, conduire à une incapacité de travail (ATF 120 V
119 consid. 2c/cc; RAMA 1996 no U 256 p. 217 ss consid. 5 et 6). De tels
troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques, pour lesquelles
une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand il s'agit de se
prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont susceptibles d'entraîner
(VSI 2000 p. 160 consid. 4b; arrêt N. du 12 mars 2004, destiné à la
publication, I 683/03, consid. 2.2.2 et les arrêts cités). Compte tenu des
difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de douleurs, les
simples plaintes subjectives de l'assuré ne suffisent pas pour justifier une
invalidité (entière ou partielle). Dans le cadre de l'examen du droit aux
prestations de l'assurance sociale, l'allégation des douleurs doit être
confirmée par des observations médicales concluantes, à défaut de quoi une
appréciation de ce droit aux prestations ne peut être assurée de manière
conforme à l'égalité de traitement des assurés (arrêt N. précité, consid.
2.2.2).
4.1.2 Un rapport d'expertise attestant la présence d'une atteinte psychique
ayant valeur de maladie - tels des troubles somatoformes douloureux - est une
condition juridique nécessaire, mais ne constitue pas encore une base
suffisante pour que l'on puisse admettre qu'une limitation de la capacité de
travail revêt un caractère invalidant (arrêt N. précité consid. 2.2.3; Ulrich
Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in
der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleich in der
Invaliditätsbemessung, in : René Schauffhauser/Franz Schlauri (éd.), Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 64 sv., et note 93).  En effet,
selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux persistants
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI (voir sur ce point Meyer-Blaser, op. cit. p. 76 ss, spéc. p. 81 sv.).
Une exception à ce principe est admise dans les seuls cas où, selon
l'estimation du médecin, les troubles somatoformes douloureux se manifestent
avec une telle sévérité que, d'un point de vue objectif, la mise en valeur de
sa capacité de travail ne peut, pratiquement, - sous réserve des cas de
simulation ou d'exagération (SVR 2003 IV no 1 p. 2 consid. 3b/bb; voir aussi
Meyer-Blaser, op. cit. p. 83, spéc. 87 sv. ) - plus raisonnablement être
exigée de l'assuré, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF
102 V 165; VSI 2001 p. 224 sv. consid. 2b et les références; arrêt N. précité
consid. 2.2.3 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in
fine).

Admissible seulement dans des cas exceptionnels, le caractère non exigible
d'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de la réintégration
dans un processus de travail suppose, dans chaque cas, soit la présence
manifeste d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une durée
importantes, soit le cumul d'autres critères présentant une certaine
intensité et constance. Ce sera le cas (1) des affections corporelles
chroniques ou d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable, (2) d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, (3) d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la
libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire
tiré de la maladie), ou enfin (4) de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art et de mesures de réhabilitation,
cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour
surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux (VSI 2000 p. 155
consid. 2c; arrêt N. précité, consid. 2.2.3 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.
p. 76 ss, spéc. 80 ss).

4.1.3 Dès lors qu'en l'absence de résultats sur le plan somatique le seul
diagnostic de troubles somatoformes douloureux ne suffit pas pour justifier
un droit à des prestations d'assurance sociale, il incombe à l'expert
psychiatre, dans le cadre large de son examen, d'indiquer à l'administration
(et au juge en cas de litige) si et dans quelle mesure un assuré dispose de
ressources psychiques qui - eu égard également aux critères mentionnés au
considérant 4.1.2 ci-dessus - lui permettent de surmonter ses douleurs. Il
s'agit pour lui d'établir de manière objective si, compte tenu de sa
constitution psychique, l'assuré peut exercer une activité sur le marché du
travail, malgré les douleurs qu'il ressent (cf. arrêt N. précité consid.
2.2.4. et les arrêts cités).

4.1.4 Les prises de position médicales sur la santé psychique et sur les
ressources dont dispose l'assuré constituent une base indispensable pour
trancher la question (juridique) de savoir si et dans quelle mesure on peut
exiger de celui-ci qu'il mette en oeuvre toute sa volonté pour surmonter ses
douleurs et réintégrer le monde du travail. Dans le cadre de la libre
appréciation dont ils disposent (art. 40 PCF en liaison avec l'art. 19 PA;
art. 95 al. 2 en liaison avec 113 et 132 OJ; VSI 2001 p. 108 consid. 3a),
l'administration et le juge ne sauraient ni ignorer les constatations de fait
des médecins, ni faire leurs les estimations et conclusions médicales
relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans procéder à un examen
préalable de leur pertinence du point de vue du droit des assurances
sociales. Cela s'impose en particulier lorsque l'expert atteste une
limitation de la capacité de travail fondée uniquement sur le diagnostic de
troubles somatoformes douloureux. Dans un tel cas, il appartient aux
autorités administratives et judiciaires d'examiner avec tout le soin
nécessaire si l'estimation médicale de l'incapacité de travail prend en
considération également des éléments étrangers à l'invalidité (en particulier
des facteurs psychosociaux et socio-culturels) qui ne sont pas pertinents du
point de vue des assurances sociales ( ATF 127 V 299 consid. 5a; VSI 2000 p.
149 consid. 3), ou si la limitation (partielle ou totale) de la capacité de
travail est justifiée par les critères juridiques déterminants, énumérés aux
consid. 4.1.2 et 4.1.3 ci-dessus (cf. arrêt N. précité consid. 2.2.5).
4.2 Selon les rapports d'expertise précités (consid. 3.1 supra), l'intimée
souffre, sur le plan psychique, d'un syndrome douloureux somatoforme
persistant (F 45.4 de la Classification statistique internationale des
maladies et des problèmes de santé connexes, dixième révision [CIM-10] de
l'Organisation Mondiale de la Santé ), de troubles dépressifs récurrents
(CIM-10 F 33.10) et de fibromyalgie.

Au vu de ces diagnostics qui ont pour les experts valeur de maladie, se pose
en premier lieu la question de l'admission d'une comorbidité psychiatrique.
Selon la doctrine médicale (cf. notamment Dilling/Mombour/Schmidt [Hrsg.],
Internationale Klassifikation psychischer Störungen, ICD-10 Kapitel V [F],
4ème édition, p. 191) sur laquelle s'appuie le Tribunal fédéral des
assurances, les états dépressifs constituent des manifestations (réactives)
d'accompagnement des troubles somatoformes douloureux, de sorte qu'ils ne
sauraient faire l'objet d'un diagnostic séparé (arrêt N. précité consid.
3.3.1 in fine; Meyer-Blaser, op. cit. p. 81, note 135). Par ailleurs, la
fibromyalgie ne figure pas au nombre des affections répertoriées dans la
classification des maladies selon le DSM-IV. Partant, l'existence d'une
comorbité psychiatrique doit être niée dans le cas particulier.

4.3 Se pose dès lors la question de la présence éventuelle d'autres critères,
dont le cumul permet d'apprécier le caractère invalidant des troubles
somatoformes douloureux. A l'examen des expertises psychiatriques figurant au
dossier, l'on peut tenir pour établie l'existence d'affections corporelles
chroniques (myalgies, atteinte aux genoux et céphalées). Par contre, l'on ne
saurait d'emblée conclure à la perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie - et cela bien que l'office ait observé dans un
courrier daté du 21 avril 1998 que l'intimée  présentait d'importantes
difficultés d'intégration sociale -, de même qu'à l'existence d'un état
psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique ou à
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art. Sur ces points précis, les expertises ne permettent pas de statuer en
pleine connaissance de cause, sans que l'on se trouve pour autant dans une
situation où il est impossible de réunir des preuves (ATF 125 V 195 consid. 2
et les références). Le dossier sera en conséquence retourné à la juridiction
cantonale pour instruction complémentaire (complément d'expertise ou nouvelle
expertise) et nouveau jugement. Dans ce cadre, il incombera à l'expert, outre
la réponse aux questions ci-dessus, de donner les bases objectives (cf.
consid. 4.1.3 et 4.1.4) permettant de déterminer si et dans quelle mesure
l'intimée dispose de ressources psychiques lui permettant de surmonter ses
douleurs et de réintégrer un processus de travail, questions essentielles que
les expertises au dossier ne permettent pas de trancher.

5.
La décision litigieuse ayant pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

L'intimée n'obtenant pas gain de cause, elle ne saurait prétendre une
indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en corrélation
avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances du
canton de Vaud du 19 novembre 2002, ainsi que la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 16 mai 2001 sont annulés, la
cause étant renvoyée à l'autorité judiciaire précédente pour complément
d'instruction au sens des considérants et nouveau jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 8 juin 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   La Greffière: