Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 79/2003
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H 79/03

Arrêt du 26 août 2003
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari. Greffière : Mme
Moser-Szeless

N.________, recourant, représenté par Me Soli Pardo, avocat, route de
Florissant 47ter, 1206 Genève,

contre

Caisse de compensation de la Société Suisse des Entrepreneurs, Agence de
Genève, rue Malatrex 14, 1201 Genève, intimée, représentée par Me Pierre
Vuille, avocat, c/o Etude Gautier, Vuille & Associés, rue Bellot 9, 1206
Genève,

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 20 novembre 2002)

Faits:

A.
La société X.________SA, avec siège à Y.________, était affiliée à la Caisse
de compensation de la Société suisse des entrepreneurs (ci-après : la
caisse). Le 11 mars 1997, elle a demandé au Tribunal de première instance un
sursis concordataire dans le but de prendre les mesures nécessaires pour
désintéresser ses créanciers et assurer son maintien. Un sursis de six mois a
été accordé le 23 avril 1997, puis prolongé jusqu'au 23 avril 1998 (jugement
du Tribunal de première instance du 7 janvier 1998). Saisi d'une requête en
révocation du sursis déposée par le commissaire au sursis le 20 mars 1998, le
tribunal a constaté qu'elle devenait sans objet et a prononcé la faillite de
la société le 31 mars 1998.

Par décision du 23 septembre 1998, la caisse a réclamé à N.________, en sa
qualité d'ex-membre du conseil d'administration de la société, le paiement
d'un montant de 294'070 fr. 60, somme représentant les cotisations AVS/AI/APG
non payées de juin 1996 à avril 1997 et de novembre 1997 à février 1998, avec
intérêt à 6 % l'an depuis le 1er avril 1998. Le prénommé a formé opposition
en temps utile.

B.
Par écriture déposée le 23 novembre 1998 devant la Commission cantonale
genevoise de recours en matière d'AVS/AI (aujourd'hui : Tribunal cantonal des
assurances sociales), la caisse a assigné N.________ en paiement d'un montant
de 294'070 fr. 60. Par jugement du 20 novembre 2002, la commission cantonale
a admis l'action de la caisse et levé l'opposition formée par le prénommé.

C.
N.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, sous suite de frais et dépens. Il conclut
principalement à l'annulation de la décision de réparation de la caisse du 23
septembre 1998 et, subsidiairement au renvoi de la cause à la commission
cantonale pour qu'elle ordonne la comparution des parties, entende les
témoins en audience publique et statue à nouveau également en audience
publique.

La commission cantonale s'est déterminée par courrier du 19 mars 2003 en se
référant aux considérants de son jugement, tandis que la caisse conclut au
rejet du recours. Quant à l'Office fédéral des assurances sociales, il a
renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2
OJ).

2.
Invoquant une violation de l'art. 30 al. 3 Cst., le recourant reproche tout
d'abord aux premiers juges d'avoir refusé de tenir une audience publique,
bien qu'il en eût fait la demande explicite.

2.1 Aux termes de l'art. 30 al. 3 Cst., l'audience et le prononcé du jugement
sont publics. La loi peut prévoir des exceptions. Cette disposition
constitutionnelle ne confère pas au justiciable de droit à une audience
publique dans toutes les causes visées à l'art. 30 al. 1 Cst., c'est-à-dire
celles qui donnent droit à un contrôle judiciaire. Elle se limite à garantir
que, lorsqu'il y a lieu de tenir une audience, celle-ci se déroule
publiquement, sauf exceptions prévues par la loi. Aujourd'hui comme avant, un
droit comme tel à des débats publics (oraux) n'existe que pour les causes
bénéficiant de la protection de l'art. 6 § 1 CEDH ou lorsque les règles de
procédure le prévoient ou encore lorsque sa nécessité découle des exigences
du droit à la preuve (ATF 128 I 290 consid. 2). En ce sens, l'interprétation
de l'art. 30 al. 3 Cst. est liée à celle de l'art. 6 § 1 CEDH (cf.
Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. II,
p. 597, ch. 1251 ss; arrêt B. du 25 octobre 2002, [B 58/02]).

2.2 En matière d'AVS, la procédure de recours devant l'autorité cantonale est
réglée par les cantons, sous réserve d'exigences minimales fixées par l'art.
85 al. 2 LAVS (dans sa teneur applicable en l'espèce [ATF 127 V 467 consid.
1, 121 V 366 consid. 1b], en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002 [entrée en
vigueur de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances
sociales, LPGA, au 1er janvier 2003]). Selon l'art. 85 al. 2 let. e LAVS, le
juge ordonne des débats «si les circonstances le justifient. Les
délibérations ont lieu en l'absence des parties». Ces règles sont applicables
dans la procédure en réparation des dommages en raison du renvoi de l'art. 81
al. 3 RAVS (dans sa teneur en vigueur au moment déterminant).

L'art. 9 du Règlement genevois de la Commission cantonale de recours en
matière d'assurance-vieillesse et survivants, d'assurance-invalidité,
d'allocation pour perte de gain et de prestations fédérales et cantonales
complémentaires à l'AVS-AI du 4 novembre 1993 (RS GE J 7 05.20) prévoit que
les séances et les audiences de la Commission ont lieu à huis clos. L'art. 85
al. 2 let. e LAVS, ainsi que les éventuelles règles adoptées par les cantons
en exécution de celle-ci, doivent être interprétée en fonction des garanties
de l'art. 6 § 1 CEDH (ATF 120 V 7 consid. 3b; Meyer-Blaser, Der Einfluss der
Europäischen Menschenrechtskonvention auf das schweizerische
Sozialversicherungsrecht, in ZSR 1994 p. 406).

L'art. 6 § 1 CEDH garantit à chacun le droit à un examen équitable et public
de sa cause, englobant en principe le droit pour une partie de pouvoir être
entendue oralement devant un tribunal lors d'une séance publique (ATF 121 I
35 consid. 5d et les références), pour autant qu'elle n'y ait pas
explicitement ou implicitement renoncé (ATF 125 II 426 consid. 4f). A cet
égard, l'obligation d'organiser des débats publics suppose une demande,
formulée de manière claire et indiscutable, de l'une des parties au procès;
de simples requêtes de preuve, comme des demandes tendant à une comparution
ou à une interrogation personnelle, à un interrogatoire des parties, à une
audition de témoins ou à une inspection locale, ne suffisent pas pour fonder
une semblable obligation (ATF 125 V 38 consid. 2, 122 V 55 consid. 3a). Les
parties doivent, par ailleurs, faire valoir leur droit à des débats publics
en temps utile; une demande faite en dehors du cadre de l'échange d'écritures
doit être considérée comme tardive (ATF 122 V 56 consid. 3b/bb et les arrêts
cités). Saisi d'une demande tendant à l'organisation de débats, le juge
cantonal doit en principe y donner suite (ATF 122 V 55 consid. 3b). A titre
exceptionnel, il peut y renoncer dans les cas énumérés par l'art. 6 § 1
deuxième phrase CEDH. En outre, en matière d'assurances sociales, il est
admissible de refuser la tenue d'une audience publique malgré une requête
expresse du justiciable quand il s'agit de questions hautement techniques ou
pour tenir compte de l'exigence de la célérité du procès, de même lorsqu'un
recours est manifestement irrecevable ou mal fondé (ATF 122 V 55 ss consid.
3b, 121 I 37 consid. 5e; Michel Hottelier, La portée du principe de la
publicité des débats dans le contentieux des assurances sociales, SJ 1996, p.
650 ch. 10; Auer/Malinverni/Hottelier, op. cit., n° 1263 p. 602).

2.3 En l'espèce, le recourant a, dans ses observations finales en procédure
cantonale demandé que les premiers juges statuent «en audience publique».
Faite au cours de l'échange d'écritures dans le délai imparti par la
commission de recours pour se prononcer avant la clôture de l'instruction, la
requête visait expressément la tenue d'une audience publique.

Dans ses déterminations, la commission de recours explique toutefois qu'elle
a considéré que le litige portait sur une question technique - le respect par
l'intimée du délai de péremption prévue à l'art. 82 al. 1 RAVS -, de sorte
qu'il n'y avait pas lieu, pour ce motif, d'organiser des débats publics.

En procédure cantonale, le litige portait sur la responsabilité de
N.________, en sa qualité d'administrateur de X.________SA, pour le
non-paiement de cotisations d'assurances sociales selon l'art. 52 LAVS (dans
sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002). Le respect du délai de
péremption mentionné n'était donc qu'une question parmi d'autres sur
lesquelles devait se prononcer l'instance judiciaire cantonale. Il lui
appartenait ainsi d'examiner, par exemple, le point de savoir si le recourant
avait ou non commis une faute ou une négligence grave au sens de la
jurisprudence (ATF 108 V 186 consid. 1b). Il ne s'agissait pas ici de
questions à caractère purement technique - tels le calcul d'un délai de
recours (ATF 125 V 38 consid. 2) ou de purs problèmes de calculs, de
mathématiques actuarielles ou de comptabilité (ATF 122 V 57 consid. 3b/ee) -,
si bien que le motif invoqué par la commission à l'appui de son refus n'est
pas justifié. On ne voit par ailleurs pas d'autres circonstances qui lui
auraient permis, à titre exceptionnel, de déroger au principe de la publicité
des débats. Le grief tiré d'une violation de l'art. 30 al. 3 Cst. interprété
au regard de l'art. 6 § 1 CEDH, est dès lors bien fondé.

2.4 Le droit découlant de la publicité des débats est de nature formelle. Il
convient en conséquence d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause
à l'autorité cantonale pour qu'elle donne suite à la demande du recourant
d'organiser des débats publics, sans que l'on doive se demander si cette
mesure aurait modifié l'issue du litige et sans qu'il y ait lieu d'examiner
les autres griefs du recourant (ATF 121 I 40 consid. 5j, 121 V 156 consid. 6
et les arrêts cités).

3.
Le litige n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure n'est pas gratuite (art. 134 OJ a contrario). Les
frais de la cause, dont un émolument de 2'000 fr. (tenant compte du fait que
le jugement ne porte pas sur le fond), seront mis à la charge de l'intimée
qui succombe (art. 156 al. 1 en corrélation avec l'art. 135 OJ).

Le recourant, représenté par un avocat, obtient gain de cause sur ses
conclusions subsidiaires, de sorte qu'il a droit à une indemnité pour
l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en liaison avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement de la Commission cantonale de
recours en matière d'AVS/AI de la République et canton de Genève du 20
novembre 2002 est annulé, la cause étant renvoyée à la juridiction cantonale
pour qu'elle procède au sens des considérants et statue à nouveau.

2.
Les frais de justice, d'un montant total de 2'000 fr. sont mis à la charge de
l'intimée.

3.
L'avance de frais effectuée par le recourant, d'un montant total de 8000 fr.,
lui est restituée.

4.
L'intimée versera au recourant la somme de 2'500 fr. (y compris la taxe à la
valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal genevois
des assurances et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 26 août 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IVe Chambre:   La Greffière: