Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 309/2003
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2003
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2003


H 309/03

Arrêt du 10 février 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffier : M.
Wagner

W.________, recourant, représenté par Me Gérard Gillioz, avocat, avenue de la
Gare 64, 1920 Martigny,

contre

Caisse de compensation du canton du Valais, avenue Pratifori 22, 1950 Sion,
intimée,

Tribunal cantonal des assurances, Sion

(Jugement du 8 octobre 2003)

Faits:

A.
La société X.________ SA, anciennement à L.________, a transféré son siège à
M.________. Inscrite le 14 juin 1995 au registre du commerce du Bas-Valais,
elle avait pour but les travaux d'études, de montage, d'entretien et de
maintenance d'installations industrielles, d'ouvrages d'art et autres
constructions, l'étude et réalisation de travaux de levage et de manutention
de colis lourds, la réalisation du transfert d'usines et d'unités de
production, l'étude et fourniture en matière d'équipements industriels, ainsi
que toutes opérations commerciales, financières convergentes, y compris la
participation à d'autres entreprises à but analogue ou complémentaire.
W.________ en était l'un des membres du conseil d'administration, avec la
signature collective à deux.
Le 24 septembre 2001, la Caisse de compensation du canton du Valais a procédé
à un contrôle d'employeur auprès de cette société. Par lettre du 28 septembre
2001, elle a informé X.________ SA que la révision avait révélé des montants
importants versés par le débit du compte n° 61180 «Autres services
sous-traités» en faveur de tâcherons (1998: 391'978 fr.; 1999: 370'696 fr.;
2000: 776'717 fr.). A part cela, le rapport de révision constatait des
différences entre les salaires comptabilisés et ceux déclarés à la caisse
pour les années 1998 (12'069 fr.) et 1999 (956 fr.). Aussi bien le montant
total des reprises s'élevait à 404'047 fr. pour l'année 1998 (391'978 12'069),
à 371'652 fr. pour l'année 1999 (370'696 + 956) et à 776'717 fr.
pour l'année 2000.
La faillite de la société X.________ SA a été prononcée le 23 octobre 2001.
Sur cette base, la caisse, par décision du 15 avril 2002, notifiée à l'Office
des faillites de M.________, a fixé à 224'287 fr. 70 les cotisations
arriérées sur salaires pour la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre
2000. Comme X.________ SA avait un solde créditeur auprès de la caisse pour
les cotisations de l'année 2000, l'arriéré s'élevait finalement à 205'192 fr.
85.
Le 20 août 2002, dans une décision en réparation du dommage adressée à
W.________, la caisse lui a réclamé 194'079 fr. 35, soit le montant précité
de 205'192 fr. 85, réduit à 194'079 fr. 35 pour tenir compte du fait que
l'intéressé avait démissionné de ses fonctions d'administrateur le 12
décembre 2000.

W. ________ a formé opposition contre cette décision le 23 septembre 2002.

B.
Le 11 octobre 2002, la Caisse de compensation du canton du Valais a ouvert
action en réparation du dommage contre W.________ devant le Tribunal cantonal
des assurances du canton du Valais.
Par jugement du 8 octobre 2003, la juridiction cantonale a partiellement
admis l'action en ce sens que la responsabilité de W.________ est reconnue
pour la période allant de janvier 1998 jusqu'au 12 décembre 2000. Le tribunal
a annulé la décision de la caisse dans la mesure où elle fixait à 194'079 fr.
35 la créance en réparation à l'encontre du défendeur. Il a renvoyé la cause
à ladite caisse à charge pour elle d'établir le montant du dommage pour la
période allant de janvier 1998 au 30 novembre 2000.

C.
W.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, en
concluant, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de celui-ci.
La Caisse de compensation du canton du Valais conclut au rejet du recours.
L'Office fédéral des assurances sociales n'a pas déposé d'observations.

Considérant en droit:

1.
Le recours de droit administratif tend à l'annulation du jugement cantonal et
au rejet de la demande de la caisse de compensation.

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003 entraînant des
modifications légales, notamment en ce qui concerne l'art. 52 LAVS. Le cas
d'espèce reste néanmoins régi par la réglementation en vigueur jusqu'au 31
décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les règles applicables sont
celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont
produits (ATF 127 V 467 consid. 1).

3.
Les premiers juges admettent la responsabilité de principe du recourant, en
retenant que celui-ci connaissait les obligations de la société vis-à-vis de
la caisse de compensation, auxquelles il a contrevenu. Il devait en effet
veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux
salaires versés fussent payées à la caisse. La juridiction cantonale relève
en outre que rien au dossier ne permet de constater que le recourant ait
entrepris une quelconque démarche en vue du règlement des cotisations en
souffrance ni qu'il ait pris les mesures de surveillance ou de contrôle
adéquates. Une telle passivité constitue une violation grave des
prescriptions en matière d'AVS, contraire au devoir d'un administrateur
diligent.

4.
La demande en réparation du dommage se fonde sur le non-paiement de
cotisations sur des rémunérations qui auraient été versées, pour l'essentiel,
à des «tâcherons». Le recourant soutient que les premiers contrats de
«tâcherons indépendants» n'ont été conclus qu'à partir du mois de juin 1999
et non pas en 1998 déjà. La somme de 391'978 fr. inscrite au compte n° 61180
«Autres services sous-traités» pour l'exercice 1998 ne concerne que des
factures de sous-traitants. Par ailleurs, le recourant reproche à la
juridiction cantonale de n'avoir pas vérifié si, comme l'a retenu la caisse
de compensation dans sa décision, les rémunérations versées aux «tâcherons»
concernés provenaient effectivement d'une activité lucrative dépendante (et
non indépendante).

5.
La décision du 15 avril 2002 (consécutive au contrôle d'employeur) a été
rendue après l'ouverture de la faillite. Dans ces conditions, le recourant
n'était pas à même, en sa qualité d'ancien administrateur de la société,
d'attaquer cette décision. Dans ce cas, la jurisprudence considère qu'il ne
peut se voir opposer le fait qu'il n'a pas contesté la décision de cotisation
et ne saurait subir un préjudice parce que l'administration de la faillite -
à qui la décision en cause a été notifiée (ATF 116 V 289) - n'a pas fait
usage de la faculté de contester celle-ci. Aussi bien le juge saisi d'une
demande en réparation du dommage doit-il également examiner l'exactitude du
montant en cause, si le défendeur soulève des griefs précis, de nature à
faire naître des doutes quant au bien-fondé des décisions de cotisations
rendues postérieurement à l'ouverture de la faillite (VSI 1993 p. 182 consid.
3b et c). En l'espèce, on l'a vu, de tels griefs sont soulevés par le
recourant.

6.
S'il est vrai que le travail à la tâche est généralement considéré comme une
activité dépendante, ce principe souffre toutefois des exceptions, en
particulier quand les caractéristiques de la libre entreprise dominent
manifestement et que l'on peut admettre, d'après les circonstances, que le
sous-traitant se trouve sur un pied d'égalité avec l'entrepreneur qui lui a
confié le travail (cf. Gustavo Scartazzini in Greber/Duc/Scartazzini,
Commentaire des art. 1 à 16 de la Loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et
survivants [LAVS], 1996, notes 134 s. ad art. 5 LAVS; Hans-Peter Käser,
Unterstellung und Beitragswesen in der obligatorischen AHV, 2ème éd., ch.
4.4.1; sur la sous-traitance, voir p.ex. Pierre Tercier, Les contrats
spéciaux, 2e éd., § 45, ch. marg. 3362 à 3377). Or, le jugement attaqué ne
contient aucune constatation sur les conditions dans lesquelles les personnes
en question ont été engagées. Les premiers juges, du reste, n'ont pas examiné
le bien-fondé de la décision de cotisations sous l'angle de la qualification
du revenu sujet à reprise. Un tel examen était pourtant nécessaire, car s'il
se révélait qu'en réalité les intéressés devaient être qualifiés
d'indépendants, aucune omission ne pourrait être reprochée au recourant sous
l'angle de l'art. 52 LAVS en relation avec leur activité.
Au demeurant, même s'il était démontré que l'on est en présence d'une
activité lucrative dépendante, on ne saurait considérer d'emblée et sans
autre forme de procès que les organes de la société ont commis une négligence
grave en adoptant une solution contraire. Selon la jurisprudence, se rend
coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un
homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes
circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir
de diligence que l'on peut et doit généralement attendre, en matière de
gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé (ATF
112 V 159 s. et les arrêts cités).
Vu la multitude des formes possibles de collaboration, il peut exister des
situations-limites, propres à engendrer des incertitudes sur l'interprétation
légale en ce qui concerne le statut de cotisant de personnes travaillant pour
le compte d'une entreprise. La qualification de ce statut peut prêter à
discussion. Dans de tels cas, la faute grave ne saurait être présumée. Le
degré de gravité de la faute doit être examiné en fonction des circonstances
concrètes, notamment au regard de la clarté, sous l'angle de la
réglementation en matière d'AVS, de la situation des personnes auxquelles des
rémunérations ont été versées (cf. ATFA 1961 p. 232 consid. 3 , 1957 p. 220
consid. 2).

7.
Visiblement, les premiers juges n'ont pas remarqué que les reprises de
cotisations consécutives au contrôle d'employeur concernaient presque
exclusivement des rémunérations versées à des tâcherons et non des versements
aux salariés déclarés en tant que tels par la société. Il appert donc que les
constatations du jugement attaqué qui permettraient de conclure à une faute
grave au sens de l'art. 52 LAVS sont lacunaires et en partie inexactes. Les
faits n'ont de surcroît pas été établis conformément au principe de
l'instruction d'office (art. 85 al. 2 let. c aLAVS; art. 61 let. c LPGA)
Ainsi, il n'est pas possible de dire si c'est à bon droit que les
rémunérations versées à des tâcherons ont été considérées comme revenus d'une
activité dépendante soumise à cotisations et si, dans l'affirmative, les
organes de la société ont commis une négligence grave en retenant, à
l'inverse, que ces rémunérations représentaient le revenu d'une activité
indépendante.
Il convient donc d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause aux
premiers juges pour qu'ils établissent, en collaboration avec les parties,
les faits nécessaires pour trancher ces questions. Après quoi seulement, et
si la responsabilité du recourant est admise dans son principe, il conviendra
de fixer l'étendue du dommage qui devra être supporté par le recourant.

8.
Le litige n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure n'est pas gratuite (art. 134 OJ a contrario).
L'intimée supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 en corrélation
avec l'art. 135 OJ).
Représenté par un avocat, le recourant, qui conclut à l'annulation du
jugement attaqué, obtient gain de cause. Il a droit à une indemnité de dépens
pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en liaison avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis en ce sens que le jugement cantonal du 8
octobre 2003 est annulé et la cause renvoyée au Tribunal cantonal des
assurances du canton du Valais pour complément d'instruction et nouveau
jugement au sens des motifs.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 6'000 fr., sont mis à la charge de
l'intimée.

3.
L'avance de frais versée par le recourant, d'un montant de 6'000 fr., lui est
restituée.

4.
L'intimée versera au recourant la somme de 2'500 fr. (y compris la taxe sur
la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances du canton du Valais et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 10 février 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   Le Greffier: