Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 186/2003
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H 186/03

Arrêt du 12 avril 2005
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffière
: Mme Moser-Szeless

V.________, recourant, représenté par Me Michel Voirol, avocat, Rue des
Moulins 9, 2800 Delémont,

contre

Caisse interprofessionnelle FRSP-CIAB, La Perche 2, 2900 Porrentruy, intimée

Tribunal cantonal du canton du Jura, Chambre des assurances, Porrentruy

(Jugement du 14 mai 2003)

Faits:

A.
V. ________ était administrateur unique avec signature individuelle de la
société X.________ SA (ci-après: la société), celle-ci était affiliée à la
Caisse interprofessionnelle d'assurance vieillesse et survivants de la
Fédération romande des syndicats patronaux (ci-après: la caisse). Après avoir
obtenu dans un premier temps un sursis concordataire le 2 juin 1999, la
société a été déclarée en faillite le 19 mai 2000.

Par décision du 12 avril 2001, la caisse a réclamé à V.________ le paiement
de 22'910 fr. 50 «correspondant aux cotisations AVS/AI/APG/AC et CCAF pour
les périodes de février à avril 1999, novembre 1999, et janvier à mai 2000,
les décomptes complémentaires 1999 et 2000, ainsi que les frais
administratifs, taxes de sommation et intérêts moratoires». Dans le cadre de
la faillite, dont la clôture a été prononcée le 23 avril 2002, la caisse a
fait valoir une créance (définitive) de 24'536 fr. 10, pour laquelle elle a
obtenu un acte de défaut de biens.

B.
V.________ ayant fait opposition, la caisse l'a assigné en paiement de 22'910
fr. 50 devant le Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
Chambre des assurances. Le tribunal a fait verser  au dossier les pièces de
la procédure de sursis concordataire et de faillite de la société et requis
la caisse de produire différents documents, ce qu'elle a fait, les 24 octobre
et 19 novembre 2002. Statuant le 14 mai 2003, il a admis l'action en
réparation et condamné l'administrateur au paiement dudit montant.

C.
V.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation. Sous suite de dépens, il conclut, principalement, au
rejet de la demande en réparation et, à titre subsidiaire, au renvoi de la
cause à la juridiction cantonale.

La caisse ne s'est pas prononcée sur le recours, tandis que l'Office fédéral
des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

D.
Par décision incidente du 28 janvier 2004, le Tribunal fédéral des assurances
a rejeté la demande d'assistance judiciaire formée par V.________ et requis
le versement d'une avance de frais dont celui-ci s'est acquitté.

Considérant en droit:

1.
Le recours de droit administratif n'est pas recevable dans la mesure où le
litige a trait à la réparation du dommage consécutif au non-paiement de
cotisations au régime des allocations familiales de droit cantonal (cf. ATF
124 V 146 consid. 1 et la jurisprudence citée).

2.
Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice subi par
l'intimée aux condition de l'art. 52 LAVS (dans sa teneur en vigueur jusqu'au
31 décembre 2002, applicable en l'espèce [ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les
arrêt cités]). Dès lors, la décision litigieuse n'ayant pas pour objet
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des
assurances doit se borner à examiner si les premiers juges ont violé le droit
fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation,
ou si les faits pertinents ont été constatés d'une manière manifestement
inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles
essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a
et b et 105 al. 2 OJ).

3.
Le jugement entrepris expose de manière exacte les dispositions légales et
réglementaires (art. 52 LAVS, art. 14 al. 1 LAVS en relation avec les art. 34
ss RAVS), ainsi que les principes jurisprudentiels applicables en matière de
responsabilité de l'employeur et des organes de celui-ci (ATF 123 V 15
consid. 5b, 108 V 202 consid. 3a); il retient également à juste titre que le
présent cas reste soumis aux dispositions de la LAVS et de son règlement
d'application en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, soit sans les
modifications entraînées par l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2003, de la
LPGA (cf. ATF 129 V 4 consid. 1.2). On peut donc y renvoyer sur ces points.

4.
4.1 Le recourant fait valoir à la fois une violation de son droit d'être
entendu, singulièrement le défaut de motivation du jugement entrepris, et une
constatation manifestement inexacte des faits, en ce qui concerne notamment
le montant du dommage. Il reproche aux premiers juges d'avoir admis
l'existence d'un dommage subi par l'intimée, sans avoir discuté des griefs
qu'il avait soulevés à l'égard des pièces justificatives y relatives,
produites par celle-ci. Il conteste aussi la réalité du préjudice que ni
l'intimée ni la juridiction cantonale n'auraient établi correctement, puisque
la caisse n'a produit ni les décisions de cotisations notifiées, ni un relevé
de compte chronologique. Selon lui, par ailleurs, certains décomptes, dont
l'un daté du 12 avril 2002 portant sur 2602 fr. 15, n'étaient pas entrés en
force au jour où la société X.________ SA a déposé son bilan, et ne lui ont
jamais été notifiés, ce dont les premiers juges auraient dû tenir compte en
procédant à la distinction entre les cotisations entrées en force et échues
au jour du dépôt du bilan et les cotisations postérieures.

4.2 Dans sa décision du 12 avril 2001, puis sa demande en réparation datée du
1er juin suivant, l'intimée a fait valoir un dommage de 22'910 fr. 50. Pour
toute explication, elle renvoyait à deux décomptes des 29 septembre 2000 et
27 mars 2001, intitulés «production définitive» qu'elle avait adressés à
l'Office des poursuites de Delémont, d'où ressortent le solde dû des
cotisations sociales et les allocations familiales pour les périodes
litigieuses (février à avril 1999, novembre 1999, janvier à mai 2000). Ce
n'est qu'au cours de l'instruction cantonale que l'intimée a, à la requête de
la juridiction cantonale, établi deux décomptes plus précis, datés du 19
novembre 2002 qui comprennent une liste des cotisations dues pour 1999 et
2000, ainsi que des explications sur la manière dont elle a réparti les
montants versés par la société sur une partie du solde dû. Elle a également
indiqué avoir reçu deux versements de la Caisse publique cantonale
d'assurance-chômage relatifs à des indemnités en cas d'insolvabilité. De
même, mentionne-t-elle un dividende versé par l'Office des faillites de
Delémont qu'elle a imputé sur le solde dû. A l'appui de ses décomptes, elle a
produit un ensemble de pièces justificatives.

Sur la base de ces pièces, les premiers juges ont retenu que le montant du
dommage dont la caisse demandait réparation était suffisamment établi. En
particulier, ils ont considéré que les décomptes du 19 novembre 2002
présentaient de manière précise les montants de cotisations facturés à la
société X.________ SA, y compris les intérêts et les frais. Ces décomptes
tenaient également compte des paiements effectués tant par la société que par
la Caisse publique de chômage en indiquant l'imputation de ces montants sur
les cotisations à payer; les décomptes se fondaient par ailleurs sur des
pièces justificatives suffisantes.

4.3 La lecture des décomptes en cause - dont les premiers juges  n'ont pas
discuté le détail malgré les critiques du recourant sur ce point -, ainsi que
des pièces justificatives y relatives ne permettent toutefois pas d'établir
en tant que telle la totalité du dommage allégué.

4.3.1 Pour l'année 1999, l'intimée retient tout d'abord un solde de 6591 fr.
résultant des cotisations sociales de janvier à décembre 1999 (112'868 fr.
45) moins les cotisations déjà décomptées (106'277 fr. 45). Ce montant a été
réclamé à la société par un décompte final 1999 daté du 29 février 2000, qui
rectifie - semble-t-il - le montant approximatif des acomptes versés par la
société pendant l'année 1999, conformément à l'art. 34 al. 3 RAVS (dans sa
teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2000). Il a été payé le 6 avril 2000,
ce dont la caisse a tenu compte en imputant ce montant sur le total des
cotisations dues.

La caisse fait ensuite valoir des cotisations pour les mois de février 1999
(5253 fr. 95), mars 1999 (7644 fr. 75), et avril 1999 (10'888 fr. 50), y
compris les intérêts moratoires et les taxes, soit un total de 23'787 fr. 20.
Comme justificatifs de ces montants, elle renvoie pour le mois de février
1999 à une pièce dont la provenance et la signification ne sont pas claires
puisqu'elle ne contient qu'une série de chiffres et des abréviations
incompréhensibles. Pour les montants de mars et avril 1999, l'intimée se
réfère à des documents un peu plus explicite puisqu'il s'agit de
«sous-comptes contentieux paritaires» avec des dates et rubriques distinctes.
Quoi qu'il en soit, ces documents internes à la caisse ne permettent pas de
comprendre à quoi correspondent effectivement les montants réclamés pour les
mois de février à avril 1999 et pourquoi ils viennent s'ajouter au solde
relatif à la même période réclamé par le décompte final 1999 du 29 février
2000. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que le montant de 23'787 fr.
20 aurait fait l'objet d'un décompte communiqué à la société, lui réclamant
cette somme. Ce montant ne pouvait donc être retenu sans autre examen par la
juridiction cantonale, ce d'autant plus que le recourant se prévalait
expressément du fait que plusieurs pièces au dossier étaient purement
internes à la caisse et n'avaient jamais été transmises à la société.

L'intimée retient encore une créance de 2602 fr. 15 à titre de cotisations
sur des salaires pour l'année 1999, produits par plusieurs employés de la
société à l'Office des poursuites de Delémont. Celle-ci, initialement fixée à
2844 fr. 30, a fait l'objet d'un décompte daté du 12 avril 2002, soit
postérieur à l'ouverture de la faillite, prononcée le 18 mai 2000. Comme le
soutient à juste titre le recourant, il n'était dès lors pas à même de
contester ce décompte en sa qualité d'administrateur de la société.

Dans une telle situation, la jurisprudence considère que l'employeur ne peut
se voir opposer le fait de n'avoir pas contesté la décision de cotisations et
ne doit pas subir de préjudice, parce que l'administration de la faillite - à
qui la décision en cause devait être notifiée (ATF 116 V 289) - n'a pas fait
usage de sa faculté de contester celle-ci. Aussi, le juge saisi d'une demande
en réparation doit-il examiner l'exactitude du montant en cause, si
l'opposant soulève des griefs précis de nature à faire naître des doutes
quant au bien-fondé des décisions de cotisations rendues postérieurement à
l'ouverture de la faillite (VSI 1993 p. 180). S'il est vrai, en l'espèce, que
le recourant a contesté le décompte du 12 avril 2002 en des termes assez
généraux, il incombait toutefois à la juridiction cantonale d'en vérifier
l'exactitude, ce d'autant plus qu'il se rapporte à des salaires d'employés
pour l'année 1999 que la société, soit pour lui son administrateur, n'avait
justement pas admis dans le cadre des productions dans la faillite. Il
ressort en effet de l'audition du recourant du 21 septembre 2000 à l'Office
des poursuites de Delémont qu'il a contesté l'ensemble des salaires que les
employés de la société ont fait valoir dans la faillite (productions 24 à 33)
et sur lesquels l'intimée a par la suite calculé des cotisations qu'elle a
réclamées à l'employeur par décompte du 12 avril 2002. A cet égard, on ne
saurait donc suivre les premiers juges lorsqu'ils déduisent du fait que
l'acte de défaut de biens délivré à l'intimée (pour 24'536 fr. 10) mentionne
que le failli a reconnu la créance pour cette somme, que le recourant a
également admis celle-ci au titre de dommage dont il serait responsable.

4.3.2 Pour les mois de janvier à mai 2000, pour lesquels l'intimée a établi
un second décompte daté du 19 novembre 2002, elle indique tout d'abord des
cotisations facturées pour 14'185 fr. 30, dont elle déduit 3755 fr. 75. Comme
justificatif, elle renvoie à un décompte daté du 14 août 2000 - soit
postérieur à l'ouverture de la faillite de la société - portant sur des
cotisations AVS/AI/APG/AC et allocations familiales et frais administratif
pour un montant de 14'185 fr. 30. Toutefois, une somme identique à ce total
est déduite sur la facture au titre d'«extourne factures forfaitaires», le
décompte se soldant par un total à payer de 0.- fr. Cette extourne ne figure
en revanche pas parmi les montants que l'intimée déduit du solde dû de
janvier à mai 2000, dans son décompte du 19 novembre 2002. Or, on ne voit pas
pourquoi l'intimée n'opère pas cette déduction, qu'elle a pourtant effectuée
dans son décompte du 14 août 2000 qui portait à 0.- fr. le solde dû par la
société.

Par ailleurs, le décompte du 14 août 2000, de même que le décompte daté du 29
mai 2000 portent - notamment, pour le premier - sur des cotisations pour le
mois de mai 2000 qui n'étaient pas échues au moment de l'ouverture de la
faillite. Celles-ci devaient en effet être payées dans les dix jours qui
suivent la période de paiement (art. 34 al. 4 RAVS, dans sa teneur en vigueur
jusqu'au 31 décembre 2000), soit le 10 juin 2000 (13 juin 2000 selon le
décompte du 29 mai 2000). Selon la jurisprudence, l'employeur ne répond en
principe que du dommage découlant du non-paiement des cotisations paritaires
dues à un moment où il pouvait encore recourir à la fortune éventuellement
disponible et effectuer des paiements à la caisse de compensation.
L'employeur qui ne peut payer ses cotisations parce que la faillite est
ouverte entre la fin de la période de paiement et la fin du délai de paiement
de dix jours et qui, par conséquent, ne peut plus disposer de la fortune et
ne peut plus effectuer de paiement à la caisse, ne viole pas son obligation
de paiement à l'égard de la caisse de compensation (VSI 1994 p. 37 consid. 6b
et les arrêts cités). Reste réservé le cas où l'employeur ne s'est pas
préoccupé avec toute la diligence nécessaire des cotisations paritaires dont
il doit assumer la perception et la transmission, si bien qu'au moment où
celles-ci doivent être payées, les moyens ne suffisent plus pour s'en
acquitter (RCC 1985 p. 608 consid. 5b; arrêt Z. du 24 décembre 2003, H 48/03,
consid. 5.2.2). Dès lors que la juridiction cantonale s'est limitée à
admettre cette partie du dommage, sans examiner si l'employeur a agi
intentionnellement ou par négligence grave en provoquant son insolvabilité au
sens de la jurisprudence citée, il n'est pas possible de se prononcer sur ce
point.

4.4 Dans ces circonstances, il apparaît que les faits n'ont pas été constatés
de manière complète sur le montant du dommage dont la réparation est demandée
au recourant. En conséquence, il convient de renvoyer la cause à la
juridiction cantonale pour qu'elle procède à une instruction complémentaire
sur ce point, sans qu'il s'avère nécessaire d'examiner les autres griefs
invoqués par le recourant.

5.
Etant donné que le litige ne porte pas sur l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance (art. 134 OJ a contrario), la procédure n'est pas
gratuite. L'intimée, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 156
al. 1 en relation avec l'art. 135 OJ).

Le recourant, représenté par un avocat, obtient gain de cause; il a donc
droit à une indemnité de dépens à la charge de l'intimée (art. 159 al. 1 en
relation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Dans la mesure où il est recevable, le recours est partiellement admis en ce
sens que le jugement du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
Chambre des assurances, du 14 mai 2003 est annulé; la cause lui est renvoyée
pour instruction complémentaire et nouveau jugement au sens des motifs.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 1700 fr. sont mis à la charge de la
Caisse interprofessionnelle d'assurance vieillesse et survivants de la
Fédération romande des syndicats patronaux. L'avance de frais versée par
V.________, d'un montant de 1700 fr., lui est restituée.

3.
La Caisse de compensation FRSP versera à V.________ une indemnité de 2500 fr.
(y compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de dépens pour la procédure
fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la
République et canton du Jura, Chambre des assurances, et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 12 avril 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre:  La Greffière: