Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 177/2003
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H 177/03

Arrêt du 15 juin 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffière : Mme
Berset

T.________, recourant, représenté par Me Mauro Poggia, avocat, rue de
Beaumont 11, 1206 Genève,

contre

Caisse cantonale genevoise de compensation, route de Chêne 54, 1208 Genève,
intimée,

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI

(Jugement du 12 mars 2003)

Faits:

A.
Fondée en 1979, la société A.________ SA, dont le siège était situé à Genève,
avait pour but, en dernier lieu, l'importation, l'exportation, le commerce et
la représentation de marchandises et produits, l'exploitation d'une
entreprise générale du bâtiment et de travaux publics, le commerce
d'articles, de produits et de marchandises se rapportant à l'industrie du
bâtiment, ainsi que les opérations immobilières et la gestion de tout
patrimoine pour le compte de tiers (procéder à tout investissement).

La société a été dissoute par la faillite prononcée par jugement du Tribunal
de première instance de Genève du 15 avril 1997. T.________ a occupé
successivement les fonctions d'administrateur-président, avec signature
collective à deux (du 17 mai 1979 au 19 janvier 1981),
d'administrateur-secrétaire (du 29 août 1985 au 7 juillet 1988) et
d'administrateur unique dès cette date jusqu'à la faillite de la société.
V.________ a été directeur de la société, avec signature collective à deux,
du 31 mars 1992 jusqu'à la faillite.

Par deux décisions respectives des 3 et 30 novembre 1999, la Caisse cantonale
genevoise de compensation a réclamé à T.________ et à V.________ le paiement
de 134'340 fr. 95 au titre de réparation du dommage qu'elle avait subi dans
cette faillite.

Seul T.________ a formé opposition à la décision le concernant.

B.
Par écriture du 10 décembre 1999, la caisse de compensation a porté le cas
devant la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS (depuis
le 1er août 2003: Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève) en
concluant à la «confirmation» de sa décision du 3 novembre 1999 dirigée
contre T.________.

La commission a procédé à diverses mesures d'instruction par l'intermédiaire
de sa greffière. C'est ainsi que le témoin V.________ a été entendu par
celle-ci le 19 décembre 2002, tandis que T.________ a fait l'objet d'une
audition le 20 novembre 2002, en présence de son mandataire.

Le 7 janvier 2003, la greffière de la commission a envoyé aux parties copies
des pièces et procès-verbaux recueillis dans le cadre de ces mesures
d'instruction, en leur impartissant un délai au 24 janvier 2003 pour
consulter le dossier et présenter d'éventuelles observations.

Par lettre du 27 janvier 2003 adressée à la commission de recours, le
mandataire du défendeur a réfuté sur plusieurs points les déclarations de
V.________, tout en réservant ses droits «compte tenu de l'accusation
calomnieuse» de ce dernier.

Statuant le 12 mars 2003, la commission de recours a admis la demande de la
caisse et levé l'opposition formée par T.________.

C.
Le prénommé interjette recours de droit administratif en concluant, sous
suite de dépens, à l'annulation de ce jugement et au rejet des conclusions de
la caisse de compensation.

Cette dernière conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2
OJ).

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur au 1er janvier 2003, n'est pas
applicable au présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales
n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de
fait postérieures aussi bien à la date déterminante de la décision litigieuse
du 3 novembre 1999 qu'aux faits incriminés qui se sont déroulés avant le 1er
janvier 2003 (ATF 129 V 4, consid. 1.2 et les arrêts cités).

3.
Le recourant invoque la violation de l'art. 18 PA. Il reproche en particulier
aux premiers juges de ne pas lui avoir donné la possibilité de participer à
l'administration des preuves testimoniales. Dans la mesure où il se prévaut
d'une violation de règles essentielles de procédure (art. 105 al. 2 en
corrélation avec l'art. 132 OJ), notamment du droit d'être entendu, ce grief
doit être examiné en premier lieu, car il se pourrait que le tribunal
accueille le recours sur ce point et renvoie la cause à l'autorité cantonale
sans examen du litige au fond (ATF 124 V 92 consid. 2 et l'arrêt cité).

3.1 Il est établi que les déclarations de V.________ ont été recueillies de
manière non contradictoire, le 19 décembre 2002, à une audience à laquelle
T.________ n'a pas été convié. Ce dernier, pour sa part, a été entendu
séparément. La greffière de la commission cantonale avait d'ailleurs expliqué
à la cour de céans, à une autre occasion, que l'audition d'un témoin a en
principe lieu sans que les parties soient convoquées; à sa demande, l'avocat
peut être présent, mais son rôle se limite à celui d'un observateur (cf. ATF
124 V 93  consid. 4a).

Cette conception restrictive du droit des parties de participer à
l'administration des preuves testimoniales n'est pas compatible avec les
exigences du droit fédéral. Certes, l'art. 18 al. 1 PA n'est pas directement
applicable à la procédure cantonale (art. 1er al. 3 PA). Et l'on ne peut
déduire du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (art. 4
aCst) le droit inconditionnel d'assister à l'audition des témoins, si ce
n'est en procédure pénale. Mais ce droit ne peut être supprimé en procédure
administrative que dans des circonstances tout à fait particulières, par
exemple pour cause d'urgence (ATF 124 V 93 consid. 4a et les références; RAMA
1998 no U 302 p. 352; cf. aussi l'art. 18 al. 2 PA). Au demeurant, le droit
des parties d'assister à l'audition des témoins peut aussi se déduire du
principe de l'oralité, qui s'applique plus particulièrement à la preuve
testimoniale (Kölz/Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege
des Bundes, 2ème éd., Zurich 1998, no 149 p. 52 sv.). Il comporte
naturellement la possibilité de poser ou de faire poser au témoin des
questions complémentaires; sur ce point, l'art. 18 al. 1 PA ne fait
qu'exprimer un aspect du droit d'être entendu selon l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF
124 V 93 sv. consid. 4a et les références; cf. Benoît Bovay, Procédure
administrative, Berne 2000 p. 185 et 221; Kölz/Häner, op. cit., no 319 ss p.
116 ss et no 292 ss p. 106 sv). L'art. 42 LPGA va du reste dans le même sens.

3.2 Dès qu'il a eu connaissance du procès-verbal d'audition de V.________, le
recourant a réservé ses droits au vu des accusations qui étaient portées par
ce dernier à son encontre. Or, il découle des principes développés ci-dessus
que l'autorité cantonale aurait dû lui donner la possibilité non seulement
d'assister à l'audition du prénommé, mais également de lui poser des
questions. Dans la mesure où les premiers juges se fondent en substance sur
le procès-verbal d'audition de V.________, pour en déduire certains faits
importants pour l'issue du litige, la violation du droit d'être entendu du
recourant est incontestable et le vice ne peut être réparé en procédure
fédérale.

Dans ces circonstances, il convient d'annuler le jugement attaqué et de
renvoyer la cause à l'autorité cantonale afin qu'elle en reprenne
l'instruction, en respectant le droit des parties de participer activement à
l'administration des preuves testimoniales.

4.
La procédure n'est pas gratuite (art. 134 OJ a contrario). Succombant,
l'intimée en supportera les frais (art. 156 al. 1 OJ). Le recourant, qui
obtient gain de cause, a d'autre part droit à une indemnité de dépens, à la
charge de l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement attaqué est annulé.

2.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal des assurances sociales du canton
de Genève pour qu'il reprenne et complète l'instruction en se conformant aux
motifs du présent arrêt, puis statue à nouveau au fond.

3.
Les frais de la cause, consistant en un émolument de justice de 2000 fr.,
sont mis à la charge de la Caisse cantonale genevoise de compensation.
L'avance de frais de 5000 fr. effectuée par le recourant lui est restituée.

4.
La Caisse cantonale genevoise de compensation versera au recourant une
indemnité de dépens de 2500 fr.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 15 juin 2004

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:   La Greffière: