Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Kassationshof in Strafsachen 6S.82/2003
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6S.82/2003 /dxc

Arrêt du 17 avril 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président, Wiprächtiger et Brahier
Franchetti, Juge suppléante.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Inès Feldmann, avocate, Budin & Associés, case
postale 166, rue Sénebier 20, 1211 Genève 12,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Michel Dupuis, avocat,
case postale 3860, 1002 Lausanne,
Juge d'instruction du canton de Vaud,
rue du Valentin 34, 1014 Lausanne.

ordonnance de non-lieu (actes d'ordre sexuel commis sur une personne
incapable de discernement ou de résistance, etc.),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 22 octobre 2002.

Faits:

A.
D'office et sur plainte de A.________, une enquête a été instruite par le
Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne contre X.________ pour
actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de
résistance au sens de l'art. 191 CP, subsidiairement pour abus de détresse au
sens de l'art. 193 CP.

Une première décision du juge d'instruction du 11 juillet 2000, puis une
seconde du 4 octobre 2001, prononçant toutes deux un non-lieu en faveur de
X.________, ont été successivement annulées, sur recours de A.________, par
le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois, qui a renvoyé la cause
au magistrat instructeur pour compléments d'enquête.

Le 17 septembre 2002, le juge d'instruction a prononcé derechef un non-lieu
en faveur de X.________. Saisi d'un nouveau recours de A.________, le
Tribunal d'accusation l'a écarté par arrêt du 22 octobre 2002, confirmant la
décision qui lui était déférée.

B.
Le non-lieu ainsi confirmé repose, en substance, sur les faits suivants.

B.a Entre octobre 1995 et le début de l'été 1998, A.________ a été suivie sur
le plan thérapeutique par X.________, médecin, pour des problèmes de
toxicomanie. Elle a été soumise à un traitement à la méthadone ainsi qu'à des
traitements de Pancha-Karma, consistant notamment en massages, relaxations et
sauna. A l'occasion de ces traitements, X.________ a entretenu à plusieurs
reprises, vers la fin de l'année 1995, des relations sexuelles (rapports
sexuels complets, sodomies, fellations et massages à caractère sexuel) avec
A.________ dans son cabinet.

Selon A.________, l'ascendant que X.________ avait sur elle en qualité de
thérapeute ainsi que les médicaments et la méthadone qu'il lui prescrivait
auraient brisé sa résistance physique et/ou psychique. X.________ a admis
avoir eu des relations sexuelles complètes avec sa patiente, mais a soutenu
que celle-ci en avait été l'instigatrice, qu'elle l'avait manipulé et séduit
pour parvenir à ses fins et qu'il avait cédé à ses avances par faiblesse.

B.b L'instruction a établi que A.________ présentait une personnalité
manipulatrice et séductrice et que ces traits s'étaient manifestés à
plusieurs reprises sur le plan sexuel, notamment dans le cadre de
traitements. Ainsi, au début 1993, A.________ avait déjà entretenu des
relations sexuelles avec un médecin, alors qu'elle était en traitement à la
clinique psychiatrique de P.________. Un autre médecin, consulté par elle en
février 1995, a indiqué que leur relation était basée sur des provocations,
manipulations et tentatives de séduction de sa patiente, certaines d'entre
elles à connotation sexuelle, ce qui l'avait amené à mettre un terme à la
relation thérapeutique. Un rapport de la Clinique de B.________ du 18 février
1997, où A.________ a séjourné du 18 janvier au 16 février 1997, fait état
d'une personnalité manipulatrice, séductrice et immature, faussant la
relation thérapeutique. Un assistant social a par ailleurs déclaré que
A.________ avait tenté de le séduire à l'époque où il s'occupait de son cas;
elle lui aurait même déclaré que, comme "elle couchait avec le Dr
X.________", rien n'empêchait qu'elle le fasse avec lui. Il a encore été
observé qu'après la survenance des événements incriminés, A.________ avait
poursuivi normalement son traitement chez X.________ durant plusieurs années.

Dans un rapport du 27 mars 2002, les experts de l'Institut universitaire de
médecine légale de Lausanne (IUML), mandatés pour se prononcer sur la
question, ont conclu que les médicaments administrés par X.________ à
A.________ n'étaient pas en eux-mêmes de nature à la mettre hors d'état de
résister ou dans l'incapacité de se déterminer librement.

B.c Sur la base de ces éléments et en application du principe "in dubio pro
reo", l'autorité cantonale a retenu qu'il n'était pas établi que X.________
aurait fait des avances à A.________, qui était une manipulatrice et une
séductrice, ni que cette dernière, dont l'incapacité de discernement ou de
résistance n'était pas démontrée, n'aurait pu s'en défendre. Elle a également
retenu que, si un lien de dépendance peut certes exister entre un médecin et
sa patiente toxicomane, les éléments du dossier ne permettaient pas de
conclure que X.________ en aurait profité pour obtenir des faveurs sexuelles
de A.________. Elle a par conséquent dénié la réalisation des infractions
dénoncées.

C.
A.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une
violation des art. 191 et 193 CP, elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué dans la mesure où il confirme le non-lieu prononcé en faveur de
X.________. Elle sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 La recourante, qui a subi des atteintes à son intégrité sexuelle, est une
victime au sens de l'art. 2 LAVI. Comme elle n'invoque pas de violation des
droits que lui confère cette loi (cf. art. 270 let. e ch. 2 PPF), sa qualité
pour se pourvoir en nullité est subordonnée à la réalisation des conditions
prévues à l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, lesquelles correspondent à celles de
l'art. 8 al. 1 let. c LAVI.

La recourante, qui se prétend lésée par les infractions qu'elle invoque, a
manifestement participé à la procédure cantonale. Comme cette dernière n'a
pas été menée jusqu'à un stade qui aurait permis de le faire, on ne peut lui
reprocher de n'avoir pas pris de conclusions civiles. Certes, elle n'indique
pas, comme il lui incombait en pareil cas, quelles prétentions civiles elle
entendrait faire valoir et en quoi la décision attaquée pourrait avoir une
influence négative sur le jugement de celles-ci (ATF 127 IV 185 consid. 1a p.
187 et les arrêts cités). Cette omission n'entraîne toutefois pas
l'irrecevabilité du pourvoi dans la mesure où ces prétentions sont évidentes
et où l'on discerne tout aussi clairement en quoi la décision attaquée
pourrait influencer négativement le jugement de celles-ci (ATF 127 IV 185
consid. 1a p. 187). Il est en effet manifeste que le non-lieu prononcé est de
nature à exercer une influence négative sur la prétention civile, fondée sur
l'art. 47 CO, que la recourante pourrait faire valoir à l'encontre de
l'intimé. Les conditions de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF étant ainsi
réalisées, la recourante a qualité pour se pourvoir en nullité sur la base de
cette disposition.

1.2 Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être formé que pour violation
du droit fédéral (art. 269 PPF), la Cour de cassation contrôle l'application
de ce droit sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par
l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Elle ne peut
donc pas revoir les faits retenus dans la décision attaquée ni la manière
dont ils ont été établis, de sorte que ces points, sous peine
d'irrecevabilité, ne peuvent être remis en cause dans le pourvoi (ATF 126 IV
65 consid. 1 p. 66/67; 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les
arrêts cités).

2.
La recourante soutient que l'arrêt attaqué viole l'art. 193 CP dans la mesure
où il nie l'existence d'un lien de dépendance entre elle et l'intimé et que
ce dernier en a profité pour commettre sur elle des actes d'ordre sexuel; se
référant à l'ATF 124 IV 13 - et non à l'ATF 124 IV 73, qu'elle cite
manifestement par inadvertance et qui ne traite nullement de la question -,
elle fait valoir que l'existence d'un lien de dépendance entre un médecin et
un patient doit en principe être admise et que les actes sexuels commis sur
elle par l'intimé l'ont été lors de massages qu'il avait prescrits, soit dans
une situation de promiscuité sciemment organisée par lui. Subsidiairement, la
recourante prétend que l'intimé a agi dans le cadre d'une thérapie pour le
moins singulière dont elle n'avait pas été avertie et à laquelle elle n'avait
pu donner un consentement éclairé.

2.1 L'art. 191 CP punit celui qui, sachant qu'une personne est incapable de
discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte
sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel. Cette disposition,
qui a remplacé les art. 189 et 190 aCP (ATF 120 IV 194 consid. 2a p. 196),
protège la liberté et l'honneur sexuels des personnes qui ne sont
psychiquement ou physiquement pas en état de s'opposer à des sollicitations
sexuelles (ATF 120 IV 194 consid. 2b p. 197). Selon la jurisprudence rendue
dans le cadre de l'art. 189 aCP, qui garde ici toute sa portée, l'incapacité
de résistance peut être durable ou momentanée, chronique ou due aux
circonstances. Il faut cependant que la victime soit totalement incapable de
se défendre. Si l'inaptitude n'est que partielle, la victime n'est pas
incapable de résistance (ATF 119 IV 230 consid. 3a p. 232).

L'art. 193 CP réprime le comportement de celui qui, profitant de la détresse
où se trouve la victime, d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de
travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé
celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel. Cette disposition,
qui correspond à l'art. 197 aCP (ATF 124 IV 13 consid. 2c/cc p. 16), protège
la libre détermination en matière sexuelle. L'infraction implique que la
victime se trouve dans une situation de détresse ou de dépendance. Cette
dépendance, en vertu de la clause générale que contient l'art. 193 CP ("un
lien de dépendance de toute autre nature"), peut notamment résulter de la
relation entre un psychothérapeute et son patient (cf. ATF 128 IV 106 consid.
3b p. 112; 125 IV 129 consid. 2b p. 132; 124 IV 13 consid. 2c/cc p. 16 ss).
L'examen des circonstances concrètes reste cependant décisif (ATF 125 IV 129
consid. 2b p. 132).
Les art. 191 et 193 CP exigent que l'auteur ait profité de l'incapacité de
discernement ou de résistance, respectivement de la dépendance, de la
victime, autrement dit qu'il ait exploité l'état ou la situation dans
laquelle elle se trouvait. Cela implique des sollicitations de la part de
l'auteur, qui doit avoir pris l'initiative des actes sexuels, et que la
victime n'ait pas valablement consenti. Les infractions ne sont pas réalisées
si c'est la victime qui a pris l'initiative des actes sexuels ou si elle y a
librement consenti (cf. Message du 25 juin 1985 concernant la modification du
code pénal et du code pénal militaire relative aux infractions contre la vie,
l'intégrité corporelle, les moeurs et la famille, FF 1985 II 1021 ss, 1093 et
1095; Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, art. 191
CP n° 11 et 12 et art. 193 CP n° 8-11; Philipp Maier, Basler Kommentar,
Strafgesetzbuch, art. 191 CP n° 11 et 12 et art. 193 CP n° 9). Ainsi,
s'agissant de l'art. 193 CP, le Tribunal fédéral, dans un cas où il a admis
l'existence d'un lien de dépendance entre un psychothérapeute et sa patiente,
a relevé qu'on ne se trouverait pas dans un cas d'abus de dépendance si la
victime n'avait pas consenti à des relations sexuelles en raison de sa
dépendance, mais pour d'autres motifs, ou si elle en avait personnellement
pris l'initiative (ATF 124 IV 13 consid. 2c/cc p. 18/19; cf. également ATF 99
IV 161 consid. 2 p. 163).

2.2 En l'espèce, il est acquis que la recourante était en traitement auprès
de l'intimé pour des problèmes de toxicomanie, que celui-ci lui a notamment
prescrit de la méthadone, des médicaments ainsi que des massages et que, lors
de ces massages, il a entretenu des relations sexuelles avec elle.

Se fondant sur un rapport d'expertise de l'IUML, l'arrêt attaqué constate que
les médicaments prescrits par l'intimé à la recourante n'étaient pas en
eux-mêmes propres à mettre celle-ci dans l'incapacité de se déterminer
librement ou hors d'état de résister. Rien ne permet par ailleurs de retenir
que les massages pratiqués sur la recourante aient pu en eux-mêmes avoir de
tels effets. Il n'est dès lors pas établi que la recourante aurait été
incapable de discernement ou de résistance à raison du traitement qui lui a
été administré par l'intimé, comme elle le laisse entendre, étant en outre
rappelé que l'art. 191 CP suppose une incapacité totale de la victime de se
défendre. Pour ce motif déjà, on ne discerne pas de violation de l'art. 191
CP, que la recourante n'invoque du reste qu'à titre subsidiaire, au demeurant
sans réelle motivation à l'appui.
L'arrêt attaqué admet qu'un lien de dépendance peut en principe exister entre
un médecin et sa patiente toxicomane. Il nie toutefois qu'un tel lien ait
existé entre l'intimé et la recourante et, surtout, que l'intimé en aurait
abusé pour entretenir les relations sexuelles qu'il a admis avoir eues avec
celle-ci. Ce dernier raisonnement est fondé sur la constatation - qui a été
déduite des déclarations de l'intimé, retenues au bénéfice du doute, et de
divers indices recueillis durant l'instruction - que les relations sexuelles
ne sont pas intervenues à l'initiative de l'intimé mais à l'instigation de la
recourante, qui l'a manipulé et séduit pour parvenir à ses fins, et qu'il n'a
au demeurant pas été établi que la recourante n'aurait pu s'en défendre.
Cette constatation, qui relève du fait, et l'appréciation sur laquelle elle
repose ne peuvent être remises en cause dans un pourvoi en nullité, de sorte
que la recourante est irrecevable à les contester ou rediscuter. Il en
résulte que les relations sexuelles ne sont pas intervenues à l'initiative de
l'intimé, mais de la recourante, qui, comme en d'autres circonstances, a
entrepris de manipuler et de séduire son thérapeute à cette fin, et qu'elles
se sont produites parce que l'intimé, par faiblesse, n'a pas su repousser les
avances de la recourante, et non pas parce que cette dernière, en raison du
lien thérapeutique, aurait été déterminée à les subir. Sur la base des faits
ainsi retenus et au vu de la jurisprudence précitée, il pouvait être admis
sans violation du droit fédéral que l'intimé n'a pas agi en profitant d'un
lien de dépendance existant entre lui et sa patiente. Cela suffit à exclure
l'application de l'art. 193 CP, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les
autres questions soulevées et, en particulier, si c'est à tort ou à raison
que l'existence d'un lien de dépendance entre l'intimé et la recourante a été
nié.

Le non-lieu prononcé à raison des infractions dénoncées, dont les conditions
ne sont pas réalisées, ne viole donc pas le droit fédéral.

3.
Le pourvoi doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable. Comme
il était d'emblée voué à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être
accordée (art. 152 al. 1 OJ) et la recourante, qui succombe, supportera les
frais (art. 278 al. 1 PPF), dont le montant sera fixé en tenant compte de sa
situation financière. Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'intimé,
qui n'a pas été amené à se déterminer dans la procédure devant le Tribunal
fédéral (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 800 francs est mis à la charge de la recourante.

4.
Il n'est pas alloué d'indemnité.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Juge
d'instruction du canton de Vaud et au Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal vaudois.

Lausanne, le 17 avril 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: