Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.423/2003
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6S.423/2003 /dxc

Arrêt du 3 janvier 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3.

Faux dans les titres,

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève
du 24 octobre 2003.

Faits:

A.
Par arrêt du 22 mai 2003, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné
X.________, pour vol par métier, dommages à la propriété, contrainte,
violations de domicile et faux dans les titres, à six ans de réclusion, sous
déduction de la détention préventive subie, et l'a expulsé du territoire
suisse pour quinze ans.

En ce qui concerne la condamnation pour faux dans les titres (art. 251 ch. 1
al. 3 CP), la Cour d'assises a mentionné ce qui suit: X.________ a produit
des attestations de travail et de bonne vie et moeurs qui ne correspondaient
pas à la vérité pour faire croire au juge d'instruction qu'il disposait
d'emplois rémunérés et jouissait d'une bonne réputation. Ces pièces
constituent des titres au sens du Code pénal. X.________ savait qu'elles
attestaient de faits faux. En acceptant qu'elles soient produites par son
avocat en mains du juge d'instruction, il a voulu améliorer sa position dans
la procédure et s'est ainsi rendu coupable d'usage de faux.

B.
Par arrêt du 24 octobre 2003, la Cour de cassation genevoise a admis le
recours de X.________ et a annulé l'arrêt de la Cour d'assises, sauf en ce
qui concerne le verdict de culpabilité pour faux dans les titres, et a
renvoyé la cause en première pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.

C.
X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 24
octobre 2003. Il conclut à son annulation. Il a par ailleurs sollicité
l'effet suspensif, lequel a été accordé à titre superprovisionnel le 26
novembre 2003.

Invité à présenter ses observations, le Procureur général genevois n'a pas
répondu.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 La Cour de cassation genevoise a renvoyé la cause en première instance
cantonale parce que le recourant n'avait pas eu l'occasion d'interroger deux
témoins dont les déclarations étaient pertinentes pour les vols et la
contrainte reprochés. Elle a par ailleurs considéré que le verdict de
culpabilité pour faux dans les titres était acquis. La Cour de cassation
genevoise a ainsi rendu une décision incidente, en ce sens que celle-ci n'a
pas mis fin à l'instance cantonale. Une décision incidente est considérée
comme un jugement selon l'art. 268 al. 1 PPF et est donc susceptible d'un
pourvoi en nullité immédiat, avant le prononcé de la décision finale,
lorsqu'elle tranche définitivement une question de droit fédéral déterminante
pour le sort de la cause (ATF 129 IV 179 consid. 1.1 p. 181, 128 IV 34
consid. 1a p. 36). C'est le cas en l'espèce puisque l'arrêt attaqué se
prononce définitivement sur le principe de la culpabilité du recourant
relativement à l'infraction de faux dans les titres. Le pourvoi en nullité
est donc ouvert.

1.2 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application
du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1
PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits
retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à
s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

2.
Il ressort des questions posées au jury de la Cour d'assises ainsi que de
l'arrêt attaqué (p. 8) que les documents à l'origine de la condamnation du
recourant pour faux dans les titres sont les suivants:

- quatre bulletins de paie de la Sàrl française Y.________, faussement
établis au nom du recourant, avec mention d'un faux numéro de sécurité
sociale;
- cinq bulletins de paie de la Sàrl française Z.________, faussement établis
au nom du recourant, avec mention d'un faux numéro de sécurité sociale;
- un contrat de travail, une lettre annonçant la fin des rapports de travail,
un reçu pour solde de tout compte en fin des rapports de travail, et un
certificat de travail de la Sàrl française B.________, pour laquelle le
recourant n'a jamais exercé d'activité salariée;
- une promesse d'embauche de la Sàrl française C.________, qui n'a jamais eu
l'intention d'engager le recourant, lequel n'a jamais travaillé ni eu
l'intention de travailler pour cette société;
- une attestation du commissariat de police de Le Blanc Mesnil, attestant
faussement, sous une fausse signature et un faux timbre humide, que le
prévenu serait favorablement connu des services de police de son quartier.

3.
La Cour de cassation genevoise a exposé que le recourant avait produit les
pièces précitées devant le juge d'instruction pour démontrer la légitimité de
ses ressources ainsi que son honorabilité; qu'il entendait de la sorte éviter
ou alléger sa condamnation pénale, par conséquent obtenir un avantage
illicite. Elle a conclu que le recourant tombait sous le coup de l'art. 251
ch. 1 al. 3 CP, qui réprime l'usage d'un titre falsifié.

4.
Le recourant conteste sa condamnation pour usage de faux.

4.1 Les infractions du droit pénal relatif aux titres protègent la confiance
qui, dans les relations juridiques, est placée dans un titre comme moyen de
preuve. C'est pourquoi parmi les titres on ne trouve notamment que les écrits
destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique (art. 110
ch. 5 al. 1 CP). Le caractère de titre d'un écrit est relatif. Par certains
aspects, il peut avoir ce caractère, par d'autres non. Selon la
jurisprudence, la destination d'un écrit à prouver peut se déduire
directement de la loi ou, à défaut, du sens et de la nature de l'écrit en
question. Savoir si un écrit est propre à prouver se détermine en vertu de la
loi ou, à défaut, des usages commerciaux (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67).

Selon l'art. 251 ch. 1 CP sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou
de l'emprisonnement celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux
intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui ou de se procurer ou de procurer
à un tiers un avantage illicite (al. 1) aura créé un titre faux, falsifié un
titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour
fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un
titre, un fait ayant une portée juridique (al. 2), ou aura, pour tromper
autrui, fait usage d'un tel titre (al. 3).

L'art. 251 ch. 1 CP vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un
titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il
y a faux matériel lorsque l'auteur réel ne coïncide pas avec l'auteur
apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son
auteur apparent, mais qui est mensonger dans la mesure où son contenu ne
correspond pas à la réalité (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67).

Il est admis qu'un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux
intellectuel. La confiance que l'on peut avoir à ne pas être trompé sur la
personne de l'auteur est plus grande que celle que l'on peut avoir à ce que
l'auteur ne mente pas par écrit. Pour cette raison, même si l'on se trouve en
présence d'un titre, il est nécessaire pour que le mensonge soit punissable
comme faux intellectuel que le document ait une valeur probante plus grande
que dans l'hypothèse d'un faux matériel. Sa crédibilité doit être accrue et
son destinataire doit pouvoir s'y fier raisonnablement. Une simple
allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas.
Il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est
digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire
n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 126 IV 65 consid. 2a p.
67/68; 123 IV 61 consid. 5b p. 64/65).

4.2 Parmi les documents sur lesquels repose la condamnation du recourant,
figure une attestation d'un commissariat de police français selon laquelle
celui-ci était favorablement connu des services de police de son quartier.
Dans son mémoire, le recourant ne s'en prend pas expressément à sa
condamnation sur la base de ce document mais articule sa critique en fonction
des autres documents produits devant le juge d'instruction. On comprend
toutefois qu'il conteste de manière générale sa condamnation pour usage de
faux, de sorte qu'il y a aussi lieu d'enter en matière pour ce qui concerne
l'attestation de police.

Il ressort des questions posées au jury que cette attestation a été établie
sous une fausse signature et avec un faux timbre humide. Il paraît donc
s'agir d'un faux matériel. L'arrêt attaqué ne contient cependant pas de
constatation explicite à ce sujet. Quoi qu'il en soit, le contenu même de ce
document est mensonger puisque, comme l'a relevé la Cour de cassation
genevoise, le recourant est défavorablement connu des services de police.

Il n'est pas douteux que l'écrit en cause, qui atteste faussement de la bonne
réputation du recourant, est destiné et propre à prouver un fait ayant une
portée juridique. Il constitue donc un titre. Que sa provenance soit
étrangère n'empêche pas l'application de l'art. 251 CP (cf. art. 255 CP). Le
recourant a délibérément utilisé cet écrit pour tromper le juge d'instruction
et obtenir une amélioration de sa situation  dans la procédure. Dans ces
conditions, l'infraction réprimée par l'art. 251 ch. 1 al. 3 CP est réalisée
en admettant que l'on a affaire à un faux matériel. Elle le serait également
si l'on retenait uniquement l'existence d'un faux intellectuel. En effet,
l'attestation comporte un caractère probant accru pour émaner d'une autorité
publique. Elle présente donc des garanties objectives de véracité. En
conclusion, le verdict de culpabilité retenu au sujet de l'attestation du
commissariat de police ne viole pas le droit fédéral. Sur ce point, le
pourvoi est infondé.

4.3 Que le verdict de culpabilité doive être maintenu dans le cas ci-dessus
ne rend pas sans objet l'examen des autres documents produits. En effet,
chaque document est susceptible de fonder une infraction distincte réprimée
par l'art. 251 CP.

Le recourant a également été condamné pour usage de faux en raison de
bulletins de paie, d'un contrat de travail et d'autres documents relatifs à
une relation de travail.

La Cour de cassation genevoise n'a pas constaté que les documents précités
étaient des faux matériels, mais uniquement que leur contenu était contraire
à la vérité. Pour que ces documents puissent être qualifiés de faux
intellectuels punissables selon l'art. 251 CP, ils doivent présenter une
valeur probante accrue (cf. supra, consid. 4.1). La Cour de cassation
genevoise n'a consacré aucun développement à cette question.

Le Tribunal fédéral a déjà jugé que l'établissement d'un décompte de salaire
dont le contenu est inexact ne constitue pas un faux dans les titres au sens
de l'art. 251 CP (ATF 118 IV 363 consid. 2b p. 365). Il s'ensuit que les
bulletins de paie produits par le recourant en procédure ne sauraient être à
l'origine d'une condamnation selon l'art. 251 CP. Sur ce point, le pourvoi
doit être admis.

Le Tribunal fédéral a également considéré qu'un contrat en la forme écrite
simple, dont le contenu est faux, ne revêt en principe pas de force probante
accrue (ATF 123 IV 61 consid. 5 c/cc p. 68/69; 120 IV 25 consid. 3f p. 29).
En l'espèce, le contrat de travail en cause ne bénéficie d'aucune garantie de
véracité particulière. Il n'est donc pas susceptible de fonder une
condamnation pour faux dans les titres. Sur ce point, le pourvoi doit être
admis.

Il résulte de ce qui précède, en particulier des arrêts précités, que les
autres documents produits par le recourant, qui gravitent aussi autour de
prétendues relations de travail (courrier annonçant la fin des rapports de
travail, reçu pour solde de tout compte, certificat de travail, promesse
d'embauche), ne présentent pas de valeur probante accrue et ne peuvent
justifier une condamnation en vertu de l'art. 251 CP. A leur égard aussi, le
pourvoi doit être admis.

5.
Le recourant obtient partiellement gain de cause. Il ne sera pas perçu de
frais et une indemnité lui sera allouée pour la procédure devant le Tribunal
fédéral (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est partiellement admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause
est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 2'000
francs.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général du canton de Genève et à la Cour de cassation genevoise.

Lausanne, le 3 janvier 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: