Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Kassationshof in Strafsachen 6S.372/2003
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6S.372/2003 /rod

Arrêt du 9 janvier 2004
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Kistler.

X. ________,
recourant, représenté par Me Katia Elkaim,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Charles-Henri de Luze, avocat,
Ministère public du canton de Vaud, rue de
l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Lésions corporelles graves (art. 125 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale, du 10 mars 2003.

Faits:

A.
Du 1er juillet au 30 septembre 1998, X.________ a été engagé comme
manutentionnaire à la V.________. Le 18 septembre 1998, il a été amené à
travailler sur une machine à compacter le carton. Alors que son collègue
Z.________ était resté sur la plate-forme de chargement, X.________ est
descendu au pied de la presse pour introduire la grille de fermeture dans la
presse. Comme cette grille ne tenait pas debout, sans doute parce qu'il n'y
avait pas assez de déchet dans la presse, Z.________ l'a maintenue à l'aide
d'une tige métallique, alors que X.________ a passé son bras droit par le
portillon ouvert pour maintenir la grille verticalement. Z.________ a alors
enclenché le piston. X.________ n'a plus eu le temps de retirer son bras et
sa main a été arrachée.

A la suite de l'accident, il a été constaté que le système de sécurité,  qui
empêche le fonctionnement du piston si le portillon n'est pas fermé, ne
fonctionnait pas. Une dizaine de jours avant l'accident, conformément à la
procédure interne de l'entreprise, le contremaître, Y.________, qui était
responsable des machines, avait informé le service de maintenance de la
défectuosité du système de sécurité à la hauteur du portillon de la presse.
Vu l'urgence du problème, il n'a fait qu'un avis téléphonique. Le service
technique ne lui ayant donné aucune instruction, il n'a pas mis la machine
hors service, ni averti ses ouvriers de la défectuosité. Il ne s'est par
ailleurs pas assuré qu'un technicien soit effectivement dépêché pour procéder
à la réparation.

B.
Par jugement du 23 janvier 2003, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de La Côte a libéré Y.________ de l'accusation de lésions
corporelles graves par négligence (art. 125 CP) et donné acte de leurs
réserves civiles à X.________ et à la Winterthur Assurances, partie civile.

Statuant sur recours de X.________ le 10 mars 2003, la Cour de cassation du
Tribunal cantonal vaudois a confirmé ce jugement.

C.
X.________ se pourvoit en nullité auprès du Tribunal fédéral. Invoquant une
violation de l'art. 125 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. En
outre, il sollicite l'assistance judiciaire.
L'intimé conclut au rejet du pourvoi, requérant par ailleurs l'assistance
judiciaire.

Le Ministère public vaudois s'en remet à justice.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 En vertu de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, le lésé qui est une victime
d'une infraction au sens de l'art. 2 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur
l'aide aux victimes d'infractions (LAVI, RS 312.5) peut exercer un pourvoi en
nullité autant qu'il est déjà partie à la procédure et dans la mesure où la
sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des incidences sur le
jugement de celles-ci.

En l'espèce, le recourant doit être considéré comme une victime au sens de
l'art. 2 al. 1 LAVI, étant donné qu'il a eu les doigts de la main droite
arrachés et qu'il a dès lors subi une atteinte directe à son intégrité
corporelle. Lors d'accident professionnel, l'assuré à titre obligatoire est
indemnisé par l'assurance accident. En cas de négligence grave de
l'employeur, il peut cependant faire valoir ses prétentions civiles contre
son employeur, respectivement l'assurance responsabilité civile de ce dernier
(art. 44 aLAA, RS 832.20; ATF 125 IV 153 consid. 2 p. 156 ss). Le recourant a
déjà participé à la procédure pénale, puisqu'il a provoqué, par son recours,
la décision attaquée. Il a demandé acte de ses réserves civiles. Conformément
à la jurisprudence (ATF 127 IV 185 consid. 1a p. 187), il expose dans son
mémoire de recours qu'il n'a pas pu encore chiffrer ses conclusions civiles,
car son état de santé n'est pas encore stabilisé et qu'il convient notamment
de lui poser encore une prothèse. Le recourant explique qu'il entend réclamer
des dommages-intérêts pour la diminution de la capacité de gains et
l'atteinte à son avenir économique ainsi qu'une indemnité pour tort moral en
raison du traumatisme inévitable que représente la perte d'une main. En
conséquence, les conditions de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF sont réunies, et
il y a lieu d'admettre que le recourant a qualité pour recourir.

1.2 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application
du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait
définitivement arrêté par la cour cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus
dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter. Le Tribunal
fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà
des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être
interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points
litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).

2.
Le recourant soutient que l'intimé doit être condamné pour lésions
corporelles graves par négligence (art. 125 CP) pour avoir laissé en fonction
une machine dont le système de sécurité était défectueux ou, à tout le moins,
pour n'avoir pas averti le personnel du danger.

2.1 L'art. 125 CP punit, sur plainte, celui qui, par négligence, aura fait
subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé;
l'al. 2 prévoit que si la lésion est grave, l'auteur sera poursuivi d'office.
Il s'agit d'une infraction de résultat qui suppose en général une action. En
l'espèce cependant, on ne saurait considérer que l'intimé a, par sa propre
action, porté atteinte à l'intégrité corporelle du recourant.

Une infraction de résultat peut cependant être également réalisée lorsque
l'auteur n'empêche pas le résultat dommageable de se produire, alors qu'il
aurait pu le faire et qu'il avait l'obligation juridique d'agir pour prévenir
la lésion de l'intérêt protégé (délit d'omission improprement dit). Un délit
d'omission improprement dit est réalisé lorsque la survenance du résultat que
l'auteur s'est abstenu d'empêcher constitue une infraction, que ce dernier
aurait effectivement pu éviter le résultat par son action et qu'en raison de
sa situation juridique particulière, il y était à ce point obligé que son
omission apparaît comparable au fait de provoquer le résultat par un
comportement actif (par exemple ATF 113 IV 68 consid. 5a p. 72). La doctrine
et la jurisprudence ont développé les situations de garant qui obligent
juridiquement à prendre des mesures de précaution (ATF 113 IV 68 consid. 5b
p. 73).

2.2 Pour déterminer si un délit d'omission improprement dit est réalisé, il y
a tout d'abord lieu d'examiner si la personne à laquelle l'infraction est
imputée se trouvait dans une situation de garant (consid. 3). Si tel est le
cas, il faut établir l'étendue du devoir de diligence qui découle de cette
position de garant et déterminer quels actes concrets l'intéressé était tenu
d'accomplir en raison de ce devoir de diligence (consid. 4). Si l'on arrive à
la conclusion que celui-ci a effectivement violé son devoir de diligence, il
conviendra encore de vérifier que la violation de ce devoir est en relation
de causalité naturelle et adéquate avec le résultat dommageable (consid. 5).

3.
Selon la jurisprudence, celui qui exploite un dispositif dangereux doit
prendre les mesures de précaution commandées par les circonstances pour
éviter la survenance d'un accident (ATF 125 IV 9 consid. 2a p. 12; 122 IV 17
consid. 2b/bb p. 21; Graven, L'infraction pénale punissable, 2e éd., Berne
1995, p. 82). En l'espèce, il est établi que la machine à compacter était une
machine dangereuse. Conformément à l'art. 328 CO, qui oblige tout employeur à
protéger la vie et la santé de ses collaborateurs, l'employeur du recourant
se devait dès lors de prendre les mesures nécessaires pour éviter tout
accident. En tant que contremaître du site V.________ Vaud et responsable des
machines, l'intimé se trouvait donc sans aucun doute dans une position de
garant. Il convient dès lors d'examiner l'étendue du devoir de diligence qui
lui incombait à ce titre.

4.
Le recourant estime que l'intimé, qui savait que le système de sécurité était
défectueux, aurait dû mettre la machine à compacter hors service et surtout
en avertir le personnel et les auxiliaires. Pour la cour cantonale, l'intimé
a satisfait à son obligation de diligence en signalant une dizaine de jours
auparavant la défaillance du système de sécurité au service de maintenance.
En effet, à ses yeux, la procédure interne à l'entreprise, qui prévoit que
toute défectuosité ou panne d'une machine doit être signalée au service de
maintenance, lequel dépêche l'un de ses techniciens pour procéder à la
réparation, est de nature à transférer la responsabilité relative à la
sécurité entourant l'utilisation de la machine ou de l'équipement de la
personne qui signale la défectuosité ou la panne au service d'entretien.

En l'espèce, l'obligation de vigilance de l'intimé est liée à la source de
danger que représentait la machine à compacter. L'intimé devait veiller à ce
que ses collaborateurs qui étaient amenés à utiliser la machine à compacter
ne courent pas de risques. Sachant que le système de sécurité présentait des
défaillances, il ne pouvait se contenter d'en informer le service technique.
Il devait s'assurer que celui-ci envoie un technicien pour procéder à la
réparation et que la machine ne présente dès lors plus de risques excessifs.
Jusqu'à ce que la machine soit réparée, il devait en interdire l'utilisation
à ses ouvriers ou, à tout le moins, les avertir du danger, ne serait-ce que
par une pancarte sur la machine. Il ne pouvait simplement se décharger de ses
devoirs par un coup de téléphone au service technique. L'intimé ne saurait
par ailleurs faire valoir que le recourant a utilisé la machine à son insu.
Le jour de l'accident, il avait été informé que le recourant avait
l'intention d'utiliser la machine, puisque celui-ci s'était adressé à lui
pour lui demander de l'aide et qu'il avait délégué pour lui prêter main forte
Z.________, qui connaissait bien la machine, mais qui ignorait aussi les
problèmes existant avec le système de sécurité. En conséquence, il faut
admettre qu'en omettant d'informer le recourant de la défaillance du système
de sécurité, l'intimé a violé son devoir de diligence. Il convient encore
d'examiner si la violation de ce devoir est en relation de causalité adéquate
avec le résultat.

5.
5.1 Dans le cas d'un délit d'omission improprement dit, la question de la
causalité ne se présente pas de la même manière que si l'infraction de
résultat est réalisée par commission. Il faut plutôt procéder par hypothèse
et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours
ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du
résultat qui s'est produit. Pour l'analyse des conséquences de l'acte
supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et
de la causalité adéquate (ATF 117 IV 130 consid. 2a p. 133). La causalité
adéquate peut être exclue, l'enchaînement des faits perdant sa portée
juridique, si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle,
le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout
à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire, que l'on ne pouvait pas
s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à
interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait
une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la
plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les
autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de
l'auteur (ATF 121 IV 10 consid. 3, 207 consid. 2a p. 213, 120 IV 300 consid.
3e p. 312 et les arrêts cités).

5.2 Relevant une phrase du jugement de première instance ("Il n'est pas exclu
que le système du coupe-circuit ait été rendu inefficace au moment de
l'ouverture du portillon par Carlos Huarot"), le Ministère public se demande
s'il existe bien un lien de causalité entre la violation du devoir de
prudence et l'accident. Dans son arrêt, la cour cantonale n'a cependant pas
tenu compte de cette phrase - d'ailleurs peu claire - et a considéré que la
défectuosité du système de sécurité était bien à l'origine de l'accident.
Elle a cependant retenu que le recourant a eu un comportement fautif qui a
rompu le lien de causalité. Si elle doute que le fait de s'être rendu de son
plein gré au pied de la presse suffise à lui seul, comme l'ont retenu les
premiers juges, à rompre le lien de causalité, elle a considéré en revanche
que le fait de mettre sa main dans l'ouverture pour retenir la grille, était
contraire au bon sens et contrevenait aux normes élémentaires de sécurité,
rompant tout lien de causalité avec une éventuelle faute de l'auteur.

Le raisonnement de la cour cantonale méconnaît le fonctionnement de la
machine à compacter. En effet, la presse comporte un piston qui se déplace
pour pousser les déchets dans le container de transport. Lorsque ce dernier
est plein, l'ouvrier ouvre le portillon et glisse une grille devant le
piston. Après la fermeture du portillon, le piston pousse la grille et les
déchets compactés dans l'ouverture du container. Les manoeuvres impliquent
donc forcément qu'au moment de placer cette grille, l'ouvrier introduise sa
main dans le logement. En l'espèce, le recourant a tenté de maintenir cette
grille qui - probablement - tombait en raison de la capacité insuffisante en
cartons. Partant, l'introduction de la main dans l'habitacle ne saurait être
considéré comme un comportement déraisonnable de la part du recourant,
totalement imprévisible, qui serait de nature à rompre le lien de causalité.
Le problème serait différent si, comme le soutient l'intimé, le recourant
avait dit à Z.________ qu'il pouvait actionner le piston, alors qu'il avait
sa main dans la presse. L'arrêt cantonal ne retient cependant pas cette
version des faits. On ne voit pas au surplus en quoi le fait de s'être dirigé
de son plein gré au pied de la presse constituerait une faute. En
conséquence, il y a lieu d'admettre que la défaillance du système de sécurité
et l'absence d'instruction à ce sujet sont en rapport de causalité adéquate
avec l'accident.

6.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être admis, l'arrêt attaqué doit
être annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à
nouveau dans le sens des considérants.

Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de frais et une indemnité de
dépens sera allouée au mandataire du recourant. La requête d'assistance
judiciaire du recourant devient ainsi sans objet.

L'arrêt attaqué a mis l'intimé en situation de devoir se défendre. Comme
celui-ci a suffisamment démontré qu'il était dans le besoin, l'assistance
judiciaire doit lui être accordée (art. 152 al. 1 OJ). En conséquence, il ne
sera pas perçu de frais et une indemnité sera versée à son mandataire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
la cour cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire du recourant une
indemnité de 2000 francs à titre de dépens.

4.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimé est admise.

5.
La caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire de l'intimé une indemnité
de 2000 francs à titre de dépens.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale.

Lausanne, le 9 janvier 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: