Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.313/2003
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6S.313/2003 /pai

Arrêt du 11 novembre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Pont Veuthey,
Juge suppléante.
Greffière: Mme Kistler.

X. ________,
recourant, représenté par Me André Gossin, avocat, case postale 259, 2740
Moutier,

contre

Procureur général du canton du Jura, Le Château, case postale 9, 2900
Porrentruy.

Sursis, règle de conduite (art. 41 ch. 2 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton du Jura,
Cour pénale, du 7 juillet 2003.

Faits:

A.
Depuis septembre 1999, X.________ exploitait le magasin "A.________", à
Delémont, où il vendait des produits à base de chanvre, en particulier des
habits, des produits alimentaires, des produits cosmétiques et du matériel de
culture du chanvre. Dès mai 2000, à la suite de nombreuses demandes de
clients et de propositions de plusieurs fournisseurs, il a commencé à vendre
des sachets de chanvre; le 6 mars 2001, il a vendu deux kilos de chanvre pour
le prix de FF 19'500 à deux ressortissants français.

B.
Par jugement du 20 février 2003, le Tribunal correctionnel jurassien de
première instance a condamné X.________, pour infraction grave à la loi
fédérale sur les stupéfiants, à une peine de 18 mois d'emprisonnement, avec
sursis pendant cinq ans, ainsi qu'à une amende de 6'000 francs. A titre de
règle de conduite, il lui a interdit, pendant le délai d'épreuve, d'exercer
toute activité lucrative liée au commerce de chanvre ou au commerce de
produits à base de chanvre ou au commerce de produits en rapport avec le
chanvre.

Par arrêt du 7 juillet 2003, la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien a
confirmé le jugement de première instance.

C.
X.________ forme un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant la
violation de l'art. 41 ch. 2 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué. En outre, il sollicite l'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application
du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait
définitivement arrêté par la cour cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus
dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter. Le Tribunal
fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà
des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être
interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points
litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).

1.2 Le recourant critique uniquement l'application de l'art. 41 ch. 2 CP. La
question litigieuse est donc de savoir si l'autorité cantonale pouvait
imposer au recourant, comme règle de conduite, de cesser tout commerce de
produits à base de chanvre.

On peut se demander quelle incidence aurait l'admission du pourvoi sur le
principe même du sursis. Soit le recourant conserve le bénéfice du sursis
quand bien même l'admission du pourvoi conduirait à la suppression de la
règle de conduite, pourtant à l'origine de l'octroi du sursis. Soit l'on
considère que le sursis et la règle de conduite forment un tout de telle
sorte que l'admission du pourvoi et la suppression consécutive de la règle de
conduite permettraient à l'autorité cantonale, à laquelle la cause serait
renvoyée, de revenir sur l'octroi du sursis. Dans ce dernier cas, se poserait
toutefois la question de la recevabilité du pourvoi, dont l'admission aurait
en définitive pour conséquence très probable le refus du sursis. En effet, un
sursis avec une règle de conduite étant objectivement plus favorable qu'un
refus du sursis, le recourant n'aurait ainsi pas d'intérêt juridique à
recourir (cf. ATF 124 IV 94 consid. 1a p. 95). Vu le sort du pourvoi, ces
questions peuvent cependant rester indécises.

2.
2.1 Selon l'art. 41 ch. 2 al. 1 CP, le juge qui accorde le sursis à
l'exécution d'une peine privative de liberté peut non seulement astreindre le
condamné à un patronage, mais il peut également lui imposer, pendant le délai
d'épreuve, des règles de conduite, notamment quant à son activité
professionnelle, à son lieu de séjour, au contrôle médical, à l'abstention de
boissons alcooliques et à la réparation du dommage dans un délai déterminé
(cf. aussi les art. 44 al. 2 et 94 du nouveau Code pénal, adopté par les
Chambres fédérales le 13 décembre 2002, FF 2002 p. 7658).
Cette disposition donne donc au juge, lorsqu'il octroie le sursis, la faculté
de fixer, pour la durée du délai d'épreuve, une règle de conduite adaptée au
but du sursis, qui est l'amendement durable du condamné. La règle de conduite
ne doit pas avoir un rôle exclusivement punitif et son but ne saurait être de
porter préjudice au condamné. Elle doit être conçue en premier lieu dans
l'intérêt du condamné et de manière à ce qu'il puisse la respecter. Elle doit
par ailleurs avoir un effet éducatif limitant le danger de récidive (ATF 108
IV 152 consid. 3a p. 152/153; 106 IV 325 consid. 1 p. 327/328 et les arrêts
cités). Dans ce cadre, c'est à l'autorité cantonale qu'appartiennent le choix
et le contenu des règles de conduite. S'agissant, sur ce point, d'une
question d'appréciation, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité
cantonale a abusé de son pouvoir en la matière (ATF 106 IV 325 consid. 1 p.
328).

2.2 Selon le recourant, la règle de conduite qui lui est imposée
correspondrait à une extension de la peine accessoire prévue à l'art. 54 CP.
En effet, selon cette disposition, le juge ne peut interdire que l'exercice
d'une profession, d'une industrie ou d'un commerce, subordonné à une
autorisation officielle. Or, le commerce de chanvre ne nécessite aucune
autorisation.

Les buts visés par l'art. 54 CP (interdiction d'exercer une profession) et
l'art. 41 ch. 2 CP (règles de conduite) sont différents. Bien qu'elle soit
classée parmi les peines accessoires, l'interdiction d'exercer une profession
sert avant tout à protéger le public contre de nouveaux abus (ATF 78 IV 217
consid. 2 p. 222; cf. également Trechsel, Kurzkommentar, 2ème éd. Zurich
1997, art. 54 CP n. 2; Logoz, Commentaire, Partie générale, 2ème éd.
Neuchâtel/Paris 1976, p. 303/304 n. 1). La règle de conduite en revanche doit
être conçue dans l'intérêt du condamné. Elle doit faciliter l'amendement de
celui-ci pendant le délai d'épreuve lié au sursis (Schneider, Basler
Kommentar, Strafgesetzbuch I, n. 170 ad art. 41). Compte tenu de ces buts
différents, l'art. 54 CP ne saurait limiter le champ d'application de l'art.
41 ch. 2 CP et garantir au condamné le droit de poursuivre l'exercice d'une
profession non soumise à une autorisation spéciale (RSJ 1947/43, n. 121, p.
255).

En conséquence, il est tout à fait admissible d'interdire, au titre d'une
règle de conduite, une activité professionnelle, si celle-ci n'est pas
compatible avec le but du sursis et ce qu'elle soit ou non soumise à une
autorisation officielle. Il a été ainsi jugé que la règle de conduite
imposant à celui qui est condamné pour avoir fait commerce d'objets obscènes
(art. 204 aCP) de s'abstenir pendant le délai d'épreuve d'exploiter ou de
faire exploiter pour lui une affaire d'articles d'ordre sexuel ne violait pas
le droit fédéral (ATF 105 IV 289, approuvé par Stratenwerth, Schweizerisches
Strafrecht, Allgemeiner Teil II, Berne 1989, n. 92 ad § 4). De même, en
matière de libération conditionnelle, la règle de conduite (art. 38 ch. 3 CP)
imposant, durant le délai d'épreuve, au détenu libéré conditionnellement de
soumettre sa correspondance commerciale au patronage a été considérée comme
étant licite (ATF 107 IV 88).
Cependant, le juge ne pourra ordonner qu'avec retenue des règles de conduite
limitant l'activité professionnelle du condamné, dès lors que celles-ci sont
propres à entraver ses possibilités de gain. Le choix de la règle de conduite
trouve sa limite dans l'interdiction de l'arbitraire ainsi que dans
l'interdiction de poursuivre un but étranger à l'institution du sursis
(Schneider, op. cit., n. 161 ad art. 41). Il sera ainsi inadmissible
d'interdire, comme règle de conduite, une profession, en vue de punir le
condamné ou de protéger la collectivité publique (RSJ 1947/43 n. 121, p.
255). Au demeurant, le principe de la proportionnalité commande qu'une règle
de conduite raisonnable en soi n'impose pas au condamné, au vu de sa
situation, un sacrifice excessif et qu'elle tienne compte de la nature de
l'infraction commise et des infractions qu'il risque de commettre à nouveau,
de la gravité de ces infractions ainsi que de l'importance du risque de
récidive (ATF 107 IV 88 consid. 3a p. 89).

2.3 Selon l'autorité cantonale, la règle de conduite qui a été imposée au
recourant peut seule permettre de poser un pronostic favorable quant à
l'amendement du recourant. A ses yeux, cette règle doit permettre de
contrôler l'activité professionnelle du recourant de manière à lui éviter de
commettre de nouvelles infractions. En effet, en continuant à faire le
commerce d'articles liés au chanvre, le recourant s'expose à franchir les
limites permises à la suite de demandes de clients et de propositions de
fournisseurs. Les juges cantonaux relèvent à cet égard que la vente illicite
des sachets de chanvre constituait une part importante du chiffre d'affaires
du recourant et que celui-ci ne saurait vivre uniquement du commerce licite
de chanvre. Il s'agit là d'une question de fait qui lie la Cour de céans.
Dans la mesure où le recourant prétend le contraire, son grief est
irrecevable. Les motifs justifiant la règle de conduite imposée au recourant
apparaissent donc légitimes. En imposant au recourant comme règle de conduite
de cesser tout commerce d'articles liés au chanvre, l'autorité cantonale ne
peut se voir reprocher d'avoir méconnu les buts du sursis.

Se pose encore la question de la proportionnalité de cette mesure. Si le
recourant admet encore que l'on puisse fixer comme règle de conduite
l'interdiction de vendre tout produit licite dérivé du chanvre pouvant être
consommé, que ce soit sous forme de fumée ou de boisson, il estime en
revanche excessif d'étendre cette interdiction aux autres produits tirés du
chanvre tels qu'aux habits en fibres de chanvre, aux sandales en chanvre ou à
la littérature sur le chanvre. Il s'agit là d'une question délicate. Le
risque d'être tenté de poursuivre son commerce illicite de chanvre subsiste
cependant, même si le magasin se limite aux produits à base de chanvre non
comestibles, dès lors que le recourant resterait en contact avec des
acheteurs et des fournisseurs potentiels de chanvre. Ce risque serait même
accru, dès lors qu'un commerce limité aux articles de chanvres non
comestibles n'apparaît guère viable. En outre, l'application d'une telle
règle de conduite serait difficile, la délimitation entre les produits à la
base de chanvre, comestibles et non comestibles, pouvant, dans certains cas,
s'avérer délicate. En conséquence, on ne saurait reprocher à l'autorité
cantonale d'avoir violé le principe de la proportionnalité, même si la règle
de conduite en question limite la liberté d'action du recourant.

3.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Le recourant, qui succombe, doit être condamné aux frais (art. 278
al. 1 PPF). Vu le sort de la cause, la requête d'effet suspensif devient sans
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général du canton du Jura et à la Cour pénale du Tribunal cantonal
jurassien.

Lausanne, le 11 novembre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: