Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.272/2003
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6S.272/2003 /viz

Arrêt du 23 septembre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Brahier Franchetti, Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Pierre-Olivier Wellauer, avocat, Bel-Air
Métropole 1, case postale 2160,
1002 Lausanne,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Blanchiment d'argent qualifié (art. 305bis ch. 2 let. a CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale, du 25 octobre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 3 juillet 2002, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement
de Lausanne a condamné X.________, pour blanchiment d'argent qualifié, à
douze mois d'emprisonnement avec sursis durant deux ans, et à une amende de
3'000 francs, avec délai de radiation de deux ans. Il en ressort notamment
les éléments suivants:
A.aX.________, né en 1931, a travaillé depuis 1966 dans le secteur du service
de limousines pour une clientèle fortunée. Dès 1981, il a mené son activité
dans la région zurichoise. Il parle parfaitement le romanche, l'allemand, le
français, l'anglais, l'espagnol et l'italien.  Sa situation financière au
début des années 1990 est restée floue.

A.b Dans le cadre de son activité de chauffeur/interprète, X.________ a
établi dès le début des années 1980 des relations étroites avec des membres
du cartel de Medellin, devenant l'ami de plusieurs proches de A.________ et
de la famille de B.________, principal associé de A.________. Il est devenu
l'homme de confiance de ces deux familles. Il a également entretenu des liens
avec C.________ et son clan, dont D.________ et son gendre, E.________.
C.________ avait le contrôle du cartel de la côte nord de la Colombie.
Interpellé par les autorités américaines au début 1992, D.________ a négocié
sa liberté contre une collaboration avec la justice; il a admis se livrer au
trafic de stupéfiants et a déclaré que la totalité de ses revenus provenait
de cette activité; il a reconnu agir pour une organisation criminelle
derrière laquelle apparaissaient des trafiquants de haut niveau, tel
C.________; son rôle consistait à introduire aux Etats-Unis d'Amérique de la
cocaïne par bateau des Bahamas en Floride, à collecter et blanchir le produit
de cette drogue. X.________ a fait la connaissance de D.________ en 1985 par
l'entremise du dénommé F.________, à qui l'avait présenté G.________,
trafiquant arrêté à Miami pour l'importation de 42,5 tonnes de marijuana.
E.________ a également choisi de collaborer avec les autorités américaines.
Il a admis sa participation à un réseau de trafiquants sévissant entre les
Bahamas et les Etats-Unis d'Amérique dans l'importation de drogue provenant
de Colombie.

A.c Les 28 avril et 8 mai 1992, X.________ a loué, sur les instructions de
D.________, mais en son nom et avec une procuration en faveur de E.________,
deux coffres dans des banques zurichoises. Le but était d'y déposer de
l'argent en attente et d'y dissimuler des papiers compromettants pour le
compte de D.________. X.________ a reconnu lors de l'enquête que de l'argent
liquide transitait par les coffres. Il résulte par ailleurs d'une
conversation téléphonique qu'il savait que de faux papiers y étaient déposés.

A.d D.________ était en relation bancaire avec deux banques. Ses comptes ont
dès leur ouverture à fin 1991 été crédités d'environ US $ 3'300'000. Il
s'agissait d'argent provenant du trafic de drogue. Entre le 23 avril et la
mi-mai 1992, D.________ a vidé la totalité des comptes, retirant les montants
en espèces et les transportant à l'étranger. D.________, E.________ et
X.________ ont ainsi procédé à une dizaine de voyages vers l'Autriche et
Andorre pour y déposer cet argent liquide. Huit comptes ont été ouverts au
nom de X.________ dans les deux pays. La quasi-totalité des fonds a de la
sorte été déposée sur des comptes ouverts au nom de ce dernier. Pratiquement,
X.________ entrait dans les banques accompagné de E.________ pour négocier,
étant précisé qu'en Autriche, il était le seul à parler l'allemand.
D.________ se bornait à les attendre à l'extérieur.

D. ________ a ouvert le 20 avril 1993 des comptes dans cinq banques
zurichoises sous un faux nom. Il a ensuite fait rapatrier les avoirs placés
en Autriche et à Andorre. X.________ et E.________ sont ainsi retournés dans
les établissements bancaires concernés et ont signé les ordres de transferts
nécessaires.

A.e Le 16 juin 1993, sur instructions téléphoniques de D.________, X.________
a prélevé 60'000 francs sur un compte bancaire de ce dernier. X.________ a
versé 55'000 francs sur un de ses propres comptes le même jour. Il a envoyé,
suivant toujours les instructions de D.________, 20'000 US $ sur un compte à
Panama ouvert sous une fausse identité de D.________, ce qu'il savait. Il a
été arrêté avant d'envoyer le solde sur le même compte.

B.
Par arrêt du 25 octobre 2002, dont les considérants écrits ont été envoyés
aux parties le 17 juin 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois a rejeté le recours de X.________ et a confirmé le jugement de
première instance.

C.
X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Il
conclut à son annulation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1
PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits
retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à
s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut
aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Les conclusions
devant être interprétées à la lumière de leur motivation (ATF 127 IV 101
consid. 1 p. 103), le recourant a circonscrit les points litigieux.

2.
Le recourant s'en prend à sa condamnation pour blanchiment aggravé  en vertu
de l'art. 305bis ch. 2 let. a CP.

2.1 L'art. 305bis ch. 1 CP punit de l'emprisonnement ou de l'amende celui qui
aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la
découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou
devait présumer qu'elles provenaient d'un crime.

En l'espèce, les fonds, en particulier les 3'300'000 US $, proviennent du
trafic de drogue. Il est incontestable qu'un tel trafic est réprimé
pénalement aux Etats-Unis d'Amérique, vers lesquels la drogue a été
acheminée, et qu'il constitue un crime en droit suisse (art. 9 CP) en vertu
de l'art. 19 ch. 1 in fine et 2 LStup (cf. Ursula Cassani, Commentaire du
droit pénale suisse, vol. 9, Berne 1996, art. 305bis CP n. 15). Cet argent a
fait l'objet de retraits et de transferts bancaires de Suisse à l'étranger et
de l'étranger en Suisse sur divers comptes ouverts sous plusieurs noms,
parfois faux. De tels actes sont propres à entraver la confiscation (cf.
Ursula Cassani, op. cit., art. 305bis CP n. 39 ss). Il s'ensuit que
l'infraction de blanchiment est objectivement réalisée. Le recourant ne le
conteste d'ailleurs pas, mais remet uniquement en cause le cas aggravé de
blanchiment retenu à son encontre.

2.2 L'art. 305bis ch. 2 CP prévoit la réclusion pour cinq ans au plus ou
l'emprisonnement pour les cas graves, notamment lorsque le délinquant agit
comme membre d'une organisation criminelle (let. a).

2.3 Le recourant conteste l'existence d'une organisation criminelle.

2.3.1 La notion d'organisation criminelle au sens de l'art. 305bis ch. 2 let.
a CP est la même que celle visée à l'art. 260ter CP (cf. Ursula Cassani, op.
cit., art. 305bis CP, n. 56). Il s'agit d'une notion plus étroite que celle
de groupe, de groupement au sens de l'art. 275ter CP ou de bande au sens des
art. 139 ch. 3 al. 2 et 140 ch. 3 al. 1 CP; elle implique l'existence d'un
groupe structuré de trois personnes au minimum, généralement plus, conçu pour
durer indépendamment d'une modification de la composition de ses effectifs et
se caractérisant, notamment, par la soumission à des règles, une répartition
des tâches, l'absence de transparence ainsi que le professionnalisme qui
prévaut aux différents stades de son activité criminelle; on peut notamment
songer aux groupes qui caractérisent le crime organisé, aux groupements
terroristes, etc.

Il faut ensuite que cette organisation tienne sa structure et son effectif
secrets. La discrétion généralement associée aux comportements délictueux ne
suffit pas; il doit s'agir d'une dissimulation qualifiée et systématique, qui
ne doit pas nécessairement porter sur l'existence de l'organisation elle-même
mais sur la structure interne de celle-ci et le cercle de ses membres et
auxiliaires. En outre, l'organisation doit poursuivre le but de commettre des
actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens
criminels. S'agissant en particulier de l'enrichissement par des moyens
criminels, il suppose que l'organisation s'efforce de se procurer des
avantages patrimoniaux illégaux en commettant des crimes; sont notamment
visés les infractions constitutives de crimes contre le patrimoine et les
crimes prévus par la loi fédérale sur les stupéfiants (arrêt 6S.463/1996 du
27 août 1996, consid. 4b reproduit in SJ 1997 p. 1; FF 1993 III p. 289 ss).

2.3.2 Il ressort du dossier de l'enquête américaine que D.________ a reconnu
agir pour une organisation criminelle derrière laquelle apparaissaient des
trafiquants de haut niveau, tel C.________, lequel avait le contrôle du
cartel de la côte nord de la Colombie. D.________ a déclaré que la totalité
de ses revenus provenait du trafic de stupéfiants. Son rôle consistait à
introduire aux Etats-Unis d'Amérique de la cocaïne par bateau des Bahamas en
Floride, à collecter et blanchir le produit de cette drogue. Le gendre de
D.________, E.________, a également admis sa participation à un réseau de
trafiquants sévissant entre les Bahamas et les Etats-Unis d'Amérique. La Cour
de cassation vaudoise a par ailleurs indiqué que l'activité déployée par
D.________ et E.________ en Suisse, soit l'acheminement et le blanchiment du
produit des ventes de drogue, correspondait à une tâche précise et planifiée
pour le compte d'une organisation de plus large niveau, dépourvue de
transparence.

Les éléments précités attestent que l'on a affaire à un réseau de trafiquants
de drogue se livrant à un très important trafic. Les déclarations de
D.________ et de E.________ aux enquêteurs américains ne suscitent aucun
doute à propos d'une organisation criminelle. Aussi, faut-il admettre
l'existence d'une organisation telle que visée par l'art. 305bis ch. 2 let. a
CP.

2.4 Le recourant soutient qu'il ne saurait être considéré comme membre de
l'organisation.

L'art. 305bis ch. 2 let. a CP exige que le délinquant ait agi comme membre
d'une organisation criminelle. Le membre est celui qui est impliqué dans
l'organisation et non celui qui fournit simplement une aide à celle-ci. La
notion de membre se recoupe avec celle de participant à une organisation
criminelle de l'art. 260ter ch. 1 al. 1 CP (cf. Jürg-Beat Ackermann,
Geldwäscherei, in Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen,
Geldwäscherei, vol. 1, Zurich 1998, Niklaus Schmid éditeur, § 5 n. 431). Une
fonction dirigeante n'est pas requise pour être membre, une fonction
subalterne pouvant suffire. Participe comme membre de l'organisation celui
qui s'y intègre et y déploie une activité concourant à la poursuite du but
criminel de l'organisation. Une participation occasionnelle à une opération
précise ne suffit pas. Il faut une coopération avec l'organisation qui dénote
l'appartenance à celle-ci (cf. arrêt 6S.463/1996 précité, consid. 4b
reproduit in SJ 1997 p.1; Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse,
vol. 2, Berne 2002, art. 260ter CP n. 7; Günter Stratenwerth, Schweizerisches
Strafrecht, Bes. Teil II, 5ème éd., Berne 2000, § 40 n. 25; Hans Baumgartner,
Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 2003, art. 260ter CP n. 11; Gunther
Arzt, Organisiertes Verbrechen, in Kommentar Einziehung, organisiertes
Verbrechen, Geldwäscherei, vol. 1, Zurich 1998, Niklaus Schmid éditeur, § 4
n. 132 ss; Jörg Rehberg, Strafrecht IV, 2ème éd., Zurich 1996, p. 171/172).
Le recourant a été l'homme à tout faire, traducteur, agent fiduciaire,
représentant en Suisse de D.________ et E.________, lesquels avaient une
confiance absolue en lui. Il a joué un rôle bien défini dans le but poursuivi
par D.________, soit mettre en sûreté les fonds. Il a fourni un appui
logistique durable et indispensable, ce qu'il savait. L'activité reprochée
s'étend sur plus d'une année. Il a en particulier ouvert des coffres à son
nom. Il a transporté en une dizaine de voyages de l'argent liquide en
Autriche et à Andorre et a ouvert dans ces pays des comptes bancaires à son
nom pour le recevoir. Il est ensuite de nouveau intervenu pour que cet argent
soit viré en Suisse. Il s'est tenu à l'entière disposition de D.________ et
E.________ et s'est soumis à leur volonté.

Pour l'essentiel, le recourant s'écarte des constatations précitées en
prétendant que sa seule fonction a été celle de chauffeur de limousine. Dans
cette mesure, son argumentation est irrecevable. Sur la base des faits
retenus, qui lient le Tribunal fédéral, il n'apparaît pas que le recourant
aurait simplement apporté une aide ponctuelle. Au contraire, il a occupé une
place décisive dans les différentes opérations de transfert d'argent qui se
sont déroulées sur plus d'une année. Il a ainsi collaboré de manière
importante à la poursuite du but criminel de l'organisation. La conclusion
selon laquelle il a agi comme membre d'une telle organisation ne viole pas le
droit fédéral.

2.5 Le recourant affirme encore que l'élément subjectif de l'infraction n'est
pas réalisé. Il n'aurait eu ni l'intention ni la conscience de blanchir de
l'argent et soutient avoir agi par négligence.

Déterminer ce que l'auteur sait, veut ou l'éventualité à laquelle il consent
relève de l'établissement des faits (ATF 126 IV 209 consid. 2d p. 215; 125 IV
49 consid. 2d p. 56). Selon les constatations cantonales, le recourant
connaissait la provenance illicite des fonds; il savait que D.________
appartenait à un réseau qui vendait de la drogue; il était non seulement
conscient de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales, mais
également des moyens mis en oeuvre pour entraver leur identification (cf.
arrêt attaqué, p. 17 ss). L'argumentation du recourant s'écarte des faits
précités ou n'en tient pas compte, de sorte qu'elle apparaît irrecevable.
Quoi qu'il en soit, à partir de telles constatations factuelles, c'est sans
violer le droit fédéral que la Cour de cassation vaudoise a retenu que le
recourant avait agi intentionnellement.

3.
Le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant,
qui succombe, supporte les frais de la procédure (art. 278 al. 1 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale.

Lausanne, le 23 septembre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: