Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.245/2003
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6S.245/2003 /pai

Arrêt du 24 octobre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Pont Veuthey,
Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Yves Donzallaz, avocat, avenue de Tourbillon 3,
case postale 387, 1951 Sion,

contre

Y.________ et R.________,
intimés, représentés par Me François Pfefferlé, avocat, place du Midi 46,
case postale 2130, 1950 Sion 2,
Ministère public du canton du Valais,
Palais de Justice, case postale 2050, 1950 Sion 2.

Fausse déclaration d'une partie en justice (art. 306 CP),

pourvoi en nullité contre le jugement du Tribunal cantonal valaisan, Cour
pénale II, du 23 mai 2003.

Faits:

A.
Par jugement du 23 mai 2003, modifiant partiellement le jugement du 4 mars
2002 rendu par le Tribunal d'arrondissement du district de Sion, la Cour
pénale II du Tribunal cantonal valaisan a condamné X.________, pour fausse
déclaration d'une partie en justice (art. 306 al. 1 CP), à quatre mois
d'emprisonnement, sous déduction de trois jours de détention préventive, avec
sursis durant deux ans. Par ailleurs, le tribunal a condamné X.________ à
verser 2'000 francs à Y.________ et R.________ à titre de dépens.

B.
Il en ressort notamment les éléments suivants:

En automne 1987, X.________, qui exploitait comme administrateur une
entreprise de génie civil, a proposé à Y.________ de réaliser une
construction immobilière, en se répartissant le travail. X.________ était
chargé des travaux d'entrepreneur et Y.________ des tâches d'architecte.
L'opération devait être financée par un prêt bancaire. Le 28 mars 1988, la
parcelle a été soumise au régime de la propriété par étages (ci-après: PPE).
Deux enfants de X.________, M.________ et N.________, ainsi que deux enfants
de Y.________, S.________ et R.________, sont devenus chacun propriétaires de
trois parts de PPE, les autres parts étant attribuées en copropriété à
X.________ et Y.________.

Le 28 février 1992, Y.________ et ses deux enfants S.________ et R.________
ont ouvert action civile contre X.________ et ses deux enfants M.________ et
N.________. Ils prétendaient que les parties s'étaient associées pour
réaliser la promotion d'un immeuble et concluaient à la liquidation de la
société simple ainsi qu'au paiement de montants à fixer par expertise. Dans
leur réponse, les défendeurs ont conclu au rejet de la demande. Ils ont
allégué que seuls X.________ et Y.________ s'étaient associés en vue de la
construction de l'immeuble et qu'il n'existait dès lors pas de contrat de
société simple entre l'ensemble des demandeurs et des défendeurs.

Le 23 avril 1996, après avoir été exhorté de dire la vérité et averti des
conséquences d'une fausse déclaration, conformément à l'art. 306 CP et à
l'ancien art. 252 du Code de procédure civile valaisan (CPC/VS), X.________ a
été interrogé comme partie par le juge civil sur les questions des
demandeurs. Ceux-ci entendaient établir que le projet initial, en automne
1987, avait trait à la constitution d'une société simple entre X.________ et
Y.________, mais qui n'avait pas pu se concrétiser en raison de la situation
financière difficile de X.________; pour ce motif, les deux promoteurs
avaient décidé d'associer pleinement leurs enfants au projet. A la question
de savoir si le projet initial n'avait pas été écarté compte tenu de sa
situation financière difficile, X.________ a répondu: "Non, je n'avais pas
une situation financière difficile à l'époque. Cette convention datait de
1987".

Dans le cadre de la présente procédure pénale, X.________ a déclaré que la
situation financière des sociétés dont il détenait le capital-actions était
mauvaise en 1987, mais que la sienne propre, bien que "pas heureuse", lui
permettait de faire face à ses engagements normaux. Pour la Cour pénale du
Tribunal cantonal valaisan, cette appréciation est contredite par l'existence
de nombreuses poursuites et saisies en 1987; pas moins de vingt-cinq
commandements de payer lui ont été notifiés en 1987, pour plus de 100'000
francs; il n'a notamment pas été en mesure de verser un montant de quelque
13'000 francs réclamé par une caisse de compensation, nonobstant la menace
d'une plainte pénale.

C.
X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre le jugement du
23 mai 2003. Il conclut à son annulation et sollicite par ailleurs
l'assistance judiciaire.

X. ________ a aussi formé un recours de droit public au Tribunal fédéral
contre ce jugement.

Y. ________ et R.________ concluent au rejet du pourvoi, s'en remettant au
jugement attaqué.

Le Ministère public valaisan a renoncé à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 275 al. 5 PPF, il est sursis en règle générale à l'arrêt
sur le pourvoi en nullité jusqu'à droit connu sur le recours de droit public.
Dans son recours de droit public, le recourant invoque en particulier une
violation de son droit d'être entendu sur la manière dont la Cour pénale a
administré les preuves pour conclure que sa  déclaration à propos de sa
situation financière en 1987 était fausse. Il n'est toutefois pas certain que
la conformité ou non de la déclaration du recourant avec sa situation
financière à l'époque soit véritablement pertinente pour l'application du
droit (l'art. 306 CP). Résoudre cette question relève du fond du droit. Il se
justifie ainsi d'examiner d'abord le pourvoi, qui, s'il était admis, rendrait
sans objet la critique soulevée dans le recours de droit public.

2.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1
PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits
retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à
s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

3.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 306 al. 1 CP.

3.1 L'art. 306 al. 1 CP prévoit que "celui qui, étant partie dans un procès
civil, aura donné sur les faits de la cause, après avoir été expressément
invité par le juge à dire la vérité et rendu attentif aux suites pénales, une
fausse déclaration constituant un moyen de preuve, sera puni de la réclusion
pour trois ans au plus ou de l'emprisonnement".

Pour tomber sous le coup de l'art. 306 CP, la fausse déclaration doit  avoir,
en vertu de la loi de procédure applicable, la valeur d'un moyen de preuve en
faveur de la partie interrogée, autrement dit elle doit valoir "témoignage"
(ATF 95 IV 75 consid. 1 p. 77/78; 76 IV 278 consid. 2 p. 279/280). Le champ
d'application de l'art. 306 CP dépend donc des procédures civiles cantonales.
Plusieurs cantons ignorent l'interrogatoire d'une partie comme moyen de
preuve (cf. Ursula Cassani, Commentaire du droit pénal suisse, vol. 9, Berne
1996, art. 306 CP n. 10).

Il n'est pas contesté que la procédure valaisanne connaît tant selon l'ancien
que le nouveau droit l'interrogatoire personnel d'une partie comme moyen de
preuve (art. 251 aCPC/VS et 197 CPC/VS), l'attention de celle-ci devant être
attirée sur les conséquences pénales d'une fausse déclaration en justice
(art. 252 aCPC/VS et 198 CPC/VS). En l'espèce, avant son audition par le juge
civil, le recourant a été exhorté de dire la vérité et rendu attentif aux
conséquences d'une fausse déclaration, conformément à l'art. 306 CP et à
l'art. 252 aCPC/VS alors en vigueur. La réglementation cantonale et le
déroulement de la procédure en l'occurrence permettent donc d'envisager
l'application de l'art. 306 CP.

3.2 Le recourant soutient n'avoir formulé qu'un jugement de valeur en
déclarant qu'il n'avait pas une situation financière difficile à l'époque. Ne
s'étant pas exprimé sur un fait, il ne saurait selon lui tomber sous le coup
de la norme pénale.

Selon l'art. 306 al. 1 CP, la partie doit avoir fait une déclaration sur les
"faits de la cause". On retrouve cette notion à l'art. 307 CP. Les deux
doivent être comprises de la même manière. Pour la doctrine, l'exigence selon
laquelle la déposition doit avoir trait à des faits exclut les opinions et
jugements de valeur (cf. Ursula Cassani, op. cit., art. 307 CP n. 28; Günter
Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil II, 5ème éd., Berne 2000,
§ 54 n. 31).

En l'espèce, le recourant, quoiqu'il ait été interrogé sur sa situation
financière, n'a pas eu à répondre sur les actifs dont il disposait, ses
passifs ou sur l'existence de poursuites. Des déclarations à ce propos
auraient porté sur des faits. En revanche, l'indication du recourant selon
laquelle sa situation financière n'était pas difficile procède d'une
appréciation de son patrimoine. Celle-ci dépend certes d'une pesée des actifs
et des passifs à un moment donné, lesquels sont des éléments mesurables
objectivement. Néanmoins, le recourant n'a fourni qu'une évaluation, au
caractère approximatif, comme le confirme l'emploi du qualificatif
"difficile", qui est vague. Il convient donc de retenir que la déclaration du
recourant comporte à la fois un jugement de valeur et une allégation
factuelle. On a affaire à un jugement de valeur mixte (cf. ATF 124 IV 149
consid. 3a p. 150). Or, l'art. 306 CP prévoit expressément que la déclaration
doit porter sur "les faits de la cause". Rien ne justifie une interprétation
extensive du texte légal. Ainsi, une déclaration à caractère mixte, qui
contient un jugement de valeur, ne saurait en tant que telle tomber sous le
coup de la norme pénale. Il incombe au juge civil qui procède à
l'interrogatoire d'une partie de veiller, après l'avoir avertie des
conséquences d'une fausse déclaration, à ce qu'elle s'exprime sur des faits,
le cas échéant sur ceux qui fondent le jugement de valeur émis. Il s'ensuit
que la condamnation du recourant viole le droit fédéral. Le grief est bien
fondé.

4.
Le pourvoi doit être admis. Il n'y a pas lieu de mettre des frais judiciaires
à la charge du recourant et une indemnité sera allouée à son mandataire pour
la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF). La requête
d'assistance judiciaire du recourant est ainsi sans objet.

Aucun frais judiciaire ne sera mis à la charge des intimés, qui ont certes
conclu au rejet du pourvoi, mais sans développer d'argumentation.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée
à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Yves Donzallaz,  mandataire du
recourant, une indemnité de 2'000 francs.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des  parties, au
Ministère public du canton du Valais et au Tribunal cantonal valaisan, Cour
pénale II.

Lausanne, le 24 octobre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: