Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Kassationshof in Strafsachen 6S.244/2003
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6S.244/2003 /mks

Arrêt du 6 octobre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Brahier Franchetti, Juge suppléante.
Greffière: Mme Kistler.

A. ________,
recourant, représenté par Me Nicole Wiebach, avocate, rue Jean-Jacques
Rousseau 9A, case postale 1263, 1800 Vevey 1,

contre

C.________, p.a. C.________ & D.________ SA,
C.________ & D.________ SA,
intimés,
tous les deux représentés par Me Isabelle Romy, avocate, Bahnhofstrasse 13,
8001 Zürich,
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Infraction à la LF contre la concurrence déloyale,
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale, du 7 novembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 28 août 2002, le Tribunal de police de l'arrondissement de
Lausanne a condamné A.________ pour infraction à l'art. 3 let. a LCD à une
amende de 1'500 francs, avec délai d'épreuve et de radiation de deux ans, le
libérant, pour le surplus, des chefs d'accusation de calomnie et de
diffamation.

Statuant le 7 novembre 2002, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois a confirmé ce jugement.

B.
En résumé, cette condamnation repose sur les faits suivants:
B.aNé en 1956 à B._________, A.________ dirige la société A.________ AG, dont
le siège est à B._________, active notamment dans le domaine de la serrurerie
et de la fabrication de produits spécialisés pour les installations
d'épuration des eaux.

B.b La société C.________ & D.________ SA, dont l'actionnaire et le président
du conseil d'administration est C.________, a pour but la commercialisation
et l'exploitation des matériaux et produits nécessaires dans la construction
du bâtiment et les travaux publics. Elle a en outre la représentation
exclusive des échelles de la marque X.________ utilisées pour accéder à des
puits ou à des bassins de rétention.

Selon un contrat passé en septembre 1997, C.________ & D.________ SA avait la
représentation des produits de A.________ AG en Suisse romande et en Valais,
tout en conservant la représentation exclusive des produits X.________.
Depuis 1998, un litige divisait les deux sociétés. En résumé, A.________ AG
réclamait à C.________ & D.________ SA une somme de quelque 150'000 francs
représentant un arriéré de factures, et C.________ & D.________ SA émettait
des prétentions contre A.________ AG à hauteur de 200'000 francs en raison de
la rupture du contrat de représentation. Ce litige s'est terminé le 7 février
2003 par un arrêt du Tribunal fédéral (4C.126/2001).

B.c Dans le cadre de ce procès, C.________ a eu connaissance, par une lettre
du 10 février 2000 d'E.________, conducteur de travaux dans une de ses
entreprises clientes, des faits suivants: "Lors de notre rencontre avec
Monsieur A.________ sur le chantier, après avoir parcouru l'ensemble des
prestations que nous lui avons adjugées, il m'a demandé de lui confier la
pose des échelles. Malheureusement pour lui, mon idée était de les faire
installer par la maison C.________ & D.________ SA. Suite à ma déclaration,
il m'a offert gratuitement le matériel car, selon lui, Monsieur C.________
avait de graves problèmes financiers avec des affaires immobilières en Valais
et il devait encore beaucoup d'argent à Monsieur A.________. Selon ses
propos, la faillite était vraisemblablement inévitable pour Monsieur
C.________". C.________ a déposé une plainte pénale contre A.________ le 3
mai 2000, en son nom personnel et au nom de la société C.________ &
D.________ SA.

B.d Entendu par le juge d'instruction, E.________ a précisé que sa discussion
avec A.________ s'était déroulée en automne 1999, en français, et que
F.________, ingénieur, y assistait et traduisait les mots techniques
difficiles. Il a notamment déclaré que A.________ lui avait dit, à propos de
C.________ & D.________ SA: "Vous n'allez pas donner des échelles à
l'entreprise C.________ qui est sur le point de faire faillite et qui a de la
peine à tenir ses engagements". A.________ avait ajouté que C.________
s'était engagé financièrement dans des constructions en Valais, avant de
proposer de fournir gratuitement les échelles, ce qu'E.________ avait
accepté. Entendu à l'audience, E.________ a confirmé sa déposition faite
devant le juge d'instrucion et dit qu'il retenait de cette discussion avec
A.________ que celui-ci avait voulu dénigrer C.________ & D.________ SA.

C.
A.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une
violation de l'art. 29 CP, des art. 3 let. a et 23 LCD ainsi que des art. 29
al. 1, 32 al. et 35 Cst., il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du
droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait
définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1
let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus
dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter.

Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut
aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui
doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les
points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).

2.
En premier lieu, le recourant se plaint de l'irrespect du délai pour porter
plainte.

Selon l'art. 29 CP, le lésé dispose d'un délai de trois mois pour déposer
plainte. Ce délai commence à courir du jour où l'ayant droit a connaissance
de l'auteur et - l'art. 29 CP ne le dit pas expressément mais cela va de soi
- de l'acte délictueux, c'est-à-dire des éléments constitutifs de
l'infraction (ATF 121 IV 272 consid. 2a p. 275; 101 IV 113 consid. 1b p. 116
et les arrêts cités).

En l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que le plaignant a eu connaissance
des propos incriminés le 4 février 2000; il s'agit d'une constatation de fait
qui lie la cour de céans. Déposée le 3 mai 2000, la plainte a été en
conséquence formée en temps utile. Mal fondé, le grief du recourant doit être
rejeté.

3.
En second lieu, le recourant fait valoir que les éléments définis à l'art. 3
let. a LCD ne sont pas réalisés. D'après lui, ses propos reflétaient la
vérité; il reproche à cet égard à l'autorité cantonale de s'être fondée sur
la compréhension du témoin et non sur les mots effectivement dits. Dans tous
les cas, le fait de dire qu'un partenaire commercial nous doit de l'argent ne
saurait, selon lui, être qualifié de dénigrant. Le recourant relève enfin que
tout propos négatif ne saurait suffire; l'affirmation doit présenter une
certaine gravité et rendre la personne visée méprisable aux yeux du public.

3.1 Aux termes de l'art. 3 let. a LCD agit de façon déloyale celui qui
dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses prestations, ses prix ou
ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement
blessantes. Celui qui, intentionnellement, se sera rendu coupable de
concurrence déloyale au sens de la disposition qui précède sera, sur plainte,
puni de l'emprisonnement ou de l'amende jusqu'à 100'000 francs (art. 23 LCD).

3.2 Le terme dénigrer signifie s'efforcer de noircir, de faire mépriser
(quelqu'un ou quelque chose) en attaquant, en niant les qualités. Un propos
est dénigrant lorsqu'il rend méprisable le concurrent, ses marchandises etc.
Tout propos négatif ne suffit pas; il doit revêtir un certain caractère de
gravité (ATF 122 IV 33 consid. 2c p. 36). Une allégation n'est pas déjà
illicite au sens de l'art. 3 let. a LCD du seul fait qu'elle dénigre les
marchandises d'un concurrent; il faut qu'elle soit encore inexacte -
c'est-à-dire contraire à la réalité -, ou bien fallacieuse - soit exacte en
elle-même, mais susceptible, par la manière dont elle est présentée ou en
raison de l'ensemble des circonstances, d'éveiller chez le destinataire une
impression fausse, - ou encore inutilement blessante - à savoir qu'elle donne
du concurrent, respectivement de ses prestations au sens large, une image
négative, outrancière, que la lutte économique ne saurait justifier (ATF 124
III 72 consid. 2b/aa p. 76; Mario M. Pedrazzini/Federico A. Pedrazzini,
Unlauterer Wettbewerb UWG, 2e éd., Berne 2002, p. 65 s.).
Malgré l'amalgame fait par le recourant entre C.________ et la société
C.________ & D.________ SA, l'autorité cantonale a retenu que le recourant
visait cette dernière société, concurrente d'A.________ AG. Les propos du
recourant, qui mélangeait C.________ et la société C.________ & D.________
SA, étaient propres, dans le contexte particulier, à éveiller, chez tout
destinataire, l'impression fausse que le recourant visait la société
C.________ & D.________ SA; le recourant avait en effet demandé à E.________
de lui confier la pose des échelles, et ce dernier lui avait répondu qu'il
voulait les faire installer par la société C.________ & D.________ SA.
L'autorité cantonale a donc retenu à juste titre que les déclarations du
recourant étaient fallacieuses au sens de l'art. 3 let. a LCD. Non seulement
fallacieuses, ces affirmations sont aussi dénigrantes. En mettant en doute la
solvabilité de la société C.________ & D.________ SA et sa capacité à
s'imposer au sein de la concurrence, le recourant a ébranlé la confiance d'un
cocontractant potentiel et porté atteinte au crédit de ce dernier (arrêt
4C.84/1999 du Tribunal fédéral du 13 avril 2000 publié in sic! 2000, p. 644).

3.3 La LCD a pour but de garantir, dans l'intérêt de toutes les parties
concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée (art. 1er LCD).
Seuls sont donc prohibés les comportements qui constituent un acte de
concurrence, c'est-à-dire qui aboutissent objectivement à un impact sur les
relations de concurrence. En conséquence, les propos incriminés ne seront
punissables que s'ils sont pertinents sur le marché, dirigés vers ce marché
ou dirigés vers la concurrence (ATF 120 II 76 consid. 3a p. 78).
Se fondant sur cette jurisprudence, Dieter Dubs a soutenu, que les propos
dénigrants au sens de l'art. 3 let. a LCD devaient s'adresser à plusieurs
participants au marché; selon lui, l'acte de dénigrement, en tant que
comportement isolé, n'est pas relevant pour le marché et ne doit donc pas
tomber sous le coup de la LCD (Dieter Dubs, PJA 1996 p. 771). Cette manière
de voir est cependant trop restrictive. Il est vrai qu'en règle générale, les
propos dénigrants s'adressent à un large cercle de personnes. Il s'agira
souvent d'articles de journaux, de tracts ou de notes distribués à de
nombreuses personnes. Cependant, la jurisprudence a admis que l'architecte
qui déclarait aux autres membres du consortium que la société B avait déjà
fait faillite une fois se rendait coupable de violation de l'art. 3 let. a
LCD (arrêt du Tribunal fédéral du 22 janvier 1996 6S.588/1995 publié in SMI
1996 III 499). Elle a également reconnu que des allégations fallacieuses sur
la situation financière d'un des cocontractants potentiels pouvaient
constituer une déclarations déloyale au sens de l'art. 3 let. a LCD (arrêt
4C.84/1999 du Tribunal fédéral du 13 avril 2000 publié in sic! 2000, p. 644).
Pour sa part, dans son message du 24 avril 1991 relatif à la révision des
infractions contre le patrimoine, le Conseil fédéral a proposé d'abroger
l'ancien art. 160 CP (atteinte au crédit), dès lors que cette dernière
disposition devenait inutile avec l'introduction du nouvel art. 3 let. a LCD
(FF 1991 II 933, spéc. p. 1027); or, l'art. 160 CP visait toute déclaration
portant atteinte au crédit d'autrui, qu'elle soit articulée en public ou
seulement vis-à-vis de quelques personnes, ou même d'une seule personne (Paul
Logoz, Commentaire du Code pénal suisse, partie spéciale I, p. 199).

En l'espèce, il faut donc admettre que les propos du recourant, qui n'étaient
certes adressés qu'à une seule personne, ont eu un effet direct sur la
concurrence, puisque E.________ a accepté les échelles de A.________ AG et a
renoncé à commander des échelles à la société concurrente C.________ &
D.________ SA, qui s'est donc vu écartée du marché. Le grief du recourant
doit donc être rejeté.

4.
Enfin, le recourant invoque, à titre de violation indirecte de la
constitution, la violation de la garantie d'une procédure équitable, du droit
d'être entendu, de la présomption d'innocence et du respect des droits
fondamentaux (art. 29 al. 1 et 2, 32 al. 1, 35 Cst. et 6 al. 1 et al. 3d
CEDH).

Il y a violation indirecte d'un droit constitutionnel lorsqu'une norme de
droit fédéral n'a pas été interprétée et appliquée en conformité avec le
droit constitutionnel en question; dans un tel cas, le grief doit être
soulevé exclusivement par la voie du pourvoi en nullité (ATF 119 IV 109
consid. 1a). Ainsi, si le recourant invoque une inégalité de traitement dans
la fixation de la peine, il se plaint d'une mauvaise application de l'art. 63
CP, ce qui constitue une violation du droit fédéral, laquelle doit être
invoquée par la voie du pourvoi en nullité (ATF 116 IV 293 s consid. 2). En
l'espèce, le recourant invoque cependant, non une violation indirecte, mais
une violation directe des droits constitutionnels, qui ne peut être soulevée
que par la voie du recours de droit public. Les griefs du recourants sont
donc irrecevables.

5.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Le recourant, qui succombe, doit être condamné aux frais (art. 278
al. 1 PPF). Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité aux intimés qui n'ont pas
déposé de mémoire dans la procédure devant le Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale, ainsi qu'au Ministère public de la Confédération.

Lausanne, le 6 octobre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: