Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Kassationshof in Strafsachen 6S.190/2003
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6S.190/2003 /sch

Arrêt du 7 août 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X.________,
recourant, représenté par Me Jacques Micheli, avocat, place Pépinet 4, case
postale 3309, 1002 Lausanne,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de
résistance (art. 191 CP), abus de la détresse (art. 193 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale, du 14 octobre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 7 mars 2002, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de
Lausanne a condamné X.________, pour actes d'ordre sexuel commis sur une
personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), abus de la
détresse (art. 193 al. 1 CP) et pornographie (art. 197 ch. 3 CP), à deux ans
et demi de réclusion. En bref, il en ressort les éléments suivants:

Entre janvier et septembre 1997, X.________ et le dénommé Y.________ ont
tourné de nombreux films pornographiques. Ils ont recruté principalement des
jeunes femmes prostituées toxicomanes, Y.________ déclarant qu'ils avaient
choisi de telles femmes parce que "c'était plus facile car elles avaient
besoin d'argent et qu'elles supportaient mieux la douleur". Le tribunal s'est
déclaré convaincu que les propos en question, minimisés par X.________,
correspondaient à la réalité. Quatre jeunes femmes ont été entendues pendant
l'enquête et aux débats. Elles ont indiqués qu'elles étaient toxicomanes,
qu'elles consommaient beaucoup d'héroïne à l'époque des faits (2 à 3 grammes
par jour), qu'elles avaient accepté les tournages parce qu'elles étaient bien
payées (entre 200 et 300 francs la séance) et qu'elles n'auraient jamais
accepté des scènes de pornographie dure si elles n'avaient pas été
toxicomanes. S'agissant en particulier de X.________, le tribunal a considéré
qu'il s'était rendu coupable de pornographie dure au sens de l'art. 197 ch. 3
CP, toutes les scènes de scatologie, d'urolagnie et de sadomasochisme (pose
de pincettes sur les seins et le sexe, mise en place d'aiguilles sur les
seins, cire de bougie coulée sur le corps et pressions sur les seins jusqu'à
ce qu'ils deviennent rouges/bleus) devant être considérées comme des actes de
violence punissables. Le tribunal a par ailleurs retenu que X.________
tombait également sous le coup de l'art. 191 CP pour trois des scènes
précitées et sous le coup de l'art. 193 CP pour les autres actes, une
trentaine.

B.
Par arrêt du 14 octobre 2002, dont les considérants écrits ont été envoyés
aux parties le 24 avril 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal vaudois a partiellement admis le recours de X.________. Elle l'a
condamné, pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de
discernement ou de résistance (art. 191 CP), abus de la détresse (art. 193
al. 1 CP) et pornographie (art. 197 ch. 3 CP), à deux ans d'emprisonnement.

C.
X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Il
conclut à son annulation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le pourvoi en nullité ne peut être formé que pour violation du droit fédéral,
à l'exclusion de la violation de droits constitutionnels (art. 269 PPF).

Le pourvoi n'est pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation des preuves et
des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83).
Sous réserve de la rectification d'une inadvertance manifeste, le Tribunal
fédéral est lié par les constatations de fait de l'autorité cantonale (art.
277bis al. 1 PPF). Il ne peut être présenté de griefs contre celles-ci, ni de
faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF). Le
raisonnement juridique doit être mené sur la base des faits retenus dans la
décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à s'écarter (ATF 126 IV
65 consid. 1 p. 66/67).

Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut
aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Les conclusions
devant être interprétées à la lumière de leur motivation (ATF 127 IV 101
consid. 1 p. 103), le recourant a circonscrit les points litigieux.

2.
Le recourant conteste sa condamnation en vertu de l'art. 193 CP.

2.1 Aux termes de l'art. 193 al. 1 CP, celui qui, profitant de la détresse où
se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de
travail ou d'un lien de dépendance de tout autre nature, aura déterminé
celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel sera puni de
l'emprisonnement.

Il résulte de cette disposition que la victime doit être dans une situation
de détresse ou de dépendance par rapport à l'auteur. S'agissant de la
détresse, il n'existe pas, au contraire de la dépendance, de relation
spécifique entre l'auteur et la victime, comme un rapport de force ou un lien
de confiance. La détresse est un état de la victime que l'auteur constate et
dont il se sert. L'infraction peut par exemple être réalisée dans le cas
d'une prostituée toxicomane, qui a d'urgence besoin d'argent pour se procurer
de l'héroïne, de sorte que le client la force à accomplir des actes qu'elle
n'accepterait d'ordinaire pas, comme un rapport non protégé (cf. Philipp
Maier, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, art. 193 CP n. 7). En revanche,
le client ne saurait être condamné sur la base de l'art. 193 CP du seul fait
que la personne, compte tenu de sa situation financière, a choisi de
s'adonner à la prostitution (cf. Jörg Rehberg/Niklaus Schmid, Strafrecht III,
7ème éd., p. 406 in initio; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht,
Bes. Teil I, 5ème éd., § 7 n. 50). La limite n'est pas toujours aisée à
poser. L'art. 193 CP vise un consentement altéré par une situation de
détresse (ou de dépendance) dont l'auteur profite. L'infraction doit
permettre de réprimer le comportement de celui qui profite de façon éhontée
d'une situation de détresse dans un cas où la victime n'aurait manifestement
pas consenti sans cette situation particulière (cf. Bernard Corboz, Les
infractions en droit suisse, vol. I, art. 193 CP n. 11).

Le recourant se réfère à une décision zurichoise (reproduite in RSJ 1993 p.
324). Il en ressort que celui qui, contre le paiement usuel, commet
normalement l'acte sexuel avec une prostituée, en sachant qu'elle est
toxicomane et qu'elle a pour cette raison des problèmes d'argent, ne se rend
pas coupable d'abus de détresse au sens de l'art. 193 CP. Ce cas apparaît
d'emblée sans pertinence pour la présente affaire où la situation factuelle
est fondamentalement différente.

2.2 Selon les constatations cantonales, les jeunes femmes recrutées par le
recourant étaient toxicomanes et consommaient beaucoup d'héroïne, soit 2 à 3
grammes par jour; elles se prostituaient pour payer leur consommation de
drogue, ce que le recourant savait; celui-ci a spécifiquement choisi des
prostituées toxicomanes, lesquelles acceptaient plus facilement ses
propositions parce qu'il payait bien, qu'elles avaient besoin d'argent et
qu'elles supportaient mieux la douleur; les prostituées se sont ainsi prêtées
à des actes de pornographie dure, qu'elles n'accomplissaient pas avec leurs
clients ordinaires; il s'agissait d'actes de scatologie, d'urolagnie et de
sadomasochisme; le scénario des films n'était pas clairement défini, le
recourant l'inventant au fur et à mesure du déroulement; le dénommé
Y.________ a déclaré aux débats que "c'est parfois allé trop loin" (cf. arrêt
attaqué, p. 21; jugement de première instance, p. 29/30 et 34). Dans la
mesure où le recourant s'en prend à la constatation des faits en indiquant
qu'on ignore tout des conditions de tournage et de la situation personnelle
des victimes, qui  n'ont pas été identifiées ni été entendues dans la
procédure, il formule des  critiques irrecevables dans un pourvoi (cf. supra,
consid. 1). On déduit des faits retenus que le recourant a sciemment profité
de l'état dans lequel se trouvait les prostituées toxicomanes, qui avaient
besoin d'argent pour financer leur consommation quotidienne de drogue, et a
ainsi pu obtenir d'elles des actes qui n'avaient rien à voir avec les
relations sexuelles qu'elles acceptaient habituellement de leurs clients. En
ce sens, le recourant a aggravé la situation des prostituées toxicomanes. Il
faut admettre qu'il s'est servi d'une situation de détresse pour obtenir des
actes de caractère sexuel bien particuliers, auxquels les victimes n'auraient
sinon jamais consenti. L'application de l'art. 193 CP en pareil cas ne viole
pas le droit fédéral. Il n'y a ainsi pas lieu d'examiner si le recourant,
outre la situation de détresse, a également profité d'un lien de dépendance,
évoqué dans l'arrêt attaqué.

Par ailleurs, le recourant se prévaut d'une contradiction. Il met en évidence
deux phrases de l'arrêt attaqué: la première en page 21 concerne l'art. 193
CP ("c'est en raison de ces circonstances, et des violences physiques
infligées, que le tribunal a retenu l'abus de la détresse dans le cas
particulier"), la seconde en page 25 touche la fixation de la peine ("cela
étant la culpabilité [du recourant] doit être relativisée, notamment en
relation avec ce qui n'apparaît pas comme des actes de violence physique
proprement dits"). On ne voit guère en quoi la prétendue contradiction
attesterait d'une mauvaise application de l'art. 193 CP et le recourant ne le
dit pas. Il n'y a là aucune critique recevable. Cela étant, la deuxième
phrase, émise dans le cadre de la fixation de la peine, ne paraît pas
nécessairement concerner tous les actes reprochés au recourant mais peut fort
bien se rapporter à certains actes seulement. Elle se concilie ainsi avec la
première phrase. Supposé recevable, le grief serait infondé.

3.
Parmi les scènes filmées dans le contexte rappelé ci-dessus (consid. 2.2),
trois sont à l'origine de la condamnation du recourant sur la base de l'art.
191 CP. Il conteste l'application de cette disposition, niant que les jeunes
femmes aient été incapables de discernement ou hors d'état de résister.

3.1 L'art. 191 CP prévoit que celui qui, sachant qu'une personne est
incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre
sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel,
sera puni de la réclusion pour dix ans au plus ou de l'emprisonnement. Cette
disposition protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les
personnes incapables de discernement ou de résistance dont l'auteur, en
connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte
d'ordre sexuel (ATF 120 IV 194 consid. 2a p. 196). Son but est de protéger
les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester
physiquement leur opposition à l'acte sexuel. Selon la jurisprudence rendue
dans le cadre de l'art. 189 aCP, qui garde toute sa portée ici, l'incapacité
de résistance peut être durable ou momentanée, chronique ou due aux
circonstances. Elle peut être la conséquence d'un état mental gravement
anormal, d'une sévère intoxication due à l'alcool ou à la drogue, ou encore
d'entraves matérielles. Il faut cependant que la victime soit totalement
incapable de se défendre. Si l'inaptitude n'est que partielle - par exemple
en raison d'un état d'ivresse - la victime n'est pas incapable de résistance
(ATF 119 IV 230 consid. 3a p. 232). Il a été jugé que lorsqu'une femme
installée sur une table gynécologique se trouve dans l'incapacité de suivre
les mouvements du médecin et que celui-ci, par surprise lui fait subir l'acte
sexuel, elle est incapable de résistance (ATF 103 IV 165/166). De même, une
femme peut être considérée comme incapable de résistance lorsque, s'étant
couchée après une fête sous l'emprise de l'alcool, elle est sortie tout
doucement et tendrement du sommeil par l'auteur, qu'elle prend par erreur
pour son conjoint, et pénétrée par surprise, contre son gré (ATF 119 IV 230
consid. 3a p. 232/233).

3.2 Les trois scènes sont décrites de la manière suivante dans le jugement de
première instance, auquel s'est référée la Cour de cassation vaudoise. Dans
la première scène, une jeune femme, en mauvais état physique, est attachée
nue; le recourant lui plante des aiguilles dans les seins; elle saigne et dit
avoir mal mais le recourant continue. Dans la deuxième scène, une autre jeune
femme est couchée, la tête appuyée contre un oreiller; le recourant est assis
à califourchon sur le haut de son corps et l'immobilise; la jeune femme lui
fait une fellation; elle est en état de somnolence et a de la difficulté à
s'exécuter; pour les premiers juges, il apparaît au premier coup d'oeil
qu'elle est sous l'emprise de produits, probablement de stupéfiants. Dans la
troisième scène, la même jeune femme qu'à la scène précédente se trouve
attachée sur une chaise; le recourant lui serre très fort les seins jusqu'à
ce qu'ils deviennent rouges/bleus; il lui donne des claques sur les seins; il
lui met de nombreuses pincettes sur les seins; elle réprime à grand peine des
cris de douleur mais il continue; le regard de la jeune femme est hagard;
selon les premiers juges, on constate tout de suite qu'elle est sous
l'influence de produits, probablement de stupéfiants.

Pour l'essentiel, l'argumentation du recourant consiste en une critique des
faits constatés ou en une extrapolation de ceux-ci. Dans cette mesure, elle
est irrecevable (cf. supra, consid. 1). Il ne ressort pas des constatations
cantonales que les jeunes femmes auraient accepté  d'être soumises aux actes
tels qu'infligés dans les trois scènes. Le recourant a d'ailleurs lui-même
admis aux débats qu'il inventait les scènes au fur et à mesure du déroulement
des films. Pour la première scène, la jeune femme est attachée et le
recourant poursuit ses agissements malgré le saignement et la douleur
exprimée. Dans de telles conditions, on ne perçoit aucune violation du droit
fédéral à admettre que la jeune femme était totalement incapable de résister
aux actes que le recourant continuait à lui faire subir. Pour la deuxième
scène, la jeune femme est immobilisée par le poids du recourant, se trouve en
état de somnolence et est manifestement sous l'influence d'une substance,
probablement stupéfiante. La Cour de cassation vaudoise a souligné que la
jeune femme était incapable de discernement dès lors qu'elle était sous
l'emprise de produits, ce qui transparaissait au premier coup d'oeil d'après
les premiers juges (cf. arrêt attaqué, p. 23). Une personne est incapable de
discernement au sens de l'art. 191 CP si elle n'est pas en mesure de
comprendre le sens des actes d'ordre sexuel et/ou de se déterminer d'après
cette appréciation (cf. Bernard Corboz, op. cit., art. 191 CP n. 2). Ces
questions, qui ont trait à l'aptitude mentale, relèvent de l'établissement
des faits. En retenant que la jeune femme était incapable de discernement en
raison de la prise de produits, l'autorité cantonale a tranché un point de
fait, qui lie le Tribunal fédéral. Sur cette base, l'application de l'art.
191 CP dans le cas particulier ne viole pas le droit fédéral. Dans la
troisième scène, la jeune femme est attachée, son regard est hagard et il
apparaît tout de suite qu'elle est sous l'emprise de produits, probablement
stupéfiants. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, l'application
de l'art. 191 CP dans ce cas ne viole pas le droit fédéral.

4.
Le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant,
qui succombe, supporte les frais de la cause (art. 278 al. 1 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale.

Lausanne, le 7 août 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: