Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Kassationshof in Strafsachen 6S.162/2003
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6S.162/2003 /rod

Arrêt du 4 août 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me François Roux, avocat, case postale 3632, 1002
Lausanne,

contre

Ministère public du canton de Vaud, rue de
l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

Violation des règles de la circulation,

pourvoi en nullité contre le jugement du Tribunal de police de
l'arrondissement de Lausanne du 24 mars 2003.

Faits:

A.
Par prononcé du 6 septembre 2002, le Préfet du district de Lausanne a
condamné X.________, pour violation des art. 26 al. 1 et 32 al. 1 LCR, à une
amende de 150 francs; le préfet a par ailleurs condamné Y.________ à une
amende de 300 francs.

B. Par jugement du 24 mars 2003, le Tribunal de police de l'arrondissement de
Lausanne a partiellement admis l'appel de X.________ et a mentionné dans son
dispositif que celui-ci "est libéré de l'amende". Il ressort notamment les
éléments suivants de ce jugement:

X.________ exerce l'activité de sapeur-pompier professionnel. Le 23 novembre
2001, vers 13 h 30, il a été appelé à intervenir dans le cadre d'un incendie
sur l'avenue de Morges à Lausanne. Il a d'abord remonté cette avenue au
volant d'une Peugeot 306 des Services Secours et Incendie (SSI), avertisseurs
spéciaux enclenchés. Après s'être arrêté pour se renseigner par radio sur
l'endroit exact de l'incendie, il a fait demi-tour pour descendre l'avenue de
Morges, là encore avertisseurs spéciaux enclenchés. Alors que la
signalisation lumineuse était au rouge, il a continué sa route vers
l'intersection entre l'avenue de Morges et de l'avenue Recordon à une vitesse
qu'il a estimée entre 40 et 50 km/h. Il a indiqué avoir ralenti à l'approche
de l'intersection, le temps de vérifier que les piétons étaient "sécurisés"
et qu'aucun véhicule ne s'engageait dans le carrefour débouchant sur l'avenue
de Morges, en particulier en provenance de l'avenue Recordon. Apercevant tout
à coup une "boule grise" sur sa droite, il est entré en violente collision
avec le véhicule conduit par Y.________, qui surgissait de l'avenue Recordon.
X.________ et Y.________ n'ont été que légèrement blessés. Les deux véhicules
ont subi d'importants dommages.

Le Tribunal de police a relevé que si deux témoins n'avaient pas confirmé que
X.________ avait ralenti avant l'intersection, il leur était difficile depuis
leur position d'apprécier la vitesse ou les mouvements de décélération et
d'accélération de ce dernier. Par ailleurs, le tribunal a tenu compte des
déclarations du témoin Z.________. Ce témoin se trouvait en voiture sur
l'avenue Recordon et était sur le point de s'arrêter au feu devenu rouge pour
lui avant l'intersection avec l'avenue de Morges. Y.________, qui circulait à
50 km/h, l'a alors dépassé en empruntant la voie réservée au trafic en sens
inverse et s'est ainsi engagé sur le carrefour. En voyant cela, Z.________ a
pensé que le choc était inévitable.

C.
X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre le  jugement du
24 mars 2003. Il conclut à son annulation.

Invité à se déterminer, le Ministère public vaudois conclut à l'admission du
pourvoi.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Sous l'angle de l'art. 268 ch. 1 PPF, le pourvoi en nullité est recevable
à l'égard d'un jugement rendu par un tribunal de police vaudois statuant sur
appel contre un prononcé préfectoral (ATF 127 IV 220 consid. 1b p. 223/224).

1.2 Il ressort de la motivation du jugement attaqué que le Tribunal de police
a exempté le recourant de toute peine en application de l'art. 100 ch. 1 LCR,
considérant le cas comme étant de très peu de gravité. C'est en ce sens que
doit se comprendre le dispositif, selon lequel le recourant "est libéré de
l'amende". En vertu de l'art. 270 let. a PPF, celui qui est exempté de toute
peine est légitimé à se pourvoir en nullité pour contester le principe de sa
culpabilité (ATF 127 IV 220 consid. 1c p. 224).

1.3 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application
du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement
arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1
PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits
retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à
s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66/67).

2.
Le recourant prétend qu'il résulte de la motivation du Tribunal de police
qu'il n'a commis aucune violation des règles de la circulation. Il en déduit
qu'il aurait dû être acquitté. Il conteste l'application de l'art. 100 ch. 1
LCR par le Tribunal de police dès lors que cette disposition - qui prévoit
que dans les cas de très peu de gravité, le prévenu peut être exempté de
toute peine - implique la commission d'une infraction. Le Tribunal de police
a retenu que le recourant ne devait pas s'attendre à la manoeuvre de l'autre
conducteur (Y.________), dont la faute apparaissait en conséquence
prépondérante; que le recourant aurait pu éviter la collision s'il s'était
pour ainsi dire arrêté juste avant l'intersection, de sorte qu'une légère
imprudence devait  être retenue à sa charge; que le recourant devait "être
libéré de l'accusation de vitesse inadaptée au bénéfice du doute, sous
réserve de la légère imprudence retenue"; que dans ces conditions, il se
justifiait de considérer la négligence du recourant comme étant un cas de
très peu de gravité au sens de l'art. 100 ch. 1 LCR et de l'exempter de toute
peine.

La formulation du jugement est certes maladroite. On comprend toutefois que
le recourant n'a pas été libéré de toute culpabilité, mais que sa vitesse a
malgré tout été jugée inadaptée en ce sens qu'il ne s'est pas montré
suffisamment prudent pour n'avoir pas adopté une allure lui permettant de
s'arrêter. Seule cette hypothèse s'accorde avec la solution du Tribunal de
police, qui exempte le recourant de toute peine mais ne l'acquitte pas. Dès
lors que le recourant conteste sa culpabilité, la question à résoudre est
donc de déterminer s'il est possible de lui reprocher une violation fautive
des règles de la circulation.

3.
3.1 L'art. 100 ch. 4 LCR prévoit que lors de courses officielles urgentes, le
conducteur d'un véhicule du service du feu, du service de santé ou de la
police qui aura donné les signaux d'avertissement nécessaires et observé la
prudence que lui imposaient les circonstances ne sera pas puni pour avoir
enfreint les règles de la circulation ou des mesures spéciales relatives à la
circulation.

L'impunité dans les situations visées à l'art. 100 ch. 4 LCR aurait pu se
déduire de l'art. 32 CP (devoir de fonction), voire de l'art. 34 CP (état de
nécessité), mais le législateur a préféré régler expressément cette question
dans la LCR, par souci de clarté et pour mettre l'accent sur les obligations
des conducteurs accomplissant une course officielle urgente (FF 1955 II p.
74). Si le comportement du conducteur est couvert par l'art. 100 ch. 4 LCR,
l'illicéité de l'acte est alors exclue (cf. André Bussy/Baptiste Rusconi,
Code suisse de la circulation routière, Lausanne 1996, art. 100 LCR n. 5.4;
René Schaffhauser, Grundriss des schweizerischen Strassenverkehrsrechts, vol.
III, n. 2275).

Le Tribunal fédéral a admis que plus la règle de circulation violée est
importante du point de vue de la sécurité, plus la prudence dont le
conducteur du véhicule prioritaire doit faire preuve est grande; ainsi, celui
qui déroge aux règles ordinaires de priorité est tenu de prendre les mesures
de précaution commandées par les circonstances, en particulier de réduire sa
vitesse, afin de tenir compte du fait que les autres usagers doivent prendre
conscience de la venue du véhicule prioritaire (arrêt non publié du 12 mai
1995 dans la cause 6S.33/1995, consid. 2).

En outre, lors d'une course officielle urgente, le conducteur doit observer
le principe de la proportionnalité, à l'instar de celui qui agit en vertu de
son devoir de fonction au sens de l'art. 32 CP (cf. René Schaffhauser, op.
cit., n. 2278).

3.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant accomplissait une
course officielle urgente en raison d'un incendie et qu'il circulait en
donnant les signaux d'avertissement nécessaires (feu bleu et avertisseur à
deux sons alternés, cf. art. 16 OCR). Les trois premières conditions posées
par l'art. 100 ch. 4 LCR (course officielle, urgence, signaux
d'avertissement) sont donc réalisées. Il reste à examiner si le recourant a
commis une violation des règles de la circulation et, le cas échéant, si
cette violation lui est imputable à faute pour le motif qu'il n'aurait pas
fait montre de la prudence imposée par les circonstances au sens de l'art.
100 ch. 4 LCR.

Le recourant a abordé une intersection alors que la signalisation lumineuse
était au rouge pour lui. Le respect de la signalisation lumineuse constitue,
du point de vue de la sécurité, l'une des règles cardinales de la
circulation. Le recourant a déclaré avoir ralenti avant d'aborder
l'intersection, ce que n'a pas démenti le Tribunal de police. Par ailleurs,
selon les constatations cantonales, le recourant s'est assuré de l'absence de
tout danger pour les piétons, a vérifié qu'aucun véhicule ne s'engageait dans
le carrefour et a en particulier constaté que sur sa droite la voiture du
témoin Z.________ s'immobilisait et qu'en conséquence aucun véhicule ne
provenait de l'avenue Recordon (cf. jugement attaqué, p. 6 et 10). Il
n'existait donc pas de circonstances qui auraient dû inciter le recourant,
malgré la signalisation lumineuse en phase rouge pour lui, à réduire plus
fortement sa vitesse, le cas échéant à celle du pas. S'agissant de
l'automobiliste Y.________, le Tribunal de police a constaté que celui-ci
avait dépassé à une vitesse d'environ 50 km/h le véhicule de Z.________,
lequel s'arrêtait au feu passé au rouge sur l'avenue de Recordon. Le
recourant, qui avait vu ce dernier véhicule s'arrêter, n'avait pas à compter
avec le fait que Y.________ se comporte de manière incorrecte, en s'engageant
de manière inattendue dans l'intersection, après avoir entrepris une
manoeuvre de dépassement du véhicule qui s'immobilisait. Sur le vu de
l'ensemble des éléments précités, on ne saurait reprocher au recourant
d'avoir pris des risques disproportionnés pour franchir le carrefour en ne
réduisant pas plus sa vitesse. Le recourant n'a pas manqué à la prudence
requise par l'art. 100 ch. 4 LCR et doit en conséquence être affranchi de
toute culpabilité.

4.
Le pourvoi doit être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Il ne sera pas perçu de frais et
une indemnité sera allouée au recourant (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée
à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 2'000
francs à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal de police de
l'arrondissement de Lausanne.

Lausanne, le 4 août 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: