Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.144/2003
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6S.144/2003 /svc

Arrêt du 13 juin 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Bendani.

A. ________,
recourante, représentée par Me Diego Bischof, avocat, place de la Palud 13,
case postale 2208, 1002 Lausanne,

contre

B.________ et C.________,
intimés, représentés par Me Jean Lob, avocat,
rue du Lion d'Or 2, case postale 3133, 1002 Lausanne,
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.

lésions corporelles graves (art. 122 CP); fixation de la peine (art. 63 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale,
du 20 septembre 2002.

Faits:

A.
Par jugement du 11 février 2002, le Tribunal criminel de l'arrondissement de
Lausanne a notamment libéré A.________ du chef d'accusation de violation du
devoir d'assistance ou d'éducation et l'a condamnée pour assassinat, lésions
corporelles graves, voies de fait qualifiées, séquestration qualifiée,
enlèvement de mineur et dénonciation calomnieuse, à douze ans de réclusion,
sous déduction de la détention préventive. Il a suspendu l'exécution de cette
peine, ordonné l'internement de A.________ et prononcé la déchéance de la
puissance paternelle à son encontre. Il l'a aussi condamnée au paiement de la
somme de 20'000 francs à titre de réparation morale et de 5'000 francs à
titre de dommages et intérêts pour chacun de ses enfants.

B.
Statuant par jugement du 20 septembre 2002 sur le recours de A.________, la
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois l'a libérée des chefs
d'accusation de violation du devoir d'assistance ou d'éducation et de voies
de fait qualifiées. Pour le reste, elle a confirmé le prononcé de première
instance.

Il en ressort, en résumé, les éléments suivants.

B.a  A.________ est la mère de deux enfants, B.________, née en 1990 et
C.________, né en 1993.

Dès le printemps 1997 et jusqu'en janvier 1998, A.________ a régulièrement
frappé ses enfants, à mains nues, avec une spatule, un bâton ou une ceinture,
pour les corriger en raison de leur désobéissance. Durant la même période,
elle leur a fait prendre des bains d'eau froide, allant parfois jusqu'à
maintenir leur tête sous l'eau leur laissant croire qu'ils allaient se noyer,
ce dans le but de chasser le diable censé habiter leur corps.

B.b  Depuis le début du mois de février jusqu'au milieu du mois de mars 1998,
les actes de violence de A.________ sur ses enfants se sont amplifiés, tant
par leur fréquence que par leur intensité. En plus des objets qu'elle
employait déjà auparavant, elle les a frappés avec un cordon électrique
utilisé à la manière d'un fouet et formant une boucle à l'une de ses
extrémités.

B.c  Le 19 mars 1998, alors qu'on lui avait retiré le droit de garde sur ses
enfants, A.________ les a enlevés de l'hôpital où ils étaient hospitalisés.
Elle les a cachés dans son appartement jusqu'à ce que la police les y
retrouve le 21 mars 1998.

B.d  Entre le 24 et le 31 décembre 1998, A.________ et sa soeur, D.________,
ont frappé à mort E.________, fille de D.________, née en 1987. Celle-ci
avait provoqué la colère de sa mère pour des futilités. En effet, elle
s'était servie dans son armoire et n'avait pas exécuté à satisfaction les
tâches ménagères qui lui avaient été attribuées. Elle a aussi fait part de sa
volonté de quitter l'appartement et a vraisemblablement été impolie avec sa
mère. Très en colère, cette dernière a alors commencé à frapper violemment sa
fille, sur tout le corps et notamment le visage, au moyen d'un cordon
électrique doublé muni d'un noeud à l'une de ses extrémités. A un moment
donné, l'enfant est tombée par terre, mais les coups ont continué, D.________
ne pouvant plus se contrôler. Après un certain temps, elle a appelé
A.________ et celle-ci a également commencé à frapper sa nièce, avec un autre
cordon ou une ceinture. Les deux femmes, qui ont ainsi agi séparément et à
tour de rôle pendant une demi-heure en tout cas, ont frappé E.________
jusqu'à ce que l'enfant, qui pleurait doucement, cessât ses gémissements et
ne bougeât plus. Les deux autres filles de D.________, F.________, née en
1990, et G.________, née en 1994, ont assisté à toute la scène.

B.e  Après le décès de E.________, les deux femmes n'ont plus quitté
l'appartement, où elles sont restées terrées, volets fermés, avec les deux
fillettes et le cadavre de l'enfant jusqu'à l'intervention de la police, le
soir du 15 janvier 1999. Elles ont interdit à F.________ et G.________ de
quitter l'appartement et de se rapprocher des portes ou des fenêtres. Lorsque
les filles manifestaient l'envie de sortir, elles étaient frappées, notamment
au moyen d'un cintre en bois. Elles étaient également attachées à leur lit
lorsque les deux mères ne pouvaient les surveiller. Toute la famille a vécu
principalement dans la chambre où reposait E.________, n'en sortant que pour
aller faire leur toilette. En raison de l'épuisement des réserves
alimentaires, les enfants n'ont pas été suffisamment nourries durant les
derniers jours avant l'intervention de la police.

B.f  Le 15 janvier 1999, à la suite de leur interpellation, les deux soeurs
ont dénoncé P.________ comme étant l'auteur du meurtre de E.________.

C.
A.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une
violation des art. 122, 63 CP et 47 CO, elle conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué. Elle requiert l'assistance judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être formé que pour violation du
droit fédéral (art. 269 PPF), la Cour de cassation contrôle l'application de
ce droit sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité
cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement
juridique doit donc être mené sur la base des faits retenus dans la décision
attaquée, dont le recourant est irrecevable à s'écarter (ATF 126 IV 65
consid. 1 p. 66 et les arrêts cités).

2.
Invoquant une violation de l'art. 122 CP, la recourante conteste  l'existence
d'un lien de causalité adéquate entre les coups portés, à réitérées reprises,
sur B.________ et C.________ en février et mars 1998 et le résultat
dommageable, soit la grave atteinte portée à l'intégrité psychique de ces
derniers. Elle soutient que les enfants ont été exposés à d'autres causes de
perturbation psychique graves et variées telles que la séparation avec leur
mère, la mort de leur cousine E.________, le fait d'assister à de violentes
disputes entre leurs parents, l'inadaptation de la mère aux normes sociales
proposées par l'école et la négation de la mort de E.________ par ses
auteurs.

2.1  Selon l'art. 122 CP, celui qui, intentionnellement, aura blessé une
personne de façon à mettre sa vie en danger (al. 1), ou aura mutilé le corps
d'une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou causé à
une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale
permanentes, ou aura défiguré une personne d'une façon grave et permanente
(al. 2) ou aura fait subir à une personne toute autre atteinte grave à
l'intégrité corporelle ou mentale (al. 3) sera puni de la réclusion pour dix
ans au plus ou de l'emprisonnement pour six mois à cinq ans. Cette infraction
suppose la réunion de trois conditions: un comportement dangereux, des
lésions corporelles graves et un lien de causalité entre le comportement de
l'auteur et les lésions corporelles graves subies par la victime.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les deux premières conditions sont
réalisées. En outre, s'appuyant sur l'expertise médicale, l'autorité
cantonale a constaté en fait, de manière à lier le Tribunal fédéral (cf.
supra, consid. 1) qu'il existait une relation de causalité naturelle entre
les mauvais traitements infligés aux enfants en février et mars 1998 et
l'atteinte à leur développement psychique. Il reste donc à examiner s'il
existe un lien de causalité adéquate entre les lésions corporelles subies par
B.________ et C.________ et les coups infligés par leur mère.

2.2  Le rapport de causalité peut être qualifié d'adéquat, si d'après le
cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement de
l'auteur est propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est
produit. Il s'agit-là d'une question de droit que la Cour de cassation revoit
librement (ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17 et
les arrêts cités). Il n'est pas nécessaire que ce comportement illicite
constitue la cause unique et immédiate du résultat; il suffit qu'il soit
susceptible de le provoquer, voire de favoriser, d'une manière générale,
l'avènement de conséquences d'une telle nature (ATF 115 IV 100 consid. 2b p.
102 et les arrêts cités). L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit
pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que
cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus
probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à
l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et
notamment le comportement de l'auteur (ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV
13 consid. 7a/bb p. 17; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23; 121 IV 207 consid. 2a
p. 213).

2.2.1  Selon les constatations cantonales, la recourante a infligé à ses
enfants, pendant un peu plus d'un mois, des coups fréquents et violents à
mains nues, avec une spatule, un bâton, une ceinture ou un cordon électrique
utilisé à la manière d'un fouet. D'après les faits retenus, le médecin qui a
ausculté les enfants n'avait jamais vu de lésions aussi étendues depuis le
début de sa pratique de cinq ans; il a rappelé que l'état des deux enfants
avait provoqué la nausée et les larmes auprès du corps médical; il a constaté
un nombre très élevé d'ecchymoses et de lésions diverses, quarante sur
B.________ et huitante sur C.________, tant sur les membres, le thorax, le
dos que sur le visage. Selon l'arrêt attaqué, ces enfants, même s'ils n'ont
pas été atteints physiquement à long terme, ont subi des dégâts psychiques
importants et garderont des séquelles dont des troubles du comportement et un
sentiment de tristesse nécessitant un accompagnement psychosocial sur le long
terme.
Il est clair que le comportement de la recourante, soit le fait de frapper de
telle manière, durant plus d'un mois, de jeunes enfants de 8 et 5 ans dont
elle a la protection, dans le but de les corriger ou de chasser le diable
censé habiter leur corps, est propre, selon le cours ordinaire des choses et
l'expérience générale de la vie, à provoquer le résultat qui s'est produit,
soit à porter une grave atteinte à leur santé psychique, ou au moins à en
favoriser l'avènement, même s'il n'en constitue pas la cause unique. En
effet, conformément à la jurisprudence précitée (cf. supra, consid. 2.1), il
n'est pas nécessaire que le comportement illicite constitue la cause unique
et immédiate du résultat. Il suffit qu'il soit susceptible de le provoquer,
voire de favoriser, d'une manière générale, l'avènement de conséquences d'une
telle nature. Dans ces conditions, il existe bien un lien de causalité
adéquate entre les coups infligés par la mère et les lésions des enfants.

2.2.2  La cour cantonale a relevé que, selon la Doctoresse Ambrosio, qui
paraissait mettre la maltraitance physique au premier plan, les violentes
disputes parentales dont les enfants avaient été parfois témoins, voire
acteurs, avaient également constitué une forme de maltraitance, de même que
l'incapacité de la recourante à s'adapter aux normes sociales proposées par
l'école, l'incapacité du père des enfants à les protéger et la négation des
faits par la recourante et sa soeur. Elle a constaté que, selon Patrizia
Meisoz, questionnée sur le point de savoir si la prise en charge
psychologique des enfants devait être mise dans une relation de causalité
avec les mauvais traitements subis, il était difficile de distinguer les
conséquences des mauvais traitements avec celles de la rupture du lien avec
la mère et de la mort de E.________.

En l'espèce, les autres formes de maltraitance susmentionnées constituent
autant de causes propres à favoriser le résultat qui s'est produit.
Toutefois, elles ne revêtent qu'un caractère secondaire par rapport aux
violences exercées par la recourante sur ses enfants, ce que confirme
d'ailleurs l'expertise de la Doctoresse Ambrosio; elles n'apparaissent pas
comme les causes les plus immédiates du résultat considéré, ni ne relèguent à
l'arrière-plan les maltraitances physiques. En outre, la recourante ne
saurait invoquer et se prévaloir de ses propres comportements, tels que
l'assassinat de E.________, la négation des faits, son incapacité à s'adapter
aux règles sociales, la rupture du lien avec ses enfants, qui, comme elle
l'admet, constituent autant de circonstances en relation de causalité avec le
préjudice subi par ses enfants.

2.3  En conclusion, la condamnation de la recourante pour lésions corporelles
graves ne viole pas le droit fédéral.

3.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 63 CP. Elle conteste la
quotité de la peine au seul motif qu'elle devrait être libérée du chef
d'accusation de lésions corporelles graves. Cette critique est irrecevable
dans la mesure où elle ne répond pas aux exigences de motivation posées par
l'art. 273 al. 1 let. b PPF, la recourante ne discutant nullement les motifs
de l'arrêt attaqué et le pourvoi sur la question de l'art. 122 CP étant
rejeté (cf. supra, consid. 2).

4.
Invoquant une violation de l'art. 47 CO, la recourante conteste l'allocation
d'indemnités pour dommages et intérêts et tort moral dès lors qu'elle doit
être libérée au plan pénal.

En l'espèce, la recourante ne fournit aucune motivation recevable qui réponde
aux exigences minimales de l'art. 273 al. 1 let. b PPF. Ses conclusions
civiles ne sont que la conséquence de l'acquittement invoqué sur le plan
pénal relativement à l'art. 122 CP. Or, à défaut d'acquittement (cf. supra,
consid. 2), il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur celles-ci et il peut
être renoncé, contrairement à la règle de l'art. 276 al. 3 PPF, à des débats
oraux (ATF 129 IV 71 consid. 2.4 p. 80 s.; 76 IV 102 consid. 4 p. 107). Au
surplus, la recourante conclut uniquement à l'annulation du jugement attaqué,
ce qui constitue la seule conclusion recevable au plan pénal en raison du
caractère cassatoire du pourvoi. Elle ne prend toutefois aucune conclusion
séparée et concrète sur le plan civil, ce qui entraîne en principe aussi
l'irrecevabilité du pourvoi à cet égard (ATF 127 IV 141 consid. 1d p. 143).

5.
En conclusion, le pourvoi doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable.
Comme il était d'emblée dénué de chances de succès, l'assistance judiciaire
ne peut être accordée (art. 152 al. 1 OJ), de sorte que la recourante, qui
succombe, supportera les frais (art. 278 al. 1 PPF) dont le montant sera fixé
en tenant compte de sa situation financière.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 800 francs est mis à la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de
cassation pénale.

Lausanne, le 13 juin 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: