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Kassationshof in Strafsachen 6P.46/2003
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6P.46/2003 /rod

Arrêt du 11 juin 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président, Wiprächtiger et Brahier
Franchetti, Juge suppléante.
Greffière: Mme Angéloz.

X. ________,
recourant, représenté par Me Yves Grandjean, avocat, case postale 2273, 2001
Neuchâtel 1,

contre

Y.________,
intimée, représentée par Me Sylvie Fassbind, avocate, rue des Granges 16,
2034 Peseux,
Ministère public du canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, case postale 2672,
2001 Neuchâtel 1,
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, rue du
Pommier 1, case
postale 1161, 2001 Neuchâtel 1.

Art. 9 et 29 al. 2 Cst. (procédure pénale; droit d'être entendu, arbitraire),

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 10 mars 2003.

Faits:

A.
Le 12 octobre 2001, Z.________ a déposé plainte pénale contre son demi-frère,
X.________, né en 1980, pour abus sexuels commis au préjudice de sa fille,
Y.________, née en 1986.

Entendue le même jour par la police, Y.________ a exposé qu'entre 1996 et
1998 son oncle avait abusé d'elle à de nombreuses reprises, en l'embrassant,
la léchant et la caressant sur tout le corps, en la pénétrant avec ses doigts
et en la contraignant à subir l'acte sexuel à 5 ou 6 reprises. Elle a
expliqué avoir toujours dit non lorsqu'il commençait à la déshabiller et lui
avoir souvent demandé d'arrêter, mais qu'il ne l'avait jamais écoutée. Elle
n'avait parlé pour la première fois de ces abus à sa mère que le 9 octobre
2001, sur les conseils d'un ami, B.________, qu'elle avait connu à la Fête
des Vendanges de la même année.

Lors d'un contrôle gynécologique effectué le 10 octobre 2001, le médecin a
constaté que Y.________ n'était plus vierge. Celle-ci a affirmé n'avoir
jamais eu de rapports sexuels avec les petits amis qu'elle avait eus.

X. ________ a été entendu pour la première fois par la police le 24 octobre
2001. Il a immédiatement avoué avoir commencé à abuser de sa nièce alors
qu'elle avait 8 ou 9 ans et avoir poursuivi ses agissements jusqu'à ses 16 ou
17 ans. Il a admis l'avoir caressée sur tout le corps, avoir frotté son sexe
contre le sien et l'avoir pénétrée avec ses doigts, mais a nié l'acte sexuel
complet. Lors de son audition du même jour par le juge d'instruction, il a
confirmé la période de ses agissements et a spontanément admis avoir pénétré
sa nièce. Réentendu par la police le 27 octobre 2001, il a confirmé toutes
ses déclarations précédentes, en particulier avoir pénétré la victime à trois
reprises; il a admis que cette dernière avait parfois refusé les
attouchements; elle se laissait toutefois faire lorsqu'il insistait; les
derniers temps, elle lui disait même que ses caresses lui faisaient du bien.
A l'audience d'instruction du 29 octobre 2001, X.________, assisté de son
mandataire, a confirmé ses déclarations antérieures. Le 6 décembre 2001, lors
de la récapitulation des faits et de la mise en prévention, il a toutefois
nié avoir commencé ses agissements alors qu'il était âgé de 8 ou 9 ans,
affirmant qu'ils avaient eu lieu depuis Pâques 1996 jusqu'en août 1997; il a
en outre contesté avoir entretenu des rapports sexuels complets avec sa
nièce.

A la suite des premiers interrogatoires de X.________, Y.________ a été
réentendue. Elle a précisé que les faits avaient dû cesser avant la rentrée
des classes 1997, ajoutant qu'elle ne se souvenait pas que les agissements
avaient débuté alors qu'elle était si jeune.

B.
Par jugement du 4 décembre 2002, le Tribunal de police du district de Boudry
a condamné X.________, pour actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187
ch. 1 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP) et viol (art. 190 CP), à la
peine de 4 mois de détention avec sursis pendant 2 ans. Il a considéré, en
bref, que le revirement du prévenu lors de son audition du 6 décembre 2001 et
de l'audience n'était pas crédible. Il a retenu que les agissements de ce
dernier avaient commencé dès 1989 pour se terminer en 1997 et que des
relations sexuelles complètes avaient bien eu lieu, celles-ci étant établies
par les déclarations de la victime, du médecin qui l'avait examinée et de
B.________. Il a estimé que la contrainte était réalisée vu l'infériorité
cognitive de la victime et sa dépendance affective et émotionnelle à l'égard
du prévenu.

C.
Saisie d'un recours de X.________, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal neuchâtelois l'a rejeté par arrêt du 10 mars 2003.

D.
X.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Se plaignant
d'une violation du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.,
d'arbitraire dans l'établissement des faits et d'une violation du principe
"in dubio pro reo" découlant de la présomption d'innocence, il conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué.

Il a déposé parallèlement un pourvoi en nullité contre l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut examiner que
les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte de recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127 I 38 consid. 3c p.
43; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b
p. 495 et les arrêts cités). Sous peine d'irrecevabilité, le recourant doit
donc non seulement indiquer quels sont les droits constitutionnels qui, selon
lui, auraient été violés, mais démontrer en quoi consiste cette violation.

2.
Le recourant invoque une violation du droit d'être entendu garanti par l'art.
29 al. 2 Cst. Il reproche à la cour cantonale de n'avoir pas sanctionné le
refus du premier juge d'entendre le témoin B.________ aux débats pour le
confronter à la victime. Il fait valoir qu'une telle confrontation était
nécessaire au vu des divergences entre leurs déclarations quant à la durée et
à la nature des rapports qu'ils entretenaient. Le témoin aurait en effet
déclaré avoir eu en moyenne une fois par semaine des contacts avec la victime
et l'avoir revue trois ou quatre fois, alors que celle-ci affirmait l'avoir
connu à la Fête des Vendanges, soit à la fin septembre 2001, et s'être
confiée à sa mère le 9 octobre 2001.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comporte
notamment le droit pour le justiciable de fournir des preuves quant aux faits
de nature à influer sur le sort de la décision à rendre, de participer à
l'administration des preuves et de se déterminer à leur propos (cf. ATF 126 I
15 consid. 2a/aa p. 16 et les arrêts cités). Une garantie analogue découle de
l'art. 6 ch. 3 let. d CEDH, qui concrétise le droit à un procès équitable
consacré par l'art. 6 ch. 1 CEDH (ATF 125 I 127 consid. 6a p. 132; 124 I 274
consid. 5b p. 284), en disposant que tout accusé a le droit d'interroger ou
faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et
l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les
témoins à charge.

L'accusé ne peut en principe exercer qu'une seule fois le droit d'interroger
ou de faire interroger des témoins, quel que soit le stade de la procédure
auquel cette possibilité lui est offerte (ATF 121 I 306 consid. 1b p. 308 et
les références). Dans certaines circonstances, il peut toutefois s'avérer
insuffisant que la possibilité d'exercer ce droit n'ait été accordée qu'au
stade de l'enquête, notamment lorsque l'accusé n'était alors pas assisté d'un
avocat; le cas échéant, il peut être nécessaire de lui accorder le droit de
faire procéder à un complément d'interrogatoire à l'audience de jugement (ATF
118 Ia 452 consid. 2b/aa p. 459).

En principe, l'autorité doit donner suite aux offres de preuves présentées en
temps utile et dans les formes prescrites. Il n'y a toutefois pas violation
du droit à l'administration de preuves lorsque la mesure probatoire refusée
est inapte à établir le fait à prouver, lorsque ce fait est sans pertinence
ou lorsque, sur la base d'une appréciation non arbitraire des preuves dont
elle dispose déjà, l'autorité parvient à la conclusion que les faits
pertinents sont établis et que le résultat, même favorable au requérant, de
la mesure probatoire sollicitée ne pourrait pas modifier sa conviction (ATF
125 I 127 consid. 6c/cc p. 134 s.; 124 I 274 consid. 5b p. 285; 122 V 157
consid. 1d p. 162; 121 I 306 consid. 1b p. 308 s. et les références citées).

2.2 L'arrêt attaqué constate, sans être contredit, que le témoin a été
entendu le 30 mai 2002 par le juge d'instruction, en présence du mandataire
du recourant, qui a ainsi pu l'interroger tout à loisir. Une confrontation a
donc eu lieu au stade de l'instruction, dans des conditions suffisantes au
regard de la jurisprudence.

Au demeurant, l'arrêt attaqué considère que les contradictions invoquées, qui
portent sur des dates et sur l'écoulement du temps, soit sur des éléments
dont il n'est pas toujours possible de se souvenir avec exactitude, ne
suffisent pas à faire douter de la véracité des déclarations du témoin, qui a
toujours clairement nié avoir entretenu des rapports sexuels avec la victime
et déclaré n'avoir pas ouï que cette dernière en aurait eus avec d'autres
personnes que le recourant, ce qui correspond aux déclarations de la victime.
Il ajoute que le témoin, qui n'était pas présent lors de la commission des
infractions, dont il n'a eu connaissance que par la victime, n'est d'ailleurs
qu'un témoin indirect et que la réalisation des infractions est indépendante
de la nature des relations existant entre la victime et le témoin. Or, le
recourant n'établit pas, conformément aux exigences de motivation de l'art.
90 al. 1 let. b OJ, que cette appréciation serait arbitraire. Au demeurant,
il n'est pas manifestement insoutenable de ne pas douter de la véracité des
déclarations d'un témoin digne de foi à raison de seules divergences quant à
la date précise de certains faits. De même, il n'est pas manifestement
insoutenable de considérer qu'un témoignage indirect ne constitue pas une
preuve absolue, ni que la réalisation des infractions reprochées au recourant
est indépendante de la nature - et, surtout, de la fréquence et de la durée -
des relations que la victime a entretenues avec le témoin. Enfin on ne voit
pas - et le recourant ne le démontre pas - en quoi cela fragiliserait les
déclarations de la victime quant à la nature et à la durée de ses relations
avec le recourant.

Dans ces conditions, l'autorité cantonale pouvait admettre sans arbitraire,
qui n'est en tout cas pas établi, qu'une confrontation aux débats, fût-elle
ordonnée et confirmerait-elle une plus longue durée des relations entre le
témoin et la victime, ne suffirait pas à modifier sa conviction quant aux
faits retenus.

Le refus de la mesure probatoire demandée ne viole donc pas le droit d'être
entendu du recourant.

3.
Sur plusieurs points, le recourant se plaint d'arbitraire dans
l'établissement des faits et d'une violation du principe "in dubio pro reo"
découlant de la présomption d'innocence.

3.1 Le principe "in dubio pro reo" est le corollaire de la présomption
d'innocence, garantie expressément part l'art. 6 ch. 2 CEDH et, sur le plan
interne, par l'art. 32 al. 1 Cst. Ce principe concerne tant le fardeau de la
preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle sur le fardeau de la
preuve, il signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve
incombe à l'accusation et que le doute doit profiter à l'accusé. Comme règle
de l'appréciation des preuves, il est violé lorsque le juge, qui s'est
déclaré convaincu, aurait dû éprouver des doutes quant à la culpabilité de
l'accusé au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis (ATF 120 Ia 31
consid. 2c p. 36 s.). Le Tribunal fédéral examine librement si ce principe a
été violé en tant que règle sur le fardeau de la preuve, mais il n'examine
que sous l'angle restreint de l'arbitraire la question de savoir si le juge
aurait dû éprouver un doute, c'est-à-dire celle de l'appréciation des preuves
(ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).

En l'espèce, le recourant n'établit aucune violation du principe "in dubio
pro reo" en tant que règle sur le fardeau de la preuve, mais se plaint
exclusivement de sa violation en tant que règle de l'appréciation des
preuves. Tel qu'il est formulé, le grief de violation de ce principe n'a donc
pas de portée propre par rapport à celui d'arbitraire dans l'établissement
des faits et n'est d'ailleurs pas étayé par une argumentation distincte. Il
suffit donc de l'examiner sous cet angle.

3.2 La notion d'arbitraire a été rappelée récemment dans l'ATF 128 I 177
consid. 2.1 p. 182, auquel on peut se référer. L'arbitraire allégué doit par
ailleurs être suffisamment démontré, sous peine d'irrecevabilité (cf. supra,
consid. 1).

3.3 Le recourant soutient qu'il était arbitraire de retenir que les abus
sexuels avaient débuté avant 1996.

Rappelant les diverses déclarations faites à ce sujet par le recourant et la
victime, telles que résumées sous let. A al. 4 et 5 ci-dessus, l'arrêt
attaqué considère que la rétractation du recourant du 6 décembre 2001
n'emporte pas la conviction. A l'appui, il observe qu'il est difficilement
compréhensible qu'un prévenu en détention préventive, qui entend obtenir sa
libération provisoire, s'accuse d'actes plus graves et de plus longue durée
que ceux qu'il a réellement commis. Il ajoute qu'on ne peut non plus exclure
que le recourant, ayant eu accès au dossier entre le moment de ses aveux et
celui de sa rétractation, ait voulu tirer partie des déclarations de la
victime, qui avait dit ne pas se souvenir d'avoir été abusée si jeune; en
vain toutefois, l'absence de souvenir quant au fait contesté ne permettant
pas de conclure à son inexistence et pouvant d'ailleurs s'expliquer par le
jeune âge de la victime à l'époque, laquelle avait alors 3 ou 4 ans, ou par
le fait que celle-ci avait surtout garder le souvenir des attouchements à
partir du moment où ils avaient atteint une certaine intensité.

Le recourant n'établit pas que cette appréciation serait arbitraire. Il se
borne à reprocher à l'autorité cantonale d'avoir écarté sa rétractation et
les déclarations de la victime dont il se prévaut, sans démontrer en quoi le
raisonnement par lequel elle les a écartées serait manifestement
insoutenable. Il allègue vainement qu'on ne peut lui faire grief d'avoir
voulu tirer partie des déclarations de la victime sans adresser le même
reproche à cette dernière, dès lors que le fait contesté a essentiellement
été retenu sur la base de ses aveux, et non des déclarations de la victime.
C'est en vain aussi qu'il invoque les déclarations du témoin B.________,
selon lesquelles celui-ci aurait entendu la victime lui dire avoir été abusée
dès l'âge de 6 ou 8 ans; ces déclarations, d'un témoin indirect n'ayant fait
que rapporter les déclarations de la victime, qui n'ont pas été déterminantes
sur le point contesté, ne suffisent pas à faire admettre que le fait contesté
aurait été retenu arbitrairement.

Le grief ne peut dès lors qu'être rejeté dans la mesure où il est recevable
au regard des exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

3.4 Le recourant prétend qu'il était arbitraire d'admettre qu'il avait
entretenu des relations sexuelles complètes avec la victime.

La victime a toujours affirmé qu'il y avait eu à 5 ou 6 reprises des rapports
sexuels complets, ce que les déclarations du médecin qui l'a examinée et du
témoin B.________ tendent au demeurant à confirmer. Quant au recourant, après
avoir, dans un premier temps, nié de tels rapports, il a admis des
pénétrations, avant de les nier à nouveau.

Il n'est certes pas arbitraire, autrement dit absolument inadmissible,
d'accorder crédit aux déclarations constantes d'une partie, corroborées par
d'autres indices, plutôt qu'à celles d'une autre, qui a modifié à plusieurs
reprises sa version des faits. L'affirmation, d'ailleurs non démontrée, du
recourant selon laquelle il existerait une très grande incertitude sur la vie
sexuelle de la victime à l'époque des faits ne suffit manifestement pas à
l'infirmer. Quant au médecin qui a constaté que la victime n'était plus
vierge, il n'est aucunement établi qu'il aurait eu des doutes sérieux à ce
sujet, ce qui ne saurait être déduit du fait qu'il a confirmé ce constat
"avec une quasi certitude". Il n'était en tout cas pas arbitraire de
l'admettre.

Le grief, autant qu'il soit recevable au regard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ,
est donc infondé.

4.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable et le
recourant, qui succombe, supportera les frais (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Ministère public et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du
canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 11 juin 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: