Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.30/2003
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6P.30/2003 /svc
6S.76/2003

Arrêt du 20 mars 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffier: M. Denys.

A. ________, recourant, représenté par
Me Jean-Pierre Garbade, avocat,
rue de la Synagogue 41, case postale 5654,
1211 Genève 11,

contre

Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, droit d'être entendu; fixation de la peine,

recours de droit public et pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de
justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 24 février 2003.

Faits:

A.
Par jugement du 18 septembre 2002, le Tribunal de police du canton de Genève
a reconnu A.________ coupable des infractions suivantes: voies de fait (art.
126 al. 1 CP), pour avoir, le 14 juillet 2001, frappé son épouse, B.________;
de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), pour avoir, le 3 février
2002, frappé son épouse, lui causant ainsi une "dermabrasion" à l'épaule
gauche ainsi que des douleurs cervicales et des maux de tête, et pour avoir,
le même jour, donné des coups de pied et des coups de poing à O.________ et
P.________, leur causant des contractures, érythème et hématomes; de
violation de domicile (art. 186 CP), pour être demeuré, le 3 février 2002,
dans l'appartement de son épouse, malgré les injonctions de partir de
celle-ci; de menaces (art. 180 CP), pour avoir, le 29 août 2001, menacé son
beau-frère de lui "éclater la tête". Le tribunal a condamné A.________ à neuf
mois d'emprisonnement, sous déduction de huit mois et sept jours de détention
préventive, a révoqué un sursis antérieur relatif à une peine de dix jours
d'emprisonnement, et suspendu l'exécution des peines au profit d'un
traitement psychiatrique en milieu hospitalier. Il a réservé les droits de la
partie civile B.________.

Au cours de la procédure pénale, A.________ a été soumis à une expertise
psychiatrique. Dans leur rapport du 23 avril 2002, les experts observent que
A.________ souffre d'une maladie mentale sous forme d'épisodes de manie avec
symptômes psychotiques; au moment d'agir, en particulier pour les coups
portés à son épouse, il n'avait pas pleinement la faculté d'apprécier le
caractère illicite de son acte, ni de se déterminer d'après cette
appréciation; les actes étaient en rapport avec son état mental et un
traitement médical s'imposait, dans le but de protéger son entourage.

B.
Par arrêt du 24 février 2003, la Chambre pénale de la Cour de justice
genevoise a confirmé le jugement de première instance. Dans ses considérants,
elle relève qu'à la suite des coups portés, la dénommée O.________ a souffert
de contractures, d'une rougeur et de douleurs sur l'arc costal, si bien qu'il
faut considérer qu'elle n'a été victime que de voies de fait et non de
lésions corporelles simples, retenues en première instance; elle a nié toute
incidence de ce changement de qualification sur la peine, cette infraction
n'apparaissant qu'accessoire par rapport aux autres commises.

C.
A.________ forme par un même acte un recours de droit public et un pourvoi en
nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 24 février 2003. Il conclut à
son annulation et sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire et l'effet
suspensif.

Le 6 mars 2003, le Tribunal fédéral a indiqué qu'aucune mesure d'exécution ne
pourra être entreprise jusqu'à décision sur la requête d'effet suspensif.

La Chambre pénale genevoise s'en rapporte à la justice pour la violation de
l'art. 69 CP soulevée dans le pourvoi en nullité et persiste pour le surplus
dans les termes de son arrêt.

Le Procureur général genevois s'en rapporte à la justice pour ce qui concerne
le grief d'ordre constitutionnel invoqué dans le recours de droit public
relativement à une pièce produite le 18 décembre 2002, de même que pour la
violation de l'art. 69 CP soulevée dans le pourvoi, et conclut pour le
surplus à la confirmation de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon la jurisprudence, il est admis de former par un seul et même acte à la
fois un pourvoi en nullité et un recours de droit public, à la condition de
séparer clairement, en deux parties distinctes, ce qui relève de l'un et ce
qui relève de l'autre (ATF 113 IV 45 consid. 2 p. 46 et les arrêts cités).
Cette condition est respectée en l'espèce.

I.  Recours de droit public

2.
Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision
cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84
al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se plaindre d'une
violation du droit fédéral, qui peut donner lieu à un pourvoi en nullité
(art. 269 al. 1 PPF); un tel grief ne peut donc pas être invoqué dans le
cadre d'un recours de droit public, qui est subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ;
art. 269 al. 2 PPF).

3.
Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu en raison
d'une motivation insuffisante.

3.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.,
implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision (ATF 126 I 97
consid. 2b p. 102). La motivation d'une décision est suffisante lorsque
l'intéressé est mis en mesure d'en apprécier la portée et de la déférer à une
instance supérieure en pleine connaissance de cause (ATF 122 IV 8 consid. 2c
p. 14/15). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs
qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé son prononcé, sans qu'elle soit
tenue de répondre à tous les arguments avancés (arrêt 2P.21/1993 du 8
septembre 1993 consid. 1b reproduit in SJ 1994 p. 161). L'étendue de
l'obligation de motiver dépend de la complexité de la cause à juger (ATF 111
Ia 2 consid. 4b p. 4).

3.2 Le recourant reproche à la Chambre pénale de n'avoir fourni aucun motif à
propos de la nouvelle expertise psychiatrique qu'il a produite dans la
procédure.

Une audience devant la Chambre pénale s'est tenue le 25 novembre 2002, au
cours de laquelle l'un des signataires de l'expertise psychiatrique du 23
avril 2002 a notamment été entendu. Le procès-verbal de cette audience figure
au dossier, retranscrivant les  dépositions effectuées. Le 18 décembre 2002,
l'avocat du recourant a écrit à la Chambre pénale. Il a joint à son courrier
une expertise psychiatrique datée du 6 décembre 2002, à laquelle le Tribunal
tutélaire avait soumis le recourant. L'avocat souligne que cette expertise ne
confirme pas le diagnostic de celle du 23 avril 2002 puisqu'elle retient que
l'état du recourant ne nécessite pas des soins et secours permanents ni ne
présente un danger pour sa sécurité et celle d'autrui; cette expertise
préconise par ailleurs un traitement psychiatrique ambulatoire. Le courrier
du 18 décembre 2002 et la nouvelle expertise figurent au dossier. Dans
l'arrêt attaqué du 24 février 2003, la Chambre pénale ne se prononce pas sur
la portée à accorder à cette expertise, ni ne déclare qu'elle aurait été
produite en violation des règles cantonales de procédure. La Chambre pénale
ne fait d'ailleurs aucune allusion à cette expertise dans son arrêt. Il n'est
ainsi pas possible de savoir si la nouvelle expertise a été ignorée ou
écartée. En l'absence de toute motivation, la Chambre pénale a violé le droit
d'être entendu du recourant. Il n'y a pas lieu de se demander si cette
violation pourrait éventuellement être réparée devant le Tribunal fédéral
(cf. ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72; 107 Ia 1 consid. 1 p. 1 ss), car la
Chambre pénale a simplement indiqué dans ses observations se référer à son
arrêt. Le grief est donc bien fondé et l'arrêt attaqué doit être annulé.

Le recourant se prévaut d'une autre motivation insuffisante de l'arrêt
attaqué, à propos des lésions corporelles simples commises le 3 février 2002
au détriment de son épouse. Il observe avoir contesté cette infraction devant
la Chambre pénale, laquelle n'a pas traité sa critique et a maintenu ce chef
d'accusation malgré des contradictions dans les versions des faits exposées.
Il apparaît effectivement que la Chambre pénale n'aborde aucune contestation
quant à cette infraction dans son arrêt. Dès lors que l'arrêt attaqué doit de
toute manière être annulé, il incombera à la Chambre pénale de reprendre ce
point (cf. ATF 118 Ia 104 consid. 3c p. 109).
II. Pourvoi en nullité

4.
Conformément à l'art. 275 al. 5 PPF, le recours de droit public a été examiné
en premier lieu. Son admission entraîne l'annulation formelle de l'arrêt
attaqué. Le pourvoi est en principe privé d'objet. Toutefois, la
jurisprudence admet exceptionnellement qu'il existe des situations où le
recourant conserve un intérêt juridique à ce que son pourvoi soit examiné
nonobstant l'annulation de la décision attaquée par le biais du recours de
droit public. Elle reconnaît en particulier cette possibilité lorsque le
pourvoi porte sur une infraction différente de celle à propos de laquelle le
recours de droit public a été admis (ATF 117 IV 401 consid. 2 p. 402/403), ou
lorsque le point de droit discuté dans le pourvoi se reposerait dans les
mêmes termes à l'autorité cantonale, pour éviter que le Tribunal fédéral soit
de nouveau saisi ultérieurement d'un pourvoi à ce sujet (ATF 127 IV 220
consid. 1a p. 223; 119 IV 28 consid. 1a p. 30).

En l'espèce, compte tenu des points abordés dans le recours de droit public,
les conditions ne sont pas réunies pour examiner d'ores et déjà  le pourvoi
et la violation de l'art. 43 CP invoquée par le recourant relativement à la
mesure d'hospitalisation, ou la violation de l'art. 123 CP s'agissant des
lésions causées à l'épouse le 3 février 2002. L'examen de la peine infligée
que critique le recourant est également prématuré à ce stade; à noter au
demeurant que l'arrêt attaqué, s'il retient une diminution de la
responsabilité du recourant, n'en indique pas le degré, ni ne discute de
l'influence de la diminution retenue dans la fixation de la peine. Enfin, le
recourant se prévaut d'une violation de l'art. 69 CP, pour le motif que la
Chambre pénale n'a pas imputé la détention subie après le prononcé de
première instance. Il admet toutefois qu'il s'agit simplement d'une
inadvertance manifeste, laquelle  pourra donc aisément être rectifiée vu le
sort de la procédure. Dans ces conditions, le pourvoi apparaît privé d'objet;
la cause sera rayée du rôle.

III. Frais et dépens

5.
Eu égard au sort du pourvoi, il ne sera pas perçu de frais ni alloué
d'indemnité. Le recourant obtenant gain de cause pour son recours de droit
public, il ne sera pas perçu de frais et le canton de Genève lui versera une
indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ). Ainsi, le recourant n'a plus
d'intérêt à sa requête d'assistance judiciaire, qui devient sans objet.

Avec ce prononcé, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est admis et l'arrêt rendu le 24 février 2003 par
la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, est annulé.

2.
Le pourvoi en nullité est sans objet et la cause est rayée du rôle.

3.
Il n'est pas perçu de frais.

4.
Le canton de Genève versera au recourant une indemnité de 2'000 francs à
titre de dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale.

Lausanne, le 20 mars 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: