Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.162/2003
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6P.162/2003 /pai
6S.446/2003

Arrêt du 21 mai 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Zünd.
Greffière: Mme Kistler.

A. ________,
B.________,
recourantes,
toutes les deux représentées par Me Xavier Mo Costabella, avocat,

contre

C.________,
D.________,
E.________,
F.________,
tous les quatre représentés par Me Pierre Schifferli, avocat,

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3.

6S.446/2003
ordonnance de restitution au lésé (art. 59 ch. 1 al. 1 in fine CP)

6P.162/2003
art. 9, 29, 30 et 32 Cst., art. 6 CEDH (procédure pénale),
pourvoi en nullité (6S.446/2003) et recours de droit public (6P.162/2003)
contre l'ordonnance de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
d'accusation, du 10 octobre 2003.

Faits:

A.
Le 23 décembre 2002, le juge d'instruction genevois a rendu une "ordonnance
de restitution au lésé", sur la base de l'art. 59 ch. 1 al. 1 CP, en faveur
de C.________, D.________, E.________ et F.________, de l'intégralité des
avoirs - qui avaient fait l'objet d'une saisie le 5 février 2002 - déposés
auprès de la banque R.________ à Bâle, sur les comptes, d'une part, n° 60 630
310 dont le titulaire était B.________, à Vaduz, au Liechtenstein, et l'ayant
droit économique A.________ et, d'autre part, n° 61 895 024 dont le titulaire
était cette même A.________. L'ordonnance précisait que la restitution
ordonnée n'interviendrait pas jusqu'à droit jugé définitif en cas d'éventuels
recours.

Statuant le 10 octobre 2003 sur recours de B.________ et de A.________, la
Chambre d'accusation de la Cour de justice genevoise a confirmé l'ordonnance
de restitution du juge d'instruction.

B.
En résumé, les faits à la base de cette décision sont les suivants:
B.aDans le courant de l'année 1997, les actionnaires majoritaires de la
banque N.________, à savoir C.________, D.________, E.________ et F.________,
avaient accepté de vendre leurs actions à la Banque S.________ Brasil SA,
filiale de la banque S.________ Espagne, pour un prix de l'ordre de US$
500'000'000.-. Lorsque, en février 1998, ils ont découvert, en même temps que
la banque S.________ Espagne, que l'établissement avait été victime
d'escroqueries s'élevant à un montant de US$ 212'000'000.- (le préjudice
comptable s'élevant à US$ 242'000'000.-), ils ont, dans le cadre de la vente
de leurs actions à la banque S.________, personnellement indemnisé, en avril
1998, la banque N.________ du préjudice total qu'elle avait subi, soit US$
242'000'000 et non seulement de la part proportionnelle de leur actionnariat
afin, notamment, que les actionnaires minoritaires de la banque N.________ ne
subissent pas non plus de dommage consécutif aux détournements commis au
détriment de la banque. La banque N.________ a alors cédé aux intimés tous
ses droits pour agir en recouvrement des fonds détournés par acte de cession
du 14 avril 1998, fait à Sao Paulo.

B.b Le 1er novembre 2000, les actionnaires majoritaires de la banque
brésilienne N.________ ont déposé une plainte pénale à Genève pour
escroquerie et blanchiment d'argent, en raison de détournements commis
notamment par G.________, ancien directeur de son département international,
pour US$ 242'000'000.- dont US$ 122'000'000.- avaient abouti dans des banques
suisses.

B.c Selon les recherches approfondies des enquêteurs, une partie des fonds
détournés avait abouti, après de nombreux transferts, auprès de la banque
R.________ à Bâle, d'une part, sur le compte n° 60 630 310 appartenant à
B.________ et dont A.________ était l'ayant droit économique et, d'autre
part, sur le compte n° 61 895 024 de A.________. Selon l'ordonnance attaquée,
le mari de A.________, H.________, assassiné le 5 octobre 1998, aurait pris
une part importante aux agissements frauduleux dont la banque N.________ a
été victime. Dans son jugement du 1er mai 2003, la justice anglaise aurait
également mis en cause A.________.

C.
A.________ et B.________ forment un recours de droit public au Tribunal
fédéral contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 10 octobre 2003.
Invoquant en particulier la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), elles
concluent à l'annulation de la décision attaquée. Parallèlement, elles se
pourvoient en nullité, faisant valoir une violation de l'art. 59 ch. 1 al. 1
in fine CP. Elles n'ont requis l'effet suspensif ni dans le cadre du recours
de droit public ni dans celui du pourvoi.

Appelés à se prononcer sur le pourvoi, les intimés concluent à son rejet,
faisant notamment valoir que les recours sont téméraires et sans objet,
puisque la banque concernée leur a déjà, en décembre 2003, restitué les fonds
se trouvant sur les comptes des recourantes.

Interpellés, le Ministère public genevois et les recourantes ont confirmé que
la banque R.________ avait remis aux intimés les valeurs saisies.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

I. Recours de droit public

Selon l'art. 88 OJ, la qualité pour former un recours de droit public est
reconnue aux particuliers ou aux collectivités lésés par les arrêtés ou
décisions qui les concernent personnellement ou qui sont de portée générale.
Pour que le recours soit recevable, la décision attaquée doit donc porter une
atteinte actuelle et personnelle aux intérêts juridiquement protégés du
recourant (ATF 120 Ib 27 consid. 3a p. 33). L'intérêt au recours doit encore
exister au moment où le Tribunal fédéral statue. Si l'intéressé s'est
conformé sans réserve aux injonctions de la décision attaquée, si l'acte
d'autorité a été exécuté ou est devenu sans objet, le recours sera déclaré
irrecevable pour défaut d'intérêt actuel (Auer/Malinverni/Hottelier, Droit
constitutionnel suisse, vol. I, Berne 2000, p. 707, n. 1969).

En l'espèce, les recourantes ont conclu à l'annulation de l'ordonnance de
restitution au lésé. En décembre 2003, la banque R.________ a cependant remis
les montants saisis aux intimés et ainsi exécuté l'ordonnance de restitution
au lésé, qui, faute de requête d'effet suspensif (cf. art. 94 OJ), était
exécutoire. L'ordonnance attaquée ayant déjà été exécutée, les recourantes
ont perdu tout intérêt à leur recours qui tendait à l'annulation de celle-ci.
C'est en vain qu'elles prétendent avoir encore un intérêt juridique compte
tenu des conséquences que leur recours pourrait avoir sur l'obligation des
parties civiles de restituer les fonds indûment perçus. En effet, il s'agit
là d'un intérêt de fait qui ne saurait suffire.

Il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que soutiennent les
recourantes, la décision de restitution ne doit pas forcément être prise par
le juge du fond (Strafrichter), mais peut l'être également par l'autorité
d'instruction (ATF 128 I 129 consid. 3.1.2 p. 133; Schmid,  Kommentar
Einziehung, Organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, vol. I, Zurich 1998, n.
71 ad art. 59 CP, p. 125; Florian Baumann, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch
I, 2003, n. 45 ad art. 59 CP, p. 860). Comme toutes les décisions relatives à
la confiscation, elle doit émaner d'une autorité judiciaire, à savoir d'un
tribunal impartial au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH. Cette exigence est remplie
si la décision, prise en première instance par une autorité administrative,
peut faire l'objet d'un recours auprès d'un juge jouissant d'une pleine
cognition en fait et en droit (ATF 126 IV 107 consid. 1b/cc p. 110). En
l'espèce, cette condition est remplie dès lors que, prise par le Juge
d'instruction genevois, l'ordonnance de restitution au lésé a été confirmée
par la Chambre d'accusation de la Cour de justice genevoise, à savoir une
autorité judiciaire.

Au vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être déclaré
irrecevable. Les recourantes qui succombent supporteront les frais (art. 156
al. 1 OJ). Aucune indemnité de dépens ne sera versée aux intimés qui n'ont
pas déposé de mémoire dans cette procédure.

II. Pourvoi en nullité

Comme le recours de droit public, le pourvoi en nullité n'est recevable que
dans la mesure où le recourant a un intérêt juridique et actuel à la décision
cantonale rendue à son encontre (ATF 128 IV 34 consid. 1b p. 36; 124 IV 94
consid. 1a p. 95). Conformément à l'art. 272 al. 7 PPF, le pourvoi en nullité
ne suspend l'exécution de la décision attaquée que si la Cour de cassation ou
son président l'ordonne (ATF 105 IV 307 consid. 1 p. 309; cf. Kolly, Le
pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral, Berne
2004, p. 58 s.). Comme vu sous chiffre I, les recourantes n'ont pas requis
l'effet suspensif, et la banque R.________ a exécuté l'ordonnance de
restitution au lésé. Partant, les recourantes ont perdu tout intérêt
juridique au pourvoi, qui doit être déclaré irrecevable.
Invités à se prononcer, les intimés ont déposé des observations. Comme ils
ont obtenu gain de cause, une indemnité de dépens sera allouée à leur
mandataire pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF).
Les recourantes, qui succombent, doivent supporter les frais (art. 278 al. 1
PPF). En outre, elles devront verser à la caisse du Tribunal fédéral une
compensation pour l'indemnité due aux intimés (art. 278 al. 3 PPF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est irrecevable.

2.
Le pourvoi en nullité est irrecevable.

3.
Un émolument judiciaire de 4'000 francs est mis à la charge des recourantes,
solidairement entre elles.

4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 2'000 francs au
mandataire des intimés. Les recourantes sont tenues, solidairement entre
elles, de verser à la Caisse du Tribunal fédéral un montant de 2'000 francs
au titre de compensation.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Procureur général du canton de Genève et à la Cour de justice genevoise,
Chambre d'accusation.

Lausanne, le 21 mai 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: