Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.153/2003
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6P.153/2003
6S.430/2003/pai

Arrêt du 26 février 2004
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Kistler.

A. ________,
B.________,
C.________,
recourantes,
toutes les trois représentées par Me Mauro Poggia, avocat,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Dario Nikolic, avocat,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211
Genève 3.

6P.153/2003
art. 9 Cst. (procédure pénale; arbitraire),

6S.430/2003
homicide par négligence; prétentions civiles,

recours de droit public (6P.153/2003) et pourvoi en nullité (6S.430/2003)
contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du
27 octobre 2003.

Faits:

A.
Le 30 janvier 2001, Y.________ circulait sur le quai de Cologny en direction
de Vésénaz, au volant d'un fourgon. Alors qu'il était en train de dépasser un
véhicule qui se trouvait sur la voie de droite, il n'a pas remarqué que
celui-ci avait ralenti pour laisser passer un piéton, D.________, lequel
s'était normalement engagé sur le passage pour piétons. Malgré un freinage
d'urgence, il n'a pu immobiliser son fourgon à temps et a ainsi heurté
D.________ avec l'avant droit de son véhicule.

Grièvement blessé, D.________ a souffert de douleurs dorsales et d'une
fracture du pied gauche, ayant entraîné par la suite une gangrène de ce pied.
Il est décédé le 14 février 2001. Selon le rapport d'autopsie de l'IUML, daté
du lendemain, "[son] décès est la conséquence d'une extension fraîche d'un
infarctus ancien du myocarde, l'infarctus [étant] survenu dans le contexte de
soins suite à un traumatisme grave subi deux semaines avant le décès". Les
conclusions des examens complémentaires effectués à la suite de l'autopsie
indiquent que le décès n'est pas la conséquence directe ou suivie du
traumatisme précité, lequel a toutefois joué un rôle déclenchant dans le
processus menant au décès.

B.
Par ordonnance de condamnation du 17 décembre 2002, le Procureur général du
canton de Genève a condamné Y.________ pour lésions corporelles par
négligence (art. 125 al. 1 et 2 CP) à la peine de six mois d'emprisonnement
avec sursis pendant trois ans. Il l'a en revanche expressément libéré du chef
d'inculpation d'homicide par négligence, estimant que le lien de causalité
adéquate entre l'accident du 30 janvier 2001 et le décès de D.________
faisait défaut. Il a considéré en effet que la détérioration de l'état de
santé de la victime ayant mené au décès n'était pas imputable à Y.________,
dès lors que celle-ci souffrait d'une maladie coronarienne sévère, d'une
pathologie de l'aorte ascendante associée à une insuffisance rénale, d'une
hypertension artérielle et d'un trouble de la conduction majeure. Les droits
des parties civiles ont été réservés.

Le 20 décembre 2002, A.________, l'épouse de D.________, et ses deux filles,
B.________ et C.________, ont fait opposition à l'ordonnance précitée,
concluant à la condamnation de Y.________ pour homicide par négligence et
demandant au Tribunal de police genevois de retenir leurs conclusions
civiles, lesquelles étaient chiffrées s'agissant des indemnités pour tort
moral et réservées pour le surplus.

C.
Par jugement du 26 mai 2003, le Tribunal de police genevois a déclaré
irrecevables les conclusions des parties civiles visant à la
"requalification" de l'infraction reprochée à Y.________ et celles en
paiement des indemnités pour tort moral. Il leur a cependant donné acte de la
réserve de leurs droits.

Par arrêt du 27 octobre 2003, la Chambre pénale de la Cour de justice
genevoise a rejeté l'appel formé par les parties civiles et confirmé ledit
jugement.

D.
A.________, B.________ et C.________ interjettent au Tribunal fédéral un
pourvoi en nullité et un recours de droit public contre l'arrêt du 27 octobre
2003.

Appelé à se prononcer sur le pourvoi, le Ministère public de Genève conclut à
son rejet.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 275 al. 5 PPF, il est sursis en règle générale à l'arrêt
sur le pourvoi en nullité jusqu'à droit connu sur le recours de droit public.
Des exceptions sont cependant possibles pour des motifs d'économie de
procédure. Dans leur recours de droit public, les recourantes invoquent une
application arbitraire du droit de procédure cantonal et se plaignent d'avoir
ainsi été privées des droits reconnus à l'art. 8 al. 1 let. c et 9 LAVI. En
conséquence, il se justifie d'examiner, en premier lieu, si la LAVI a été
effectivement violée et de traiter d'abord le pourvoi qui, s'il est admis,
rendra sans objet la critique soulevée dans le recours de droit public.

I. Pourvoi en nullité

2.
En vertu de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, le lésé qui est une victime d'une
infraction au sens de l'art. 2 LAVI peut exercer un pourvoi en nullité autant
qu'il est déjà partie à la procédure et dans la mesure où la sentence touche
ses prétentions civiles ou peut avoir des incidences sur le jugement de
celles-ci.
En l'espèce, D.________ doit être considéré comme une victime au sens de
l'art. 2 al. 1 LAVI, étant donné qu'il a été grièvement blessé (fracture du
pied, qui a dû être amputé) et qu'il est par la suite décédé. En tant que
veuve et filles du défunt, les recourantes sont assimilées à la victime (art.
2 al. 2 LAVI). Elles ont en outre déjà participé à la procédure, dès lors
qu'elles ont déposé une plainte pénale et qu'elles ont provoqué, par leur
recours, la décision attaquée. Enfin, conformément aux exigences posées par
la jurisprudence, elles ont pris des conclusions chiffrées pour le tort moral
(ATF 127 IV 185 consid. 1a p. 187). En conséquence, elles réalisent les
conditions de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF et ont la légitimation pour se
pourvoir en nullité.

Il y a lieu de signaler que les recourantes ont également la qualité pour
recourir en vertu de l'art. 270 let. e ch. 2 PPF. Selon cette disposition, la
victime peut en effet former un pourvoi pour faire valoir une violation des
droits que lui accorde la LAVI. Elle peut ainsi notamment se plaindre de la
violation de l'art. 8 al. 1 let. b LAVI et demander qu'un tribunal statue sur
le refus d'ouvrir l'action publique ou sur un non-lieu, même en l'absence de
toute influence sur d'éventuelles prétentions civiles (ATF 120 IV 38 consid.
2c p. 42). En l'espèce, comme on le verra au considérant 3.2, second
paragraphe, le procureur général genevois a ordonné la libération de l'intimé
du chef d'inculpation d'homicide par négligence et ordonné ainsi un non-lieu
partiel, de sorte que les recourantes peuvent se prévaloir du droit garanti
par l'art. 8 al. 1 let. b LAVI et possèdent en conséquence aussi la
légitimation pour recourir en vertu de l'art. 270 let. e ch. 2 PPF.

3.
Invoquant l'art. 8 al. 1 let. c LAVI, les recourantes estiment être
habilitées à conclure à ce que Y.________ soit condamné pour homicide par
négligence. Se fondant sur l'art. 218C al. 2 et 218E al. 2 du Code de
procédure pénale genevois (ci-après: CPP/GE), l'autorité cantonale a refusé
d'entrer en matière et a donné aux recourantes acte de la réserve de leurs
droits, au motif que la procédure pénale genevoise dénie le droit à la partie
civile de former opposition au prononcé pénal d'une ordonnance de
condamnation. Elle rappelle à cet égard que l'art. 9 al. 4 LAVI autorise le
droit cantonal à exclure le droit du lésé à contraindre le juge pénal à
statuer sur ses prétentions civiles dans la procédure d'ordonnance de
condamnation.

3.1 L'art. 8 al. 1 LAVI prévoit que la victime de l'infraction a le droit
d'intervenir comme partie dans la procédure pénale. Elle a en particulier le
droit de faire valoir ses prétentions civiles (art. 8 al. 1 let. a LAVI), de
demander qu'un tribunal statue sur le refus d'ouvrir l'action publique ou sur
le non-lieu (art. 8 al. 1 let. b LAVI) et, pour autant que certaines
conditions soient satisfaites, de former contre le jugement les mêmes recours
que le prévenu (art. 8 al. 1 let. c LAVI).

L'art. 9 LAVI prévoit que les tribunaux sont en principe tenus de statuer sur
les prétentions civiles de la victime. L'art. 9 al. 4 LAVI habilite toutefois
les cantons à édicter des dispositions différentes pour la procédure de
l'ordonnance pénale et pour les procédures dirigées contre des enfants et des
adolescents. Le législateur genevois a fait usage de cette faculté conférée
par le droit fédéral pour l'ordonnance de condamnation. Selon l'art. 218C al.
2 CPP/GE, "lorsque l'opposition n'émane que de la partie civile, seul le
prononcé civil est mis à néant, sans préjudice des droits des parties". "Le
Tribunal, s'il reçoit l'opposition n'émanant que de la partie civile, lui
donne acte de la réserve de ses droits" (art. 218E al. 2 CPP/GE).

3.2 L'art. 8 al. 1 let. b LAVI prévoit que la victime peut demander qu'un
tribunal statue sur le refus d'ouvrir l'action publique ou sur le non-lieu.
Dans tous les cas où la procédure ne suit pas son cours jusque devant
l'autorité de jugement, la victime peut donc exiger une décision judiciaire.
Si la décision est prise d'emblée par un tribunal, par exemple une chambre
d'accusation, le droit prévu par l'art. 8 al. 1 let. b LAVI est immédiatement
satisfait. En d'autres termes, la victime a droit à une décision judiciaire.
Dès qu'un tribunal a statué que ce soit en première instance ou sur recours,
le droit est épuisé. Cette disposition ne donne aucun droit à un recours
devant une deuxième ou une troisième autorité judiciaire (FF 1990 II 934;
Corboz, Les droits procéduraux découlant de la LAVI, SJ 1996, p. 53 ss, spéc.
p. 74 s.).

Par ordonnance de non-lieu, il faut entendre toute décision qui met fin à
l'action pénale, au moins sur un chef d'accusation, et qui est rendue par une
autre autorité que la juridiction de jugement (ATF 122 IV 45 consid. 1c p.
46; 120 IV 107 consid. 1a p. 108 s.; 119 IV 92 consid. 1b p. 95). En
l'espèce, le Procureur général a reconnu l'intimé coupable de lésions
corporelles par négligence, et l'a expressément libéré du chef d'inculpation
d'homicide par négligence. Cette ordonnance de condamnation inclut donc un
non-lieu partiel. Le Procureur a en effet rendu une ordonnance de
condamnation pour une partie des faits (fracture du pied et gangrène, qui a
nécessité une amputation) et a ordonné la cessation des poursuites pénales
pour le surplus (décès de D.________). On ne saurait parler de
"requalification" des faits comme le fait l'autorité cantonale. L'autorité
compétente n'a pas écarté la qualification juridique des faits proposée et
substitué une autre qualification (par exemple en retenant les lésions
corporelles simples au lieu des lésions corporelles graves), mais a renoncé à
poursuivre l'intimé pour une partie des faits, à savoir pour la mort de
D.________ (cf. arrêt, non publié, du Tribunal fédéral du 12 novembre 1997,
1P.263/1997).

Le Procureur général genevois a pour rôle essentiel de soutenir l'accusation
au cours de l'instruction et devant les juridictions pénales, comme partie à
la procédure (cf. art. 4 et 24 CPP/GE). Lorsqu'il rend une ordonnance de
condamnation, au sens des art. 198 al. 3 et 218 à 218 F CPP/GE., il exerce
cependant, d'une certaine façon, des fonctions que l'on peut qualifier de
juridictionnelles. Dans un arrêt du 11 février 1998, le Tribunal fédéral a
toutefois précisé que le Procureur général ne se métamorphosait pas en juge
de par l'exercice occasionnel et limité de ces fonctions, mais qu'il restait
confiné dans son rôle d'accusateur public, même lorsqu'il rendait des
ordonnances de condamnation (ATF 124 I 76 consid. 2 p. 78; cf. aussi ATF 108
IV 154 consid. 2b in fine p. 158; 126 IV 107 consid. 1a p. 109). En
conséquence, le Procureur général genevois n'étant pas une autorité
judiciaire, les recourantes sont habilitées en vertu de l'art. 8 al. 1 let. b
LAVI à exiger qu'un juge se prononce sur la question de l'homicide par
négligence et plus particulièrement sur le lien de causalité entre l'accident
et la mort de D.________. C'est donc l'art. 8 al. 1 let. b LAVI qui est
applicable, et non l'art. 8 al. 1 let. c LAVI comme le soutiennent les
recourantes.

3.3 L'autorité cantonale invoque l'art. 9 al. 4 LAVI et le droit de procédure
cantonal pour écarter les prétentions civiles des recourantes. Dans la FF
1990 II p. 934, le Conseil fédéral précise ce qui suit à propos de l'art. 8
al. 1 LAVI: "En ce qui concerne le traitement des prétentions civiles, les
cantons ont [...] la possibilité d'édicter des dispositions différentes pour
l'ordonnance pénale et les procédures dirigées contre des enfants et des
adolescents (art. 9, 4e al.). S'ils excluent, dans ces procédures, le
jugement de prétentions civiles, la victime n'a pas non plus les droits
prévus aux lettres a et c" (FF 1990 II 934 in initio; voir aussi p. 937, où
le Conseil fédéral se réfère à l'art. 8, al. 1er, LAVI.). En conséquence,
selon la volonté du législateur fédéral, si le canton peut exclure le droit
de la victime de se constituer partie civile dans la procédure de
l'ordonnance pénale (art. 8 al. 1 let. a LAVI) et de recourir contre le
jugement rendu dans le cadre de cette procédure (art. 8 al. 1 let. c LAVI;
arrêt, non publié, du Tribunal fédéral du 6 août 2003, 6P.55/2003 et
6S.140/2003), il ne saurait exclure le droit de la victime de demander qu'un
tribunal statue sur le refus d'ouvrir l'action publique ou sur le non-lieu
(art. 8 al. 1 let. b LAVI; ATF 122 IV 79 consid. 4b/cc p. 88/89; cf. aussi
Peter Gomm/ Peter Stein/ Dominik Zehntner, Kommentar zum Opferhilfegesetz,
Berne 1995, art. 9 n. 20 qui limite l'application de l'art. 9 al. 4 LAVI à la
règle prévue à l'art. 8 al. 1 let. a LAVI).

Il résulte de ce qui précède que les recourantes ne peuvent donc être privées
par le droit cantonal du droit d'exiger en application de l'art. 8 al. 1 let.
b LAVI une décision judiciaire sur la question de l'homicide par négligence
et, en particulier, sur celle du lien de causalité entre l'accident et le
décès de D.________. En refusant d'entrer en matière sur ce point, le
Tribunal de police et la Cour de justice genevoise ont violé l'art. 8 al. 1
let. b et l'art. 9 al. 4 LAVI.

3.4 Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit donc être admis, l'arrêt attaqué
annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale, pour qu'une autorité
judiciaire se prononce sur la question de l'homicide par négligence.

Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de frais et une indemnité de
dépens sera allouée au mandataire des recourantes pour la procédure devant le
Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF).

II. Recours de droit public

4.
Les recourantes font valoir que l'autorité cantonale a appliqué
arbitrairement les art. 218C al. 2 et 218E al. 2 CPP/GE en déclarant
irrecevables les conclusions des parties civiles qui allaient au-delà de la
simple demande de la réserve de leurs droits. En particulier, elles
prétendent qu'il n'y a pas eu de procès équitable, dès lors que le Procureur
général genevois est la seule autorité qui s'est prononcée sur le lien de
causalité et qu'il a rendu sa décision sans débat et sans respecter le droit
d'être entendu.

Il résulte de l'examen du pourvoi en nullité que les victimes ont
effectivement le droit qu'une autorité judiciaire se prononce sur la question
de l'homicide par négligence et que l'autorité cantonale a violé l'art. 8 al.
1 let. b LAVI en privant les recourantes de ce droit. A la suite de
l'admission du pourvoi, l'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour qu'une décision judiciaire soit rendue sur la
question de l'homicide par négligence. Les recourantes ont dès lors perdu
tout intérêt à l'examen du recours de droit public, qui devient sans objet.
Compte tenu du sort de la procédure, il n'y a pas lieu de percevoir des
frais. Aucune indemnité ne sera versée aux recourantes, dès lors qu'en
interjetant deux recours, elles ont pris le risque que l'un devienne sans
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi en nullité est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est
renvoyée à l'autorité cantonale pour nouveau jugement.

2.
Le recours de droit public est devenu sans objet.

3.
Il n'est pas perçu de frais.

4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 2'000 francs au
mandataire des recourantes.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Procureur général du
canton de Genève et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.

Lausanne, le 26 février 2004

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: