Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.11/2003
Zurück zum Index Kassationshof in Strafsachen 2003
Retour à l'indice Kassationshof in Strafsachen 2003


6P.11/2003 /rod

Arrêt du 16 avril 2003
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger, Féraud, Kolly et Karlen.
Greffier: M. Denys.

X. ________,
recourant, représenté par Me Yves Donzallaz, avocat, avenue de Tourbillon 3,
case postale 387, 1951 Sion,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Stéphane Riand, avocat, avenue Ritz 33, case
postale 2299, 1950 Sion 2
Ministère public du canton du Valais,
Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du Valais, Chambre pénale,
Palais de Justice, 1950 Sion 2.

Récusation de l'expert,

recours de droit public contre la décision du Tribunal cantonal du Valais,
Chambre pénale, du 14 janvier 2003.

Faits:

A.
Le 15 juin 2002, le service cantonal valaisan de protection de la jeunesse
(ci-après: le service) a avisé le juge d'instruction du Valais central de
l'existence d'une suspicion d'abus sexuels au préjudice de l'enfant
X.________, né en mai 1998. Le même jour, le magistrat de garde a mandaté le
service pour procéder à l'audition de X.________ et des enfants du voisin mis
en cause, A.________. Il a été prévu que la direction des entretiens serait
confiée à une psychologue et qu'ils seraient enregistrés sur support vidéo.

Le 16 juin 2002, X.________ a été entendu par la psychologue F.________ et
par l'agente de police P.________. Fortuitement,  l'enregistrement de la
déposition a été effacé par celui de l'audition suivante concernant l'enfant
A.A.________. Selon l'agente P.________, aucun élément révélateur n'avait pu
être mis en avant, X.________ ayant évoqué un grand secret, sans le dévoiler
malgré trente minutes d'entretien. Le lendemain, B.X.________, mère de
X.________, a remis à la police un enregistrement, dans lequel l'enfant,
dialoguant avec ses  parents, mettait en cause A.________. Cet enregistrement
a fait l'objet d'une transcription écrite. Une autre audition de l'enfant par
la psychologue F.________ et par l'agente de police P.________ a eu lieu le
20 juin 2002, à la demande des parents, qui avaient indiqué que l'enfant
désirait se confier. Elle a été enregistrée sur bande vidéo et transcrite par
écrit. Le 9 juillet 2002, la psychologue F.________, dans un document
intitulé "Commentaires et analyse de crédibilité" visé par son chef de
service, lui-même psychologue-psychothérapeute, est revenue sur cette
dernière audition pour indiquer, après trois pages de considérations
s'appuyant sur le "Statement Validity Analysis", que l'ensemble des éléments
apportés par cette séance ne permettait pas de conclure avec certitude que
les faits relatés par l'enfant étaient exacts ni de déclarer ces faits peu
probables.

Le 31 juillet 2002, la représentante du ministère public a observé qu'il
manquait au dossier une expertise de crédibilité répondant aux critères
minima dégagés au cours de ces dernières années, l'analyse de la psychologue
devant nécessairement être complétée par le point de vue d'un expert neutre
qui n'ait pas assisté l'enquêteur dans son audition. Dans la seconde partie
du mois d'août, l'affaire a connu une première médiatisation. Le 4 septembre
2002, sur proposition des parents X.________, le juge d'instruction, qui
estimait que le ministère public avait prôné l'intervention d'un
pédopsychiatre, a émis l'intention de choisir comme expert le Dr T.________,
psychiatre et psychothérapeute FMH pour enfants et adolescents. Toutefois, il
y a renoncé au vu de l'opposition du prévenu A.________, qui recommandait la
désignation de deux autres spécialistes, dont R.________, psychanalyste, DESS
de psychologie clinique et pathologique, psychologue et psychothérapeute FSP
(enfants, adolescents et adultes), membre de l'école européenne de
psychanalyse. Après le refus de l'autre spécialiste d'assumer une telle
mission, le juge a envisagé de la confier à la psychologue R.________. Le 11
septembre 2002, le nouveau mandataire de la famille X.________ (l'avocat Yves
Donzallaz), a déclaré ne pas avoir de prévention particulière à l'égard de
cette psychologue, qui lui semblait revêtir les compétences nécessaires pour
l'expertise. A cette occasion, s'en remettant au choix du juge, il a
simplement évoqué l'opportunité de faire appel aux services d'un spécialiste
hors canton et émis quelques réticences au sujet de la méthode
psychanalytique. Par lettre du 18 septembre 2002, le juge d'instruction a
confirmé à R.________ son mandat d'expert, lui a demandé de lui faire
connaître la méthodologie dont elle entendait faire usage et lui a annoncé
qu'il lui préciserait sous peu les exigences posées par le Tribunal fédéral
et la doctrine spécialisée en matière d'audition d'enfants. Le 30 septembre
2002, le juge a fourni des renseignements supplémentaires au sujet de la
méthode à suivre pour l'expertise (en se référant à la voie de la psychologie
clinique et de la psychanalyse) et, le lendemain, a communiqué aux parties la
méthodologie établie par l'experte. Peu après, il leur a fait part des
craintes de cette dernière au sujet d'une nouvelle médiatisation de
l'affaire. Dès le 10 octobre 2002, les parents X.________ sont intervenus à
plusieurs reprises auprès du juge afin qu'il définisse clairement le statut
et la mission exacte de l'experte. Le 13 novembre 2002, après que les parents
X.________, le prévenu et le ministère public eurent chacun déposé leur liste
de questions à l'experte, le nouveau juge d'instruction en charge du dossier
a confirmé le mandat confié à celle-ci et lui a adressé son propre
questionnaire.

A la suite de discussions préalables entre l'experte et la mère de
X.________, les parents de celui-ci se sont alarmés de certains des propos de
l'experte (comparaison du sexe de l'homme avec un biberon et interprétation
d'éléments d'ordre scatologique comme étant l'expression d'instincts
primitifs) puis ont mis en cause "les méthodes et a priori" qu'elle
manifestait en tant que praticienne de la psychanalyse. Le 15 novembre 2002,
ils ont fait savoir au juge qu'ils n'entendaient absolument plus confier leur
enfant à cette thérapeute et ont requis que le dossier d'expertise soit
transféré en mains d'un véritable pédopsychiatre. Le 25 novembre 2002,
l'experte s'est étonnée de cette démarche en relevant que toutes les parties
avaient été clairement informées de sa méthodologie; elle est aussi revenue
sur l'un des propos qui lui était reproché afin d'illustrer sa méthode
d'investigation. Interpellés par le juge, les parents X.________ ont, par
courrier du 27 novembre 2002, indiqué au juge que l'expertise litigieuse ne
correspondait pas aux réquisits d'une véritable expertise de crédibilité et
qu'il pouvait interpréter leur requête comme une demande de récusation. Le
ministère public et le prévenu s'y sont opposés.

B.
Le 3 décembre 2002, le juge d'instruction a rejeté la requête tendant à la
récusation de l'experte.

X. ________ et ses parents ont recouru contre cette décision. Ils ont invoqué
notamment l'incompatibilité du mandat confié à l'experte avec les nouvelles
dispositions de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI;
RS 312.5), son incompétence et manque d'expérience, et son défaut
d'impartialité pour manque de sérénité.

Par décision du 14 janvier 2003, la Chambre pénale du Tribunal cantonal
valaisan a rejeté le recours.

C.
Agissant par ses parents, X.________ forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral contre cette décision. Il conclut à son annulation et
sollicite par ailleurs l'effet suspensif.

Le 31 janvier 2003, le Tribunal fédéral a signalé qu'aucune mesure
d'exécution ne pourrait être entreprise jusqu'à décision sur la requête
d'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 87 al. 1 OJ, le recours de droit public est recevable
contre les décisions préjudicielles et incidentes sur la compétence et sur
les demandes de récusation, prises séparément; ces décisions ne peuvent être
attaquées ultérieurement. Les demandes de récusation mentionnées à l'art. 87
al. 1 OJ sont en premier lieu celles visant un membre de l'autorité
compétente (cf. ATF 126 I 207 consid. 1b p. 209); cette disposition doit
également s'appliquer en cas de demande de récusation d'un expert judiciaire,
pour lequel valent, mutatis mutandis, les exigences du droit constitutionnel
et conventionnel en matière d'impartialité (cf. ATF 126 III 249 consid. 3c p.
253; 125 II 541 consid. 4a p. 544).

2.
Invoquant une violation de l'art. 29 Cst., le recourant prétend que plusieurs
éléments commanderaient la récusation de l'experte. Certains de ses propos
laisseraient penser qu'elle n'envisage pas la possibilité d'un véritable
abus. Elle ne présenterait en outre pas toute la sérénité requise, eu égard à
la médiatisation de l'affaire.

2.1 Le cas de récusation d'un expert ne s'examine pas au regard de l'art. 30
al. 1 Cst., qui concerne l'autorité judiciaire, mais sous l'angle de l'art.
29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès (ATF 125 II 541 consid. 4a p.
544). S'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance, l'art. 29
al. 1 Cst. assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art.
30 al. 1 Cst. (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198/199).

Selon l'art. 30 al. 1 Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue par un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et
impartial, c'est-à-dire par des juges qui offrent la garantie d'une
appréciation parfaitement objective de la cause (ATF 127 I 196 consid. 2b p.
198; 126 I 68 consid. 3a p. 73; 123 I 49 consid. 2b p. 51). Des circonstances
extérieures au procès ne doivent pas influer sur le jugement d'une manière
qui ne serait pas objective, en faveur ou au préjudice d'une partie, car
celui qui se trouve sous de telles influences ne peut être un "juste
médiateur" (ATF 125 I 209 consid. 8a p. 217; 124 I 121 consid. 3a p. 123). Si
la simple affirmation de la partialité ne suffit pas, mais doit reposer sur
des faits objectifs, il n'est pas davantage nécessaire que le juge soit
effectivement prévenu; la suspicion est légitime même si elle ne se fonde que
sur des apparences, pour autant que celles-ci résultent de circonstances
examinées objectivement (ATF 124 I 121 consid. 3a p. 123/124; 122 I 18
consid. 2b/bb p. 24; 120 Ia 184 consid. 2b p. 187). Les mêmes principes
valent, mutatis mutandis, pour la récusation de l'expert, au regard de l'art.
29 al. 1 Cst.

2.2 Le recourant reproche à l'experte l'utilisation répétitive de guillemets
et déduit en particulier des termes "fellation toute naturelle" utilisés dans
un écrit du 25 novembre 2002 qu'elle n'envisage elle-même pas la possibilité
d'un véritable abus.

Il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur une argumentation aussi évasive,
qui ne satisfait nullement aux exigences minimales posées par l'art. 90 al. 1
let. b OJ (ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1b p. 536). Au
demeurant, la Chambre pénale a exposé que l'experte s'était inscrite en faux
contre l'assertion de prévention en expliquant de manière convaincante que la
pensée psychanalytique consiste à accepter à la fois l'existence du fantasme
et celle du traumatisme lié à l'abus sexuel, de manière à pouvoir être
capable de distinguer sur le plan clinique ces deux ordres de réalité souvent
enchevêtrés. Rien n'autorise donc à penser que les propos de l'experte mis en
avant par le recourant supposeraient objectivement une apparence de
prévention.

2.3 Le recourant affirme encore que l'experte ne disposerait pas de la
sérénité suffisante en raison de la médiatisation de l'affaire. Il invoque à
ce sujet un courrier du juge d'instruction du 7 octobre 2002, dont il ressort
que l'experte lui a signalé que "toute médiatisation de cette affaire ne
pourrait que contrarier voire compromettre la bonne exécution de son mandat".

De la phrase citée, rien ne suppose que l'experte ne pourrait pas en toute
sérénité connaître du mandat confié. L'extrapolation du  recourant à ce sujet
est inapte à éveiller une impression de partialité. Encore faut-il relever
que dans le courrier du 7 octobre 2002, à la suite de la phrase invoquée, il
est indiqué qu'une médiatisation aurait pour effet d'affecter les enfants
dont l'audition est prévue et d'engendrer chez eux un repli sur soi peu
propice à la manifestation de la vérité. La réserve ainsi exprimée participe
d'un souci légitime. Aucun des éléments exposés par le recourant ne peut
objectivement et raisonnablement être considéré comme justifiant une
quelconque méfiance à l'égard de l'experte. Supposée recevable, la critique
est dépourvue de fondement.

3.
Dans un autre grief, le recourant se plaint d'une atteinte à son intégrité
psychique, garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. Il affirme que l'expertise de
crédibilité ordonnée et les auditions répétées de l'enfant qu'elle implique
sont de nature à lui créer un préjudice important (victimisation secondaire).
Il précise l'atteinte invoquée en se référant à des normes cantonales de
procédure ainsi qu'à la LAVI, spécialement l'art. 10c. Cette disposition, en
vigueur depuis le 1er octobre 2002, prévoit que l'enfant victime ne doit en
principe pas être entendu plus de deux fois durant l'ensemble de la
procédure. En l'occurrence, les moyens du recourant reviennent à critiquer
l'interprétation et l'application faite par l'autorité cantonale de l'art.
10c LAVI, question de droit fédéral. Une telle question ne saurait être
abordée dans un recours de droit public lorsque la voie du pourvoi en nullité
est ouverte (art. 84 al. 2 OJ et 269 al. 1 PPF). Tel est le cas ici et le
recourant a d'ailleurs formé un pourvoi en nullité parallèle dans lequel il
s'est prévalu d'une violation de l'art. 10c LAVI. Le présent grief est par
conséquent irrecevable.

4.
Le recourant supporte les frais de la procédure (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a
pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé, qui n'a pas été invité à se
déterminer dans la procédure relative au recours de droit public.

La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du  recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Ministère public du canton du Valais, au Tribunal cantonal valaisan, Chambre
pénale, ainsi qu'au Juge d'instruction pénale du Valais central.

Lausanne, le 16 avril 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: