Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.106/2003
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6P.106/2003 /dxc
6P.107/2003
6S.288/2003
6S.290/2003

Arrêt du 7 novembre 2003
Cour de cassation pénale

MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Karlen et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Angéloz.

X.________,
Y.________,
recourants, tous deux représentés par Me Marc Bonnant, avocat, rue de
Saint-Victor 12, case postale 473,
1211 Genève 12,

contre

Société A.________,
intimée, représentée par Me Vincent Jeannerat, avocat,
15bis, rue des Alpes, case postale 2088, 1211 Genève 1
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3108, 1211 Genève 3.

6P.106/2003 et 6P.107/2003

Art. 9, 29 al. 2 et 32 al. 1 Cst. et art. 6 ch. 2 CEDH (procédure pénale;
arbitraire; droit d'être entendu; présomption d'innocence);

6S.288/2003 et 6S.290/2003

Escroquerie;

recours de droit public (6P.106/2003 et 6P.107/2003) et pourvois en nullité
(6S.288/2003 et 6S.290/2003) contre les arrêts de la Cour de cassation du
canton de Genève du 27 juin 2003.

Faits:

A.
Par arrêts du 27 juin 2003, la Cour de cassation genevoise a écarté les
pourvois en cassation interjetés par X.________ et Y.________ contre un arrêt
du 21 janvier 2003 de la Cour correctionnelle sans jury de Genève, les
condamnant, pour escroquerie (art. 148 aCP), à des peines respectives de 18
mois d'emprisonnement avec sursis pendant 3 ans et de 12 mois
d'emprisonnement avec sursis pendant 2 ans.

B.
La condamnation des deux accusés repose, en résumé, sur les faits suivants.

B.a En 1990, la société A.________, filiale du groupe B.________, dont le
représentant était D.________, a décidé d'acquérir l'hôtel C.________ à
Londres, lequel appartenait au groupe R.________.

B.b X.________, Y.________, E.________ et F.________, employés des sociétés
du groupe B.________, notamment de sa filiale B.________ Financial Services,
sont intervenus dans l'acquisition de cet hôtel, dont ils ont obtenu une
première estimation, provisoire, datée du 29 janvier 1990, établie par
G.________ Ltd. Cette estimation faisait état d'une valeur de 30 millions de
£, alors que le cabinet H.________ & Cie l'avait estimée à 26 millions de £.
Le document attirait explicitement l'attention sur le fait qu'il s'agissait
d'une valeur provisoire, sous réserve d'une expertise approfondie.

B.c A réception de cette estimation, les deux accusés et leurs comparses ont
instruit les consultants immobiliers en ce sens qu'ils établissent un rapport
supprimant toute réserve et ayant l'apparence d'une expertise qui arrêtait la
valeur de l'hôtel à 30 millions de £.

Cette version tronquée du rapport G.________ a été soumise le 2 février 1990
et transmise le 5 février 1990 aux avocats de A.________. A cette société et
à ses conseils, les accusés et leurs comparses ont fait valoir que le
vendeur, soit le groupe R.________, souhaitait, pour des raisons fiscales,
que la vente intervienne par l'intermédiaire d'une société J.________ Ltd,
tout en assurant que cela n'impliquait aucune majoration du prix de vente.

B.d En réalité, l'hôtel a été acheté, le 26 février 1990, à son propriétaire,
le groupe R.________, par J.________ Ltd, au prix de 24,5 millions de £, soit
à un prix inférieur de 5,1 millions de £ à celui, de 29,6 millions de £
auquel il a été revendu le jour même à A.________, et cela à l'insu de cette
dernière société et des animateurs du groupe B.________.

Le gain réalisé par J.________ Ltd a été reversé à hauteur de 3.193.199 £ à
la société K.________ Inc, dont P.________ était administrateur, sur un
compte auprès de la banque L.________ à Genève. K.________ Inc a distribué
cette somme aux accusés et à leurs comparses. X.________ et Y.________ ont
ainsi encaissé, chacun, 725.000 £ au préjudice du groupe B.________.
M.________ a reçu, lui, 269.000 £.

C.
X.________ et Y.________ forment chacun un recours de droit public et un
pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Se plaignant, dans leur recours de
droit public, d'arbitraire dans l'établissement des faits, d'une violation du
principe "in dubio pro reo" découlant de la présomption d'innocence et d'une
violation du droit d'être entendu, et, dans leur pourvoi en nullité, d'une
violation de l'art. 148 aCP, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué,
en sollicitant l'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les deux recours de droit public, dont le contenu est rigoureusement
identique, sont dirigés contre deux arrêts, également identiques, qui
écartent les pourvois en cassation interjetés par les recourants contre un
seul et même arrêt de la Cour correctionnelle, les condamnant pour la même
infraction à raison des mêmes faits. Il se justifie donc de statuer sur les
deux recours par un même arrêt.

La même remarque vaut pour les deux pourvois en nullité, qu'en l'espèce il
est par ailleurs expédient de traiter dans le même arrêt que les recours de
droit public.

I. Recours de droit public

2.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut examiner que
les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte de recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127 I 38 consid. 3c p.
43; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b
p. 495 et les arrêts cités).

3.
Sur deux points, les recourants se plaignent d'arbitraire dans
l'établissement des faits et d'une violation du principe "in dubio pro reo"
découlant de la présomption d'innocence.

3.1 Il apparaît d'emblée que le grief de violation du principe "in dubio pro
reo" n'a pas en l'espèce de portée propre par rapport à celui d'arbitraire
dans l'appréciation des preuves, également invoqué par les recourants. Ces
derniers n'établissent en effet aucune violation de ce principe en tant que
règle sur le fardeau de la preuve, mais se plaignent exclusivement de sa
violation en tant que règle de l'appréciation des preuves (ATF 120 Ia 31
consid. 2c-e p. 36 ss). Ils n'étayent d'ailleurs pas leur grief par une
argumentation distincte de celle qu'ils présentent à l'appui du grief
d'arbitraire dans l'appréciation des preuves. Il suffit donc de l'examiner
sous cet angle.

3.2 La notion d'arbitraire a été rappelée récemment dans l'ATF 128 I 177
consid. 2.1 p. 182, auquel on peut se référer. En bref, il ne suffit pas,
pour qu'il y ait arbitraire, que la décision attaquée apparaisse critiquable;
il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa
motivation mais dans son résultat.

3.3 Les recourants reprochent d'abord à l'autorité cantonale d'avoir nié
arbitrairement que les sommes qu'ils ont encaissées correspondaient en
réalité à une indemnité, qui leur était due en raison d'une rupture
unilatérale et anticipée de contrats signés en avril 1988 par diverses
sociétés offshore, contrôlées par D.________, avec la société O.________ Inc,
en vertu desquels cette dernière était censée gérer, contre rémunération,
lesdites sociétés pendant une durée de dix ans.

Cette version des faits a été écartée en instance cantonale en considérant
qu'elle était infirmée par une série d'indices concordants et reposait sur
des allégations non établies, voire privées de pertinence. Or, les recourants
n'établissent aucune appréciation arbitraire de ces indices et allégations,
mais se bornent à reprendre une fois de plus ces dernières, sans réellement
réfuter les arguments que les juges cantonaux leur ont opposés. Alors que
l'autorité cantonale a écarté point par point leurs objections, ils
n'établissent nullement en quoi le raisonnement par lequel elle l'a fait
serait manifestement insoutenable. En particulier, ils ne démontrent
aucunement qu'il était arbitraire de nier que les "paiements et émoluments"
dus à O.________ Inc à teneur des contrats correspondaient effectivement à
des indemnités, qui, de surcroît leur auraient été personnellement payables.
Quant aux faits retenus, les recourants ne montrent ni même ne disent en quoi
il était arbitraire de les admettre. En définitive, leur argumentation se
réduit à une réaffirmation de leur version des faits, ce qui est assurément
insuffisant au regard des exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b
OJ. Le grief est par conséquent irrecevable.

3.4 Les recourants soutiennent que la réalisation de plusieurs des éléments
constitutifs de l'infraction en cause a été retenue sur la base de faits
admis arbitrairement. Plus précisément, c'est de manière arbitraire qu'il
aurait été retenu que D.________ avait été induit en erreur, que l'intimée
ignorait que le rapport G.________ constituait une estimation provisoire et
qu'elle aurait en définitive subi un dommage.

Il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que ce grief, qui est dirigé contre des
faits déjà admis par la Cour correctionnelle, ait été soulevé devant la cour
de cassation cantonale. Outre celui déjà examiné ci-dessus (cf. supra,
consid. 3.3) et un autre pris d'une motivation insuffisante du verdict de
culpabilité, cette dernière s'est en effet uniquement prononcée sur deux
griefs de violation de la loi pénale, soit des art. 148 aCP et 63 CP. Or, les
recourants n'invoquent aucun déni de justice au motif que la cour cantonale,
bien qu'ils le lui avaient soumis, aurait omis de statuer sur le présent
grief. Dès lors, soit ce grief n'a pas été soulevé devant la cour de
cassation cantonale et il est irrecevable, faute d'épuisement des instances
cantonales (art. 86 al. 1 OJ; ATF 126 I 257 consid. 1a p. 258), soit, bien
que soulevé, il n'a pas été examiné et il est irrecevable, faute d'un grief
en ce sens des recourants (art. 90 al. 1 let. b OJ).

Il n'est donc pas possible d'entrer en matière.

4.
Invoquant une violation de leur droit à une décision motivée découlant du
droit d'être entendu ainsi qu'une violation de la présomption d'innocence,
les recourants reprochent à l'autorité cantonale de n'avoir pas exposé ce qui
la conduisait à admettre qu'ils avaient agi en qualité de coauteurs.

Autant que les recourants invoquent une violation de leur droit d'être
entendu, leur grief, pour les mêmes motifs que le précédent (cf. supra,
consid. 3.4), est irrecevable. Selon l'arrêt attaqué, les recourants se sont
en effet uniquement plaints en instance cantonale d'une motivation
insuffisante en ce qui concerne le verdict de culpabilité, reprochant à la
Cour correctionnelle de n'avoir pas exposé de manière suffisante ce qui la
conduisait à admettre que les éléments constitutifs de l'infraction en cause
étaient réalisés, non pas d'une motivation insuffisante en ce qui concerne
leur degré de participation à cette infraction. Or, ils n'établissent pas ni
même ne prétendent l'avoir fait et que la cour cantonale aurait omis
d'examiner la question.

Ce qui précède vaut également pour le grief de violation de la présomption
d'innocence, qui est de toute manière irrecevable parce qu'en rien motivé par
les recourants, qui se bornent à l'invoquer en sus.

5.
Les recourants se plaignent encore d'une violation de leur droit d'être
entendu et du principe "in dubio pro reo" découlant de la présomption
d'innocence "en relation avec le cas de M.________". Ils reprochent à la cour
de cassation cantonale de n'avoir pas statué sur le grief qu'ils faisaient à
la Cour correctionnelle d'avoir, sans le justifier, traité leur cas
différemment de celui de M.________, qui est décédé avant le jugement, alors
que le rôle de celui-ci, qui avait encaissé quelque 269.000 £, bien que ne se
distinguant pas du leur quant à la réception des fonds, aurait été considéré
comme n'étant "pas pénal".

5.1 Autant qu'ils invoquent une violation de la présomption d'innocence, leur
grief n'est aucunement motivé et, partant, irrecevable.

5.2 Quant au grief de violation du droit d'être entendu, il repose sur
l'allégation que le cas de M.________, qui avait aussi encaissé des fonds,
aurait en définitive été considéré comme "non pénal", ce qui ne saurait
toutefois être déduit du seul fait que la saisie opérée sur ses fonds aurait
été levée, comme le font les recourants, qui ne se prévalent d'aucune
décision de non-lieu ou de classement concernant M.________.

Au demeurant, en instance cantonale, le grief que les recourants faisaient à
la Cour correctionnelle de n'avoir pas justifié la différence de traitement
qu'ils invoquent reposait essentiellement sur l'allégation que M.________
aurait prétendument subi, de la part de D.________, des pressions, qui
auraient en fin de compte amené l'autorité à admettre que sa culpabilité
était douteuse, ce qui aurait dû conduire, selon les recourants, à concevoir
aussi des doutes quant à leur culpabilité. La cour de cassation cantonale a
toutefois réfuté cette argumentation, en observant qu'il n'était pas établi
que M.________ avait subi des pressions et que la prévention d'escroquerie à
l'encontre des recourants était au demeurant largement établie de manière
indépendante des allégations de M.________. Or, les recourants ne contestent
pas ce raisonnement, qui revenait à priver de fondement le grief qu'ils
faisaient à la Cour correctionnelle et sur lequel la cour de cassation
cantonale a donc statué.

Ainsi, les recourants fondent toute leur argumentation sur une allégation non
démontrée, sans contester pour le surplus un raisonnement privant leur grief
de fondement. Une violation de leur droit d'être entendu n'est dès lors pas
établie conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, ce qui
entraîne l'irrecevabilité du grief.

6.
L'ensemble des griefs soulevés dans les recours de droit public et, partant,
ces derniers sont donc irrecevables.

II. Pourvois en nullité

7.
Les recourants contestent leur condamnation pour escroquerie, soutenant que
l'un des éléments constitutifs de cette infraction, à savoir que la personne
trompée ait été induite en erreur, n'est pas réalisé en l'espèce.

Selon les constatations de fait cantonales, qui lient la Cour de cassation
saisie d'un pourvoi en nullité (art. 277bis PPF) et ne peuvent donc être
remises en cause dans le cadre de cette voie de droit (art. 269 PPF; ATF 126
IV 65 consid. 1 p. 66/67; 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et
les arrêts cités), les recourants et leurs comparses ont traité avec les
animateurs de l'intimée, dont il a clairement été retenu qu'ils avaient été
induits en erreur par la tromperie astucieuse, en soi incontestée, reprochée
aux recourants. Il n'a pas été constaté qu'ils auraient traité avec
D.________, dont, contrairement à ce qu'ils laissent entendre, il n'est pas
établi qu'il représentait l'intimée lors des négociations, l'arrêt attaqué se
bornant à relever qu'il était alors le représentant du groupe B.________ dont
l'intimée était une filiale.

Au demeurant, que la Cour correctionnelle ait observé que "la connaissance
des négociations par D.________ diverge selon ceux qui s'expriment", de sorte
qu'"il n'est pas possible de tirer une conviction quelconque de ce point de
vue" n'équivaut certes pas à admettre que D.________ était au courant des
manigances des recourants et moins encore que la lésée, soit l'intimée,
n'aurait pas été induite en erreur, mais signifie uniquement, comme le
précise d'ailleurs l'arrêt de la Cour correctionnelle, qu'"il n'est pas
établi par les enquêtes que D.________ aurait été tenu au courant de
l'évolution des négociations".

En réalité, la critique des recourants se réduit à une rediscussion, au
demeurant vaine, de faits retenus, irrecevable dans un pourvoi en nullité.
Ils ne font d'ailleurs que reprendre dans le cadre de cette voie de droit une
argumentation de leur recours de droit public, qui a été déclaré irrecevable
sur ce point (cf. supra, consid. 3.4).

L'unique grief soulevé dans les pourvois est par conséquent irrecevable, de
sorte qu'il en va de même de ceux-ci.

III. Frais et dépens

8.
Vu le sort des recours de droit public et des pourvois en nullité, les
recourants, qui succombent, supporteront les frais, à parts égales entre eux
et solidairement (art. 156 al. 1 et 7 OJ; art. 278 al. 1 PPF).

Les causes étant tranchées, les requêtes d'effet suspensif deviennent sans
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours de droit public sont déclarés irrecevables.

2.
Les pourvois en nullité sont déclarés irrecevables.

3.
Un émolument judiciaire de 8'000 francs est mis à la charge des recourants,
qui le supporteront à parts égales entre eux et solidairement.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties ainsi
qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 7 novembre 2003

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: